Le virus Nipah est transmis par des chauves-souris géantes qui vivaient initialement en Indonésie. La déforestation pour la plantation de palmiers à huile les en a chassées, de sorte qu'elles ont trouvé refuge à Singapour, en Malaisie et au Bangladesh. Elles disséminent à travers leurs urines des particules d'un virus extrêmement virulent et pathogène, mortel à 70 %. Or en Thaïlande, on continue à fertiliser des manguiers de manière artificielle pour augmenter la production, alors même que cela attire ces chauves-souris, très friandes de mangues. Elles viennent les consommer dans les vergers et y déposent des particules virales qui se transmettent ensuite aux porcs puis aux éleveurs et aux agriculteurs. Voilà comment on augmente le risque de contamination à travers des pratiques agricoles de fertilisation. Des équipes du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) ont analysé cet exemple. C'est tout à fait le type de recherches que nous préconisons, fondé sur un travail avec les populations locales qui sont exposées dans leurs pratiques.
Quant aux projets alimentaires territoriaux, ils doivent effectivement inclure une dimension sanitaire au sens large, en prenant aussi en compte les maladies chroniques. Nos collègues de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) ont mené un travail original qui montrait que la distribution des cas de la maladie de Parkinson était liée au développement de certaines pratiques agricoles, comme l'utilisation de pesticides ou d'insecticides. On observe ainsi les taux de maladie de Parkinson les plus élevés en France dans certains vignobles très appréciés. Dans ces mêmes régions, la biodiversité en oiseaux et en insectes a tendance à diminuer de manière importante. Et pourtant, alors que la cause est la même, il reste difficile d'établir le lien entre les risques pour la santé humaine, la pollution des écosystèmes et la perte de la diversité biologique.
Il y a deux ans, dans le cadre du Plan national santé environnement, nous avions fait remonter des documents préconisant une compréhension en territoires des aspects sanitaires des populations humaines. Il s'agissait de prendre en compte les différents types d'agriculture, les modes de consommation et les risques sanitaires associés. Voilà à quoi il faut tendre. En mettant en place des observatoires, nous pourrons établir des corrélations qui nous en diront beaucoup. Si l'on observe un taux de maladie de Parkinson ou un taux de cancer élevé dans un même territoire et à un même moment, alors que les sols et les eaux sont riches en pesticides, fongicides et autres polluants, il faut pouvoir en tirer des conclusions.
Il est essentiel de réintroduire de la diversité dans la politique agricole française et européenne. Pour l'instant, nous n'utilisons que six à sept variétés végétales. Il suffirait qu'elles soient très sensibles à un virus ou à un champignon parasite qui serait introduit sur le sol français pour que tout le stock de production soit fragilisé. Plutôt que de fabriquer des clones, nous devons réintroduire de la diversité génétique à tous les étages. C'est une garantie et un premier rempart contre les virus.
Voyez ce qui se passe en Afrique, où l'on ne cultive plus qu'une seule variété de riz dans la partie ouest et centrale du continent. En créant des boulevards de rizières, on a favorisé la dissémination du virus de la panachure jaune du riz qui détruit plants et production. Pourtant, 30 ou 40 ans en arrière, rien qu'au Sénégal, on trouvait plusieurs variétés de riz, chacune adaptée aux conditions différentes de manque d'eau.
Concernant la limitation de l'élevage intensif, on parle bien de transition agricole. J'ai moi-même travaillé dans l'industrie agro-alimentaire du Grand Ouest, pendant deux ans, au nord de Vannes. Si on a mis des animaux en chambre d'élevage, c'est aussi pour les mettre sous cloche, c'est-à-dire les protéger de tout danger infectieux. Désormais, le retour des troupeaux dans les champs pose problème. Comment évaluer le risque d'une nouvelle menace sanitaire, notamment infectieuse ? Les ovins et les caprins, pour la plupart en élevage semi-extensif, sont très sensibles à des infections ou des parasitoses qu'on ne sait pas soigner. L'évolution doit se faire progressivement, avec un passage de transition, sans changement immédiat ou radical. Beaucoup d'études ont été réalisées sur la transmission des grippes aviaires. En Inde, ce ne sont ni les grands élevages ni les petits élevages qui sont le plus à risque de transmission mais les élevages de poulets. Il faut développer la recherche agricole pour comprendre ce genre de phénomènes.
Le changement climatique et les maladies infectieuses constituent mon deuxième sujet de travail. Il m'a conduit à collaborer avec des physiciens du climat, que ce soit au niveau français, européen ou international. La question a déjà fait couler beaucoup d'encre, pas forcément toujours à bon escient. On a parlé, par exemple, de la remontée du moustique tigre en France, à partir du sud de l'Europe jusqu'aux départements atlantiques et même au sud de Paris. Pourtant, le moustique tigre ne remonte pas à cause du changement climatique. Il embarque à chaque fois qu'un touriste venu visiter le sud de la France ouvre son coffre de voiture avant de repartir dans la région de Nantes ou d'Auxerre. Il embarque aussi dans les camions, le long des autoroutes, dans les containers cargo sur les trains et aussi les avions.
Un article a fait la synthèse des 450 à 500 publications portant sur le lien entre le changement climatique et les maladies infectieuses transmises par des vecteurs. Parmi ces travaux, 52 % montrent un effet significatif du changement climatique, ce qui signifie que 48 % n'en montrent pas ou bien concluent à un effet inverse. J'ai moi-même écrit un article sur Bamako en 2050 qui montre que la circulation du paludisme ne pourra plus se faire car il fera trop chaud et trop sec. Quoi qu'il en soit, l'article synthétique que je mentionnais montre que le sujet a donné lieu à beaucoup d'exagérations, alors qu'on n'en sait pas grand-chose. Sur les 52 % de publications qui concluent à un effet significatif du changement climatique, 90 % n'ont pris en compte que les variables bioclimatiques sans les confronter aux variables anthropologiques, sociologiques, nutritionnelles ou sociales. Or la taille des populations et la pauvreté restent des éléments essentiels pour comprendre la transmission des maladies infectieuses.