Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce projet de loi nous interpelle à la fois par ce qu’il contient et par ce qu’il ne contient pas.
Je commencerai, bien évidemment, par ce qu’il contient.
Nous traversons une crise d’une exceptionnelle gravité, qui impose des mesures tout aussi exceptionnelles. Vous en avez pris certaines, comme le chômage partiel qui a probablement évité des faillites en nombre et leur corollaire, les pertes d’emplois – tout du moins pour le moment. Au fur et à mesure qu’apparaissent les difficultés, vous avez besoin d’adapter les différents dispositifs.
Si nous comprenons que vous devez agir dans l’urgence, nous n’admettons pas la mise à mal du travail parlementaire, pas plus que celle du dialogue social. Cette frénésie d’habilitations qui mène, entre autres, à une mise aux enchères moins-disantes du code du travail ne peut durer plus longtemps.
Ce projet de loi a notamment pour objectif de modifier le régime des contrats à durée déterminée, à rebours de ce qui avait été acté en 2017 : depuis les ordonnances Travail, les entreprises ne pouvaient retoucher ces contrats qu’à la seule condition d’offrir des garanties au moins équivalentes à celles des accords de branche. Si ce texte était adopté en l’état, ce ne serait plus le cas : jusqu’à la fin de l’année, les conventions d’entreprise pourront fixer le nombre maximal de renouvellements d’un contrat de travail à durée déterminée, fixer les modalités de calcul du délai de carence entre deux CDD et prévoir les cas dans lesquels ce délai n’est pas applicable. Dans cette nouvelle configuration, les dérogations pourraient être négociées au sein de l’entreprise pour tous les contrats courts signés avant la fin de l’année. Or nous savons que les syndicats peinent à se faire entendre à cet échelon.
Alors que la démocratie sociale est déjà fragilisée, vous engagez les salariés vers le risque d’un quasi-tête-à-tête avec leurs employeurs, ce qui peut s’avérer très compliqué en cette période. Vous affirmez vouloir protéger les salariés les plus précaires et, dans le même temps, vous gravez dans le marbre la libéralisation du régime des CDD.
Vous ouvrez aussi la porte à une modification du fonctionnement des comités sociaux et économiques (CSE) et vous permettez l’utilisation des réserves de certains régimes de retraite à des fins d’aides sociales. Certes, le tout pour un temps a priori déterminé et dans le but, encore une fois, de pallier l’urgence. Promis, nous dites-vous, ça s’arrêtera là. Vous savez pourtant que l’enfer peut être pavé de bonnes intentions…
Venons-en maintenant à ce que ce projet de loi ne contient pas.
Depuis le 11 mai dernier, notre pays revient peu à peu à la vie. Lentement, prudemment, mais – espérons-le – sûrement. Ce retour à la vie, comme il est de mise après un cataclysme, est saisissant de contrastes. Celui que je relève en premier et auquel je ne peux m’empêcher de faire référence, c’est le changement de discours du Président de la République : après avoir fustigé sur le quai d’une gare « ceux qui ne sont rien », il rend hommage à ces femmes – fort nombreuses – et à ces hommes qui ont tenu le pays depuis le 15 mars dernier en continuant leur travail. Puissent ceux qui les croisent sans jamais les regarder se le rappeler.
Autre contraste, celui de pans de notre économie hier florissants, comme l’aéronautique, le tourisme ou l’automobile, qui se retrouvent, du jour au lendemain, plongés dans l’incertitude la plus totale.
Qu’il s’agisse de ceux qui nous ont maintenus en vie, au sens propre comme au sens figuré, ou de ceux qui, demain, seront menacés de dépression économique, il nous faut tracer des perspectives. Pas des perspectives pour après-demain, ni même pour demain, mais des perspectives immédiates. Or ce projet de loi qui arrive au début du déconfinement ne déconfine pas grand-chose. C’est qu’il vous faut, si vous voulez prendre au mot le Président de la République, détricoter à peu près tout ce que vous avez tricoté depuis trois ans, à savoir votre politique fiscale pour remettre enfin un minimum de justice sociale dans ce pays, à savoir votre vision très élitiste de la société, où seule avait droit de cité la « start-up nation », à savoir votre réforme du chômage, qui s’avérait déjà fort injuste et qui s’avérera inique dans les circonstances actuelles si vous n’y mettez fin, à savoir votre discours lénifiant sur l’égalité femmes-hommes, qui ne trouvait aucune concrétisation réelle.
En fait, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, nous n’avons pas besoin d’un acte de contrition télévisé dont nous doutons d’ailleurs terriblement de la sincérité. Nous voulons des mesures propres à remettre au cœur de la société ceux qui la maintiennent au quotidien et ceux qui en sont exclus. Le tout par une réforme fiscale courageuse et après un vrai débat parlementaire.