Commission des affaires économiques

Réunion du 6 mai 2020 à 9h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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La réunion est ouverte à 9 heures 30.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Nous accueillons aujourd'hui M. Faber, président-directeur général de Danone, et je crois que c'est la première fois que vous vous exprimez devant notre commission.

Nous inaugurons, aujourd'hui, une nouvelle phase de nos travaux, après une première phase très active, portant sur le suivi et le contrôle de l'action du Gouvernement, sur le terrain, département par département, secteur par secteur. Il s'agissait d'entamer un dialogue constructif avec le Gouvernement, dans cette crise inédite. Nous avons d'ailleurs apporté notre pierre, en précisant les champs d'habilitation et en alertant le Gouvernement sur certains points, à la construction des ordonnances et aux différents dispositifs qui ont été déployés.

Nous inaugurons aujourd'hui une phase plus prospective, afin de prendre du recul et de réfléchir à la sortie de crise ainsi qu'à ses enseignements. Cette réflexion porte sur les grandes tendances économiques que nous voyions apparaître avant la crise. Ces tendances ont-elles été confirmées, voire accélérées, la crise jouant un rôle de catalyseur, ou ont-elles plutôt été infirmées ? Vous nous ferez part de votre avis sur cette question.

Parmi les enjeux que nous pressentons, figure évidemment le défi de la résilience, avec des questions relatives à la transition écologique, que vous avez abordées dans une tribune signée avec 90 autres dirigeants d'entreprises. Cette question de la résilience recouvre des enjeux relatifs à la souveraineté économique ainsi qu'à la souveraineté sanitaire et à la souveraineté alimentaire.

Afin d'identifier ces évolutions, il nous a semblé important d'orienter nos travaux dans un sens plus prospectif et d'entendre des penseurs et des acteurs. Nous avons d'ailleurs été marqués par l'expression d'un de vos confrères, dirigeant d'Airbus, disant qu'il « ne faut pas gâcher une crise », c'est-à-dire ne pas perdre l'occasion d'apprendre.

C'est à ce titre que nous avons le plaisir de vous accueillir en tant que président-directeur général du Groupe Danone, immense acteur du monde agroalimentaire, avec 25 milliards d'euros de chiffre d'affaires dans le monde, fort de sa présence dans plusieurs pays. Danone est le premier groupe agroalimentaire français, mais la France n'est pas le premier marché du groupe.

Cela m'amène à une première question : comment votre groupe traverse-t-il cette crise, en France et dans le monde ? Quelles sont vos observations quant aux différences et aux similitudes entre les pays où votre groupe est présent ?

Une autre série de questions portera sur les enseignements à tirer de la crise, notamment pour notre économie agroalimentaire française. Dans votre secteur, l'approvisionnement représente un enjeu de souveraineté et de sécurité. La France semble avoir été résistante en la matière au long de cette crise. Néanmoins, sa dépendance aux importations agricoles s'est accrue depuis 2000 et pourrait fragiliser cette position, dans un contexte de concurrence parfois déloyale entre nos productions agricoles et celles que nous importons. Quelles inflexions notre politique agricole doit-elle dessiner pour demain ?

Un débat porte sur la relocalisation de certaines activités, ayant relancé des idées de délocalisation, de démondialisation, de relocalisation, voire de protectionnisme régional ou microrégional. Il semble toutefois qu'il ne faille pas transformer une légitime quête de souveraineté alimentaire en une fermeture hermétique aux échanges. Nous connaissons en effet l'importance du poids des exportations dans la politique économique de la France.

Enfin, en ce qui concerne les consommateurs, la crise a accéléré de nouveaux modes de consommation. Je pense à la reconstruction des marques, aux nouvelles formes de commerce, à l'attachement des consommateurs et des actionnaires à la responsabilité sociale et environnementale et, bien sûr, aux engagements environnementaux. Danone a toujours été en pointe sur ces sujets. Quels défis les entreprises devront-elles relever à cet égard ? Quelles nouvelles relations devront être dessinées entre consommateurs et fournisseurs ? Ce défi est essentiel à l'heure où l'image de l'industrie agroalimentaire est attaquée alors que cette industrie n'a jamais autant permis de nourrir les Français en quantité et en qualité.

Enfin, j'aurai quelques questions concernant le monde productif, auquel vous êtes profondément attaché. La crise a montré la nécessité de résilience des agriculteurs, ce qui impose de justement les rémunérer. Rencontrez-vous des difficultés pour traduire dans les faits les objectifs partagés lors des États généraux de l'alimentation ? Achetez-vous votre lait en tenant compte des coûts de production différenciés par bassin de production ? Une partie de vos achats se base sur les coûts réels de production et une autre sur la base des marchés spots. Il semblerait que la part de votre prix d'achat lié aux coûts de production ait contractuellement baissé. Est-ce le signe de difficultés à transformer dans les négociations en aval les hausses de prix nécessaires ? Ces considérations pourront-elles encore évoluer ?

Enfin, cette crise a montré la nécessité d'offrir aux Français des produits économiquement abordables.

En résumé, comment l'agriculture et l'industrie agroalimentaire peuvent-elles résoudre ces équations à tant d'inconnues ?

Debut de section - Permalien
Emmanuel Faber, président-directeur général de Danone

Merci pour votre accueil chaleureux. Je suis très honoré d'être auditionné par votre commission. Cette audition ressemblera sans doute plus à une discussion qu'à une grande conférence pleine de certitudes.

Merci d'ouvrir cet espace, fondamental pour ne pas se tromper de diagnostic ni de solution lorsque nous sortirons du confinement, et pour apprendre à vivre avec le Covid-19.

Nous sommes entrés dans cette crise avec l'obsession de poursuivre les approvisionnements alimentaires. Danone est fournisseur d'aliments nécessaires à la vie. Nutricia est par exemple le leader européen de la nutrition médicale par intraveineuse. Nous avons également de fortes positions en Chine avec nos marques. Pour prendre un autre exemple, seules deux solutions existent en matière d'alimentation infantile : le lait maternel ou les substituts. Pour ces produits, la rupture de la chaîne peut avoir de graves conséquences.

