Notre commission s'est saisie pour avis de ce projet de loi alors qu'il ne comportait que des habilitations à légiférer par ordonnances. Depuis, certaines dispositions ont été inscrites directement dans le texte et la commission des lois nous a délégué l'examen au fond des articles 1er bis A, 1er quater A, 1er quater, 1er septies A, 1er octies F, 1er octies G, 1er decies et 6 qui concernent le droit du travail et la protection sociale.
On chercherait en vain une ligne directrice au texte que nous examinons ce matin. C'est pourquoi je ne vais pas vous dresser un catalogue des mesures, mais tenter de les présenter par thèmes en vous proposant de suivre les objectifs suivants : restreindre le nombre et le champ des habilitations et limiter les dispositions du projet de loi aux strictes nécessités de la situation actuelle. Ce texte, compte tenu de ces conditions d'examen, à peine plus favorables que pour les précédents, ne doit pas constituer le véhicule des fonds de tiroir des ministères.
En matière d'activité partielle, la nécessité d'accompagner le processus de sortie de l'état d'urgence sanitaire, dont le déroulement n'est pas encore connu, justifie sans doute le recours à une ordonnance. Le Gouvernement entend introduire, à compter du 2 juin, un reste à charge « raisonnable » pour les entreprises en l'adaptant à une reprise d'activité progressive et différenciée selon les secteurs et les caractéristiques des entreprises. Le moment est en effet venu de commencer à sortir du dispositif exceptionnel d'activité partielle pour inciter au retour à l'activité tout en limitant les impacts sociaux de la crise économique. Je vous proposerai donc de conserver cette habilitation, moyennant un ajustement de son champ, bien qu'il reste des interrogations sur les paramètres qu'il est envisagé de modifier et, surtout, sur l'impact attendu de ces mesures sur les finances publiques.
S'agissant des autres dispositions relatives au droit du travail de l'article 1er, je vous proposerai d'écrire de manière précise les dispositions relatives au prêt de main-d'oeuvre et à l'indemnisation du chômage, pour lesquelles le Gouvernement nous demande une habilitation excessivement large.
Je vous proposerai également d'écrire en clair dans le projet de loi des dispositions concernant la représentation des travailleurs indépendants, le mandat des conseillers prud'homaux et la représentation des salariés des très petites entreprises (TPE), qui ne justifient pas une habilitation à légiférer par ordonnance. Je vous proposerai de supprimer celle qui concerne l'utilisation de la contre-valeur des titres restaurant périmés, qui ne présente aucun caractère d'urgence, de même que l'article 1er octies G concernant le financement d'activités sociales et culturelles, présenté comme une contrepartie de cette mesure.
Les habilitations visant à assouplir les règles relatives aux contrats courts, d'une part, et aux contrats d'insertion et contrats aidés, d'autre part, ont été remplacées par des dispositions en dur à l'Assemblée nationale. Les amendements que je vous présenterai aux articles 1er bis A et 1er decies visent à clarifier et bien limiter ces dispositifs dérogatoires. Les dispositions de l'article 1er quater relatives à l'intéressement dans les TPE ne me semblent pas réellement liées à l'épidémie de Covid-19. Toutefois, il s'agit de dispositions que le Sénat avait examinées à l'occasion du projet de loi d'accélération et de simplification de l'action publique (ASAP). Je vous proposerai donc de les accepter, sous réserve d'un amendement qui avait déjà été adopté en février dernier.
Le projet de loi comportait dans sa version initiale trois demandes d'habilitations relatives aux retraites.
La première visait à permettre la mobilisation des réserves des régimes complémentaires des indépendants pour proposer des aides aux actifs assurés de ces régimes. Il s'agit de valider l'aide de 1 milliard d'euros déjà versée et financée sur les réserves du régime complémentaire des indépendants (RCI) et destinée aux artisans et commerçants. Je vous propose deux amendements visant à substituer à l'habilitation une écriture en clair du dispositif dans le corps de la loi. Il s'agit d'insister sur le caractère nécessairement exceptionnel d'un tel prélèvement sur les réserves, qui doit être encadré et dont le Parlement doit être informé.
Les deux autres avaient pour objet de permettre la constitution de droits à la retraite de base et à la protection sociale complémentaire pour les salariés placés en activité partielle. À l'initiative du Gouvernement, l'Assemblée nationale a transformé la première habilitation en un article 1er quater A. Cependant, je vous propose de nous limiter aux enjeux d'urgence et il n'apparaît pas souhaitable d'établir, hors du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), des dispositifs pérennes concernant la validation de droits à la retraite de base au titre de l'activité partielle comme le propose le Gouvernement. Je vous proposerai d'adopter un amendement visant à réécrire cet article en un seul dispositif exceptionnel couvrant la période de mars à décembre 2020, afin de protéger les salariés des secteurs qui pourraient être durablement affectés.
Concernant la protection sociale complémentaire et considérant particulièrement les risques existants en matière de contrats de prévoyance, je vous propose de conserver l'habilitation demandée.
Enfin, afin de faciliter la mobilisation des soignants, les caisses de retraite ont dérogé, avec l'accord du Gouvernement, aux règles du cumul emploi retraite. Je vous propose un amendement visant à donner une base légale à ces pratiques dérogatoires et permettre un cumul intégral pour les soignants.
L'article 1er octies F, inséré à l'Assemblée nationale, propose de reporter au plus tard au 1er janvier 2021 la pleine mise en oeuvre du service d'intermédiation pour le versement des pensions alimentaires, assuré par les caisses d'allocations familiales (CAF) et progressivement ouvert à tous les parents séparés. La mise en application, qui devait commencer le 1er juin, ne peut se dérouler dans des conditions satisfaisantes. Je vous proposerai donc d'être favorable à cet article.
L'article 1er septies A prolonge d'un an l'expérimentation des maisons de naissance qui devait arriver à son terme en novembre 2020. Je vous propose d'adopter cette solution qui ménage une réflexion sur les conditions d'une pérennisation du dispositif.
Enfin, ce projet de loi comporte des mesures diverses, qu'il serait trop long d'énumérer, mais dont certaines concernent notre commission. Parmi celles-ci figure l'article 1er sexies, introduit par l'Assemblée nationale pour traduire l'une des habilitations de l'article 1er. Cet article propose de permettre aux collectivités territoriales et aux établissements de santé de mettre, à titre gratuit, des agents à disposition d'établissements publics de santé qui en ont besoin pendant les périodes d'état d'urgence sanitaire. En pratique, selon l'étude d'impact, quelque 1 500 fonctionnaires territoriaux ou hospitaliers seraient concernés pendant la crise actuelle. Je vous proposerai simplement un amendement pour que nous disposions d'un bilan de cette expérience à l'issue de la crise.
Parmi les nombreuses habilitations de l'article 2, l'une vise à autoriser le Gouvernement à corriger une erreur de plume de la loi de 2019 sur la fonction publique. Il s'agit de permettre aux comités d'agence et des conditions de travail des agences régionales de santé (ARS) de disposer de la plénitude de leurs compétences dès le 1er janvier 2021. Malgré un caractère d'urgence un peu discutable, je vous proposerai un avis favorable.
Je vous propose de donner ainsi un avis favorable à l'adoption de projet de loi, sous réserve des amendements que je vous soumets.