Intervention de Nicolas Dufourcq

Commission des affaires économiques — Réunion du 5 mai 2020 : 1ère réunion
Audition de M. Nicolas duFourcq directeur général de bpifrance en téléconférence

Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance :

Je vais rapidement brosser le tableau des actions et instruments déployés par la BPI pour gérer cette crise et préparer la relance. Dès la semaine du 9 mars au 15 mars, nous avons senti les choses s'aggraver et nous nous sommes préparés à lancer notre plan de crise le lundi 15 mars au matin. Pendant le week-end end précédant l'intervention du Président de la République, nous avons commencé à appeler massivement nos clients pour leur annoncer que nous serions à leur côté avec ce plan. Celui-ci a consisté, en premier lieu, à reporter de six mois le paiement des intérêts et du capital de nos prêts : ce geste significatif représente environ 2 milliards d'euros de liquidités.

Alors que le prêt garanti par l'État (PGE) n'existait pas encore, nous avons également lancé une gamme de prêts sans garantie, les « prêts Atout », que nous avons placés auprès de 1 800 entreprises pour un montant global de 3 milliards d'euros dans le mois qui a suivi. Ces prêts Atout varient entre 10 000 et 30 millions d'euros avec des différés de remboursement de 7 ans et surtout des taux assez faibles de 2 % initialement, et 2,5 % aujourd'hui.

De plus, nous avons annoncé que les fonds de garantie dont nous disposons et qui sécurisent les banques françaises seraient étendus aux entreprises de taille intermédiaire et garantis à 90 %. Je précise que ces fonds sont connus sous l'appellation « fonds de lignes de crédits confirmés » : ils permettent de transformer des prêts de trésorerie en prêts à moyen terme.

Nous avons aussi, dans les premiers jours de la crise, mis en place un numéro vert et traité 80 000 appels au cours des deux premières semaines. Parmi nos 3 200 salariés, il faut rendre hommage aux 500 personnes appartenant aux divers services de la BPI qui se sont portées volontaires pour gérer des fichiers de 100 à 200 entrepreneurs, en communiquant avec eux de 8 heures du matin à minuit et en absorbant leur anxiété.

Parallèlement, nous avons commencé à travailler sur trois fronts : avec l'État sur le PGE, avec les régions sur le Prêt Rebond et avec la commission européenne sur plusieurs sujets portant sur l'éligibilité des entreprises en difficulté.

Le Prêt Rebond a été rapidement lancé avec les régions : sa durée est de 6 ans avec un différé de remboursement de 2 ans et les régions ont souhaité que son taux soit égal à zéro grâce à une bonification. Son montant qui va de 10 000 à 300 000 euros permet à ce prêt d'être complémentaire de celui de Bpifrance et du PGE. Le Prêt Rebond a été déployé dans quasiment toutes les régions et nous travaillons particulièrement aujourd'hui à le diffuser en Île-de-France. Pour ce faire, les régions ont librement doté nos fonds : 5 millions d'euros pour certaines tandis que d'autres ont apporté 50 millions d'euros. Une des régions a consenti une dotation importante en souhaitant multiplier les tickets d'entrée pour les petites entreprises ; nous avons donc mis en place une plateforme digitale permettant à un entrepreneur d'obtenir un prêt sans avoir à passer par un intermédiaire ou un contact humain. Nous sommes très satisfaits de cette plateforme « full digital » qui est opérationnelle depuis jeudi 30 avril dernier et a d'ores et déjà permis d'enregistrer 250 demandes.

Au total, l'encours des prêts Rebond avoisine aujourd'hui 250 millions d'euros avec un potentiel maximal qui est de 550 millions d'euros. Nous disposons donc encore de marges de manoeuvres pour distribuer ces prêts, en particulier dans les trois régions qui ont le plus doté les fonds Bpifrance : la région Grand-Est, qui a apporté 29 millions d'euros, Auvergne-Rhône-Alpes (50 millions d'euros) et l'Île-de-France (35 millions d'euros).