Nous avions donc l'impératif de continuer à approvisionner. Or, durant la crise, nous avons constaté que nous ne pourrions pas continuer à travailler si nos salariés n'étaient pas positionnés dans une situation de sécurité absolue. Nous avons donc pris des mesures barrières très claires, et parfois très en avance par rapport aux instructions gouvernementales, ce qui n'a pas toujours été facile. Nous avons souhaité que nos salariés se sentent en sécurité et avons décidé de garantir l'intégralité de nos 105 000 emplois et de nos salaires jusque la fin du mois de juin. Si Danone avait recours à des mesures gouvernementales (ce qui n'est pas le cas en France), nous compléterions ces mesures afin que la totalité des salaires de nos collaborateurs soient versés. L'effet de ces mesures a été très immédiat, avec une baisse rapide des taux d'absentéisme, au départ imposé par les quarantaines. Les sujets de garde d'enfants n'ont pas toujours été simples à résoudre, ainsi que la question du transport de nos salariés. En 15 jours, les situations sont rentrées dans l'ordre dans les différents pays dans lesquels nous sommes présents.

Nous avons en outre mis en oeuvre une facilité de trésorerie de 300 millions d'euros au total pour tout notre écosystème de 15 000 partenaires : distributeurs indépendants, éleveurs, petits fournisseurs, prestataires de services, etc. Nous avons également abondé de nouveau le fonds Danone pour l'écosystème, créé à l'occasion de la crise de 2008. Nous avions à cette époque demandé 100 millions d'euros à nos actionnaires, pour les investir dans le renforcement de la capacité des micro-acteurs. Nous avons donc doté de nouveau ce fonds de 20 % additionnels.

Nous avons connu des tensions sur nos approvisionnements, mais peu en ce qui concerne les ingrédients agricoles à proprement parler. Ces tensions ont par exemple porté sur le carton, les emballages, certains compléments alimentaires, des vitamines, le fer, l'iode, etc. Par exemple, deux importantes usines de cartons ont fermé dans le Grand-Est, pour des raisons de quarantaine, pendant plus de 15 jours. Dans le même temps, l'augmentation du recours au e-commerce a nécessité davantage de cartons.

Nous avons également connu des tensions sur les transports, en France, mais aussi aux États-Unis et en Italie. Nous utilisons beaucoup le rail et la SNCF, en particulier pour les eaux minérales. Or la réduction du fret nous a contraints à utiliser davantage le transport routier, alors que les capacités n'étaient pas toujours suffisantes.

Néanmoins, en France, nous n'avons vécu aucune difficulté majeure. Les sujets ont été difficiles au départ, mais il semble que nous soyons maintenant revenus à une situation normale.

Je vous propose d'en venir à présent à la question de l'économie. Nous communiquons chaque mois avec 300 millions de consommateurs dans le monde entier et travaillons avec de nombreux observatoires. En dehors des sujets strictement sanitaires, il semble que les comportements des économies présentent beaucoup plus de ressemblances que de différences, dont certaines sont souvent liées à l'impréparation ou à un consensus social, sanitaire et culturel.

Il ne faut pas se tromper de diagnostic. Cette crise est révélatrice de notre système. Ce sont les mêmes préceptes économiques qui guident nos décisions et celles des gouvernements depuis deux siècles, avec des conséquences aujourd'hui absolument essentielles. La réduction des habitats naturels et de la biodiversité, à cause de la déforestation liée aux activités humaines, la densité des villes et leur taille mettent en contact des systèmes qui évoluaient dans des écosystèmes équilibrés distanciés par des zones tampons. Or ces zones tampons n'existent plus aujourd'hui, notamment à cause de l'agriculture. Je milite ardemment pour la biodiversité cultivée, agricole, domestiquée et cultivée, au-delà de la biodiversité naturelle. Il est capital de prendre en compte cette notion dans nos solutions.

Ce virus a également emprunté nos moyens de transport. Il est devenu une pandémie car il a pris l'avion, le train, la voiture, le métro.

Cette crise peut être envisagée de deux façons. Je suis coprésident du Consumer Goods Forum, grande plateforme regroupant les 500 premières entreprises mondiales du secteur de la grande consommation, de l'alimentation et de la grande distribution. Je discute donc en permanence avec mes pairs et, au G7 de Biarritz l'année dernière, nous avons créé une alliance pour une croissance plus inclusive, regroupant une quarantaine de multinationales et leaders mondiaux de tous secteurs.

La première analyse de cette crise est mécanique. Cette crise est sanitaire. Pour des raisons sanitaires, nous avons plongé l'économie en coma artificiel, mais ce système d'anesthésie devra être retiré au bout d'un moment. Le patient se réveillera donc et poursuivra son activité. Il s'agit d'une vision très mécanique, sous-tendue par ce que l'on entend concernant l'épargne contrainte, qui traduit une réduction du PNB à rattraper.

La réalité me semble toutefois complètement différente. Ce sujet sanitaire va durer et nous allons opérer dans un système dans lequel l'offre et la demande seront sous contrainte, ce qui n'a jamais existé. Aujourd'hui, chez Danone, nos lignes ne tournent plus de la même façon. Certains canaux de distribution étant arrêtés (nos petits formats), d'autres sont exploités selon un système de suractivité. Les transports ne pourront plus fonctionner avec leurs capacités nominales, puisque, désormais, il faudra prévoir de la distanciation et des horaires aménagés. Cette distance se traduira mécaniquement par une contrainte de l'offre et une contrainte de la demande. De plus, dans un environnement manquant de sécurité après le déconfinement, il n'est pas certain que la consommation reparte en flèche immédiatement. La demande pourrait ainsi rester durablement contrainte par la situation sanitaire. De plus, des habitudes se sont prises en ce qui concerne le télétravail. De nouvelles formes de loisirs sont également apparues.

Les différents modèles macroéconomiques envisagés dans le monde entier se sont basés sur des hypothèses qui semblaient pessimistes. Plusieurs organismes économiques commencent à produire des chiffres. Avec un deuxième trimestre où l'activité est en chute de l'ordre de - 30 % à - 40 % par rapport à l'année précédente, le PNB devrait chuter d'au moins 10 % dans les 40 pays dans lesquels nous évoluons. Le troisième trimestre devrait donc être en amélioration par rapport au trimestre de confinement massif, de même que le quatrième. Cependant, l'année 2020 sera marquée par un fort recul de PNB. De même, l'année 2021 sera nettement inférieure au pic de 2019.

