Intervention de Philippe Bas

Commission mixte paritaire — Réunion du 9 mai 2020 à 10h50
Commission mixte paritaire sur le projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions

Photo de Philippe BasPhilippe Bas, sénateur, rapporteur pour le Sénat :

Nous connaissons tous les conditions dans lesquelles est organisée cette commission mixte paritaire, après une semaine marquée par beaucoup de précipitation, très peu de préparation et l'expression de beaucoup de passions. Pour autant, je veux dire que je suis heureux de la qualité de nos échanges et je vous remercie, madame la présidente, d'avoir souligné combien avait été passionnante notre dernière commission mixte paritaire sur l'état d'urgence sanitaire. Je souhaite à mon tour que celle-ci soit aussi passionnante et féconde. Je crois que les conditions objectives d'un accord sont réunies si sont laissés de côté les effets de langage et les polémiques.

Nous devons lever un certain nombre de malentendus sur l'article 1er et je ne vois pas de raison de ne pas nous entendre. Pour préciser l'intention du Sénat et pour qu'elle puisse se traduire dans notre texte conjoint, je voudrais rappeler que la rédaction que nous avons adoptée à l'unanimité avait fait l'objet de vives discussions.

Nous constatons, tout d'abord, qu'il ne peut pas être mis fin à l'état d'urgence le 24 mai. Nous sommes également d'accord pour sa prolongation jusqu'à l'achèvement d'un délai de deux mois à partir de la date du début du déconfinement, c'est-à-dire lundi 11 mai, ce qui nous mènerait au 10 juillet. Le régime temporaire d'état d'urgence que nous avons voté il y a six semaines laisse ouverte la possibilité pour le Gouvernement de solliciter une prolongation au-delà, ce qui sera peut-être nécessaire. Cette formule me semble respectueuse des prérogatives du Parlement : prendre la responsabilité de restreindre des libertés publiques quand cette restriction est justifiée par l'intérêt général. C'est notre responsabilité de représentants de la Nation.

Par ailleurs, nous avons souhaité clarifier la responsabilité pénale de ceux qui devront prendre des décisions dans le cadre du déconfinement. Pour le confinement, il existait une décision nationale prise par décret concernant tous les habitants de la France. Pour le déconfinement, le contexte est tout autre puisque des centaines de milliers de décisions devront être prises - dans les écoles, les entreprises, les transports publics, les communes comme les départements et les régions. Nous avons pensé qu'il fallait mieux encadrer ces situations pour que tous ceux qui auront à prendre ces décisions le fassent sous l'égide d'une loi claire, en précisant notamment la portée de l'article 121-3 du code pénal.

Quand on respecte les obligations particulières de prudence prévues par la loi et le règlement, et quand on n'a commis aucun acte intentionnel provoquant une contamination, on ne doit pas se voir poursuivi au titre de sa responsabilité pénale. Si on écarte les différences de rédaction, il me semble que cette idée est relativement partagée, y compris par le Gouvernement.

Le texte adopté par le Sénat ne mentionne pas la « faute caractérisée », qui figure dans le code pénal, ce qui a pu créer des divergences de vue. La « faute caractérisée » est le seul motif de mise en jeu de la responsabilité pénale qui ne repose pas sur un fait objectif, mais sur l'appréciation du juge. Or il nous a paru que la sécurité de ces dizaines de milliers d'acteurs appelés à prendre des centaines de milliers de décisions supposait qu'il n'y ait pas d'incertitude sur leurs conséquences pénales. N'étant pas arc-boutés sur notre rédaction, nous sommes prêts à donner tous les gages que notre discussion réclamera pour aboutir.

Certains commentaires ont été presque insultants. Il ne me paraît pas convenable de suspecter dans notre rédaction une quelconque autoamnistie des élus, de même qu'il n'est pas convenable de reprocher à la vôtre d'avoir voulu apporter une sorte de protection et d'immunité pénale aux membres du Gouvernement et aux préfets. Je ne m'inscris pas dans un tel débat ; je m'en tiens strictement à ce qui doit nous permettre d'apporter une réponse précise à l'angoisse ressentie par beaucoup de ceux qui devront prendre les décisions d'organisation du déconfinement alors qu'ils n'ont aucune part à la détermination de son régime juridique.

L'amnistie consiste à effacer ou empêcher la condamnation d'un coupable. Il n'y a ni dans notre texte, ni dans le vôtre, la moindre mention qui pourrait justifier cette accusation de rechercher une amnistie. C'est hors de propos et même indécent de soupçonner une telle possibilité qui ne correspond en rien à la lettre de nos deux textes. Je sais bien que votre intention n'est pas d'offrir une forme d'immunité au Gouvernement et je pense que les débats se sont emballés en raison d'une lecture plus politique que juridique.

