Mes chers collègues présents et virtuellement présents, nous sommes saisis d'un projet de loi dont l'objet principal est la reconduction, pour deux mois, de l'état d'urgence sanitaire. À cette occasion, le Gouvernement nous propose également deux séries de dispositions importantes : la première concerne la mise en quarantaine et le placement à l'isolement de certaines personnes infectées ou susceptibles d'avoir été infectées par le virus ; la seconde concerne la mise en place d'un système d'information centralisé alimenté par les médecins, les laboratoires d'analyses biologiques et les services de l'assurance maladie. Par ailleurs, le texte qui nous est présenté ne comporte aucune mesure relative à la responsabilité pénale des personnes qui, à raison de leurs fonctions, vont être amenées à prendre des décisions d'organisation destinées à ralentir ou à éviter la propagation du Covid-19.
La prolongation de l'état d'urgence est nécessaire pour passer de la phase de confinement à la phase de déconfinement. La reprise de l'activité - des écoles, des entreprises et des services publics - va entraîner une multitude de décisions individualisées en termes d'organisation. Je vous proposerai de ne prolonger l'état d'urgence sanitaire que jusqu'au 10 juillet prochain, afin de ne pas aller au-delà d'un délai de deux mois après le début du déconfinement. Quoi qu'il en soit, il est probable que le Gouvernement nous demandera au mois de juillet de prolonger cet état d'urgence sanitaire, le cas échéant pour prendre des mesures beaucoup plus souples. Mais, compte tenu de l'importance des demandes formulées par le Gouvernement à l'occasion de ces projets de loi, il me semble indispensable que le contrôle du Parlement s'exerce dans un délai un peu plus court que celui qui est prévu par le Gouvernement.
La plupart des mesures que le Gouvernement est susceptible de prendre au cours de la période de déconfinement ne sont d'ailleurs pas d'ordre législatif. En effet, la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 permet au Gouvernement de prendre de très nombreuses mesures. C'est ainsi qu'il pourrait tout à fait décider que le confinement est maintenu dans les départements rouges et prescrire des mesures réglementaires en ce sens. Nous ignorons d'ailleurs totalement, sauf s'agissant de l'ouverture des parcs et jardins, les conséquences qui seront tirées du classement des départements en plusieurs catégories de couleurs différentes - cela n'a pas été dévoilé dans la stratégie de déconfinement présentée à l'Assemblée nationale. Nous avons donc déjà donné l'essentiel des pouvoirs nécessaires. Le Gouvernement n'en demande pas plus, sauf pour la question de la quarantaine et de l'isolement ainsi que pour la mise en place de ce système d'information.
Pour l'organisation de ce déconfinement progressif, une multitude de décisions vont être prises par des autorités privées et publiques - maires, chefs d'entreprise, autorités organisatrices de transport (AOT) -, dans une multitude de lieux. Se pose alors la question de leur responsabilité. Il m'a paru indispensable d'introduire, à l'article 1er, des dispositions visant à prendre en compte la situation des personnes qui se verraient reprocher pénalement d'avoir indirectement contribué à la propagation du virus, alors même qu'elles auraient scrupuleusement respecté, non seulement les obligations et interdictions édictées au titre de l'état d'urgence sanitaire, mais aussi les autres consignes particulières de prudence imposées par les lois et règlements. Je me suis longuement interrogé sur l'étendue de cette exonération. Les autorités qui organisent le déconfinement - celles qui exercent, sur le fondement du code de la santé publique, un pouvoir de police administrative spéciale, c'est-à-dire les ministres et les préfets - ne doivent pas échapper à leur propre responsabilité ; en revanche, toutes les autres autorités, qui ne tirent pas du code de la santé publique de responsabilités en matière de police administrative, se verraient protégées, dans une certaine mesure. Bien évidemment, si la contamination est intentionnelle ou s'il y a violation des lois et règlements ou des mesures individuelles de police sanitaire, il y aura délit, voire crime - il ne saurait y avoir d'exonération de responsabilité.
Le texte comporte également des dispositions assez redoutables, mais absolument nécessaires, sur les systèmes d'information. Elles impressionnent par leur caractère massif. Le Premier ministre a évoqué les chiffres : jusqu'à 3 000 personnes sont contaminées chaque jour ; chacune d'entre elles a rencontré en moyenne 20 à 25 autres personnes dans les jours précédant sa consultation chez le médecin ; ce qui nous fait un total de 525 000 tests de dépistage à effectuer chaque semaine ; disons 700 000 pour avoir de la marge. Ces 525 000 personnes vont être l'objet d'un suivi via un fichier.