En termes de PNB par habitant, cette crise peut ainsi nous renvoyer 10, 15 ou 20 ans en arrière. Nous devrons sans doute assister à un intense désir de revenir au pic de 2019 aussi vite que possible, en s'affranchissant de toutes les contraintes possibles. Or c'est précisément ce qu'il ne faut pas faire. Il serait très dangereux que l'argent rare de l'État et, plus généralement, de l'Union européenne, soit utilisé pour des mesures qui ne fonctionneront pas. S'il s'agissait d'une simple crise de l'offre ou de la demande, les mesures économiques classiques qui ont fonctionné depuis 70 ans pourraient fonctionner, mais cela ne fonctionnera pas dans un cas comme le nôtre.

Au contraire, alors que nous connaîtrons un niveau de PNB équivalent à celui de 2010, il faut se repositionner en 2010, envisager l'avenir pour faire différemment et envisager une bifurcation pour que ce traumatisme ne survienne pas à nouveau. Il convient d'envisager une économie plus résiliente, et non plus « optimisée ». C'est très différent. Les économies optimisées ne sont pas résilientes. Cette nouvelle économie devra être fonctionnelle, dans de nombreux domaines. En 2010, l'économie de fonctionnalité devient une nécessité pour éviter la crise que nous connaissons. Une économie de fonctionnalité est une économie circulaire, une économie numérisée et plus inclusive que celle d'aujourd'hui.

Pour inventer cette économie résiliente au Covid-19 et à d'autres défis, nous devrons traiter deux sujets en même temps. Le Medef s'est fendu d'un courrier, avec plusieurs autres fédérations, à destination des ministères de tutelle, faisant état d'une nécessité de simplifier les contrats, pour des raisons d'offre et de demande. Il n'est pas possible de traiter de la même façon dans la crise les 300 grandes entreprises françaises, qui disposent de davantage de ressources en R&D, en innovation, en structures, en expertise, en capacité financière, pour enjamber cette crise et inventer l'économie de demain. Les 3,5 millions d'entrepreneurs indépendants risquent quant à eux de mettre la clé sous la porte s'ils ne bénéficient pas d'aides immédiates. Entre ces deux extrêmes naviguent 5 000 ETI et 150 000 PME. Il faut tenir compte de ce maillage. Il n'y a pas une seule économie : il faut faire les deux au même moment. Simplifier la vie au maximum de ceux pour qui c'est une question de survie ; faire en sorte de continuer à tendre les incitations données aux grandes entreprises pour qu'elles continuent à tirer l'économie de demain.

Je terminerai cette longue introduction en revenant à la question que vous posiez sur le nouveau modèle économique et alimentaire. Les modes de calcul qui érigent les indicateurs utilisés par nos gouvernements français et européens pour évaluer la performance de leurs politiques économiques ne sont pas suffisants pour construire l'économie résiliente dont nous avons besoin. L'utilisation du PNB par habitant comme l'indicateur décidant des niveaux de déficit, d'endettement, de contraintes, d'objectifs, etc., est très perfectible et pourrait être nocive si nous voulons inventer l'économie de demain. Les ressources naturelles ne comptent pour rien dans cet indicateur. Le rythme de notre croissance a également un impact sur le stock de ressources renouvelables, puisque nous ne laissons pas à ces ressources le temps de se renouveler. C'est le cas emblématique de la pêche. Les ressources halieutiques ont été divisées par 2, 5, 10, voire réduites à 0 parfois, en raison de la surpêche. Or ces éléments ne sont pas traduits dans le PNB.

Il me semble donc nécessaire de travailler sur d'autres indicateurs. Le PNB ne prend pas en compte la captation du carbone par les sols, qui est pourtant nécessaire. Nous avons la chance d'avoir une grande agriculture en France, secteur, qui, en Europe, émet autant de gaz à effet de serre que l'industrie. Mais sa capacité à capter du carbone est connue et doit être valorisée. Les incitations doivent être mises en place à l'échelle européenne, et pas seulement française, pour des questions d'équité. Cela sera nécessaire pour atteindre la souveraineté alimentaire en Europe, et donc en France. 60 % des protéines consommées en Europe sont importées de zones où la déforestation et les émissions de GES sont fortes. Nous devons donc protéger nos agricultures et assurer leur résilience en réinsérant davantage de carbone dans le sol.

Les rendements de blé ont commencé à baisser et cette baisse est amenée à se poursuivre, en raison du changement climatique et de la fréquence des événements climatiques extrêmes. La construction de la résilience est essentielle.

Pourtant, la vente de moins de pesticides, de moins d'intrants et de tracteurs différents risque de faire baisser le PNB, qui ne permet donc pas de prendre la réalité en compte. Les mécanismes de solidarité qui sont en train d'être mis en place n'apparaissent pas dans le PNB.

J'ai vécu en Algérie, en Chine, j'ai énormément voyagé en Asie, etc. Nous n'imaginons pas la résilience d'économies telles que celle du Bangladesh, qui repose à 70 % sur une économie informelle, échappant au PNB. Ces économies de cash, informelles, font également vivre le continent africain, alors qu'elles n'apparaissent pas dans les PNB. Ces systèmes locaux doivent être valorisés dans le modèle que nous entendons développer.

Merci de m'avoir offert ce temps d'expression.

Debut de section - PermalienPhoto de Franck Montaugé

Bonjour à tous. J'ai beaucoup aimé votre intervention, Monsieur le Président-directeur général, car vous posez la question de l'après-crise, dans toutes ses dimensions, notamment celle de la valeur que l'on doit accorder aux choses et au lien social, au-delà de l'économie.

Pour le domaine alimentaire, j'ai cru comprendre que vous prôniez une reconsidération des chaînes de valeur. Je partage cette idée, mais je voudrais savoir comment, dans cette chaîne de valeur alimentaire, vous envisageriez la revalorisation de l'amont, de la production, premier élément de cette chaîne. Le revenu de nos producteurs est crucial. Je ne souhaite pas d'économie administrée, mais il convient de mieux prendre en compte la valeur en amont de la chaîne de production.

Par ailleurs, j'ai travaillé au Sénat sur la question des indicateurs de richesse. Vous avez magnifiquement évoqué ce point, notamment concernant l'insuffisance du PIB. Cette question se pose également au niveau de la rémunération des agriculteurs. Êtes-vous favorable à la définition d'une prestation pour services environnementaux dans nos mécanismes agricoles européens, qui permettait de valoriser les modes de culture favorisant la captation du carbone dans les sols ?

Il existe différents systèmes d'indicateurs au-delà du PIB au niveau mondial : les objectifs de développement durable, l'initiative mieux-vivre de l'OCDE et les nouveaux indicateurs de richesse proposés par une députée écologiste en France. Ce sujet touche à l'une de nos missions de parlementaires : l'évaluation des politiques publiques. C'est pourquoi les indicateurs sont cruciaux dans le monde complexe dans lequel nous évoluons.

