Mes chers collègues, nous avions décidé, il y a quelque temps, d'évoquer un sujet qui fait l'actualité dans nos territoires, et de plus en plus. Des enquêtes apparaissent dans le contexte qui précède les élections municipales sur le coût de l'immobilier. C'est une question que nous avons jugée intéressante, d'autant que 2019 a été l'année de tous les records : explosion des transactions immobilières, taux d'emprunt historiquement faibles, prix en augmentation : en dix ans, les prix ont augmenté de 61 % à Paris, de 62 % à Lyon, de 79 % à Bordeaux, ou encore de 25 % à Strasbourg.
Cette tendance touche particulièrement les métropoles. Les prix ont moins augmenté dans certains endroits comme Mulhouse, où cela vaut le coup d'investir. Il apparaît une grande disparité. Cette envolée des prix touche également la problématique du logement, la difficulté de se loger pour les jeunes ménages primo-accédants, les familles, bien sûr les plus modestes chassés des centres-villes année après année. Tous les maires ont vécu cette situation. Il est légitime de se préoccuper du sujet et de ses impacts locaux, à savoir la dévitalisation de territoires relégués sur le plan économique. Nous avons engagé des travaux sur ce sujet avec la délégation aux entreprises, intéressée par la problématique du commerce.
Cette situation entraîne l'éloignement des populations et l'allongement des temps de transport. Cette question anime les débats municipaux. Se pose aussi la question de la « airbnbsation » des centres-villes. Des détracteurs soutiennent que cette tendance risque de « muséifier » les centres et de faire disparaître les commerces de proximité. D'autres considèrent que cette évolution correspond au monde d'aujourd'hui et qu'elle permet la valorisation d'appartements et d'espaces. Nous avons la chance d'entendre sur ces questions Mme Juliette Langlais, directrice des affaires publiques d'Airbnb en France, ainsi que. Philippe Bauer, directeur des affaires publiques du groupe Expedia et président de l'Union nationale pour la promotion de la location de vacances (UNPLV), qui regroupe des plates-formes de location saisonnières, dont Abritel.
Je souhaite également la bienvenue à Michel Mouillart, professeur d'économie à l'Université de Paris-Ouest, spécialiste de l'immobilier. Il nous éclairera sur les causes probables de l'inflation. J'accueille enfin Christian Dupuy, maire de Suresnes, qui parlera des villes qui ont bénéficié de ce dynamisme et en sont maintenant victimes, d'une certaine manière, ainsi que des moyens dont disposent les maires pour réguler ou contribuer à la régulation de ce marché.
Madame Juliette Langlais, vous avez la parole.
J'interviendrai peut-être après le représentant de la fédération nationale, puis je compléterai ses propos.
Merci Monsieur le Sénateur. Merci de nous avoir invités. Je suis directeur des affaires publiques pour Expedia et particulièrement pour la marque Abritel. J'interviens à la place du directeur général, qui n'a pas pu être présent aujourd'hui. Je m'exprime aussi pour l'Union nationale pour la promotion de la location de vacances (UNPLV), qui regroupe un certain nombre d'acteurs de la location meublée et certaines plates-formes, dont Airbnb et d'autres entreprises comme Tripadvisor, ainsi que des acteurs traditionnels, tels Clé Vacances ou Se loger Vacances.
La location meublée touristique de l'UNPLV n'est pas à l'origine des problèmes de logement des grandes villes en France, contrairement à ce que l'on peut entendre, notamment dans le cadre de la campagne pour les élections municipales. Cette allégation est un leurre pour cacher d'autres causes de l'inflation immobilière. Les plates-formes sont plus récentes que les tensions sur le marché du logement de certaines villes. La solution préconisée d'abaissement de la limite de 120 jours de location pour les résidences principales n'aurait par ailleurs aucun effet positif sur le prix du logement, puisqu'il s'agit de résidences principales.
Un point qui nous semble important est qu'il existe peu d'études sérieuses démontrant que la location meublée touristique est une cause sérieuse, avérée, significative de l'inflation immobilière. Nous disposons d'études étrangères, notamment menées en Espagne, montrant au contraire que la location meublée touristique n'a pas d'influence sur le prix de l'immobilier.
Pour autant, l'UNPLV ne nie pas que la location meublée ait donné lieu à certains abus. Pour cette raison, notre association a pris des engagements en juin 2018, dans le cadre de la négociation de la loi ELAN, auprès du ministre Julien Denormandie, pour lutter contre les spéculateurs immobiliers. Nous exigeons des utilisateurs qu'ils se catégorisent en résidence principale ou en résidence secondaire et nous bloquons le seuil pour les résidences principales à 120 jours par an. Un certain nombre de lois ont été adoptées depuis 2014 afin de permettre aux collectivités d'avoir des moyens de régulation de la location meublée touristique.
Cette réglementation n'a pas vocation à être utilisée par les villes qui ne sont pas situées en zone tendue, et qui bénéficient de l'attractivité des plates-formes de location meublée. Je pense à une solution préconisée à Paris concernant l'évaluation de la loi Montagne qui a souligné l'intérêt des plates-formes pour lutter contre les « lits froids et les volets clos ». La location meublée n'est pas une cause principale de l'augmentation du coût immobilier, étant donné que d'autres motifs sont avancés comme les taux d'intérêt bas et le manque de logements neufs.
L'UNPLV s'intéresse aux logements vacants, aux résidences secondaires ou « pieds à terre » qui n'ont pas la possibilité, dans des villes comme Paris, de faire de la location meublée étant donné que la règle de changement d'usage est très restrictive. Celle-ci permet en fait uniquement à des multipropriétaires très riches de proposer de la location meublée avec de la résidence secondaire.
Le dispositif de bail mobilité introduit par la loi ELAN de 2018 permet d'optimiser le parc de logements vacants, dans lesquels les gens continuent d'habiter. Ce dispositif n'est pas encore très connu. Les plates-formes éprouvent des difficultés à mesurer son succès. En revanche, nous pensons que ce dispositif intéressant devrait être ouvert à d'autres catégories de population, et bénéficier de mesures de promotion. C'est ce que font les membres de notre association sur leurs plates-formes. Voilà ce que je voulais dire. Juliette Langlais complètera mon propos.
Merci Monsieur Bauer. Nous y reviendrons après l'intervention de nos collègues. Je cède la parole à Mme Juliette Langlais, directrice des affaires publiques d'Airbnb en France.
