J'aurais aussi pu vous parler de Lille, mais vous auriez raison de dire que je ne parle que des grandes villes de plus de 60 000 habitants.
Dans les départements à dominante rurale, par exemple la Creuse, la Haute-Marne ou la Meuse, les niveaux de prix s'élèvent à 1 250 euros le mètre carré. Mulhouse ou Saint-Étienne ont des niveaux de prix sensiblement comparables. Du côté de l'Ariège, des Vosges ou des Ardennes, nous sommes à 1 400 euros le mètre carré dans l'ensemble de ces territoires.
Vous allez certainement soutenir qu'il est devenu impossible pour des familles avec enfants d'acheter un bien immobilier à Paris, Neuilly, Nantes, etc. Je vais essayer d'apporter un éclairage différent, celui de l'acheteur caractérisé par un pouvoir d'achat limitant ses ambitions. Nous utilisons deux indicateurs au sujet des acheteurs. Le premier est le taux d'effort. Les recommandations du Haut conseil ont rappelé que les taux d'effort supérieurs à 33 % sont une réalité en France, contrairement à ce que certains prétendent. Nous retenons le rapport entre charges de remboursement et revenus du ménage.
Un autre indicateur est le rapport entre coût du logement et revenus du ménage. Si nous retenons le taux d'effort, Monsieur le Président, on constate qu'au niveau des territoires, dans les communes rurales ou de moins de 2 000 habitants, ce taux est proche de 28 %. Certains prétendront que cette situation est liée au fait que les prix sont plus bas. Dans les villes de plus de 200 000 habitants, le taux d'effort s'élève à 28,5 %. En dehors de Paris et de la région parisienne, l'ensemble du territoire se situe sur des taux d'effort de 28 à 29 %. Cette situation signifie que si vous vivez à Bruyères, dans les Vosges, ou à Plouarzel, dans le Finistère, le coût du logement que vous achetez vous fait supporter un effort comparable à celui que vous auriez à supporter à Nantes, dans certains arrondissements de Lyon, à Villeurbanne, etc.
Si nous étudions le coût relatif, nous allons nous apercevoir que dans les communes rurales, acquérir un logement représente 5,5 années de revenus pour un ménage accédant à la propriété. Dans les communes de 100 000 à 200 000 habitants, ce sont 5 années de revenus. Toutes les communes en dehors de la région parisienne se situent entre 5,2 et 5,5 années de revenu, et heureusement.
Un centre-ville a partout des triangles d'or, y compris à Brest, Bordeaux, Nantes, etc. La différence entre le triangle d'or et le reste de la ville donne des niveaux de prix du simple au double, voire du simple au triple. Les niveaux des prix sont en relation avec les niveaux des revenus des ménages qui se présentent sur le marché. Un certain nombre d'observateurs ne comprennent pas que des dispositions visent à fermer l'accession à la propriété pour les ménages modestes.
Le second sujet de ma présentation concerne le lien entre niveau de prix et conditions de crédit, sujet qui relève de la catégorie des « marronniers », comme la chute des taux permettant miraculeusement de resolvabiliser la demande. Les taux des crédits immobiliers ont diminué à partir de 2012. Jusqu'à cette date, ils étaient proches de 4 à 4,5 %. La nouvelle stratégie monétaire de la Banque centrale européenne a permis de réduire les taux, jusqu'à 1,13 % aujourd'hui. Entre 2012 et 2019, tout le monde s'accorde, dans la recherche académique ou dans les institutions internationales, dont l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et le Haut Conseil, en décembre 2019, sur l'absence de bulle immobilière. Or ce n'est pas dans l'évolution des taux des emprunts qu'il faut chercher l'explication de l'augmentation des prix des logements.
En effet, l'augmentation du prix des logements est liée à l'évolution des fondamentaux, c'est-à-dire le revenu et le desserrement des conditions de crédit (taux, durée, élargissement de l'accès au crédit par la diminution du taux d'effort demandé aux emprunteurs). Depuis 2012, n'avons-nous pas connu une alimentation de l'inflation immobilière par l'alimentation des conditions de crédit ?
Dans les 34 villes de plus de 60 000 habitants, dans 40 % des villes, les prix ont diminué depuis 2012, chaque année, ou augmenté moins vite que les prix à la consommation. Par exemple, à Orléans, les prix ont augmenté chaque année de 0,7 % depuis 2012, alors que cette ville se situe quasiment dans la banlieue de Paris et est une ville dynamique et attractive. Au Havre, depuis 2012, les prix ont diminué de 0,6 % chaque année depuis 2012.
Dans 35 % des villes de plus de 60 000 habitants, les prix ont augmenté plus vite que l'inflation, mais moins vite que les revenus des ménages : le taux d'augmentation s'établit à 1,2 % par an à Mulhouse, comme c'est aussi le cas à Nice, Tours, Dijon ou Montpellier. Ce sont des villes d'équilibre régional.
Dans un quart des villes, les prix ont augmenté plus vite que les revenus des ménages. En moyenne, les revenus des ménages ont augmenté de 1,7 % depuis 2012. Cette situation concerne les villes de Bordeaux, Rennes, Lyon, Villeurbanne, Paris et Brest qui ne se caractérisent pas toutes par la richesse exceptionnelle des habitants.
En conclusion, nous n'avons pas de trace d'un lien. Quelles sont les causes de l'augmentation des prix de l'immobilier ? Nous identifions trois ou quatre causes principales. La première est l'amélioration des réseaux de transport, qui ouvre l'espace et permet à des personnes au pouvoir d'achat plus élevé de modifier les indicateurs de coût relatif ou taux d'effort. Nous pourrions parler de Bordeaux et de Brest avec la fin de la liaison LGV.
La deuxième cause est le dynamisme économique du territoire qui joue à l'inverse, c'est-à-dire que lorsqu'il y a une situation économique en difficulté, les prix de l'immobilier sont tirés vers le bas. Enfin, il y a des situations inévitables d'insuffisance d'offre nouvelle. À Paris et en région parisienne, en 1990, l'objectif de construction était de 35 000 logements par an pour les 25 prochaines années. Nous avons constaté les conséquences de cette décision.
Nous observons aussi, sur de nombreux territoires, les conséquences de l'article 55 de la loi relative à la solidarité et renouvellement urbain (SRU), c'est-à-dire un problème entre les flux et les stocks. Sur des territoires situés en dehors des espaces auxquels nous nous intéressons, Nantes, Lyon, Rennes, etc., nous constatons un double problème d'articulation entre l'évolution du territoire, la pression démographique, le Schéma de cohérence territoriale (SCOT) et l'article 55 de la loi SRU.