Debut de section - PermalienPhoto de Évelyne Renaud-Garabedian

Merci, Monsieur le Président-directeur général, pour la clarté et la précision de votre exposé liminaire. Cependant, votre réalisme me fait un peu peur.

Pourriez-vous revenir sur la stratégie de Danone à l'international ? Ce groupe résiste bien à la crise actuelle, mais anticipez-vous des conséquences de cette crise sur votre développement ?

Vous avez par ailleurs noué un partenariat avec la Fintech C2FO, qui permet un paiement immédiat des factures de vos fournisseurs, sans passer par une banque. Pouvez-vous détailler cette solution de paiement ?

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Duplomb

Je suis sénateur du département de la Haute-Loire, qui produit 420 millions de litres de lait chaque année, dans un département de montagne où la population vit à l'altitude moyenne la plus élevée de France. Vous collectez du lait sur une partie de mon territoire, sur les plus hauts plateaux du Massif central, entre la Haute-Loire et l'Ardèche. Vous indiquez vouloir favoriser les zones tampons et la biodiversité, alors que les villes concentrent de plus en plus de gens et prennent de plus en plus de place. Vous indiquez que ces zones tampons devraient être une chance pour la sécurité de notre pays.

Or depuis quelques années, le groupe Danone cherche à supprimer sa part de collecte dans le département de la Haute-Loire. Pour mettre votre discours en conformité avec vos actes, pouvez-vous me confirmer l'engagement de Danone de continuer à collecter en Haute-Loire ? Puisque vous souhaitez favoriser les zones tampons, êtes-vous prêts à élargir votre collecte ?

Je souhaite vous inviter sur mon département. Si la biodiversité est représentée par le nombre d'arbres ou de haies en bordure de parcelles, il y a 50 ou 60 ans, elle était sans doute dix fois moins importante qu'aujourd'hui sur mon département. Monsieur le Président-directeur général, je vous invite chez moi en Haute-Loire, afin que vous vous rendiez compte de cette réalité.

Debut de section - Permalien
Emmanuel Faber, président-directeur général de Danone

Tout d'abord, pour notre activité Produits laitiers frais, nous collectons 100 % de notre lait localement, autour de nos laiteries. C'est le cas en France, où nous collectons en moyenne dans un rayon de 50 kilomètres autour de nos cinq laiteries, dans des exploitations de 50 à 70 bêtes. C'est également le cas en Allemagne et dans tous nos grands pays. Nous sommes donc en contact de cet écosystème laitier.

En ce qui concerne nos prix, nos accords n'ont pas changé depuis 15 ans. Ces accords tiennent compte des coûts de production, de la marge sur l'alimentation et sont pluriannuels. Le recours aux marchés spots est infinitésimal dans nos achats. Depuis très longtemps, nous maintenons de très bonnes relations avec nos organisations de producteurs en France. Sur le marché spot, le lait est à 180 euros/tonne, ce qui est aberrant. Nous le payons pour notre part aux alentours de 360 euros/tonne.

Les écarts constatés sur les bassins laitiers sont liés aux différences de conditions d'exploitation. Les évolutions des volumes de collecte sont liées à l'évolution des marchés. Chaque Français consomme 25 à 27 kilogrammes par an de produits laitiers frais, ce qui fait de la France le deuxième pays consommateur de produits laitiers frais dans le monde. Danone a choisi de se focaliser sur ce métier et, par exemple, de ne pas faire de fromage, activité beaucoup plus consommatrice de lait. Nous ne nous diversifierons pas.

Ce positionnement a posé des questions de baisse de la collecte, que nous avons accompagnée, notamment avec notre programme Horizon 2015, qui a permis à certains chefs d'exploitation de prendre leur retraite, après que nous leur avons financé des trimestres complémentaires. Ces chefs d'exploitation ont ainsi pu passer la main à de jeunes agriculteurs, que nous avons aidés à s'installer. Nous avons donc accompagné la décrue de notre collecte dans certaines zones et avons fait le choix de la valorisation, pour payer un prix qui était très au-dessus du marché. D'autres marques ont choisi d'autres voies, ce qui a distordu le marché.

Pour répondre plus directement à votre question portant sur l'amont, je répète que nous ne payons pas le véritable coût de l'alimentation en France. La spirale déflationniste des 15 dernières années est suicidaire pour l'ensemble de la filière.

Pour la première fois, le 26 février 2020, Danone a publié un résultat net en intégrant la charge carbone que représente l'ensemble de ses émissions carbone dans le monde. Ce résultat net est ainsi deux fois inférieur au résultat net comptable calculé traditionnellement. Je m'exprimerai lors de l'assemblée générale de juin auprès de nos actionnaires, en leur disant que, si nous versons des dividendes au-delà de cette limite, cela signifie que nous leur versons de l'argent alors qu'ils n'ont pas assuré le futur de notre entreprise, reposant sur l'agriculture, elle-même reposant sur la décarbonation. Nous ne payons donc pas le véritable coût de l'alimentation. Nous avons habitué les Français à une alimentation de qualité, mais qui ne permet pas de faire vivre sur le long terme la filière qui les approvisionne.

Nous nous dirigeons donc nécessairement vers des réarbitrages. L'alimentation qui allait de soi par le passé, dans laquelle les consommateurs faisaient confiance aux grandes marques et à l'agriculture, est terminée. Les gens se rendent compte maintenant de l'enjeu de l'alimentation, comme nous le constatons d'ailleurs dans le monde entier au travers de cette crise. Nous devrons être en capacité de proposer des produits moins chers. Je constate que les gens font de plus en plus attention à leur alimentation et souhaitent des produits contrôlés et locaux. J'espère cependant que cette préférence pour le local ne sera pas exclusive, car cela entraînerait la fin des exportations agricoles. À l'échelle européenne, nous avons besoin d'une réponse coordonnée.

En ce qui concerne les indicateurs, je suis favorable à un mécanisme d'intervention carbone aux frontières de l'Europe, de sorte que les produits qui ne respectent pas les normes de biodiversité, de carbonation, etc., soient pénalisés. À l'inverse, nous devons être en capacité de construire une agriculture assurant la souveraineté des Européens, et donc de la France.