Bonjour à tous. Merci beaucoup de nous recevoir ce matin. Je compléterai les propos de Philippe Bauer de l'UNPLV et vous exposerai la perspective d'Airbnb sur ce sujet. Airbnb est présente en France depuis 2012. Elle suscite l'adhésion de la population française depuis 2015. À ce jour, 20 % des Français ont un compte Airbnb et l'utilisent pour héberger ou pour voyager en France, à l'étranger et de plus en plus en France. La part du tourisme domestique augmente de façon croissante sur notre plate-forme. 700 000 annonces sont disponibles en France sur Airbnb. Nous sommes présents aujourd'hui dans 28 000 communes en France, soit 4 communes sur 5, villes et villages.
Non. Ce sont 28 000 communes qui présentent des annonces sur Airbnb, alors que seulement 6 000 villes et villages disposent d'un hébergement en hôtellerie traditionnelle. Nous voyons l'importance du rôle d'Airbnb pour lutter contre la dévitalisation des territoires évoquée par Monsieur le Président.
58 millions d'euros, c'est le montant de taxes de séjour reversé par Airbnb aux communes françaises en décembre 2019, dont plus de 15 % dans des villages de moins de 3 500 habitants. Ceci illustre concrètement l'impact positif de la location meublée.
Aujourd'hui, Airbnb se développe fortement en France. C'est de plus en plus adopté par les Français, dans la mouvance de l'économie collaborative et de l'échange entre particuliers. Airbnb a trois atouts majeurs. Tout d'abord, il permet une meilleure utilisation du bâti, pour lutter contre « les lits froids et les volets clos ». Un grand nombre de résidences secondaires ne sont ouvertes en France que trois semaines par an. Il est intéressant de donner aux propriétaires la possibilité d'une meilleure utilisation du bâti pour payer leurs charges, leurs impôts et réhabiliter leurs biens. De nombreux propriétaires refont leur toit ou un mur grâce à Airbnb. Cet aspect est intéressant.
En outre, Airbnb permet une meilleure dispersion du tourisme. Initialement, les principaux centres touristiques en France étaient situés à Paris, Versailles, Marne-la-Vallée, Lyon et Nice. En dehors de ce corridor, avant l'arrivée d'Airbnb, les touristes ignoraient le reste du territoire du fait du manque de sources d'hébergement pour fixer les touristes avec l'impact économique que cela revêt grâce à la consommation sur place dans des restaurants ou chez les commerçants. Cette meilleure dispersion du flux touristique est à souligner, notamment devant une assemblée qui représente les territoires.
S'agissant de l'inflation immobilière en tant que telle, je m'associe à l'introduction de Philippe Bauer sur les causes. Il est difficile d'obtenir des chiffres sur ce phénomène. Nous pouvons parler de l'INSEE, de L'Atelier parisien d'urbanisme (APUR), du Commissariat général au développement durable (CGDD) ou de la Caisse des Dépôts, qui vient de publier une analyse sur ce sujet. Je n'ai pas l'impression qu'il y ait une cause unique. Le sujet figure en une de nombreux articles de presse. Nous avons tendance à associer l'inflation immobilière avec le phénomène Airbnb et, plus largement, celui de la location meublée. Comme l'a dit justement Philippe Bauer, il existe une multitude d'autres facteurs expliquant l'augmentation des prix, notamment dans les grandes villes.
Je pense aux taux d'intérêt. Les taux d'intérêt sont proches de 0 contre près de 4 % en 2011. Nous pouvons également parler de la modification des structures familiales. Deux mariages sur trois finissent en divorce à Paris, ce qui génère une demande de petites surfaces d'habitation. Le Brexit amène de nombreux anciens expatriés français à revenir à Paris. Ils cherchent un logement. Ils ont un très fort pouvoir d'achat et se positionnent sur des biens immobiliers très spacieux, avec une capacité de financement importante. On compte 130 000 logements vacants à Paris. Ils représentent en moyenne entre 7 et 8 % du parc immobilier, ce qui est très conséquent.
Ces logements sont souvent sous-utilisés parce que les propriétaires sont frileux à l'idée de louer à un locataire à long terme, ce qui fut le sujet de la loi ELAN et, plus récemment, de la loi Nogal sur l'amélioration de la relation entre propriétaire et locataire. Enfin, nous constatons simplement un phénomène mentionné hier, dans le débat sur les municipales, sur le fait que Paris est une ville extrêmement dense, qui souffre d'une insuffisance de logements neufs. Faut-il construire plus de tours dans les quartiers de Bercy et Charenton, comme le préconise Agnès Buzyn, ou trouver la voie d'une meilleure utilisation du bâti ? Cette dernière solution est, selon moi, la voie que nous devons emprunter aujourd'hui.
Le bail mobilité est un outil extrêmement intéressant pour flexibiliser la location meublée. Ce dispositif permet à un propriétaire de louer son appartement pour une durée d'un à dix mois, contre neuf mois auparavant, bail souvent dénoncé au bout de trois mois étant donné qu`il ne correspondait pas aux usages. Par exemple, un étudiant venant à Paris pour trois mois, sans salaire ni caution familiale, est intéressé par ce bail mobilité, qui peut aussi intéresser des professionnels en mission de conseil, parfois de l'étranger, qui avaient beaucoup de mal à se loger.
Le bail mobilité a été mis en place il y a un an, suite à la loi ELAN. Airbnb constate que cet outil est de plus en plus utilisé. Le ministre Julien Denormandie soutient que ce dispositif a permis de mettre plus de 3 500 logements sur le marché de long terme. Ce mécanisme est hélas trop peu connu. Faut-il améliorer la communication sur ce sujet ? Faut-il rassurer les propriétaires quant à l'utilisation de cet outil ? Ces pistes méritent d'être étudiées.
Vous avez souligné la grande diversité des situations. Nous parlons souvent de Paris, Marseille et Bordeaux, et non de la diversité des situations auxquelles sont confrontées l'ensemble des villes de France. Je prendrai trois exemples pour illustrer que location meublée et inflation immobilière ne vont pas de pair. À Bordeaux, l'immobilier a fortement augmenté à partir de 2016, à la veille de l'ouverture de la ligne grande vitesse. Ce facteur doit être pris en compte. Il y a eu une émigration de Parisiens vers Bordeaux, avec un pouvoir d'achat supérieur, les salaires dans la capitale étant plus élevés que dans les territoires. Ce phénomène a eu un impact négatif sur ce marché.