Si la création de ce fichier est soumise à un vote du Parlement, c'est qu'il comportera des données médicales auxquelles des non-médecins et des non-professionnels de santé devront avoir accès. C'est donc, juridiquement, la question du secret médical que nous traitons aujourd'hui, même si, politiquement, nous traitons aussi d'autres questions, inextricablement liées : du respect de la vie privée et de l'efficacité de la lutte contre le Covid-19. Hors cette question du secret médical, le dispositif souhaité pourrait entrer en vigueur sans qu'il soit besoin pour le Gouvernement de recourir à la loi, puisque le règlement général sur la protection des données (RGPD) le permet. Il est ainsi expressément prévu que les fichiers comportant des données personnelles concernant la santé et destinés à la poursuite d'un intérêt supérieur - comme peut l'être la lutte contre l'épidémie de Covid-19 - puissent être mis en oeuvre sur cette base juridique et pour cette finalité. Néanmoins, nous sommes saisis de cette question et je vous proposerai d'aller très au-delà de la simple question du secret médical.
Concrètement, le dispositif qui est proposé commence par la visite d'un patient présentant des symptômes du Covid-19 chez un médecin : le médecin lui prescrit un test de dépistage et doit en principe entrer des informations sur le système d'information qui le relie déjà à l'assurance maladie. Le médecin doit aussi demander au patient quelles ont été les personnes qu'il a rencontrées dans les jours précédant la consultation, que l'on appelle les « cas contacts ». Ces noms doivent aussi être intégrés au fichier. Les médecins généralistes auront droit à une prestation tarifée particulière pour cette consultation. Le laboratoire d'analyses médicales sera, quant à lui, appelé à renseigner le fichier avec le nom du patient et le résultat du test. Une plateforme de l'assurance maladie, composée très largement de non-médecins, qui aura reçu l'information via le laboratoire d'analyses médicales, appellera alors le patient pour lui demander quelles sont les personnes qu'il a rencontrées les jours précédents. Ces personnes seront contactées, elles devront faire un test de dépistage sous 24 heures et entrer en quatorzaine, et ce même si le test de dépistage est négatif, car les tests ne sont pas encore totalement fiables et la personne peut être dans une période d'incubation dont la durée est inconnue. Il ne s'agit pas ici d'obligations légales, ni de décisions de police administrative, mais bien de prescriptions médicales : le dispositif repose sur le civisme et l'esprit de responsabilité de chacun.
De proche en proche, nous allons donc être amenés à suivre de très nombreux Français. Le dispositif n'est pas de nature différente de ce qui se passe aujourd'hui pour une méningite. Quand j'étais ministre de la santé, j'avais été surpris d'apprendre que, en cas de méningite dans une école primaire, j'étais très largement informé et que je pouvais donner des consignes. Nous sommes donc déjà organisés dans la lutte contre les contagions pour traiter ces informations. La différence aujourd'hui, c'est qu'il s'agit d'un système massif, avec la manipulation d'informations via un fichier centralisé, ce qui préoccupe légitimement beaucoup d'entre vous. C'est pourquoi je vous proposerai d'apporter plusieurs garanties concernant l'alimentation et l'utilisation de ce fichier.
Comme le suggère la commission des affaires sociales, que je suivrai, il ne faudrait pas que toutes les pathologies de la personne testée - problème cardiaque, surpoids, hypertension artérielle, maladie respiratoire, etc. - se retrouvent dans ce fichier. Ce sont des informations certes utiles pour soigner spécifiquement cette personne, mais pas pour limiter la propagation du virus et lutter contre l'épidémie. Il nous paraît donc nécessaire de préciser que les informations médicales contenues dans le fichier se rapportent directement à l'infection par le Covid-19. Je vous proposerai également de garantir un droit d'accès et d'information pour les personnes dons les données sont inscrites dans ce fichier à l'initiative de tiers, un droit de rectification d'une information erronée et un droit d'opposition, afin d'éviter d'éventuelles dénonciations malveillantes de faux cas contacts. Il faut protéger celui qui proteste d'avoir été inscrit à tort, car quatorze jours sans aller travailler sur la base d'une dénonciation mensongère, cela n'est pas acceptable. Le Sénat doit être à la hauteur de son rôle de gardien des libertés publiques et individuelles.
Je vous proposerai aussi d'exclure que ce dispositif puisse servir de fondement juridique au développement de l'application Stop-Covid. Cela n'est pas indispensable, mais il faut donner un coup d'arrêt aux spéculations sur le mésusage de ce système d'information.
Je ne m'étendrai pas sur les dispositions de mise en quarantaine et d'isolement des personnes venant de l'étranger ou quittant l'Hexagone à destination de l'outre-mer. J'ai toutefois été stupéfait de constater que la Corse était soumise au même régime que l'outre-mer. Je vous proposerai donc quelques modifications.