S'agissant du mécanisme de PSE (paiement pour services environnementaux), il peut être envisagé sous l'angle de la biodiversité. Effectivement, il n'y a pas eu autant de forêts en France depuis très longtemps. Mon propos portait cependant sur la biodiversité cultivée et domestiquée, chaînon manquant entre la biodiversité sauvage et le milieu urbain. Les États-Unis comptent environ 9 millions de vaches laitières, dont 93 % sont des Holstein. Des études menées par l'université de Pennsylvanie et s'appuyant sur la génétique de 60 000 bêtes ont permis ainsi de remonter à deux taureaux des années 1960 et 1970. Le niveau de sélection et de spécialisation est donc particulièrement élevé, ainsi que le niveau de consanguinité, qui se monte à 8 % ou 10 % aux États-Unis. Ces élevages très intensifs et concentrés semblent particulièrement risqués quant à la résistance du système alimentaire américain. Cette question de la biodiversité domestiquée et cultivée est essentielle. Les semences actuelles vont se retrouver face à des difficultés à l'aune des changements climatiques en cours. Il sera ainsi très difficile de cultiver du maïs dans 30 ans dans de nombreux endroits de France. Il faut donc trouver d'autres cultures, ou d'autres semences de maïs, pour produire de la biodiversité cultivée.

Chez Danone, nous avons fait le choix de nous baser sur les indicateurs du développement durable de l'ONU. C'est ainsi que nous pilotons notre Groupe aujourd'hui, avec ces 9 objectifs correspondant à ces indicateurs de développement durable. Pour sortir de cette crise et nous orienter vers cette économie, nous souhaitons atteindre ces objectifs non pas à horizon 2030, mais 2025.

Oui, cette crise va modifier notre stratégie. Depuis très longtemps, nous sommes guidés par la vision « Une planète, une santé ». Cette crise montre que nous ne pouvons pas tenir compte de la santé des humains sans tenir compte de la santé de la planète. L'alimentation doit redevenir fondamentalement une richesse locale. La biodiversité des cultures alimentaires est un facteur de sécurité alimentaire mondiale. Nous dépendons aujourd'hui d'une demi-douzaine de plantes au niveau mondial, couvrant 75 % des besoins des calories humaines. Cette situation est absurde. La standardisation optimise, mais n'est pas résiliente. Il faut donc repartir du local. S'alimenter, ce n'est pas uniquement se nourrir, mais c'est aussi de la culture. L'alimentation doit donc s'enraciner dans un environnement et une agriculture locale. Cette agriculture s'insère également sur un environnement adapté localement. Cette crise va nous amener à accélérer la localisation de nos prises de décision, la fabrication de nos recettes, etc., même si, aujourd'hui déjà, 95 % des produits Danone sont vendus dans les pays où ils sont fabriqués.

Je ne suis par ailleurs pas en mesure de répondre à votre question relative à la Fintech, car je ne connais pas suffisamment bien cette application. Il s'agissait cependant de favoriser des systèmes désintermédiés et rapides.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Chatillon

Merci, Monsieur le Président-directeur général. J'apprécie beaucoup votre intervention, notamment concernant l'environnement social.

Ces dernières années, la France était en plein développement au niveau agroalimentaire, mais cette courbe s'est infléchie depuis trois ou quatre ans.

Comment la reprise de l'agroalimentaire et de l'agriculture s'opèrera-t-elle dans un monde transformé ? Dans ce cadre, n'estimez-vous que nous devrions interdire l'entrée de produits qui ne sont pas règlementaires en France ? Ces produits sont souvent dangereux, alors qu'ils entrent sur le marché sans que personne ne s'en émeuve.

Debut de section - PermalienPhoto de Martial Bourquin

Merci, Monsieur le Président-directeur général, pour votre exposé de très grande qualité. Vous avez signé une lettre appelant à une relance verte pour l'économie européenne, afin que la réponse à la crise que nous traversons puisse aider la France et que nous puissions atteindre nos objectifs climatiques. Le secteur agroalimentaire a un rôle tout particulier à jouer dans cet effort, notamment dans la réduction du suremballage, la préférence aux circuits courts et la lutte contre le gaspillage. Quels seraient selon vous les outils indicatifs concrets qui permettraient de progresser sur ces différents points ? Quels types d'investissements sont nécessaires ? La commande publique a certainement un grand rôle à jouer, notamment dans la restauration collective.

Je suis très heureux qu'un grand décideur tel que vous preniez une position pour une véritable cause verte de l'économie.

Debut de section - PermalienPhoto de Valérie Létard

Merci, Monsieur le Président-directeur général, pour cette présentation qui nous montre combien la tâche est immense et combien il est important de se saisir de l'opportunité de la relance de notre économie. Nous sommes à la croisée des chemins et c'est maintenant qu'il faut se poser les vraies questions.

Pendant la crise que nous traversons, l'industrie agroalimentaire a été reconnue comme activité essentielle à la Nation par le ministre de l'Économie. La production, la transformation et la distribution de produits agricoles avaient été reconnues comme activités stratégiques, avec la possibilité pour l'État français de filtrer les investissements étrangers. Que pensez-vous de cette évolution ? Avez-vous déjà ressenti les effets de cette protection supplémentaire ? Votre industrie fait-elle face à un risque de prédation de la part des puissances étrangères ?

Alors qu'il est beaucoup question de relocalisation, dans le secteur alimentaire et agroalimentaire, la France est active de bout en bout. Comment préserver cet atout industriel implanté dans nos territoires ? Danone est présent dans 25 pays du monde, ce qui peut sembler paradoxal. Nous assistons en effet à un besoin de relocalisation dans une société mondialisée. Quel est votre point de vue sur ces sujets ?

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Gremillet

Monsieur le Président-directeur général, vous avez raison, les pandémies à travers le monde vont au rythme de nos sociétés. Le doryphore était venu par bateau et le Covid-19 est arrivé par avion.

Selon vous, allons-nous assister à une redistribution de la présence humaine sur nos territoires, avec davantage de personnes en milieu rural ? La distribution pourrait-elle être organisée différemment ?

La crise actuelle soulève de nombreuses questions. Vous avez évoqué un prix rémunérateur, considérant que le prix de l'alimentation ne reflétait pas son véritable coût en France. Néanmoins, après trois semaines de situation difficile, nous constatons que ce sont les produits aux prix les plus bas qui sont achetés en priorité, notamment parce que les ressources des ménages baissent. Cette crise devrait ainsi entraîner un effet durable sur notre économie et notre pouvoir d'achat. C'est une équation difficile à résoudre.