Marseille, ville reliée à Paris par le TGV, n'a pas subi une hausse de loyers très forte, alors même qu'elle est la troisième ville de France pour Airbnb. La location meublée concerne essentiellement des résidences principales en ville, et non des logements qui sortent du marché de long terme. Ce sont des résidences louées pour le week-end et les vacances, sans lien avec l'offre de logements.
Enfin, et je ne m'attarderai pas sur ce sujet sur lequel nous reviendrons, les villes qui veulent limiter la location meublée, notamment de résidence secondaire, disposent d'un éventail d'outils extrêmement important. Le changement d'usage limite la location de courte durée des résidences secondaires. La fiscalité peut être modulée selon certains critères. On peut notamment citer la décision de Bordeaux et de Paris d'augmenter la taxe des résidences secondaires de 60 %. Je pense aux outils de la plate-forme pour aider les villes à mieux connaître l'état de la location meublée. La loi ELAN prévoit le partage d'informations avec les villes. Nous avons reçu 20 demandes en ce sens, que nous avons honorées. Les principales villes de France qui en ont fait la demande savent où sont situées les locations sur Airbnb, en résidences principales ou secondaires, et connaissent le nombre de nuitées de location.
Enfin, pour conclure, la location meublée constitue une chance pour les territoires. C'est une chance sur le plan fiscal en faisant bénéficier les villes de retombées fiscales inédites. C'est aussi un outil génial en termes de revitalisation des territoires et des villages, et il me semble qu'il faut retenir ce point.
Merci infiniment pour cet exposé clair et intéressant, qui anticipe certainement plusieurs points de nos échanges. Je remercie Christian Dupuy de nous avoir rejoints. J'invite Michel Mouillart, Professeur d'économie à Paris-Ouest, spécialiste de l'immobilier, à nous éclairer sur les causes probables de l'inflation du coût de l'immobilier.
Merci Monsieur le Président. Nous allons tenter, avec Christian Dupuy, d'aborder des questions du même registre. J'ai essayé d'aborder la problématique principale que vous posez : comment essayer de limiter la hausse des prix de l'immobilier ? Je ne parlerai pas de loyer. Je vous ferai voyager un peu, si vous le voulez.
Si nous étudions la situation de Paris, les acheteurs acquièrent actuellement leur bien à plus de 11 000 euros le mètre carré. L'idée fréquemment répandue est de franchir le périphérique pour trouver à se loger à moindre coût. Du côté ouest, à Neuilly-sur-Seine, les acheteurs paient 11 400 euros le mètre carré. En passant la Seine, Boulogne-Billancourt, Issy-les-Moulineaux ou Levallois-Perret sont à 10 400 euros le mètre carré. Nous sommes dans ce cas à -25 % par rapport à Paris. À Asnières, nous sommes à 6 000 euros le mètre carré, soit -42 % par rapport à Paris. Nous pourrions aller jusqu'à Nanterre et Colombes, qui atteignent une baisse de prix des deux tiers par rapport à Paris.
Le problème de l'accessibilité aux logements est une réalité parisienne, francilienne, mais il existe aussi ailleurs. Si nous quittons la région parisienne, nous savons que les prix à Nanterre et Colombes sont faibles en comparaison à Paris et aux communes limitrophes. Pour autant, Colombes et Nanterre sont aux mêmes niveaux de prix que Lyon, Bordeaux et Cannes. Le maire de Nanterre a découvert récemment que sa ville était très chère en comparaison de ce à quoi il s'attendait.
Saint-Denis se trouve au même niveau de prix que Nantes, Rennes, Toulouse et Strasbourg. Nous sommes sur des niveaux de prix élevés. Ont-ils un sens ? Non, probablement pas. Le niveau de prix a un sens par rapport à la clientèle qui se présente sur un territoire. En province, si nous quittons la ville-centre, par exemple un Bordelais allant à Pessac ou Mérignac, la différence de prix s'élève à 25 %. Nous retrouvons ici le même niveau de différentiel que celui de Paris à Boulogne-Billancourt, ou de Boulogne-Billancourt à Asnières.
À Lyon, nous avons l'extension, le 10e arrondissement et Villeurbanne, dont la différence s'établit à 33 %. Et que dire de Saint-Étienne, dont la différence de prix s'établit à 73 % par rapport à Lyon ? La ville de Saint-Étienne est 8 fois moins chère que celle de Neuilly-sur-Seine.
J'aurais aussi pu vous parler de Lille, mais vous auriez raison de dire que je ne parle que des grandes villes de plus de 60 000 habitants.
Dans les départements à dominante rurale, par exemple la Creuse, la Haute-Marne ou la Meuse, les niveaux de prix s'élèvent à 1 250 euros le mètre carré. Mulhouse ou Saint-Étienne ont des niveaux de prix sensiblement comparables. Du côté de l'Ariège, des Vosges ou des Ardennes, nous sommes à 1 400 euros le mètre carré dans l'ensemble de ces territoires.
Vous allez certainement soutenir qu'il est devenu impossible pour des familles avec enfants d'acheter un bien immobilier à Paris, Neuilly, Nantes, etc. Je vais essayer d'apporter un éclairage différent, celui de l'acheteur caractérisé par un pouvoir d'achat limitant ses ambitions. Nous utilisons deux indicateurs au sujet des acheteurs. Le premier est le taux d'effort. Les recommandations du Haut conseil ont rappelé que les taux d'effort supérieurs à 33 % sont une réalité en France, contrairement à ce que certains prétendent. Nous retenons le rapport entre charges de remboursement et revenus du ménage.
Un autre indicateur est le rapport entre coût du logement et revenus du ménage. Si nous retenons le taux d'effort, Monsieur le Président, on constate qu'au niveau des territoires, dans les communes rurales ou de moins de 2 000 habitants, ce taux est proche de 28 %. Certains prétendront que cette situation est liée au fait que les prix sont plus bas. Dans les villes de plus de 200 000 habitants, le taux d'effort s'élève à 28,5 %. En dehors de Paris et de la région parisienne, l'ensemble du territoire se situe sur des taux d'effort de 28 à 29 %. Cette situation signifie que si vous vivez à Bruyères, dans les Vosges, ou à Plouarzel, dans le Finistère, le coût du logement que vous achetez vous fait supporter un effort comparable à celui que vous auriez à supporter à Nantes, dans certains arrondissements de Lyon, à Villeurbanne, etc.
Si nous étudions le coût relatif, nous allons nous apercevoir que dans les communes rurales, acquérir un logement représente 5,5 années de revenus pour un ménage accédant à la propriété. Dans les communes de 100 000 à 200 000 habitants, ce sont 5 années de revenus. Toutes les communes en dehors de la région parisienne se situent entre 5,2 et 5,5 années de revenu, et heureusement.