Au lieu de nous laisser enfermer dans une opposition irréductible, j'ai pensé qu'il fallait que j'accepte de renoncer à la rédaction du Sénat en attendant, en contrepartie, que vous écartiez la vôtre, tout en recherchant un nouveau texte qui nous donne le moyen de satisfaire notre intention commune. Dans aucune de nos deux assemblées il n'a été dit qu'il était superflu ou inutile de s'occuper de la question de la responsabilité pénale de ces décideurs, parmi lesquels des maires dont le mandat a été prorogé par la loi sans qu'ils l'aient recherché, ni même désiré.

Nous avons considéré qu'il était utile de clarifier un texte de loi qui est lui-même le fruit d'un compromis. On se rend bien compte, en effet, à la lecture, que cet article 121-3 du code pénal, hérité de la loi dite « Fauchon » du 10 juillet 2000, est alambiqué et parfois difficile d'interprétation, ce qui justifie que nous cherchions à le préciser.

Je tenais à vous exprimer, avec sincérité, la réalité de notre intention, et à vous dire que nous ne faisons pas à l'Assemblée nationale de procès d'intention sur l'objectif que vous cherchez à atteindre. En commission mixte paritaire, notre travail consiste aujourd'hui à préciser ces intentions en indiquant, dans nos explications, la portée réelle de ce que nous souhaitons faire.

Dès lors que nous aurons franchi cet obstacle, dont la hauteur ne me paraît pas excessive, un accord sur les autres articles sera également possible.

Nous souhaiterions que puisse être conservée, sur tout le territoire national, y compris outre-mer, la garantie apportée par le Sénat à toute personne placée en quarantaine ou à l'isolement de pouvoir exécuter sa mesure à son domicile. Le Gouvernement peut déterminer par décret les conditions du confinement, s'agissant notamment du logement et de sa surface lorsqu'il est occupé par une famille nombreuse. Il est possible de prendre en compte les risques de promiscuité afin d'envisager l'hypothèse dans laquelle la quarantaine ferait courir un risque de contamination aux autres personnes occupant le domicile. Cependant, il n'est pas envisageable de dire, par principe, à nos compatriotes ultramarins que, du fait même de leur domiciliation outre-mer, ils ne peuvent pas exécuter chez eux la mesure à laquelle ils sont soumis. Ce n'est pas un problème juridique mais une question de respect à leur égard. Je comprends parfaitement les difficultés liées à l'habitat. Néanmoins, cela ne saurait justifier de remettre en cause le choix laissé à la personne mise en quarantaine. Je n'ai aucune raison, là encore, de penser que mes collègues députés seraient moins protecteurs des libertés que nous ne le serions.

De même, nous ne sommes pas moins attachés à la santé publique que vous ne l'êtes. Il demeure plusieurs questions ayant trait au régime des systèmes d'information que nous devons mettre en place, bien que beaucoup de mes collègues sénateurs aient considéré qu'il était tout à fait possible d'assurer une traçabilité satisfaisante en l'absence d'un système national. Lors de l'examen au Sénat, la discussion sur ce sujet a été longue. Pour autant, nous admettons majoritairement dans nos deux assemblées que ce traitement de données est nécessaire pour accomplir en masse la recherche de très nombreux cas contacts et accompagner les personnes exposées au risque de contamination dans un parcours adéquat de dépistage, de soins et de quatorzaine.

Sur certains points, l'Assemblée nationale a été plus protectrice que le Sénat, qui entérinera par conséquent ces améliorations. Sur d'autres points, nous considérons que les garanties apportées par le Sénat sont supérieures à celles de l'Assemblée nationale ; nous demanderons donc à nos collègues députés de bien vouloir rallier notre position. Le cas échéant, en dépit de rédactions substantiellement différentes à l'heure actuelle, je suis persuadé qu'il sera possible de parvenir un accord sur l'article 6.

En examinant chacune des dispositions des deux textes votés par nos assemblées, il n'existe, à mes yeux, aucun obstacle infranchissable à la manifestation de l'unité de la Représentation nationale dans le combat contre le fléau du covid-19. Il me semble que nous sommes très attendus en la matière, même si je suis conscient d'une perte de confiance chez beaucoup de Français. Précisément, réussir à nous entendre dans cette commission mixte paritaire peut être un moyen de leur redonner confiance, comme je le souhaite ardemment !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion