Intervention de Guillaume Chevrollier

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 20 mai 2020 à 9h30
Répercussions de la crise de covid-19 sur les secteurs de l'eau et de la biodiversité — Communication de m. guillaume chevrollier

Photo de Guillaume ChevrollierGuillaume Chevrollier :

Nommé « référent » par le bureau de notre commission, j'ai eu en charge depuis le début du confinement le suivi des impacts de la crise que nous traversons sur les secteurs de l'eau et de la biodiversité. Les impacts de la crise sanitaire sur la gestion de l'eau et de l'assainissement, services essentiels à la Nation, ont nécessité des réactions urgentes et immédiates. Je souhaite vous présenter le résultat des consultations que j'ai menées, essentiellement par visioconférence.

S'agissant du secteur de l'eau et de l'assainissement, qui représente environ 30 000 emplois directs et 13 milliards d'euros par an, les opérateurs et les collectivités territoriales ont démontré leurs capacités de résilience, en dépit des nombreuses difficultés opérationnelles recensées, en matière de garde d'enfants et d'organisation de la rotation des équipes : c'est l'un des principaux enseignements de la crise et il est rassurant. Si cette crise illustre le caractère essentiel de l'eau et de l'assainissement, elle rappelle cependant que les personnels qui assurent ces missions sont souvent invisibles, comme dans le secteur des déchets ou de l'énergie. Je salue leur sens de l'engagement et leur mobilisation. Face à une situation inédite, les professionnels se sont organisés rapidement et des échanges quotidiens ont eu lieu avec le Gouvernement et les associations d'élus. Une chaîne de solidarité entre entreprises a également été mise en place. J'attire votre attention sur la situation des Antilles, qui est très problématique en raison des dégâts causés par l'ouragan Irma sur les réseaux et d'un contexte social fragile.

Deuxième enseignement, la crise a mis en lumière l'importance du travail réalisé en matière de digitalisation, qui a permis de basculer vers le télétravail et d'assurer le suivi de l'exploitation et des contrôles qualité. Le choc n'en est pas moins violent. Les opérateurs ont fait face à des baisses d'activité allant de 20 à 80 % en fonction des territoires, amorties grâce au dispositif général d'activité partielle, et ils ont dû absorber des charges imprévues, notamment pour la surveillance et la sécurisation de la filière des boues d'épuration. En outre, ils enregistrent des difficultés importantes en matière de recouvrement des factures d'eau qui pèsent sur leur trésorerie : au report des échéances pour les microentreprises et les TPE, rendu possible par une ordonnance du 25 mars, se sont ajoutés des retards de facturation d'autres clients et la baisse de la consommation d'eau, de l'ordre de 4 à 5 % au total.

D'autres points de vigilance m'ont également été signalés. D'abord, s'agissant des équipements de protection sanitaire. Dans ce secteur comme pour d'autres, il y a malheureusement eu des tensions sur l'approvisionnement lors du passage de l'épidémie au stade 3, qui a porté le besoin en masques à 500 000 par semaine selon les entreprises de l'eau. Le problème a pu être réglé rapidement grâce au pont aérien vers la Chine.

En matière de contrôles d'exploitation et de qualité, les opérateurs ont fait part d'une situation d'insécurité juridique. La priorité a été donnée à l'autocontrôle et certains contrôles ont été reportés. Des instructions ont été publiées par le ministère.

Concernant l'épandage des boues d'épuration, le Gouvernement et les autorités sanitaires ont appelé à mettre en oeuvre le principe de précaution, en stockant ces boues pour éviter tout risque de contamination en l'absence de certitudes établies et en épandant uniquement les boues hygiénisées, avec des contrôles stricts. Les surcoûts sont à la charge des collectivités mais certaines agences de l'eau leur apportent de façon exceptionnelle un soutien financier.

Enfin, 85 départements ont connu des problèmes de sécheresse l'an dernier. Au stress humain et opérationnel pourrait donc rapidement s'ajouter une situation de stress hydrique dans les prochaines semaines. Nous manquons d'un plan global d'adaptation au changement climatique.

Deux pistes de propositions s'offrent à nous pour accompagner le secteur dans la reprise. D'abord, il est indispensable de préserver les investissements identifiés lors des Assises de l'eau. À l'heure actuelle, le secteur consent 6 milliards d'euros d'investissements par an mais les professionnels estiment qu'il faudrait porter ce niveau à 8 à 10 milliards d'euros par an pour assurer un entretien convenable des réseaux, améliorer la qualité de l'eau et préserver la ressource. Les travaux ont baissé de l'ordre de 80 à 90 % pendant le confinement et cela s'ajoute au sous-investissement chronique dans le secteur de l'eau, avec un taux de renouvellement des canalisations qui demeure trop faible, à 0,5 % par an. La reprise rapide des travaux impose bien entendu une clarification relative aux élections municipales et communautaires. Les entreprises de l'eau demandent la mise en place d'un fonds spécial d'amélioration de la qualité de l'assainissement de l'eau potable (Aquae) et attendent beaucoup des nouvelles équipes municipales. Sur ce point, une dérogation pourrait être introduite pour autoriser les collectivités à attribuer des subventions d'équilibre, comme c'est déjà le cas pour les communes de moins de 3 000 habitants.