Pour sa part, le PGE a été lancé en urgence afin d'absorber les premières demandes dont le niveau global se situe à 3 milliards d'euros. Nous travaillons sur la base du plan garanti par l'État : son concept s'apparente exactement aux prêts sans garantie Bpifrance mais ces prêts sont distribués par les banques avec une prise de risque limitée à 10 % puisque la garantie de l'État couvre 90 % de ces prêts.

Le rôle de BPI dans ce dispositif est double. Il s'agit, d'une part, de s'assurer que les entreprises ne font pas de double demande : cela passe par la délivrance d'une attestation et d'un numéro unique sur le site de la BPI, ce qui nous permet d'ailleurs de disposer de statistiques quotidiennes très précises. D'autre part, c'est par la BPI que transite la garantie de l'État. Près de 350 000 entreprises bénéficient d'un pré-accord de PGE et nous avons donc des listings d'un même nombre de lignes de demandes de garanties : nous les avons gérées pour le compte de l'État. Cette gestion par la BPI s'inscrit dans la durée puisque ces prêts à un an sont renouvelables pendant 5 années supplémentaires. Il faudra faire face aux hypothèses de défaut de l'emprunteur, auquel cas les banques feront appel à la BPI pour activer la garantie de l'État. Je précise qu'il ne s'agit pas d'une garantie à première demande, ce qui impose à la BPI de vérifier que des diligences suffisantes ont été engagées par la banque pour tenter de récupérer les fonds remboursables, avant de solliciter l'argent de l'État.

Par ailleurs la BPI distribue en direct à ses clients des prêts - elle figure dans ce domaine parmi les treize plus grandes banques françaises - et en particulier des PGE. Lorsqu'un client a plusieurs banques, la règle fixée depuis le lancement de ce produit est que les banques se partagent le PGE au prorata de leur emprise sur les encours de prêts de l'entreprise.

Il faut souligner que les banques françaises ont accepté, dès la première semaine de confinement, de consentir un geste très fort en mettant à la disposition de la solidarité nationale la totalité de leur réseau - 17 000 agences bancaires distribuent aujourd'hui le PGE - et en acceptant de supporter, sur leurs fonds propres, 10 % du risque induit par ces prêts. Ces derniers s'apparentent à une sorte d'avance sur recette autant que possible égale à la perte engendrée par l'épidémie : le prêt est donc calibré sur la crise sanitaire qui a conduit à la fermeture administrative de pans entiers de l'économie. Concrètement, la discussion s'engage lorsque l'entrepreneur vient voir son banquier en indiquant que la crise du covid lui coûte un à trois mois de chiffre d'affaires et demande un prêt correspondant à ce montant. Lorsqu'il obtient un montant de prêt égal ou inférieur à cette demande, selon le chiffre négocié avec sa banque, l'entrepreneur rejoint la BPI pour obtenir son numéro unique et son prêt peut alors être décaissé. S'agissant du chiffrage global, la demande de PGE dans les réseaux bancaires atteint aujourd'hui 83 milliards d'euros et 57 milliards d'euros de prêts sont de facto décidés au profit de 350 000 entreprises : 90 % sont des TPE et celles-ci sont destinataires de la moitié des 57 milliards de crédits. On recense également de nombreuses PME et ETI parmi les emprunteurs ainsi que plusieurs grands groupes comme la FNAC ou Europcar PGE ; d'autres demandes de PGE d'un montant d'un milliard d'euros émanant de grandes entreprises sont aujourd'hui à l'instruction. Je précise que l'instruction de ces dossiers importants fait intervenir trois acteurs : non pas une simple agence bancaire mais le siège, Bpifrance et la direction du Trésor ; la décision finale est prise par le ministre qui signe un arrêté nominatif pour chaque entreprise.

