Après avoir auditionné il y a un instant Catherine Guillouard, et avant d'entendre cet après-midi Valérie Pécresse, il me revient de vous dresser un état des lieux de la manière dont les transports publics se préparent à sortir du confinement et les nombreuses incertitudes qui demeurent à ce jour, ainsi que les perspectives à plus long terme qui s'offrent pour le secteur. Ces éléments résultent des auditions qui ont été réalisées ces dernières semaines, auxquelles vous avez été nombreux à participer, et d'autres éléments qui ont pu nous être communiqués.
Nous venons de l'entendre, à cinq jours de la sortie du confinement, il existe encore de nombreuses incertitudes s'agissant de la mise en oeuvre du plan de déconfinement dans les transports publics. J'en citerai trois.
La première concerne le cadre règlementaire qui s'imposera aux opérateurs de transport à compter du 11 mai. Si les grandes lignes du plan de déconfinement ont été annoncées par le Premier ministre lors de son discours du 28 avril, le décret qui doit préciser les mesures sanitaires devant être appliquées dans les transports n'a toujours pas été publié - il ne le sera a priori que vendredi.
Les autorités organisatrices et les entreprises de transport ne savent donc pas, à cette heure, si la distanciation physique sera une obligation réglementaire s'imposant à tous les opérateurs ou s'il s'agira d'un objectif à atteindre, à travers la mise en place de mesures définies au cas par cas. Je prône, comme les autorités organisatrices de la mobilité (AOM) et les opérateurs de transport, la seconde solution. L'édiction d'une règle imposant strictement la séparation des voyageurs d'une distance d'au moins un mètre dans l'ensemble des transports publics pourrait s'avérer impossible à mettre en oeuvre et conduirait les opérateurs à devoir fermer un grand nombre de services. Il convient par conséquent que le cadre national permette une adaptation locale des mesures à mettre en oeuvre en fonction des risques sanitaires et de la fréquentation des réseaux de transport.
La deuxième incertitude concerne les conditions de sécurité dans les transports. Les entreprises de transport ne seront pas en capacité de remettre en route 100 % de leurs services dès la semaine prochaine, en raison notamment de l'absence d'un certain nombre de leurs salariés pour cause de maladie ou de garde d'enfants. La capacité de transports qui pourra être proposée aux voyageurs sera par ailleurs réduite si l'on veut faire en sorte que la distanciation physique puisse être respectée. Le risque est donc grand, dans les agglomérations et sur les lignes où la densité de voyageurs est importante, d'un engorgement des transports en cas de forte affluence, notamment lors des heures de pointe, qui serait susceptible de menacer la sécurité des voyageurs et des personnels. Ce risque est particulièrement important dans la région francilienne, où transitent chaque jour 5 millions de personnes dans les transports en commun. Il sera par conséquent nécessaire de pouvoir maîtriser les flux de voyageurs, en contrôlant l'accès aux grandes gares et pôles multimodaux. C'est pourquoi, je rejoins les préoccupations exprimées par les entreprises de transport dans un courrier du 30 avril au Premier ministre - et relayées lundi auprès du Gouvernement par Patrick Chaize - qui demandent le concours des forces de sécurité, pour filtrer les entrées dans ces lieux et prévenir les troubles à l'ordre public. Les préfets doivent, en lien avec les AOM et les opérateurs, identifier les réseaux nécessitant le déploiement de ces effectifs.
La troisième incertitude concerne les masques, dont le port sera obligatoire dans les transports publics. Cette obligation pose la question de la disponibilité de ces équipements. Une chose est claire : les entreprises de transport et les autorités organisatrices ne seront pas en mesure de distribuer un masque à tous les voyageurs. Si de nombreuses collectivités ont d'ores et déjà annoncé qu'elles pourraient distribuer gratuitement des masques « grand public », la question de leur disponibilité dans la durée et à grande échelle reste posée. Les usagers des transports devront dans un grand nombre de cas être en mesure de se fournir en masques par leurs propres moyens. Afin d'assurer le respect de cette obligation, le projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire permet aux agents assermentés des entreprises de transport de contrôler le port de masque. Il conviendra également que le Gouvernement leur permette de verbaliser les usagers qui n'en porteraient pas.