Je rappelle aussi que les ressources des agences de l'eau sont ponctionnées chaque année au profit du budget général de l'État, avec le fameux plafond mordant. Elles devront être préservées pour accompagner ces changements et soutenir les projets locaux. Nous aurons l'occasion d'en reparler à l'autonome dans le cadre de la discussion budgétaire.

Enfin, les entreprises de l'eau demandent une défiscalisation intégrale des heures supplémentaires pour inciter les collaborateurs à s'investir dans les mois à venir afin de rattraper les retards enregistrés. Elles demandent aussi une exonération de taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) pour les boues non épandables du fait du Covid-19 et qui sont incinérées ou stockées. Nous avions pu aborder certains de ces sujets lors de l'audition de la ministre Élisabeth Borne et j'y resterai attentif.

La crise a fait émerger la question du lien entre santé humaine et destruction des écosystèmes et de la biodiversité - le professeur Guégan en a longuement parlé. Quatre experts mondiaux de la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) ont lancé le 27 avril un appel dénonçant notre responsabilité dans la pandémie de Covid-19. « La déforestation effrénée, l'expansion incontrôlée de l'agriculture, l'agriculture intensive, l'exploitation minière et le développement des infrastructures ainsi que l'exploitation des espèces sauvages », écrivent-ils, « ont créé les conditions parfaites pour la propagation des maladies de la faune aux humains ». Dans le même communiqué, ils ajoutent qu'on estime à 1,7 million le nombre de virus non identifiés, du type connu, pour infecter les humains qui existent encore chez les mammifères et les oiseaux aquatiques. N'importe lequel d'entre eux pourrait être à l'origine, demain, d'une prochaine pandémie encore plus perturbatrice ou mortelle que l'actuelle.

Le directeur de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) France, Sébastien Moncorps, que j'ai entendu en visioconférence, a rappelé que l'OMS estimait à 75 % la proportion des maladies infectieuses qui sont des zoonoses, c'est-à-dire qui sont transmises par des animaux - surtout des animaux sauvages - à l'homme, à l'origine de 700 000 décès par an. Selon lui, la recrudescence de la fréquence et de l'intensité de ces maladies est en lien direct avec la dégradation de l'environnement, notamment par les activités humaines - déforestation, artificialisation des sols, destruction des écosystèmes, commerce illégal d'animaux sauvages et d'espèces protégées. Ce phénomène est accentué par l'explosion démographique, qui augmente l'exposition des populations et accroît la propagation de ces virus. Des études scientifiques ont bien montré une corrélation entre la réduction de la superficie des milieux naturels et l'apparition des maladies infectieuses.

Le professeur Gilles Boeuf, ancien président du Muséum national d'histoire naturelle, nous a également parlé du rôle de régulation et, notamment, de régulation des maladies infectieuses que jouent des écosystèmes fonctionnels diversifiés. Il a qualifié la crise actuelle de « super-alerte » et a rappelé que l'OMS avait mis en garde contre les risques d'une pandémie à grande échelle dès 2003.

De nombreux virus ont déjà été transmis de l'animal à l'homme par le biais d'hôtes intermédiaires au cours des dernières années, qu'il s'agisse d'Ebola, de la dengue, du chikungunya, du virus Zika, du SARS ou encore du virus du Nil occidental.

En ce qui concerne les pratiques et activités humaines à l'origine de ces perturbations écosystémiques, Yann Laurans et Aleksandar Rankovic de l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) en ont mentionné cinq qui constituent des risques au titre de l'émergence des zoonoses et qui devraient, selon eux, structurer le débat de la communauté internationale sur les réponses à apporter à la crise en termes de régulation : les marchés d'animaux sauvages, l'utilisation de la viande de brousse, l'orpaillage clandestin, la déforestation au sens d'un changement d'usage des sols, l'élevage de monogastriques et surtout de volailles, avec la grande concentration et le manque de variété génétique et des questions de l'antibiorésistance.

En second lieu, mes interlocuteurs ont souligné le risque de relégation au second plan des enjeux liés à la protection de la biodiversité sur la scène internationale quand l'urgence sera de relancer les économies.

