Intervention de Jean-François Guégan

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 20 mai 2020 à 9h30
Biodiversité — Audition de M. Jean-François Guégan professeur à l'école des hautes études en santé publique membre du conseil national français sur les changements globaux sur le thème « crise environnementale et pandémie »

Jean-François Guégan, directeur de recherche à l'Institut national de recherche agronomique et professeur à l'Ecole des hautes études en santé publique :

Un professeur d'infectiologie français qui s'appelait Charles Nicolle avait l'habitude de dire qu'un agent microbien devient pathogène par circonstance, et non pas par nécessité. C'est l'humain, par ses activités et ses pratiques, qui organise son transfert et le rend pathogène.

J'enseigne en médecine à Montpellier, à Angers, ainsi qu'à Paris. Je me rends compte que la perte de connaissance est importante sur les sujets qui nous intéressent, c'est-à-dire l'environnement et la santé. Il serait pertinent que certaines écoles de médecine se spécialisent sur ces sujets. On réfléchit aujourd'hui sur l'apport de la théorie de l'évolution dans la compréhension de la genèse de certaines maladies infectieuses ou chroniques. Il convient donc de former de jeunes médecins dont les esprits soient plus orientés vers des approches évolutives et écologiques. Ainsi, dans ma spécialité, on ne cesse d'alerter sur la résistance aux antibiotiques. Pourtant, on continue de produire ces molécules !

Pour ma part, j'ai été formé, dans les années 1980, dans des unités d'enseignement en parasitologie et en pathologie, par des médecins qui étaient aussi de très grands naturalistes et connaissaient bien le terrain. De nos jours, il est intéressant de le constater, on retrouve ces médecins dont la vision est globale dans les services de santé, les ONG et aussi à l'IRD. Ils ne font pas seulement de la biologie, mais travaillent sur des problèmes d'interface, par exemple les liens entre le niveau de pauvreté des individus et les parasitoses.

Je préconise donc un retour au terrain, pour comprendre la réalité du monde. Traditionnellement, les médecins français partaient d'abord travailler dans des ONG, ce qui leur permettait de connaître vraiment ces problématiques. Aujourd'hui, la médecine est devenue très individualisée, très technologique, très nucléaire, très réparatrice. Ce sont les gens sur le terrain qui peuvent diagnostiquer très rapidement les premiers cas et lancer des alertes. Cela est vrai également pour les vétérinaires.

Il faut aussi former à ces pratiques nos partenaires des pays du Sud, car il existe d'importants problèmes de diagnostic. Ainsi, nous avons des spécialistes en Guyane française capables de détecter les ulcères de Buruli. Or il n'y a aucune raison de penser que la maladie n'est pas présente ailleurs, par exemple au Brésil, puisque les mêmes écosystèmes hébergent les mêmes germes microbiens. Pourtant, la maladie est cataloguée au Brésil comme une leishmaniose cutanée.

La prévention et la science épidémiologique doivent faire l'objet d'un travail de fond. Je vous l'ai dit, je passe mon temps dans les grandes écoles de santé publique britanniques ou nord-américaines, qui travaillent sur les déterminants de santé, alors que la France possède une culture curative, où les aspects santé et environnement ont une acception extrêmement réduite : il s'agit des maladies chroniques, de la toxicologie et de l'écotoxicologie. Ce domaine s'est lui-même fermé à l'infectieux.

Il faut favoriser les approches de terrain avec nos partenaires, car les premiers garants du système d'alerte sont ceux qui seront aptes à déterminer au plus vite une infection. Bien entendu, ils ne doivent pas être muselés, comme on l'a vu en Chine.

S'agissant de l'échelle locale, l'Inrae, que je représente, est tout à fait favorable à des décisions prises en territoire en faveur de pratiques agricoles et d'élevage respectueuses des hommes et de l'environnement. Les trajectoires seraient définies par les communautés locales, puis analysées en fonction de leurs bénéfices et de leurs risques. Je le rappelle, l'agriculture et l'élevage intensifs sont facteurs de risque de transmission infectieuse. Le retour aux races animales me paraît essentiel car elles sont génétiquement garantes d'une plus grande résilience face aux infections et parasitoses. C'est également vrai dans le domaine végétal, où l'on parle de variétés. Il s'agit là de diversité biologique, plus exactement de diversité génétique, qu'il faut absolument réintroduire dans nos systèmes agricoles et d'élevage.

Il est donc nécessaire non seulement d'accorder la priorité aux échelles locales en la matière mais aussi d'instaurer des collaborations avec nos partenaires du Sud. Nous avons vu ces dernières années la création de jumelages entre des villes ou des villages situés, d'une part, en France et, d'autre part, au Mali ou au Sénégal.

S'agissant du rôle de l'OMS et du règlement sanitaire international, c'est aussi un problème politique. Selon moi, les organisations internationales ont perdu de la puissance. Pour ma part, je suis catastrophé par la quasi-absence de l'OMS dans les discours tenus à l'heure actuelle. Au fil du temps, ces institutions ont été de moins en moins bien dotées. Sans doute convient-il de réfléchir à leur réorganisation à la lumière des dernières avancées scientifiques. Ainsi, à chaque fois qu'il y a eu un département sciences environnementales et santé à l'OMS, les choses ont toujours très bien fonctionné. La santé des humains, des animaux et des plantes dépend des conditions environnementales dans lesquelles les populations vivent.

Par ailleurs, nombre de ces institutions sont dirigées par des personnes formées dans les années 1960 à des pratiques de zootechnie. Elles n'ont pas assimilé toutes les nouvelles notions. Par exemple, il est très important de considérer le rôle que l'élevage mondial peut avoir sur le changement climatique. La France et l'Europe doivent agir en faveur d'une reprise en main de ces institutions. L'OMS, par exemple, a été très déstabilisée, notamment en Afrique, par les financements de grandes fondations, comme celle de Bill et Melinda Gates. C'est un sujet très préoccupant.

Peut-on modéliser la propagation d'une épidémie ? Nous sommes capables de produire des cartes. Le programme américain US Predict avait très bien prévu l'éclosion de cette épidémie. Il vient d'être arrêté tout simplement parce qu'il collaborait avec le laboratoire virologique de Wuhan. Nous manquons de ressources humaines. En France, nous ne sommes que quatre à six chercheurs seniors à travailler sur ces sujets, deux à trois seulement de manière spécialisée. Nous pourrions former une vingtaine de jeunes chercheurs mais nous avons du mal à obtenir des crédits, car nous ne produisons que de la science de corrélation. Qu'est-ce que le fait scientifique quand on ne peut pas démontrer par l'expérimentation que la cause est à l'origine de la conséquence, cette conséquence devenant elle-même la cause d'une autre conséquence dans un système linéaire chaotique ? Je considère que le formalisme de la science actuelle ne permet pas de répondre à ces questions planétaires.

Nous sommes trop peu nombreux pour modéliser de manière suffisante. Les chercheurs britanniques et américains dominent le sujet, même si quelques Français collaborent avec eux.

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