Intervention de Didier Marie

Réunion du 26 mai 2020 à 14h30
Diverses dispositions liées à la crise sanitaire à d'autres mesures urgentes ainsi qu'au retrait du royaume-uni de l'union européenne — Discussion générale

Photo de Didier MarieDidier Marie :

Monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, disons-le d’emblée, ce projet de loi relatif à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne ne nous convient pas.

J’évoquerai, tout d’abord, la méthode.

Voilà des mois que le Gouvernement veut un Parlement aux ordres : systématisation de la procédure accélérée, recours massif aux ordonnances, conditions déplorables d’examen des textes. Avec l’état d’urgence sanitaire, ces mauvaises pratiques se sont encore amplifiées. Certes, la crise sanitaire, économique et sociale nécessite d’agir vite, mais pas au prix du mépris du Parlement.

Monsieur le ministre, vous qui êtes chargé des relations avec le Parlement, sachez que nous n’acceptons pas d’être dessaisis de notre capacité de faire la loi ; nous n’acceptons pas de nous satisfaire d’une habilitation puis d’une loi de ratification que, la plupart du temps, nous attendons longtemps ; nous n’acceptons pas qu’il ne nous reste qu’à « encadrer » des ordonnances et à vous laisser gouverner seuls. Nous ne nous habituons pas à ce que vous confiniez le Parlement ; nous sommes là pour faire la loi, pour la nourrir, par le dialogue et l’échange, et pour agir en responsabilité.

Avec ce texte, vous nous livrez la quintessence de votre conception du travail parlementaire : à l’origine, le projet de loi ne contenait pas moins d’une quarantaine de demandes d’habilitation. Le Conseil d’État s’en est ému et l’Assemblée nationale, suivant l’avis de cette institution, les a ramenées à 24.

Sans colonne vertébrale, sans lien entre les articles, ce texte est un fourre-tout, un salmigondis, un enchaînement de cavaliers législatifs dont l’essentiel n’a pas de lien avec la crise sanitaire. Quel rapport entre la justice des mineurs, les chèques-restaurant, les victimes des essais nucléaires, les volontaires internationaux, la situation des doctorants, la réglementation des ventes à perte ou encore le Brexit ? Un véritable inventaire à la Prévert…

La commission des lois du Sénat a fait, comme à l’accoutumée, son travail avec sérieux. Je salue les options proposées par sa rapporteure pour ramener le nombre des habilitations à 10, pour réduire la durée de celles-ci, pour transposer certaines dispositions dans le dur de la loi et pour supprimer un certain nombre de dispositions. À cet égard, je souligne l’initiative unanime de la commission des finances de proposer la suppression de l’article 3, par lequel le Gouvernement s’apprêtait à faire main basse sur la trésorerie de toute une série d’institutions, dont on ne connaît d’ailleurs même pas la liste.

Si, sur la forme, les avancées sont significatives, nous regrettons que la commission ne nous ait pas suivis sur le fond, car l’esprit de ce texte reste préoccupant. Au détour de mesures anecdotiques se tapissent un certain nombre de mauvais coups, avec, je le regrette, l’assentiment de la majorité sénatoriale.

Ainsi, l’article 1er decies porte subrepticement atteinte aux droits des travailleurs en assouplissant les règles d’encadrement des contrats à durée déterminée et de contrats de mission, favorisant ainsi une plus grande précarité.

Autre exemple, pour répondre au besoin de main-d’œuvre agricole, le Gouvernement porte la durée de séjour des travailleurs saisonniers étrangers de six à neuf mois, mais sans droits nouveaux, et il autorise les étudiants étrangers à travailler jusqu’à 80 % du temps sans prévention pour la qualité de leurs études. Voilà une main-d’œuvre bon marché : vous appelez cela « pragmatisme » ; nous répondons : « utilitarisme » !

Dernier exemple – nous aurons l’occasion d’en citer d’autres –, l’utilisation des volontaires internationaux pour remédier aux lacunes en ressources humaines du ministère des affaires étrangères.

D’autres sujets nous préoccupent, notamment en matière de justice, comme l’extension de l’expérimentation des cours criminelles sans évaluation ni recul, alors que, dans le même texte, on souhaite mobiliser plus de jurys populaires. De même, nous nous inquiétons de l’absence de débat parlementaire sur la réforme de la justice des mineurs et du report de sa mise en œuvre.

Enfin, nous proposons de supprimer l’article 4 relatif aux conséquences du Brexit, considérant que ce sujet nécessite à lui seul un débat approfondi et plus large que les seuls sujets abordés dans ce texte, dès que le Royaume-Uni aura fait connaître, le 1er juillet prochain, son intention de prolonger ou non la période de transition.

Monsieur le ministre, ce texte, que vous aviez intitulé, à l’origine, « projet de loi portant diverses dispositions urgentes » n’a rien d’un texte d’urgence pour répondre aux conséquences de la crise du Covid-19.

Pour notre part, nous avions déposé un certain nombre d’amendements pour répondre à cette crise : prolongation du chômage partiel, gratuité des masques, confirmation du droit à l’interruption volontaire de grossesse, protection des jeunes vulnérables, sécurisation du droit au séjour, soutien aux collectivités locales, sécurisation des parcours d’insertion, maintien du versement des pensions alimentaires par les CAF, etc. Nous regrettons que la commission ait, une fois de plus, fait un usage extensif de l’article 45 de la Constitution, nous privant d’un débat sur bon nombre de ces sujets.

Monsieur le ministre, pour nous, l’urgence est sociale. Ce projet de loi est malheureusement vide de mesures pour y répondre.

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