Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, notre collègue Muriel Jourda vient de le souligner, ce projet de loi relatif à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne peut être qualifié de texte « fourre-tout ».
Quelques-unes de ses dispositions intéressent la commission des finances. Je veux notamment citer celles qui sont liées au risque juridique qu’entraînerait la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, en particulier pour ce qui concerne la sécurisation des contrats d’assurance vie pour les ressortissants français et l’introduction de règles adaptées pour la gestion des placements collectifs et pour les plans d’épargne en actions.
Toutefois, je souhaite concentrer mon propos sur l’article 3 du texte, délégué au fond par la commission des lois à la commission des finances, qui n’est pas sans poser un certain nombre de difficultés. Cet article habilite le Gouvernement à prendre par ordonnances, dans un délai de douze mois, les mesures relevant du domaine de la loi pour prescrire le dépôt, sur les comptes du Trésor, des disponibilités non seulement des personnes morales soumises aux obligations de la comptabilité publique, mais également des organismes publics ou privés chargés d’une mission de service public.
Certains organismes, dont les collectivités, que nous connaissons bien ici, ont d’ores et déjà l’obligation de déposer leurs fonds auprès du Trésor ; je pense aux établissements publics de santé ou à certaines personnes morales de droit privé ou public, et l’article 26 de la loi organique relative aux finances publiques (LOLF) prévoit une obligation similaire pour les collectivités territoriales et leurs établissements publics. Pour vous donner un ordre de grandeur, les dépôts des différents organismes qui déposent leurs comptes auprès du Trésor représentaient 128, 4 milliards d’euros au 31 décembre 2019.
Je le rappelle, puisqu’il y a, à ce sujet, des amendements et des inquiétudes chez certains collègues : la centralisation de ces trésoreries ne revient pas à une appropriation, par l’État, de ces dépôts ; simplement, l’État joue, en quelque sorte, le rôle de teneur de compte, comme une banque le fait pour un particulier.
Par ailleurs, cette obligation de centralisation souffre quelques aménagements : ces organismes peuvent demander une dérogation, si, par exemple, ils requièrent des services que l’Agence France Trésor ou que la direction générale des finances publiques ne pourraient leur fournir.
En outre, la centralisation des dépôts me semble présenter un certain nombre d’avantages, en matière de gestion des deniers publics, notamment celui de réduire le coût des émissions de titres de financement par l’État. Ce sujet, celui de la dette, est sensible cette année, puisque, je vous le rappelle, l’État devra emprunter – j’espère que, contrairement à moi, vous êtes bien assis – 324, 6 milliards d’euros sur les marchés… Ainsi, le fait de pouvoir centraliser un certain nombre de dépôts diminue ipso facto le coût de l’endettement de la France.
Néanmoins, il y a des interrogations. La commission des finances ne s’oppose pas sur le fond ou par principe à la centralisation des dépôts, mais, pas plus que les rapporteurs qui viennent de s’exprimer, elle ne valide la méthode employée par le Gouvernement pour introduire ce dispositif dans le projet de loi.
Tout d’abord – cela a été dit par Muriel Jourda –, le champ de l’habilitation est beaucoup trop large, puisqu’il fait référence aux « organismes publics ou privés chargés d’une mission de service public ». C’est tellement large que, même à l’Assemblée nationale, le Gouvernement a dû se défendre en expliquant qu’il n’incluait pas les fédérations sportives – il valait mieux l’écrire que le dire – ni les ordres professionnels ; il a même dû exclure expressément du champ de l’article 3 la trésorerie des caisses de retraite.
L’habilitation est donc beaucoup trop large et le Gouvernement n’est pas en mesure de citer – peut-être le ministre pourra-t-il le faire – ne serait-ce qu’un organisme visé au travers de cette centralisation des trésoreries.
En conséquence, il n’est pas possible de savoir dans quelle mesure une ordonnance doit être prévue et, dans un certain nombre de cas, on peut même se demander s’il s’agit d’une mesure réglementaire ou législative.
Enfin, il me semble prématuré d’inscrire ces dispositions dans le présent projet de loi, puisque, manifestement, le Gouvernement n’a pas encore commencé les concertations indispensables avec les différents organismes. Il serait donc sans doute plus utile de profiter d’un prochain texte. On nous annonce un projet de loi de finances rectificative (PLFR) ; il faudrait sans doute attendre ce texte ou, à tout le moins, avoir commencé les consultations nécessaires, avant de prévoir une ordonnance, sur le fondement d’une habilitation qui est, je le répète, beaucoup trop large.
Tous ces éléments expliquent la position de la commission des finances en faveur de la suppression de l’article 3. Peut-être le ministre pourra-t-il nous convaincre, en citant les organismes visés, de le garder et nous expliquer pourquoi une mesure législative est nécessaire, mais, à ce stade et faute d’explications, nous ne pouvons que vous proposer la suppression de cet article.