Le rythme de croissance du PGE est stable et augmente de 2 à 3 milliards par jour. Beaucoup d'entreprises n'ont pas encore sollicité de PGE et se posent sans doute la question d'y recourir. Sur les 80 000 clients actifs à BPI, une majorité n'a pas demandé de prêt - PGE, Prêt Atout ou Prêt Rebond. Certaines n'en ont pas besoin, d'autres hésitent à augmenter leur endettement et il y a celles qui ont attendu et vont présenter une demande. C'est pourquoi l'encours de PGE va certainement dépasser 100 milliards d'euros d'ici la fin de l'année 2020.

En ce qui concerne votre question sur les relations entre les régions et l'État dans ce processus, je fais observer que nous assurons ici des prêts PGE, qui représentent des montants budgétaires considérables. Il est très difficile de les évaluer avec précision mais si on essaye de faire un calcul sommaire « de coin de table », il faut d'abord se souvenir que, pour la crise de 2008-2009, la sinistralité a été beaucoup plus faible que prévu mais la situation était différente et l'économie dite « présentielle » n'était pas aussi bouleversée qu'aujourd'hui, avec des risques de cessation d'activité définitive importants pour un certain nombre d'acteurs. À supposer que l'enveloppe de PGE atteigne 100 milliards d'euros et que dans un « schéma de guerre », selon l'expression du Président de la République, on enregistre 10 % de pertes, cela coûterait 10 milliards d'euros dont 9 à l'État et un milliard aux banques. Je ne pense pas du tout que nous en arriverons là mais tel est le schéma pour un scenario très grave.

Par comparaison, les prêts Rebond, avec les dotations que nous ont accordées les régions, représentent 170 millions d'euros : il y a donc une différence d'échelle avec les engagements de l'État.

Ceci dit, pour garantir à 90 % le risque attaché aux prêts Atout, à l'affacturage et à la transformation des crédits de trésorerie en prêts à moyen terme, il faudrait, selon nos estimations, 600 millions d'euros supplémentaires.

Ces considérations portent sur le volet bancaire des dispositifs de soutien mais il faut également mentionner les Fonds Résistance qui sont en train d'être déployés dans toutes les régions, le premier ayant été créé dans le Grand-Est. Ces fonds sont alimentés à hauteur de 2 euros par habitant par les régions, les départements, les intercommunalités les métropoles ainsi que la Caisse des Dépôts. Au total, les dotations des conseils régionaux à ces fonds atteignent de 30 à 50 millions d'euros. On est donc loin des ordres de grandeurs en milliards d'euros qui relèvent du niveau national et je rappelle par ailleurs que le coût du chômage partiel s'élève à 12 milliards d'euros par mois pour l'État.

Tout cela permet d'éclairer la réponse à votre interrogation sur « qui peut faire quoi ». Dans cette crise cataclysmique mais éphémère, seul le budget de l'État peut prendre en charge le coeur de la dépense : les régions apportent cependant des compléments indispensables pour combler les inéluctables « trous dans la raquette » des grands dispositifs nationaux.

Très honnêtement, je considère que le système mis en place fonctionne plutôt bien et je suis à l'écoute de vos appréciations sur ce point. Je m'attendais, en matière de PGE par exemple, à des taux de refus bien supérieurs aux 3 à 5 % qu'annoncent aujourd'hui les banques, avec peut-être une sous-estimation due au fait que certains entrepreneurs n'obtiennent pas de réponse et je ne sais pas s'ils sont alors comptabilisés dans les refus.

Au total, je souligne que les banques ont vraiment « mouillé la chemise » et poursuivent activement leur effort : en témoigne, par exemple, le fait que la Société générale a traité en un mois 15 milliards d'euros de PGE - ce qui représente un an de production crédit à moyen terme en période normale - et la BNP 12 à 13 milliards d'euros. Les agences bancaires sont ainsi focalisées sur les PGE ainsi que sur les reports d'échéance. Il y a donc là une mobilisation dans l'intérêt du pays qu'illustre bien le terme d'union sacrée et c'est la première fois dans l'histoire bancaire française que les réseaux des banques privés deviennent, pour une période limitée, des sortes de petites BPI distribuant des prêts garantis par la puissance publique : je trouve cela formidable.

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