J'ai beaucoup apprécié votre exemple des États-Unis, relativement à la race bovine Holstein. La France est le pays du monde comptant la plus grande diversité raciale bovine et caprine. Il s'agit d'un patrimoine génétique fabuleux, auparavant financé par les pouvoirs publics et les paysans, alors qu'il l'est aujourd'hui uniquement par les paysans. Comment conserver cette sécurité et cette biodiversité à des fins alimentaires dans cette situation ?

Concernant le carbone, ne craignez-vous pas que nous nous exposions à un échec ? Le débat français relatif à la relocalisation fait en effet suite à un échec des politiques sociales environnementales françaises et européennes. Je voudrais vous entendre sur la stratégie européenne qui permettra de ne pas se retrouver dans ce constat d'échec.

La souveraineté alimentaire est essentielle. Pour être un bon paysan, il ne faut pas balayer le grenier pour donner à manger à ses vaches le dernier jour de l'année, mais il faut une capacité de stockage.

Debut de section - Permalien
Emmanuel Faber, président-directeur général de Danone

Ces questions sont passionnantes.

Cher Alain, en effet, il faut absolument que la DGCCRF fasse son travail. Des sanctions et des audits sont prévus. Ils doivent donc être appliqués, à plus forte raison dans la présente situation.

J'ai signé une lettre sur la relance verte et l'Union européenne est en train de se doter avec le green deal d'un dispositif qui va lui permettre de prendre en compte le schéma carbone de l'agriculture. Nous discutons avec le commissaire à l'agriculture, le marché intérieur, etc. de l'intérêt de mettre en place un dispositif d'intervention carbone aux frontières de l'Union Européenne.

Effectivement, la capacité de stockage est fondamentale. De ce point de vue, la coordination entre la France et l'Europe a très bien fonctionné pendant cette crise, puisque l'aide au stockage privé a été déclenchée par l'Union européenne voici une dizaine de jours pour de nombreux produits agricoles, comme les pommes de terre, le lait, la poudre de lait, etc.

En ce qui concerne la réduction des emballages, il ne faut pas ralentir. Chez le consommateur, le suremballage est perçu comme une nuisance, puisqu'il consiste en des opérations de tri supplémentaires. Il n'en demeure pas moins qu'il assure une forme de sécurité alimentaire en évitant la dégradation et le gaspillage des produits sur les palettes. Il faut que la législation continue à aller dans le bon sens. Je voudrais profiter de cette tribune que vous m'offrez pour dire que je regrette que le système de consigne des bouteilles en plastique en France ne soit pas au rendez-vous des engagements de la France ni du souhait des Français (88 % d'entre eux sont favorables à la consigne). Il s'agit là d'un rendez-vous manqué et je vous invite à saisir la prochaine possibilité en la matière, car la consigne est fondamentale.

De même, il ne faut surtout pas interdire les emballages biosourcés. Pour l'heure, il n'y a pas de filière en la matière, du fait de l'absence de recherche. Si nous commençons à favoriser la recherche dans ce domaine, une filière existera sous dix ans. Il s'agira même là de la filière du futur, qui permettra de sortir du fossile. Chez Danone, nous avons même pris l'engagement de ne plus utiliser de polystyrène pour nos pots de yaourt sous cinq ans. Pour travailler sur le recyclage de nos bouteilles, nous avons besoin de la consigne. La France vient de rater une opportunité dans ce domaine. Aucun pays sans consigne n'a atteint 90 % de taux de recyclage. Un malentendu a été entretenu en France relativement au coût de la mise en place de cette disposition, mais nous savons parfaitement financer les 150 à 200 millions d'euros de manque à gagner des collectivités locales liés à la mise en place de la consigne.

Je suis très favorable aux circuits courts, qui sont l'un des éléments de résilience de notre modèle. En France, il existe des programmes alimentaires territoriaux, excellents outils, mais insuffisamment utilisés, qui permettent de décider collectivement de la stratégie alimentaire d'un territoire. Ces programmes donnent un cadre qui permet une action collective. Il est donc possible de modifier les règles de sécurité alimentaire. La résilience correspond ainsi à la gestion du risque. Le circuit court fait en effet prendre davantage de risque en matière de sécurité alimentaire mais favorise des modes de production traditionnels et artisanaux.

Effectivement, l'activité agroalimentaire a été caractérisée comme essentielle. Le Gouvernement fournit un travail remarquable. La filière s'est particulièrement bien coordonnée à la grande distribution, aux syndicats agricoles et aux industriels, avec des contacts quotidiens avec le ministre de l'agriculture et le ministre de l'économie pendant les trois premières semaines de la crise. Aujourd'hui, nous avons le sentiment d'être soutenus et entendus dans les aménagements qu'il a fallu effectuer pour nous adapter à la situation.

Concernant le risque de prédation, je suis mal placé pour en parler. Danone est présent dans une quarantaine de pays. En Indonésie, nous avons deux grandes marques, l'une dans l'alimentation infantile et l'autre dans l'eau. Toutes deux sont présentes dans ce pays depuis 50 ans pour l'une et 70 ans pour l'autre. Il s'agit de marques indonésiennes, avec des équipes indonésiennes. D'une façon générale, nous travaillons ainsi avec des équipes locales. La question de la prédation pose celle de la forme d'économie que nous construisons. Nous avons la volonté d'être une entreprise à mission et il me semble fondamental de réécrire le logiciel de l'économie en France en Europe pour inscrire la responsabilité sociale, sociétale et environnementale au coeur de l'économie. C'est d'ailleurs le cas avec la loi PACTE. Dans ce contexte, la question de la prédation se pose beaucoup moins. En Indonésie, sommes-nous prédateurs de la marque avec laquelle nous travaillons depuis des décennies ? Je ne le crois pas. Ces sujets posent la question du type d'acteurs que nous accueillons en France. Il est en effet possible que les acteurs internationaux favorisent une certaine forme d'unification et de dialogue dans un monde qui se fragmente.

Monsieur Gremillet a raison de souligner la diversité raciale des animaux en France. La Holstein représente 70 % du cheptel, mais, depuis plusieurs années, les autres races sont de nouveau en croissance, notamment en Haute-Normandie, du fait d'une initiative de la Région.

Il est sans doute encore trop tôt pour l'affirmer, mais nous devrions effectivement assister à l'émergence de nouveaux comportements, y compris issus de la néo-ruralité. Des zones urbaines devraient s'en trouver déconcentrées, ce qui devra s'accompagner d'une réorganisation de la distribution et d'autres services.

