Tout d'abord, pour notre activité Produits laitiers frais, nous collectons 100 % de notre lait localement, autour de nos laiteries. C'est le cas en France, où nous collectons en moyenne dans un rayon de 50 kilomètres autour de nos cinq laiteries, dans des exploitations de 50 à 70 bêtes. C'est également le cas en Allemagne et dans tous nos grands pays. Nous sommes donc en contact de cet écosystème laitier.
En ce qui concerne nos prix, nos accords n'ont pas changé depuis 15 ans. Ces accords tiennent compte des coûts de production, de la marge sur l'alimentation et sont pluriannuels. Le recours aux marchés spots est infinitésimal dans nos achats. Depuis très longtemps, nous maintenons de très bonnes relations avec nos organisations de producteurs en France. Sur le marché spot, le lait est à 180 euros/tonne, ce qui est aberrant. Nous le payons pour notre part aux alentours de 360 euros/tonne.
Les écarts constatés sur les bassins laitiers sont liés aux différences de conditions d'exploitation. Les évolutions des volumes de collecte sont liées à l'évolution des marchés. Chaque Français consomme 25 à 27 kilogrammes par an de produits laitiers frais, ce qui fait de la France le deuxième pays consommateur de produits laitiers frais dans le monde. Danone a choisi de se focaliser sur ce métier et, par exemple, de ne pas faire de fromage, activité beaucoup plus consommatrice de lait. Nous ne nous diversifierons pas.
Ce positionnement a posé des questions de baisse de la collecte, que nous avons accompagnée, notamment avec notre programme Horizon 2015, qui a permis à certains chefs d'exploitation de prendre leur retraite, après que nous leur avons financé des trimestres complémentaires. Ces chefs d'exploitation ont ainsi pu passer la main à de jeunes agriculteurs, que nous avons aidés à s'installer. Nous avons donc accompagné la décrue de notre collecte dans certaines zones et avons fait le choix de la valorisation, pour payer un prix qui était très au-dessus du marché. D'autres marques ont choisi d'autres voies, ce qui a distordu le marché.
Pour répondre plus directement à votre question portant sur l'amont, je répète que nous ne payons pas le véritable coût de l'alimentation en France. La spirale déflationniste des 15 dernières années est suicidaire pour l'ensemble de la filière.
Pour la première fois, le 26 février 2020, Danone a publié un résultat net en intégrant la charge carbone que représente l'ensemble de ses émissions carbone dans le monde. Ce résultat net est ainsi deux fois inférieur au résultat net comptable calculé traditionnellement. Je m'exprimerai lors de l'assemblée générale de juin auprès de nos actionnaires, en leur disant que, si nous versons des dividendes au-delà de cette limite, cela signifie que nous leur versons de l'argent alors qu'ils n'ont pas assuré le futur de notre entreprise, reposant sur l'agriculture, elle-même reposant sur la décarbonation. Nous ne payons donc pas le véritable coût de l'alimentation. Nous avons habitué les Français à une alimentation de qualité, mais qui ne permet pas de faire vivre sur le long terme la filière qui les approvisionne.
Nous nous dirigeons donc nécessairement vers des réarbitrages. L'alimentation qui allait de soi par le passé, dans laquelle les consommateurs faisaient confiance aux grandes marques et à l'agriculture, est terminée. Les gens se rendent compte maintenant de l'enjeu de l'alimentation, comme nous le constatons d'ailleurs dans le monde entier au travers de cette crise. Nous devrons être en capacité de proposer des produits moins chers. Je constate que les gens font de plus en plus attention à leur alimentation et souhaitent des produits contrôlés et locaux. J'espère cependant que cette préférence pour le local ne sera pas exclusive, car cela entraînerait la fin des exportations agricoles. À l'échelle européenne, nous avons besoin d'une réponse coordonnée.
En ce qui concerne les indicateurs, je suis favorable à un mécanisme d'intervention carbone aux frontières de l'Europe, de sorte que les produits qui ne respectent pas les normes de biodiversité, de carbonation, etc., soient pénalisés. À l'inverse, nous devons être en capacité de construire une agriculture assurant la souveraineté des Européens, et donc de la France.
S'agissant du mécanisme de PSE (paiement pour services environnementaux), il peut être envisagé sous l'angle de la biodiversité. Effectivement, il n'y a pas eu autant de forêts en France depuis très longtemps. Mon propos portait cependant sur la biodiversité cultivée et domestiquée, chaînon manquant entre la biodiversité sauvage et le milieu urbain. Les États-Unis comptent environ 9 millions de vaches laitières, dont 93 % sont des Holstein. Des études menées par l'université de Pennsylvanie et s'appuyant sur la génétique de 60 000 bêtes ont permis ainsi de remonter à deux taureaux des années 1960 et 1970. Le niveau de sélection et de spécialisation est donc particulièrement élevé, ainsi que le niveau de consanguinité, qui se monte à 8 % ou 10 % aux États-Unis. Ces élevages très intensifs et concentrés semblent particulièrement risqués quant à la résistance du système alimentaire américain. Cette question de la biodiversité domestiquée et cultivée est essentielle. Les semences actuelles vont se retrouver face à des difficultés à l'aune des changements climatiques en cours. Il sera ainsi très difficile de cultiver du maïs dans 30 ans dans de nombreux endroits de France. Il faut donc trouver d'autres cultures, ou d'autres semences de maïs, pour produire de la biodiversité cultivée.
Chez Danone, nous avons fait le choix de nous baser sur les indicateurs du développement durable de l'ONU. C'est ainsi que nous pilotons notre Groupe aujourd'hui, avec ces 9 objectifs correspondant à ces indicateurs de développement durable. Pour sortir de cette crise et nous orienter vers cette économie, nous souhaitons atteindre ces objectifs non pas à horizon 2030, mais 2025.
Oui, cette crise va modifier notre stratégie. Depuis très longtemps, nous sommes guidés par la vision « Une planète, une santé ». Cette crise montre que nous ne pouvons pas tenir compte de la santé des humains sans tenir compte de la santé de la planète. L'alimentation doit redevenir fondamentalement une richesse locale. La biodiversité des cultures alimentaires est un facteur de sécurité alimentaire mondiale. Nous dépendons aujourd'hui d'une demi-douzaine de plantes au niveau mondial, couvrant 75 % des besoins des calories humaines. Cette situation est absurde. La standardisation optimise, mais n'est pas résiliente. Il faut donc repartir du local. S'alimenter, ce n'est pas uniquement se nourrir, mais c'est aussi de la culture. L'alimentation doit donc s'enraciner dans un environnement et une agriculture locale. Cette agriculture s'insère également sur un environnement adapté localement. Cette crise va nous amener à accélérer la localisation de nos prises de décision, la fabrication de nos recettes, etc., même si, aujourd'hui déjà, 95 % des produits Danone sont vendus dans les pays où ils sont fabriqués.
Je ne suis par ailleurs pas en mesure de répondre à votre question relative à la Fintech, car je ne connais pas suffisamment bien cette application. Il s'agissait cependant de favoriser des systèmes désintermédiés et rapides.