Un centre-ville a partout des triangles d'or, y compris à Brest, Bordeaux, Nantes, etc. La différence entre le triangle d'or et le reste de la ville donne des niveaux de prix du simple au double, voire du simple au triple. Les niveaux des prix sont en relation avec les niveaux des revenus des ménages qui se présentent sur le marché. Un certain nombre d'observateurs ne comprennent pas que des dispositions visent à fermer l'accession à la propriété pour les ménages modestes.
Le second sujet de ma présentation concerne le lien entre niveau de prix et conditions de crédit, sujet qui relève de la catégorie des « marronniers », comme la chute des taux permettant miraculeusement de resolvabiliser la demande. Les taux des crédits immobiliers ont diminué à partir de 2012. Jusqu'à cette date, ils étaient proches de 4 à 4,5 %. La nouvelle stratégie monétaire de la Banque centrale européenne a permis de réduire les taux, jusqu'à 1,13 % aujourd'hui. Entre 2012 et 2019, tout le monde s'accorde, dans la recherche académique ou dans les institutions internationales, dont l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et le Haut Conseil, en décembre 2019, sur l'absence de bulle immobilière. Or ce n'est pas dans l'évolution des taux des emprunts qu'il faut chercher l'explication de l'augmentation des prix des logements.
En effet, l'augmentation du prix des logements est liée à l'évolution des fondamentaux, c'est-à-dire le revenu et le desserrement des conditions de crédit (taux, durée, élargissement de l'accès au crédit par la diminution du taux d'effort demandé aux emprunteurs). Depuis 2012, n'avons-nous pas connu une alimentation de l'inflation immobilière par l'alimentation des conditions de crédit ?
Dans les 34 villes de plus de 60 000 habitants, dans 40 % des villes, les prix ont diminué depuis 2012, chaque année, ou augmenté moins vite que les prix à la consommation. Par exemple, à Orléans, les prix ont augmenté chaque année de 0,7 % depuis 2012, alors que cette ville se situe quasiment dans la banlieue de Paris et est une ville dynamique et attractive. Au Havre, depuis 2012, les prix ont diminué de 0,6 % chaque année depuis 2012.
Dans 35 % des villes de plus de 60 000 habitants, les prix ont augmenté plus vite que l'inflation, mais moins vite que les revenus des ménages : le taux d'augmentation s'établit à 1,2 % par an à Mulhouse, comme c'est aussi le cas à Nice, Tours, Dijon ou Montpellier. Ce sont des villes d'équilibre régional.
Dans un quart des villes, les prix ont augmenté plus vite que les revenus des ménages. En moyenne, les revenus des ménages ont augmenté de 1,7 % depuis 2012. Cette situation concerne les villes de Bordeaux, Rennes, Lyon, Villeurbanne, Paris et Brest qui ne se caractérisent pas toutes par la richesse exceptionnelle des habitants.
En conclusion, nous n'avons pas de trace d'un lien. Quelles sont les causes de l'augmentation des prix de l'immobilier ? Nous identifions trois ou quatre causes principales. La première est l'amélioration des réseaux de transport, qui ouvre l'espace et permet à des personnes au pouvoir d'achat plus élevé de modifier les indicateurs de coût relatif ou taux d'effort. Nous pourrions parler de Bordeaux et de Brest avec la fin de la liaison LGV.
La deuxième cause est le dynamisme économique du territoire qui joue à l'inverse, c'est-à-dire que lorsqu'il y a une situation économique en difficulté, les prix de l'immobilier sont tirés vers le bas. Enfin, il y a des situations inévitables d'insuffisance d'offre nouvelle. À Paris et en région parisienne, en 1990, l'objectif de construction était de 35 000 logements par an pour les 25 prochaines années. Nous avons constaté les conséquences de cette décision.
Nous observons aussi, sur de nombreux territoires, les conséquences de l'article 55 de la loi relative à la solidarité et renouvellement urbain (SRU), c'est-à-dire un problème entre les flux et les stocks. Sur des territoires situés en dehors des espaces auxquels nous nous intéressons, Nantes, Lyon, Rennes, etc., nous constatons un double problème d'articulation entre l'évolution du territoire, la pression démographique, le Schéma de cohérence territoriale (SCOT) et l'article 55 de la loi SRU.
Merci beaucoup, Monsieur le Professeur. C'était très intéressant et fort bien illustré. Christian Dupuy, je vous invite à intervenir une dizaine de minutes.
Après la présentation exhaustive de Michel Mouillart, je n'ai plus rien à dire. Je livrerai simplement mon sentiment. La situation que nous déplorons est une illustration de la fracture entre le désert français et un mode de vie de plus en plus urbain d'une part croissante de notre population. Les prix de l'immobilier s'envolent. Nous devons utiliser tous les outils dont nous pouvons disposer en tant qu'élus locaux et conserver une mixité sociale. Le premier est celui du logement social, et nous aimerions que l'État nous accompagne en nous assignant des objectifs d'augmentation du parc social plutôt que de nous priver de moyens par l'augmentation de la TVA sur la construction de logements sociaux, la création de la Réduction de loyer de solidarité (RLS), etc. Nous recevons des injonctions contradictoires : construisez, tout en nous privant des moyens.
Pour éviter la fracture sociale à l'échelle communale, il faut également proposer un parcours résidentiel entre logement social et logement non aidé, dont le prix s'envole, ce qui crée un grand écart entre les plus pauvres et les plus riches. Nous devons jouer sur les autres outils à notre disposition et construire du logement intermédiaire : Logement locatif intermédiaire (LLI), Prêt locatif social (PLS), et favoriser l'accession sociale à la propriété. Il faut jouer sur l'ensemble des outils pour maintenir le parcours résidentiel, qui est la garantie d'une véritable mixité sociale. Pour influer sur les prix de l'immobilier, les moyens des collectivités sociales semblent réduits en la matière, à moins de revenir à une conception de municipalisation des sols dont nous n'aurions plus les moyens aujourd'hui. Cette piste ne mérite pas d'être explorée.
En ce qui concerne la nuance faite par Michel Mouillart s'agissant des taux d'emprunt et du taux d'effort, je pense qu'il y a un lien entre les deux. Les taux bas font partie, à mes yeux, des facteurs qui encouragent l'inflation des prix de l'immobilier. La raison essentielle est l'abandon par l'État d'une politique d'aménagement du territoire. Il en résulte que tout le monde veut habiter au même endroit, avec des résidents déjà là qui protestent contre la densification, et d'autres qui aimeraient y arriver mais se heurtent à des prix trop élevés dépassant leur capacité financière.