Il est suicidaire pour la filière de rechercher les prix les plus bas. Nous avons été les pilotes du système Nutriscore, qui se marie mal avec cette recherche. Danone s'est donné pour mission de proposer une alimentation construisant la santé dans le temps, ce qui, nécessairement, représente un coût. Même pour les ménages les plus modestes, nous nous dirigeons vers un réaménagement des arbitrages budgétaires. L'État doit jouer un rôle incitatif sur ce sujet, notamment en agissant sur le plan règlementaire. Nous devrons nous demander si nous avons besoin d'un smartphone hyper perfectionné et fabriqué en Chine ou si nous voulons mieux manger, en valorisant le rôle de la chaîne alimentaire. Il me semble d'ailleurs que la crise actuelle aura contribué à revaloriser ce rôle dans l'imaginaire collectif des Français.

Sur le contrôle des prix, la DGCCRF doit faire son travail. La recherche du prix le plus bas ne doit pas se traduire par de la sous-valorisation alimentaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Franck Menonville

Merci pour vos propos, Monsieur le Président-directeur général, et la modernité de votre vision. Vous avez évoqué la refonte du logiciel économique, au sein duquel compte la grande distribution, qui domine en France depuis de nombreuses années, avec une forte concentration des centrales d'achats. Nous constatons également l'émergence du e-commerce. Vous avez évoqué l'évolution du comportement des consommateurs. Comment analysez-vous l'évolution de la distribution ? Quelle est votre stratégie pour accompagner cette évolution ?

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Labbé

Bonjour à tous. Je m'en serais voulu de ne pas assister à cette audition. Il est en effet particulièrement rare d'entendre des propos aussi révolutionnaires de la part d'un dirigeant de multinationale. Nous avons besoin de tirer les leçons de la crise actuelle, qui est révélatrice.

Comme vous l'avez dit, l'agriculture doit utiliser moins de pesticides, moins d'intrants, moins de gros matériels. Comment prendre cette situation en compte ? C'est ainsi que nous connaîtrons le véritable coût de l'alimentation, tenant compte de la biodiversité cultivée, mais aussi sauvage.

Quel est votre point de vue sur les systèmes de polyculture élevage, en lien avec la relocalisation ? Que pensez-vous des accords de libre-échange bilatéraux ?

Debut de section - PermalienPhoto de Roland Courteau

Bonjour, Monsieur le Président-directeur général. J'ai apprécié le passage de votre intervention concernant l'indicateur PNB qui ne rend pas compte de la réalité. La captation du carbone dans les sols est un sujet essentiel, sur lequel j'ai travaillé dans le cadre de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). Ce sujet entretient un rapport majeur avec la lutte contre le changement climatique, puisque l'augmentation du stockage du carbone dans les sols contrebalancerait les émissions de GES.

Comme vous l'avez dit, nous devons assurer notre souveraineté et notre sécurité alimentaire et in fine nourrir les 9 milliards d'habitants que comptera la planète.

J'ajoute à l'intervention de Franck Montaugé qu'en lien avec l'INRAE, nous avons calculé qu'étant donné le potentiel de stockage du carbone en Europe (environ 115 millions de tonnes par an), il serait possible de rémunérer les agriculteurs européens à hauteur de 30 à 35 euros la tonne de carbone enfouie. Cette mesure représenterait 6 % du budget de la PAC. Ainsi, les rendements seraient accrus et la sécurité alimentaire assurée, mais les agriculteurs percevraient un complément de rémunération et les émissions de GES seraient contrebalancées.

Il serait en outre opportun de stopper l'artificialisation des sols.

Merci, Monsieur le Président-directeur général, d'avoir insisté sur ce sujet, alors que cette initiative « 4 pour 1 000 », lancée en 2015, est internationale.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Raison

Je souhaitais faire une remarque concernant l'agriculture française. Monsieur le Président-directeur général, vous êtes très écouté et reconnu. Je vous saurais gré de ne pas assimiler les méthodes excessives d'un certain nombre de pays à celles de l'agriculture française. Nous souffrons beaucoup de ces assimilations inopportunes.

Je souhaiterais également vous poser une question. Effectivement, nous devons nous doter de davantage de biodiversité cultivée et proposer des prix du lait plus élevés. Cependant, n'y a-t-il pas une contradiction avec votre spécialisation dans le produit frais ? Pour diversifier l'agriculture, il ne faudrait pas produire que des yaourts. Cette spécialisation dans des produits à valeur ajoutée élevée ne constitue-t-elle pas une contradiction avec votre volonté affichée de changer les méthodes de diversification et de relocalisation ?

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Daunis

Merci, Monsieur le Président-directeur général, pour la qualité de cet entretien.

Je partage profondément votre intervention sur la biodiversité cultivée, d'autant que nos mécanismes de normes l'ignorent et privilégient la protection des espèces. Je suis intéressé par une note sur vos réflexions en la matière et les actions que vous menez, en France et à travers le monde.

En 2015, la population mondiale avoisinera les 9,7 milliards d'habitants. Dans cette perspective, une étude de la FAO préconise d'augmenter la production mondiale agricole de 50 %, sans production supplémentaire de gaz à effet de serre. Même si on sait que le gaspillage est évalué à 30 % de cette production, ne pensez-vous pas que ces deux injonctions sont orthogonales ? Comment considérez-vous cet objectif, en lien avec la relocalisation, la lutte contre l'artificialisation des sols, la permaculture, etc. ?

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Cabanel

Merci, Monsieur le Président-directeur général, de votre vision très intéressante. Je rejoins l'intervention de Monsieur Montaugé concernant la rétribution des services environnementaux. Nous avions d'ailleurs organisé un débat au sein du Sénat sur ce sujet.

Vous avez fait état de votre volonté de changer de modèle agricole. De nombreux agriculteurs français souffrent aujourd'hui, car ils ne sont pas rémunérés à leur juste valeur, ce qui pousse certains d'entre eux au suicide.

La PAC se traduit par de nombreux échecs. Faut-il changer de cap pour cette PAC, dans la mesure où le budget proposé pour la prochaine programmation risque de fortement diminuer ? Ne devrions-nous pas nous orienter vers une agriculture plus vertueuse et plus respectueuse de l'environnement ?

Debut de section - Permalien
Emmanuel Faber, président-directeur général de Danone

Merci pour ces questions.