La secrétaire exécutive de l'IPBES, Anne Larigauderie, s'est inquiétée dans la presse la semaine dernière que ce sujet « perde l'élan qu'il avait commencé à prendre » alors que 2020 devait être une année cruciale pour les négociations internationales sur la biodiversité. Le chamboulement du calendrier des négociations peut être de nature à inquiéter. La COP 15 de Kunming, qui devait avoir lieu à l'automne, est reportée à 2021, vraisemblablement avril, voire mai. Or ce rendez-vous était extrêmement important : il devait conduire à réviser le cadre des objectifs internationaux adoptés en 2010 à Aichi, et à adopter le nouveau guide d'action politique des membres de la Convention sur la diversité biologique d'ici à 2030. Le Congrès mondial de la nature, organisé par l'UICN, qui devait avoir lieu en juin à Marseille, est reporté à janvier 2021.Ces rendez-vous étaient très attendus. L'Iddri nous a indiqué que le redémarrage formel des discussions sur cet agenda devrait avoir lieu en septembre, à l'occasion du sommet de l'Assemblée générale des Nations unies à New York.

Face à ces constats, des pistes d'action pour le monde d'après émergent. Les leçons doivent être tirées, les alertes enfin entendues. Le confinement et le retour d'espèces qu'on ne voyait plus montrent l'incroyable résilience du vivant, comme le rappelait le professeur Gilles Boeuf dans un article de La Dépêche du Midi le 6 avril 2020. En soi, cela doit nous inciter à agir.

La place qui sera donnée à la biodiversité dans le cadre des plans de relance est essentielle. Il paraît incontournable d'identifier prioritairement les secteurs économiques favorables à la biodiversité afin de ne pas « subventionner de futures pandémies », pour reprendre les mots des experts de l'IPBES que je citais précédemment. En tout état de cause, ces plans devront favoriser sur un même niveau les investissements favorables à la préservation de la biodiversité et au climat.

La lutte contre la déforestation importée, pour laquelle la France est en pointe avec la stratégie nationale de 2018, doit être amplifiée. Elle conduit également à poser la question, comme l'a souligné l'Iddri, de la traçabilité et de la durabilité de notre alimentation avec, par exemple, l'affichage environnemental des produits alimentaires - sujet sur lequel l'Ademe a lancé en février un appel à projets. Nous n'avons pas les moyens aujourd'hui de savoir si le cacao ou le soja que l'on achète provient de la déforestation.

Nous avons mis en place, aux niveaux international et national, un outil puissant et efficace : les réseaux d'aires protégées. Nous atteindrons vraisemblablement notre objectif de 30 % en 2030. Mais nous devons amplifier ce mouvement, investir dans la protection des écosystèmes et des espèces sauvages. Si nous disposons du cadre juridique pour le faire, l'impulsion politique doit être renforcée dans tous nos territoires.

De la même manière, si la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages a renforcé les sanctions en matière de lutte contre le commerce illicite d'espèces protégées, les moyens - humains, notamment en matière de formation, mais aussi budgétaires - manquent aujourd'hui. Il faut les renforcer. À titre d'exemple, le directeur de l'UICN nous a rappelé que l'aéroport Charles-de-Gaulle était une des plaques tournantes du trafic d'espèces menacées, notamment d'Afrique vers l'Asie. Les douaniers constatent ainsi une recrudescence du commerce du pangolin, comme l'atteste la saisie record, en 2014, de 250 kg d'écailles de pangolin. Pas moins de 270 tonnes de viande de brousse transitent, en outre, chaque année par Roissy.

Le plan de relance ne pourra pas faire l'impasse sur des investissements massifs dans la recherche - le professeur Guégan en a rappelé l'importance.

Sur le plan de la gouvernance internationale, l'Iddri a rappelé que le temps du multilatéralisme était un temps long et a évoqué plusieurs pistes d'évolution La voie d'un renforcement de la convention sur la diversité biologique pourrait être une option intéressante, même si elle présente une limite, à savoir que les États-Unis n'en font pas partie. La voie d'une extension du mandat de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (Cites), qui ne couvre pas à ce jour les zoonoses, à l'ensemble des espèces susceptibles de transmettre des maladies zoonotiques, pourrait en être une autre, couplée à une amélioration de la coopération avec l'OMS, davantage chargée de la gestion des pandémies que de leur prévention. L'Iddri a également mis en avant la piste d'un mandat qui pourrait être confié sur le sujet de la gouvernance des pandémies par l'assemblée générale des Nations unies à une commission spéciale ou à un organisme existant, notamment afin de favoriser les retours d'expériences des causes et des solutions. Les organisations internationales sont malmenées. Les parlements nationaux pourraient assurer un contrôle et jouer le rôle d'aiguillon.

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