Intervention de Emmanuel Faber

Commission des affaires économiques — Réunion du 6 mai 2020 à 9h30
Audition de M. Emmanuel Faber président-directeur général de danone en téléconférence

Emmanuel Faber, président-directeur général de Danone :

Merci pour ces questions.

Danone travaille en permanence à son adaptation à la grande distribution et au e-commerce, notamment dans le format de nos produits, qui répond à ces différentes exigences. Les formats d'hypermarché perdureront sans doute durablement, avec un rôle différent entre les zones semi-rurales et les zones urbaines. Dans les premières, ils continueront sans doute de jouer un rôle moteur. Nous nous dirigeons également peut-être vers des réseaux de plus grande proximité. De plus, la livraison à domicile, quelle que soit sa forme, devrait voir son importance augmenter.

Nous nous adaptons donc à ces mouvements, par nos formats, nos modes de communication, les applications que nous développons, etc.

Je reste très en lien avec l'agriculture paysanne, en France bien sûr, mais aussi en Inde et en Afrique. Je suis persuadé que ce modèle est l'un des modèles de demain. Il faut ainsi renouer avec une agriculture qui soit plus qu'une agriculture de subsistance, qui soit autonome et, si possible, indépendante. La polyculture répond à ces enjeux. Je constate ainsi partout dans le monde que, sans élevage ni polyculture, il n'y a pas de survie de l'agriculture familiale. Il convient donc d'ancrer ce modèle au coeur du modèle européen pour le futur.

Au sujet des pollinisateurs, la European Crop Protection Association a fait en sorte de repousser les révisions des tests sur les néonicotinoïdes à 2021, ce qui est très grave. Il faut faire en sorte que ces tests soient appliqués à cet horizon.

Les accords de libre-échange bilatéraux sont très complexes. L'OMC pourrait reconnaître l'intégration du carbone, la biodiversité ou le caractère régénérateur de l'agriculture comme condition au sein d'accords bilatéraux, ce qui n'était pas possible il y a 20 ans. La conditionnalité est nécessaire, comme nous avons voulu le proposer dans l'accord Union européenne/Mercosur.

En ce qui concerne l'initiative « 4 pour 1 000 », je la soutiens sans réserve. Je ne manque pas une occasion d'en faire la promotion. Nous en sommes participants et moteurs.

Effectivement, il ne faut pas assimiler l'agriculture française à des pratiques que nous pouvons observer dans d'autres pays. J'essaie de faire la part des choses à ce titre.

La question de la spécialisation est intéressante. Selon moi, lorsqu'un éleveur dépend entièrement d'un contrat pluriannuel selon lequel une seule entreprise garantit 100 % de ce contrat, je ne suis pas certain qu'il travaille à sa résilience ou à son autonomie. La diversification du portefeuille de clients me semble ainsi très importante. L'autonomisation des territoires au travers de la valorisation de la production agricole sur le territoire même me semble très importante, en complément de modèles tel que celui de Danone, qui demeure industrialisé. Je répète également l'importance des programmes alimentaires territoriaux, qui peuvent englober ce type d'approches.

Pour revenir à la question de Monsieur le Sénateur Daunis, je demanderai à mon équipe de vous transmettre un document. L'année dernière, devant l'ONU, j'ai lancé une coalition relative à la biodiversité rassemblant 20 des plus grandes entreprises alimentaires et textiles concernant la biodiversité cultivée. Ces entreprises se sont engagées en faveur de la biodiversité, car elles ont conscience que, de plus en plus, l'importance de la biodiversité se pose dans les chaînes agricoles situées à l'amont. De plus, en demandant du local, comme c'est le cas dans le monde entier, les consommateurs demandent de la biodiversité.

Au sujet de la FAO et des besoins de nourrir 9 milliards de personnes, la lutte contre le gaspillage alimentaire sera centrale. Nous ne parviendrons sans doute pas à l'anéantir, mais nous pouvons accomplir d'énormes progrès dans ce domaine. Nous avons d'ailleurs inscrit ces objectifs dans la biodiversité.

Il faut mettre en place un modèle de vases communicants. Désormais, les grandes villes africaines, qui étaient auparavant très dépendantes d'importations, reposent pour plus de la moitié d'entre elles sur des agricultures de maraîchage, dans des rayons de 50 à 150 km autour d'elles. Il s'agit là d'une forme de résilience, car ces agricultures locales sont les seules qui permettront de répondre aux besoins de ces populations. Ce ne sont pas les multinationales qui nourriront 9 milliards de personnes. Ces dernières doivent en effet acquérir leur souveraineté alimentaire, ce qui passe par une souveraineté agricole locale la plupart du temps. Pour ce faire, il faut accepter que la trajectoire carbone augmente en Afrique, en Inde, au Bangladesh, etc. En Europe, nous avons de notre côté la responsabilité de diviser par deux les émissions carbone de notre agriculture.

Je vous invite à lire le rapport publié par un think tank français à la fin de l'année 2018 concernant la souveraineté alimentaire en Europe. Ce rapport décrit un modèle dans lequel l'élevage se poursuit, mais de meilleure qualité. Les coûts de santé sont réduits, ce qui permet d'investir dans la transition agricole.

Je voudrais vous dire une dernière chose : cette invention d'une autre économie, pour qu'elle soit acceptable en démocratie, doit passer par une compréhension du futur de leur emploi par tous nos concitoyens. Il est évident que la crise qui s'annonce va abîmer les acquis sociaux et qu'il va falloir faire des arbitrages. Il faut un programme qui permette d'enjamber le court terme pour inventer demain. C'est à cela que l'argent de l'État doit servir en ce moment, en plus de la survie des micro-acteurs, qui en ont vraiment besoin. Il faut inventer les emplois de l'après-demain. Chez Danone, pendant cette période de chômage partiel, nous avons par exemple fait le choix de poursuivre la formation, pour que nos collaborateurs sortent de cette période avec des compétences additionnelles, qui construiront leur employabilité au sein de l'entreprise. Cette question de la formation et de la préparation aux emplois de demain est critique.

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