Danone travaille en permanence à son adaptation à la grande distribution et au e-commerce, notamment dans le format de nos produits, qui répond à ces différentes exigences. Les formats d'hypermarché perdureront sans doute durablement, avec un rôle différent entre les zones semi-rurales et les zones urbaines. Dans les premières, ils continueront sans doute de jouer un rôle moteur. Nous nous dirigeons également peut-être vers des réseaux de plus grande proximité. De plus, la livraison à domicile, quelle que soit sa forme, devrait voir son importance augmenter.

Nous nous adaptons donc à ces mouvements, par nos formats, nos modes de communication, les applications que nous développons, etc.

Je reste très en lien avec l'agriculture paysanne, en France bien sûr, mais aussi en Inde et en Afrique. Je suis persuadé que ce modèle est l'un des modèles de demain. Il faut ainsi renouer avec une agriculture qui soit plus qu'une agriculture de subsistance, qui soit autonome et, si possible, indépendante. La polyculture répond à ces enjeux. Je constate ainsi partout dans le monde que, sans élevage ni polyculture, il n'y a pas de survie de l'agriculture familiale. Il convient donc d'ancrer ce modèle au coeur du modèle européen pour le futur.

Au sujet des pollinisateurs, la European Crop Protection Association a fait en sorte de repousser les révisions des tests sur les néonicotinoïdes à 2021, ce qui est très grave. Il faut faire en sorte que ces tests soient appliqués à cet horizon.

Les accords de libre-échange bilatéraux sont très complexes. L'OMC pourrait reconnaître l'intégration du carbone, la biodiversité ou le caractère régénérateur de l'agriculture comme condition au sein d'accords bilatéraux, ce qui n'était pas possible il y a 20 ans. La conditionnalité est nécessaire, comme nous avons voulu le proposer dans l'accord Union européenne/Mercosur.

En ce qui concerne l'initiative « 4 pour 1 000 », je la soutiens sans réserve. Je ne manque pas une occasion d'en faire la promotion. Nous en sommes participants et moteurs.

Effectivement, il ne faut pas assimiler l'agriculture française à des pratiques que nous pouvons observer dans d'autres pays. J'essaie de faire la part des choses à ce titre.

La question de la spécialisation est intéressante. Selon moi, lorsqu'un éleveur dépend entièrement d'un contrat pluriannuel selon lequel une seule entreprise garantit 100 % de ce contrat, je ne suis pas certain qu'il travaille à sa résilience ou à son autonomie. La diversification du portefeuille de clients me semble ainsi très importante. L'autonomisation des territoires au travers de la valorisation de la production agricole sur le territoire même me semble très importante, en complément de modèles tel que celui de Danone, qui demeure industrialisé. Je répète également l'importance des programmes alimentaires territoriaux, qui peuvent englober ce type d'approches.

Pour revenir à la question de Monsieur le Sénateur Daunis, je demanderai à mon équipe de vous transmettre un document. L'année dernière, devant l'ONU, j'ai lancé une coalition relative à la biodiversité rassemblant 20 des plus grandes entreprises alimentaires et textiles concernant la biodiversité cultivée. Ces entreprises se sont engagées en faveur de la biodiversité, car elles ont conscience que, de plus en plus, l'importance de la biodiversité se pose dans les chaînes agricoles situées à l'amont. De plus, en demandant du local, comme c'est le cas dans le monde entier, les consommateurs demandent de la biodiversité.

Au sujet de la FAO et des besoins de nourrir 9 milliards de personnes, la lutte contre le gaspillage alimentaire sera centrale. Nous ne parviendrons sans doute pas à l'anéantir, mais nous pouvons accomplir d'énormes progrès dans ce domaine. Nous avons d'ailleurs inscrit ces objectifs dans la biodiversité.

Il faut mettre en place un modèle de vases communicants. Désormais, les grandes villes africaines, qui étaient auparavant très dépendantes d'importations, reposent pour plus de la moitié d'entre elles sur des agricultures de maraîchage, dans des rayons de 50 à 150 km autour d'elles. Il s'agit là d'une forme de résilience, car ces agricultures locales sont les seules qui permettront de répondre aux besoins de ces populations. Ce ne sont pas les multinationales qui nourriront 9 milliards de personnes. Ces dernières doivent en effet acquérir leur souveraineté alimentaire, ce qui passe par une souveraineté agricole locale la plupart du temps. Pour ce faire, il faut accepter que la trajectoire carbone augmente en Afrique, en Inde, au Bangladesh, etc. En Europe, nous avons de notre côté la responsabilité de diviser par deux les émissions carbone de notre agriculture.

Je vous invite à lire le rapport publié par un think tank français à la fin de l'année 2018 concernant la souveraineté alimentaire en Europe. Ce rapport décrit un modèle dans lequel l'élevage se poursuit, mais de meilleure qualité. Les coûts de santé sont réduits, ce qui permet d'investir dans la transition agricole.

Je voudrais vous dire une dernière chose : cette invention d'une autre économie, pour qu'elle soit acceptable en démocratie, doit passer par une compréhension du futur de leur emploi par tous nos concitoyens. Il est évident que la crise qui s'annonce va abîmer les acquis sociaux et qu'il va falloir faire des arbitrages. Il faut un programme qui permette d'enjamber le court terme pour inventer demain. C'est à cela que l'argent de l'État doit servir en ce moment, en plus de la survie des micro-acteurs, qui en ont vraiment besoin. Il faut inventer les emplois de l'après-demain. Chez Danone, pendant cette période de chômage partiel, nous avons par exemple fait le choix de poursuivre la formation, pour que nos collaborateurs sortent de cette période avec des compétences additionnelles, qui construiront leur employabilité au sein de l'entreprise. Cette question de la formation et de la préparation aux emplois de demain est critique.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Merci, Monsieur le Président, pour cet échange de très grande qualité. Vous avez fait allusion à la consigne plastique et nous pourrions rediscuter de ce point d'une façon plus technique. Vous avez également parlé de l'équilibre à trouver entre résilience et optimisation.

Un autre chantier important a trait à la reconnaissance des indicateurs, comme la captation carbone, dans notre stratégie économique européenne. Nous devrons aussi résoudre quelques contradictions, dans nos politiques publiques ou privées.

Merci pour cette première étape, qui ouvre la voie à une réflexion importante.

En raison de l'heure avancée, je vous propose de ne pas aborder le deuxième point de notre ordre du jour, que nous pourrons traiter à un autre moment.

La réunion est close à 11 h 40.