Le seul moyen est d'essayer, par une politique volontariste, de proposer une diversité de produits pour permettre aux différentes catégories de population de s'offrir des logements correspondant à leurs moyens. Aucune commune de l'agglomération parisienne n'a les moyens de permettre à ceux qui veulent habiter d'y accéder. Un préfet de région me disait qu'il faudrait expliquer aux habitants que c'en était fini du pavillon avec jardin. Je lui ai suggéré de tenir lui-même ce propos à nos concitoyens...
Enfin, Michel Mouillart a évoqué la loi SRU. J'étais président de la commission logement à l'Association des Maires de France lorsque le ministre Gayssot a demandé l'avis de l'AMF sur le pré-projet de loi SRU. Le président de l'AMF était Jean-Paul Delevoye. À l'époque, j'ai soutenu auprès du ministre que le taux de 20 % partout n'était pas une bonne mesure. Nous allions dépenser de l'argent public dans les zones les plus détendues et sortir des logements sociaux à des prix parfois supérieurs au prix du marché. A contrario, le taux de 20 % n'est pas suffisant en Ile-de-France, où il vaut mieux viser 25 % ou 30 %. Jean-Paul Delevoye a semblé « exploser » en m'entendant tenir ce propos. J'ai ajouté que si l'État voulait construire des logements sociaux dans les communes où les maires étaient réticents, il fallait qu'il s'en donne les moyens.
J'ai cru que M. Delevoye n'allait pas « survivre » à cette proposition. Le ministre m'a dit que j'étais le second à en parler après le Président Chirac, et Jean-Paul Delevoye s'est détendu. Cette situation prouve que l'on persiste dans l'erreur. Il est absurde de construire des logements sociaux dans des zones détendues où les prix seront égaux ou supérieurs à ceux du marché. Nous ferions mieux de dépenser cet argent dans les zones tendues et d'engager une politique d'aménagement du territoire pour faire en sorte que les zones détendues deviennent plus attractives. Je vous présente une vision globale du sujet. On ne peut pas « saucissonner » la politique d'un pays ; tout se tient. L'aménagement du territoire doit être la clé de voûte d'une politique en la matière.
Il est positif d'entendre le point de vue d'un maire expérimenté et libre de son expression.
J'ai pensé que 37 ans de mandat de maire suffisaient. Je ne me présente pas de nouveau. Il n'y a jamais eu autant de listes en compétition.
J'ai connu 37 ans de conseil municipal, et non de maire. Merci beaucoup, c'était passionnant. Nous allons écouter nos collègues avant de procéder à un tour de réponse.
Merci beaucoup pour ces échanges et ces présentations. Il y a la région parisienne et le reste du pays. Je me prononce sur la situation qui prévaut en dehors de la région parisienne. La bulle spéculative s'exprime partout. Je suis élue à Caen depuis longtemps, en charge de l'urbanisme. Dans cette ville, dès qu'un bien est disponible dans le coeur de ville, on assiste à une guerre pour acheter le foncier et réaliser une opération. La bulle spéculative n'est pas prête de s'arrêter, à notre grande surprise. Nous ne nous attendions pas à cette situation. Il y a une vacance de logement qui n'est pas négligeable. A ce propos, l'estimation de la vacance selon l'INSEE reste sujette à caution. Il faudrait que l'on s'accorde sur les données que nous utilisons pour estimer la notion de vacance probable.
Je souhaite poser plusieurs questions. Les études ont montré qu'Airbnb s'est implantée dans notre ville comme dans de nombreuses autres villes. C'est un élément de distorsion de la vision de l'immobilier de la ville et d'une aggravation de la vacance, même si le sujet est plurifactoriel. Airbnb est l'une des raisons de cette situation.
Selon vous, de quels instruments disposons-nous pour limiter l'augmentation des prix ? La municipalisation du sol n'est pas possible. Quels outils pouvons-nous mettre en place pour écrêter l'envolée immobilière ? Certains phénomènes de décohabitation ne sont pas arrivés à plateau, du fait des divorces, du vieillissement, du retour de personnes âgées en centre-ville pour des raisons de commodité, sanitaires, etc. Nous avons besoin de produire du logement, or la course au logement neuf est délétère étant donné que le parc de logements anciens peut être l'objet d'une réhabilitation astucieuse et d'une remise dans le circuit de logements qui n'étaient plus aux normes, ce qui constitue une opportunité pour écrêter la course au neuf et la concurrence entre promoteurs immobiliers.
Nous sommes une ville reconstruite. La vacance se concentre sur le parc sans accessibilité. Il nous manque des outils législatifs pour mettre dans le parc locatif des logements de centre-ville spacieux, extrêmement attractifs pour les familles. Quels sont les mécanismes prioritaires à mettre en oeuvre pour contrôler et favoriser la mise à niveau du parc plutôt que construire à tout prix ?
Dans la lignée de l'intervention de Sonia de la Provôté, je souhaiterais connaître le point de vue de Christian Dupuy et Michel Mouillart pour limiter les zones de logements vacants. Quelles mesures permettraient d'atténuer cette situation ? J'entends qu'Airbnb n'aurait pas d'impact sur le logement foncier. Lorsque nous parlons aux élus des grandes villes, ceux-ci sont unanimes pour dire le contraire en considérant que ces plates-formes ont eu un impact direct dans les zones sous tension, un certain nombre de propriétaires consacrant leur logement à cette activité. Un grand nombre de maires évoquent la mise en place d'outils juridiques pour limiter le développement des plates-formes de location immobilière dans certains territoires.
En ce qui concerne Airbnb, j'ai apprécié l'intervention de la représentante de cette société et eu l'impression que vous faisiez partie de l'économie sociale et solidaire, ce qui n'est pas le cas. Vous parlez de la taxe de séjour que vous levez, ce qui est vrai, mais il y a eu une lutte entre vous et certaines collectivités pour que cette taxe soit versée. Ça n'a pas été si simple.
Pour une partie du territoire, les plates-formes peuvent aider à une revitalisation et une diversification qui n'était pas possible en l'absence d'outils. Dans des zones particulières comme la ville d'Amiens qui est extrêmement touristique, les plates-formes peuvent bénéficier à l'arrière-pays. Dans les zones touristiques, les investisseurs transigent entre une location « normale » et les locations de courte durée.