Enfin, compte tenu des doutes qui existent sur la capacité des transports publics à absorber le flux des voyageurs, et afin d'éviter un report massif des utilisateurs des transports en commun sur la voiture qui serait source de congestion et de pollution, plusieurs actions doivent être poursuivies en parallèle. L'offre de transports doit remonter rapidement et atteindre son niveau d'avant-crise d'ici la fin du mois de mai. Pour cela, il est important que les enfants des agents de conduite puissent être accueillis de manière prioritaire dans les crèches et les écoles. Ensuite, les entreprises doivent être mobilisées afin qu'elles maintiennent le plus de salariés possible en télétravail et qu'elles lissent les heures d'arrivée au travail. Par ailleurs, les mobilités actives, que sont le vélo et la marche, doivent être encouragées. Le Gouvernement a par exemple prévu une aide à hauteur de 50 euros pour les cyclistes souhaitant faire réparer leur vélo. De nombreuses collectivités ont indiqué travailler à la mise en place de pistes cyclables et d'aménagements temporaires pour les vélos et les piétons. Il est important que l'État leur apporte un appui financier, à travers la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), et technique à cette fin.
Au-delà des inquiétudes immédiates liées aux conditions du déconfinement, la crise sanitaire nous invite à réfléchir à nos choix en matière de mobilité à plus long terme. Si elle fait peser le risque d'un report massif vers la voiture individuelle, la crise constitue également une opportunité d'accélérer la décarbonation du secteur des transports qui, comme vous le savez, est un des secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre.
En premier lieu, il est crucial de sanctuariser les moyens consacrés aux transports collectifs, qui sont fortement impactés par la crise sur le plan économique et financier, sous l'effet à la fois de la baisse des recettes commerciales et de la hausse des dépenses de fonctionnement. Aussi, la situation impliquera nécessairement une révision des contrats de transport, dont les déterminants et l'équilibre ont été bouleversés. Il s'agira néanmoins de veiller à ce que ces renégociations ne se traduisent pas par une diminution de l'offre de transports ou des investissements des opérateurs.
La crise affecte également lourdement les AOM, qui se voient privées d'importantes ressources en raison de la diminution du versement mobilité, dont le taux de recouvrement s'est élevé, pour le mois d'avril, à 65 %. En tout état de cause, les pertes de recettes, qui pourraient s'élever, selon nos collègues de la commission des finances, à 1,4 milliard d'euros (dans un scénario médian), se traduisent par d'importantes difficultés pour les AOM. Une neutralisation de cette baisse des ressources dans le prochain projet de loi de finances rectificatives ou dans le projet de loi de finances pour 2021 s'avère nécessaire, sauf à prendre le risque d'une dégradation de l'offre de transports.
En outre, il convient de veiller à garantir un haut niveau d'investissements dans les infrastructures de transports collectifs. Alors que la loi de finances rectificative du 25 avril prévoit une diminution des recettes de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), il convient de veiller à ce que cette baisse ne se répercute pas sur le secteur des transports collectifs. Il est crucial, en particulier, de sanctuariser les ressources de l'Agence de financement des infrastructures de transport (Afitf), qui sont notamment basées sur les recettes de TICPE. En ce qui concerne le transport ferroviaire en particulier, la révision de la trajectoire financière de SNCF Réseau ne saurait quant à elle conduire à une remise en cause des investissements en matière de renouvellement et de développement du réseau, et ce d'autant plus dans la perspective de l'ouverture à la concurrence.
Par ailleurs, il est essentiel d'encourager les mobilités actives et d'ancrer leur pratique durablement. Dans cette perspective, plusieurs pistes peuvent être évoquées, comme l'augmentation des montants dédiés au « Fonds vélo » et des aides à l'achat de vélos à assistance électrique, et l'assouplissement des conditions d'octroi de ces aides.
Enfin, je tenais à mentionner la nécessité de développer, dans le cadre du plan de relance, le fret ferroviaire et fluvial, qui ont démontré leur caractère essentiel pour approvisionner le pays et assurer la continuité de la vie économique de la Nation. Le secteur du fret ferroviaire, en particulier, est aujourd'hui lourdement impacté par la crise sanitaire, alors même que les grèves liées à la réforme des retraites l'avaient déjà fragilisé. La situation actuelle rend plus que jamais nécessaire un plan de relance ambitieux du fret ferroviaire, conjuguant à la fois des aides à l'investissement sur le réseau et des aides au fonctionnement.