La proposition de loi visant à rendre effectif et à renforcer le plafonnement des frais bancaires constitue une initiative du groupe socialiste et républicain, parmi lesquels nos collègues Vincent Éblé et Rémi Féraud. Elle s'appuie sur des études menées par l'Observatoire de l'inclusion bancaire et par des associations de consommateurs. Ces dernières estiment à 6,5 milliards d'euros le montant des frais d'incidents bancaires payés par les ménages français, chiffre que la Banque de France et la Fédération bancaire française (FBF) contestent cependant.
Le nombre de personnes en situation de fragilité bancaire est estimé à 3,5 millions de personnes environ. Après la crise des « gilets jaunes », le Gouvernement et les responsables des établissements bancaires français ont cherché à juguler l'augmentation des frais bancaires, considérés comme trop élevés pour les ménages modestes, en les limitant à 25 euros par mois pour les personnes en situation de fragilité financière, et à 20 euros par mois pour les personnes ayant souscrit l'offre bancaire spécifiquement dédiée à cette clientèle.
Depuis 1984, plusieurs dispositions législatives contraignantes ont concerné l'inclusion bancaire, de la création d'un droit au compte à la mise en place d'une offre spécifique pour les clients en situation de fragilité financière. La définition de ces publics n'est cependant pas complètement fixée par la loi ni même par voie règlementaire, car il apparaît difficile d'apprécier la situation de chacun selon des critères identiques. De fait, le coût de la vie varie en fonction des régions, de la composition des familles et des choix de vie des ménages. Aussi, la liste des personnes bénéficiaires de l'offre spécifique est-elle laissée à l'appréciation des établissements bancaires à partir de lignes directrices fixées par voie réglementaire, prenant par exemple en compte le niveau des ressources, le nombre d'incidents sur le compte, etc.
Au terme de l'engagement pris par la profession bancaire en décembre 2018, un plafonnement de l'ensemble des frais d'incidents bancaires s'applique pour les clients fragiles financièrement, au-delà du cadre juridique qui plafonne l'ensemble des commissions d'intervention ainsi que certains frais de rejet, pour tous les Français. La proposition de loi élargit le champ du plafonnement auquel les banques se sont engagées à la facturation des frais et des services bancaires dans leur intégralité. Une telle disposition modifierait considérablement la relation entre les clients et les établissements bancaires. En effet, les services proposés diffèrent d'un établissement à l'autre et relèvent de la politique commerciale. Le texte reviendrait donc à contraindre les banques dans leur stratégie commerciale. En France, de telles dispositions coercitives sur les prix de services n'existent que dans le secteur de l'électricité.
La proposition de loi prévoit un plafonnement réduit, au maximum à un tiers du montant général, pour les personnes ayant souscrit l'offre spécifique. Il s'agit d'une offre de services limitée, par exemple, à une carte à autorisation systématique et sans autorisation de découvert. Sur les 3,5 millions de personnes en situation de fragilité bancaire, 497 000 personnes en bénéficient. En 2018, il est apparu que l'offre spécifique, introduite par la loi en 2013, n'était pas suffisamment diffusée. Depuis la rencontre entre le Gouvernement et les établissements bancaires faisant suite à la crise des « gilets jaunes », 110 000 nouveaux clients l'ont souscrite. Les associations de consommateurs expliquent le recours encore limité au dispositif par son caractère stigmatisant et par le fait qu'il ne correspond pas toujours aux besoins des ménages. De fait, d'autres offres, à l'instar du compte Nickel proposé par BNP-Paribas, rencontrent un large succès.
Si je partage l'objectif de limiter les frais bancaires pour les personnes les plus fragiles, l'idée de plafonner l'ensemble des services et des frais bancaires de toute nature me semble quelque peu hasardeuse, et pourrait même présenter des risques constitutionnels au titre de la liberté de la concurrence.
Le texte propose, en outre, qu'un président de conseil départemental, un président de centre communal d'action sociale (CCAS) ou la Banque de France puissent enjoindre un établissement bancaire à proposer l'offre spécifique à l'un de ses clients. Or, les banques doivent déjà proposer l'offre spécifique à leurs clients en difficulté, tandis qu'un travailleur social peut assister toute personne en situation de fragilité dans le cadre des démarches bancaires. Dès lors, l'intervention d'un tiers dans le dispositif ne semble pas nécessaire. Elle existe en matière de droit au compte. Or j'observe que, selon l'Observatoire de l'inclusion bancaire, seules deux désignations sont intervenues en 2018 à la suite de l'intervention d'un CCAS et d'une association de consommateurs.
Au regard de mes observations, je vous propose de ne pas adopter la présente proposition de loi, trop contraignante et risquée pour les opérateurs bancaires comme pour les clients. La crise actuelle rend d'autant plus essentiel le rôle des banques dans le développement et le soutien de l'économie. Elles doivent, à cet effet, disposer des moyens suffisants. En outre, le risque existe que le réseau bancaire, dense dans notre pays, ne s'étiole au profit des services numériques.