Ma commune est caractérisée par un nombre important de résidences secondaires mises en location, ce qui a détendu le marché en dehors de l'été. À présent, elles sont essentiellement concentrées sur l'offre des plates-formes, et non seulement Airbnb. En tant qu'ancien adjoint à l'urbanisme, j'ai constaté que les arbitrages sont de plus en plus importants entre location à l'année ou location de courte durée, dans la mesure où cette dernière offre une rentabilité plus élevée, ce qui s'effectue au détriment du locatif local. Comment est-il possible de réguler cette situation dans les zones particulièrement tendues ?
Ensuite, je rappelle que tous les logements sociaux ne sont pas éligibles à l'article 55 de la loi SRU. Les petits territoires situés à côté des conurbations, dont le sud des Landes que je connais, sont concernés par cette situation. Nous n'avons pas assez d'outils au-delà des prescriptions dans les SCOT, le PLUI ou le PLH. Le problème, comme l'a soutenu Christian Dupuy, est qu'il devient compliqué d'avoir des injonctions contradictoires en matière de logements sociaux. La volonté sans moyen est complexe.
Ce débat nous fournit des informations précises. Le logement est un produit de marché. L'establishment français est réticent vis-à-vis de cette question. Il cherche à contourner, d'où le flux d'argent public utilisé en tentative de correction de ces mécanismes de marché. Nous passons trop de temps à contourner une réalité impérieuse : l'augmentation de la demande de logements, qui restera dynamique sous l'effet de deux facteurs principaux.
Le premier est la croissance brute de la population. La France doit loger 350 000 habitants supplémentaires chaque année, ce qui est une particularité en Europe. En outre, l'évolution de la structure des familles fait que nous irons inéluctablement vers une réduction de la taille des ménages, au moins pour les 30 années à venir. Les personnes âgées sont un marché en croissance considérable, tout comme celui des parents isolés.
En conclusion, nous n'avons comme perspective d'action que de faciliter l'offre de logement et de faire en sorte que l'offre apparaissant sur le marché de l'investissement immobilier réponde à peu près à cette demande afin de freiner la hausse des prix. Je regrette que notre champ de discussion ne soit pas d'encadrer le sujet du marché locatif. Devant les difficultés de logement, je crains que les maillons faibles de notre société soient les locataires. Les trois quarts d'entre eux ne souhaitent pas intégrer le parc du logement social pour diverses raisons. Ceux qui sont et seront les perdants des cinq à dix prochaines années sont les locataires.
Nous ne pouvons plus rien faire sur le plan fiscal. Nous déversons de l'argent pour rendre l'investissement locatif extrêmement rentable comparé aux investissements financiers. J'ai trente ans de travail au Parlement et au Gouvernement, et plus de quarante ans de mandat local. J'ai toujours entendu la proposition de remise sur le marché de logements vacants qui donne lieu à de nombreuses propositions, dont la surtaxe d'habitation. Cette surtaxe vise à remettre des logements vacants sur le marché. Ceux qui en ont les moyens à Paris et à Nice paieront ces sommes, et peu de logements seront remis sur le marché.
Le problème majeur est lié à l'offre. J'entends la tonalité unanime des campagnes municipales. Tout le monde arrivera en responsabilité le mois prochain en affirmant avoir été mandaté pour construire le moins possible et déranger le moins possible les propriétaires, lesquels ont très bien compris qu'il était avantageux pour eux que l'on ne construise pas trop. Je tenais à souligner le caractère central de la production d'offre et la tentation que nous avons, la plupart du temps, de regarder ailleurs.
Merci Alain. Nous pouvons élargir les débats sur les enjeux du locatif en France.
Merci, Monsieur le Président. Je souhaite insister sur l'intérêt et l'influence des documents d'urbanisme. J'ai présidé un SCOT. J'ai eu le plaisir de constater une évolution de la conscience individuelle et collective dans son déroulé. Le SCOT a accompagné l'évolution des mentalités en milieu rural au-delà de son approche prescriptive. Les plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUI) mènent une réflexion plus approfondie qu'hier, ce qui renforce une vision du territoire avec des centralités et des pôles intermédiaires. J'aimerais en savoir plus sur ce sujet étant donné que nous évoluons de manière positive.
La Gironde gagne 20 000 habitants par an à l'heure actuelle. Le territoire, en surchauffe, éprouve des difficultés à accueillir les nouvelles populations dans de bonnes conditions. À Bordeaux, un match a été mené entre Matthieu Rouveyre, vice-président du conseil départemental, et Airbnb. Un observatoire a même été créé et a montré que la vision d'un impact délicat ou difficile de l'arrivée d'Airbnb était largement partagée par les élus locaux. Il est nécessaire de créer des outils de régulation et d'équilibre. Les plates-formes apportent une plus-value intéressante à condition que le développement ou le fonctionnement d'Airbnb s'inscrive dans une politique parfaitement équilibrée. L'intérêt d'une négociation politique, pour vous comme pour les autres parties prenantes, est manifeste. J'aimerais que vous réagissiez sur ce sujet. Il faut que le développement puisse s'équilibrer pour ne pas déréguler le marché de l'immobilier.
Enfin, des outils émergent, comme les établissements publics fonciers, pour capter du foncier. En ce qui concerne la notion de fiscalité, la situation est typique dans la métropole bordelaise. Les villes proches de Bordeaux disent « arrêtez de bétonner », alors que les propriétaires sont heureux des plus-values qu'ils ont réalisées. Je comprends que l'on ne souhaite pas modifier la fiscalité, mais taxer un peu plus la plus-value à ce niveau ne me gênerait pas. Il faut adopter une approche équilibrée et de solidarité fiscale pour injecter ces sommes dans d'autres domaines.
Ces réactions sont très intéressantes. J'invite chacun à intervenir brièvement en réponse et conclusion sur le rôle ou non des plates-formes sur l'inflation immobilière.
Je souhaite apporter une précision. Des taux de crédit à 1 % ou moins ne créent pas la demande. En 1980, les taux d'apport personnel exigés s'élevaient à 35 %, contre 14 % en moyenne en 2019. La demande s'est élargie. Nous n'aurions pas vu ce que nous avons vu avec des taux de 0,5 % et des apports personnels de 35 %.
J'interviendrai sur trois points. Vous avez raison, Madame la Sénatrice, de vous préoccuper de la question de la surenchère foncière. Les grands groupes de promotion immobilière font exploser la surenchère. Comme nous l'avons constaté en 2019 pour les mises en vente de logements par les promoteurs, les zones C et B2 ont été impactées par la mise en cause des dispositifs de soutien publics, entraînant une chute des mises en vente de 30 %.
La zone B1 a connu des mises en vente relativement stables au cours des trois ou quatre dernières années. En revanche, la zone A connaît une diminution de 20 % des mises en vente du fait que la sortie des nouveaux projets ne sera financièrement pas soutenable, à moins d'un bouleversement économique très conséquent, peut-être lié au coronavirus, mais nous en parlerons plus tard.
La baisse des mises en vente dans les zones A est liée à une pénurie foncière.
Ce n'est pas seulement lié à cette situation : voyons ce qui se passe à Saint-Ouen ou à Saint-Denis. Je partage votre réflexion, Monsieur le Sénateur. Nous avons abandonné cette nécessaire préoccupation d'une demande très forte pour très longtemps. Le parc de logement que nous transmettrons à nos petits-enfants posera problème si nous abandonnons des objectifs ambitieux de construction. Si nous voulons contrôler l'évolution des valeurs locatives ou à l'achat, le parc immobilier doit être d'une taille suffisante.
En ce qui concerne les logements vacants, ce sujet est très ancien. Un premier article de Friedrich Engels est paru sur ce sujet en 1872. Depuis la publication du recensement de 1968, tous les ministres du Logement se sont préoccupés de cette question. Michel d'Ornano a le premier tenté de comprendre les raisons de l'explosion de la vacance immobilière. Les articles publiés en 1979 tiennent le même propos que ceux de 2018 : la vacance concerne principalement les zones économiques délaissées. En dehors de ces zones, il y a une vacance de produits en cours de travaux et de mutation. Un rythme de construction très élevé accroît la vacance.
La question de la vacance aujourd'hui ressemble en tout point à ce qui avait été identifié en 1968 à partir des données du recensement. Il est positif de mettre en place des dispositifs portant le nom d'un ministre, mais ils ne permettront pas de résoudre les problèmes.
Je suis perturbé : lorsque je vois la manière dont les SCOT dénaturent les possibilités d'accueil des nouvelles populations, je pense que nous allons vers un problème très important de manque de logement. Le parc immobilier des villes reconstruites, Caen, Brest, etc. n'est pas adapté aux exigences de la demande nouvelle. Lorsque nous avons des immeubles à 4 ou 5 étages sans ascenseur, nous accueillons des étudiants. Les centres-villes périclitent. Il n'est pas possible de redynamiser le centre étant donné que l'étudiant n'a pas de pouvoir d'achat. Une redynamisation suppose de restructurer fortement les centres-villes.
Se pose également la question des copropriétés ; certains copropriétaires n'ont pas les moyens de prendre en charge la revitalisation, et les collectivités locales ne peuvent plus bénéficier des moyens publics. Je ne parlerai pas des errements dramatiques de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH), mais nous sommes bien confrontés à un problème de reconquête des centres, tant dans les bourgs que dans les grandes agglomérations.
Merci, Monsieur le Professeur. Nous vous inviterons de nouveau dans le cadre d'une prochaine table ronde sur les locations. Cela nous renverra à des souvenirs qui « ne nous rajeunissent pas ».... J'ai été le signataire du rapport de la loi Quillot lorsqu'Alain Richard était le président de la commission des Lois de l'Assemblée Nationale.
J'interviendrai sur les sujets de la réglementation du secteur de la location meublée et de la taxe de séjour. Il y a eu trois lois depuis 2014 : les lois ALUR, Le Maire et, plus récemment, la loi ELAN. Je ne parle pas de la loi de finances. En si peu de temps, nous avons donc eu trois lois successives. Pour les villes confrontées à des problèmes de logement, des dispositifs ont été mis en place, dont l'article 631-7 du code de la construction et de l'habitation, qui permet aux villes de mettre en place des conditions à l'utilisation de logements de résidences secondaires pour la location meublée. Les plates-formes se sont engagées à bloquer les annonces de résidences principales à 120 jours par an. Nous négocions de manière constante avec le Gouvernement, depuis un certain nombre d'années, sur les réglementations en vigueur.
En ce qui concerne la taxe de séjour, les plates-formes l'ont collectée bien avant qu'elle soit obligatoire. Ce sujet est éminemment complexe. Les plates-formes attendent du Gouvernement qu'il apporte une aide logistique pour gérer cette question, notamment un fichier de coordonnées bancaires, des contacts de l'état récapitulatif de la taxe de séjour, etc. Ces fichiers n'ont pas été fournis aux plates-formes en relation directe avec chaque bénéficiaire pour les aider à assurer correctement leur travail. Nous appelons à une simplification du régime de la taxe de séjour et à un minimum de coopération des services de l'État pour reverser correctement la taxe. C'est un tour de force de la part des plates-formes de verser autant d'argent pour la taxe de séjour dans ces conditions.
Je souhaite ajouter à ce sujet complexe de la taxe de séjour que nous avons besoin de l'aide de la Direction générale des finances publiques (DGFiP), qui ne nous donne pas les outils pour travailler correctement, ainsi que d'un appui de l'AMF et des collectivités pour effectuer un travail d'information et d'éducation des comptables dans chaque ville de France. Ce système a été imposé sans consultation ni explication de fonctionnement Je suis en contact quotidien avec les services de comptabilité des villes de France. Je souhaiterais que l'AMF, la DGFIP et la Direction générale des collectivités locales (DGCL) relaient ces dispositions. J'ai émis plusieurs fois cette demande sans succès.
Nous sommes réunis pour transmettre les messages étant donné que nous sommes institutionnellement en contact avec ces associations et la DGCL, dont j'ai d'ailleurs rencontré hier le nouveau directeur adjoint.
L'AMF aurait un rôle à jouer si nous supprimons la séparation entre ordonnateurs et payeurs, qui est une singularité française pour régir le lien entre l'état et les collectivités locales ou les élus en général. C'est plutôt à la DGFIP qu'il faut s'adresser puisque le paiement ne relève pas, malheureusement, de la responsabilité des maires.
J'aimerais m'exprimer sur quelques points. Tout d'abord, j'interviendrai sur le sujet évoqué par Sonia de La Provôté pour remettre des logements vieillissants sur le marché. Michel Mouillart a évoqué la dérive des interventions de l'ANAH. C'est le rôle des Opérations programmées d'amélioration de l'habitat (OPAH) et de l'ANAH de redynamiser les centres-villes vieillissants. Il faudrait que l'État nous accompagne mieux.
