Intervention de ?Gaël Giraud

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 13 mai 2020 : 1ère réunion
Audition de M. Gaël Giraud économiste sur la relance verte en téléconférence

?Gaël Giraud :

M.?Gaël Giraud. -?C'est la première fois depuis 1945 que l'on observe une telle paralysie des institutions onusiennes. Trop longtemps, ce multilatéralisme a servi à masquer le leadership américain, qui aujourd'hui n'existe plus : les Nations unies s'effondrent et l'on voit que le roi est nu. En parallèle, les relations avec la Chine sont extrêmement compliquées.

Pour ma part, je rêve de voir enfin mettre en oeuvre le plan Keynes de 1945 : pour gérer les transactions internationales, ce dispositif est bien plus intelligent que le système de Bretton Woods. En outre, je rêve d'une refonte complète de l'agenda de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) : une coopération mondiale, fondée sur des accords, non pas bilatéraux, mais multilatéraux, est indispensable pour venir à bout d'une telle pandémie. Si l'on a pu éradiquer la variole dans les années 1970, c'est uniquement parce que tous les pays, sans exception, ont mené des campagnes de vaccination. Il en ira de même pour le Covid-19 ; et, si ce virus mute, il faudra mettre au point un nouveau vaccin chaque année, sans doute dans des conditions extrêmement dégradées.

À cet égard, nous sommes face à un défi colossal : réapprendre une véritable coopération internationale, en lieu et place des rapports de force que nous avons laissé ressurgir entre la Chine, la Russie, les États-Unis et l'Europe. C'est dans l'intérêt de tous, y compris de la Russie, qui souffre beaucoup du coronavirus. En parallèle, nous devons relocaliser une partie de notre industrie.

Ces deux impératifs sont faussement contradictoires. On ne peut pas réduire la mondialisation à une simple globalisation marchande, comme on l'a fait depuis quarante ans. Une coopération politique est nécessaire ; on peut l'envisager via la revitalisation des Nations unies, en s'inspirant de la déclaration de Philadelphie de 1944. Mais, aujourd'hui, le Conseil de sécurité n'est pas en mesure d'adopter la moindre déclaration commune.

Madame Préville, dans le bâtiment, la formation professionnelle exige deux ou trois ans : cet effort est donc tout à fait envisageable. Il va de pair avec une refonte générale de nos programmes scolaires. Sur cette question, la ministre Frédérique Vidal a commandé un Livre blanc, qui est en préparation. On doit enseigner toutes les disciplines, notamment la physique, mais aussi la littérature, à la lumière des enjeux écologiques. D'ailleurs, ce travail est déjà engagé. Dans beaucoup d'écoles primaires, on pratique le jardinage ou la permaculture. Il faut rationaliser les initiatives de nos instituteurs et les généraliser à l'échelle nationale.

Depuis le début de cette pandémie, un certain nombre de municipalités ont décidé d'étendre leur réseau de voies cyclables : c'est une excellente idée, car il faut promouvoir les circulations douces. Cela étant, d'après les calculs que nous avons faits avec les ingénieurs de Carbone 4, sauf à devenir un franciscain extrêmement austère, on ne peut réduire son empreinte carbone que de?30 %, grand maximum. Les?70 % restants ne dépendent pas de l'individu. Les gestes du quotidien sont indispensables, mais la question est plus vaste ; elle est aussi du ressort de l'État et du secteur privé.

Je ne vis pas l'Europe comme un havre de paix. Au demeurant, bien des pays du Sud ont perçu que l'Union européenne était un champion on ne peut plus cynique du néolibéralisme. Bien des multinationales européennes se présentent comme des prix de vertu, alors que, par l'intermédiaire de leurs sous-traitants, elles violent allègrement les règles édictées par le Bureau international du travail (BIT). La Russie, les États-Unis et la Chine ont voté pour une norme internationale correspondant à ce que nous appelons, en France, la loi sur le devoir de vigilance, mais l'Union européenne a voté contre. Quant à la France, elle s'est abstenue, ce dont on ne saurait se satisfaire.

La dette privée est détenue à?70 % par les ménages et à?30 % par les entreprises. Avec la pandémie, la dette des ménages va exploser, en lien avec le creusement des inégalités : selon un mécanisme bien connu, les ménages modestes vont devoir s'endetter pour maintenir leur niveau de vie. Pour les entreprises, le problème est le défaut de dynamique économique ; dès lors que l'on suit une pente déflationniste, elles doivent s'endetter davantage pour maintenir leur activité.

Il faut évidemment lutter contre la prise du pouvoir par les Gafam : aussi, il faut reconnaître que le libre-échange n'est pas la panacée, l'horizon ultime de notre civilisation.

On pourrait très bien décider de soumettre les appels d'offres publics à des critères écologiques. Aujourd'hui, les institutions européennes ne le permettent pas, mais il est indispensable d'ouvrir le débat. Je suis également très favorable au respect de la subsidiarité - ce concept théologique remonte au Moyen Âge?-, laquelle doit être articulée, en France, à la réforme de la décentralisation.

Monsieur Dantec, depuis plusieurs années, l'AFD fonde résolument son action sur l'axe longitudinal Europe-Afrique. Dans le même sens, le Gouvernement plaide pour l'annulation des dettes publiques africaines, ce que la Chine redoute beaucoup. Cette stratégie permettrait également de promouvoir le Club de Paris ; ce centre des négociations ne doit en aucun cas être transporté en Chine. Il faut permettre aux États africains de faire face aux conséquences, non pas du virus lui-même, mais du confinement : ce dernier fait beaucoup de dégâts et de morts en Afrique, car il a été mené dans une confusion totale.

Enfin, je suis favorable à la taxe carbone. Les États-Unis pourraient s'y résoudre ; tout dépend du résultat des élections présidentielles américaines, qui pourraient mettre fin aux errements subis par la Maison blanche. L'Union européenne reste la première puissance économique du globe ; elle possède de vrais atouts pour faire valoir son point de vue. Ce qui est tragique, c'est qu'elle ne parvienne pas à parler d'une seule voix, seul moyen pour elle d'avoir un poids politique à la mesure de son poids économique.

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