Ces sujets doivent être traités de manière collégiale. À titre personnel, je considère que le commerce des espèces est un problème essentiel à résoudre. La conversion vers le pangolin s'est opérée ces dernières années sans doute parce qu'il était devenu difficile pour les Chinois de s'approvisionner en cornes de rhinocéros. Depuis une quinzaine d'années, on favorise l'introduction sur le territoire américain de nouveaux petits animaux de compagnie, avec les risques que j'ai mentionnés lorsque j'ai évoqué la variole du singe.
De nombreux articles montrent qu'un parti pris biaisé s'est développé dans les travaux les plus récents de la recherche. Les scientifiques se sont centrés sur les virus des chauves-souris parce qu'ils disposaient d'un échantillonnage important de ces animaux. Désormais on en sait bien plus sur les virus que sur les bactéries, alors que celles-ci tuent bien plus que les virus. Il faut considérer toutes les populations à fort effectif et à faible diversité génétique concentrées dans certains espaces. Le problème est celui des interfaces entre la faune domestique et la faune sauvage. Se focaliser sur certaines espèces comme les chauves-souris, à la symbolique forte - elles représentent souvent le démon - n'est pas forcément de bonne méthode.
En tant qu'ancien chercheur de l'IRD, je connais très bien les terrains intertropicaux africains. Les propositions que j'ai faites pour élargir les enseignements concernant le développement dans cette zone se sont heurtées à des refus, au motif que ce n'était pas une priorité. De mon côté, je considère qu'une formation sur le terrain et de manière transversale est essentielle. Il faut bien faire comprendre aux populations, décideurs publics comme villageois que, s'il y a des intérêts bénéfiques au développement agricole et à l'élevage, des risques sanitaires existent aussi. D'où l'importance de les accompagner dans le développement des pratiques. C'est un travers de notre société de n'envisager que les bénéfices. Depuis 40 ans, la société française préfère voir la bouteille à moitié pleine et ignorer qu'elle est à moitié vide. Et, par ce choix, elle ne fait qu'accumuler les bouteilles vides tout en écartant ceux qui font preuve d'esprit critique. Subir les crises sans les comprendre est néfaste. Les crises sanitaires sont toujours des crises d'interfaces, liées aux pratiques agricoles et d'élevage.
La nécessité de développer des groupes de recherche interdisciplinaire se heurte à une tradition française trop extrême. Certes, on a besoin de spécialistes mais les scientifiques de culture transversale ont également un rôle à jouer. Les gens touche-à-tout sont précieux. C'est ce type de chercheur qui nous fait défaut. La pluridisciplinarité se développera grâce à des chercheurs curieux.
Notre laboratoire d'excellence en Guyane mène un très joli travail. Il est financé par l'État. Beaucoup des exemples que je vous ai présentés sont issus des travaux effectués en Guyane. Faut-il développer un laboratoire virologique à l'image de celui de Wuhan, en Guyane ? Il y a quinze ans, j'avais suggéré l'idée au ministère de la recherche. Eu égard à la position de la Guyane, ce laboratoire de haute performance pourrait être intéressant. Mais où le placer ? La question n'est pas résolue. En attendant, on a préféré créer le centre de recherche et de veille sur les maladies émergentes dans l'Océan indien (CRVOI), à la Réunion.
Quant à la mutation des virus, elle rend difficile la création des vaccins car elle est d'une capacité énorme et d'un caractère imprévisible. Nos collègues américains avaient prévu qu'il y aurait une crise en Chine sans doute liée à un coronavirus. Mais le virus n'a pas été détecté car c'est une recombinaison entre celui porté par les chauves-souris et celui porté par les pangolins.
La compréhension de ces sujets est au long terme. Le rôle essentiel de la déforestation dans les fièvres hémorragiques du virus Ebola n'est connu que depuis deux ans seulement. C'est en fin de circuit qu'on peut comprendre tout le phénomène. On commence par comprendre l'agent étiologique et on peut désormais séquencer un virus très rapidement - sept semaines seulement pour le coronavirus. Pour autant, on ne connaît rien des territoires d'émergence. C'est là qu'il faut développer notre compréhension. Les sciences vétérinaires ont tout leur rôle à jouer.