J'avais dans ma ville un ancien hôtel ouvrier du début du XXe siècle devenu une copropriété de petits lots pour des personnes extrêmement modestes, des travailleurs migrants retraités vivant dans des conditions d'insalubrité avec leur maigre retraite. Des enfants attrapaient le saturnisme avec les peintures au plomb et un couple s'est retrouvé à l'étage du dessous par l'effondrement du plancher. L'immeuble avait été construit sans fondation sur la nappe phréatique située un mètre plus bas. Cette opération était si complexe qu'aucun promoteur privé ne s'y est risqué. J'ai demandé une expertise pour déclarer ce lot insalubre. On m'a objecté que cet immeuble n'était pas insalubre et qu'il suffisait de réhabiliter. La situation était inextricable. Or il fallait démolir et reconstruire.
La mairie de Suresnes s'est donc attaquée à l'opération. Nous avons lancé une enquête publique. Nous avons commencé les expropriations. Il a fallu trouver des solutions de logement sur mesure pour chaque ménage. Nous avons même dû acheter un autre immeuble ancien réhabilité et revendu aux personnes expropriées.
En conclusion, cette opération nous a pris 25 ans. La chambre régionale des comptes affirme qu'elle a coûté très cher à la collectivité, mais nous devions le faire, car nul ne s'en serait chargé à notre place.
La présidence est confiée à M. Alain Richard, en remplacement de M. Jean-Marie Bockel, qui doit s'absenter.
Nous aimerions bien que les pouvoirs publics nous aident sur ce type d'opération. J'avais évoqué le sujet auprès de Xavier Emmanuelli, qui était alors ministre. Il m'a fallu 25 ans pour mener cette opération. L'immeuble comprend une pension de famille et une galerie de métiers d'art, métiers qui disparaissent de l'agglomération parisienne faute de locaux. Le reste des logements sont en PLS. Cette opération exemplaire a coûté beaucoup d'argent à la commune, qui était presque seule. J'ai obtenu des subventions de la métropole du Grand Paris, mais nous avons dû lancer ce programme presque seuls. Les centres-villes de certaines villes de province se paupérisent du fait que les propriétaires ne parviennent pas à remettre en état leurs immeubles. Nous accueillons des étudiants ou une population extrêmement démunie, ce qui entraîne cette paupérisation des centres.
Je souhaite également faire part de réflexions sur le marché locatif. J'ai évoqué la nécessité de jouer de tous les outils dont nous disposons et de favoriser le logement locatif. Une autre manière de favoriser un logement locatif abordable concerne diverses aides utilisées par le passé, dont le Pinel et d'autres dispositifs comme le plafonnement des loyers. La distinction entre l'usufruit et la nue-propriété permet également de proposer des logements à des coûts modérés.
Je m'interroge sur la volonté de l'État en matière d'incitation à l'investissement locatif. Nous avons maintenu l'impôt sur la fortune sur les investissements immobiliers (IFI). Quelle est la logique en oeuvre ?
Je souhaite aussi évoquer le sujet du changement d'usage de bureaux en logements. Je ne suis pas du tout d'accord sur ce sujet. Ma commune est située à proximité du quartier de La Défense. Nous avons dû construire, dans les dernières conventions avec l'État, 4,5 mètres carrés de logement pour 1 mètre carré de bureau. Ce n'est pas pour que ces bureaux deviennent des logements, ou alors nous aurions été dupés. Nous pouvons mettre des bureaux à niveau et les maintenir dans leur activité. L'activité économique est fondamentale pour éviter de devenir une cité dortoir. Sans activité, nous n'aurions pas de commerce. Il faut de l'activité économique et de la mixité d'usage dans un territoire, à l'échelle de la ville, mais aussi du quartier.
Nous sommes concernés par Airbnb au même titre que d'autres communes. Je ne pense pas que ce soit un problème étant donné que la plate-forme loue surtout des logements qui auraient des difficultés à être loués à l'année. La taxe de séjour n'a pas été versée de manière spontanée, mais nous n'avons pas connu de problème pour trouver un accord avec Airbnb.
Nous collectons la taxe de séjour depuis que la loi nous a autorisés à le faire en 2015. Auparavant, la loi de finances ne permettait pas aux opérateurs économiques de collecter l'impôt. Nous parlons beaucoup des plates-formes comme s'il s'agissait de grandes entités impersonnelles. Nous mettons à disposition la technologie pour que de « vrais gens » puissent louer leur logement, c'est-à-dire des centaines de milliers de Français.
J'entends votre remarque sur les élus soutenant qu'il y a un lien entre location meublée et inflation immobilière. J'aimerais qu'ils le démontrent. Nous entretenons un dialogue à Bordeaux et nous nous rencontrons. Nul ne m'a montré un lien de causalité. J`espère être en mesure de poursuivre ce dialogue. Les villes disposent de toutes nos données de location. Elles savent quel logement a été loué, quand, pour quelle durée, etc. Il faut s'accorder sur cette source. Je n'ai hélas jamais rencontré Matthieu Rouveyre, étant donné qu'il ne l'a pas souhaité, mais il a créé un observatoire à partir d'un site de scraping (technique d'extraction de contenu) qui n'est pas issu de nos données. L'analyse pourrait être menée à partir de nos données.
Les villes de Bordeaux et Paris sont souvent citées comme des cas d'école. Dans les données transmises au début du mois de janvier 2020, la part des logements loués à l'année correspondant à une location meublée professionnelle représente 0,05 % du parc immobilier bordelais et 0,01 % du parc parisien. Le problème, s'il existe, concerne les locations à l'année et non les résidences principales. Comment une si faible proportion de logements pourrait-elle impacter l'inflation immobilière ?
Les villes disposent de tous les outils pour limiter la location de résidence secondaire. Nombre d'entre elles ne savent pas quelle délibération prendre pour le changement d'usage ou l'enregistrement des locations. Ces outils existent. Ce n'est pas le Far West. Vous avez voté ces lois ALUR, République numérique, ELAN, etc., qui ont renforcé les dispositifs dans les mains des maires. La loi Lecornu a ajouté une disposition sur les locaux commerciaux. Nous sommes « ceinture et bretelles » du point de vue de la réglementation. Les villes doivent la mettre en oeuvre et jouer leur rôle.
Nous avons largement entendu votre plaidoyer. Nous concluons en prévoyant que la délégation devra approfondir certains angles du sujet, notamment dans le cadre du mandat intercommunal qui s'annonce. Les collectivités locales devront prendre de nombreuses décisions. Je vous remercie.
La séance est levée à 11 heures 45.