Intervention de Muriel Pénicaud

Réunion du 26 mai 2020 à 14h30
Diverses dispositions liées à la crise sanitaire à d'autres mesures urgentes ainsi qu'au retrait du royaume-uni de l'union européenne — Article 1er

Muriel Pénicaud :

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez soulevé beaucoup de questions, et ce sont effectivement celles qui se posent au quotidien.

Avec cette crise sanitaire, nous vivons depuis presque trois mois une situation tout à fait inédite. L’arrêt brutal de l’économie était nécessaire pour endiguer l’épidémie, mais il est survenu comme un coup de tonnerre dans un ciel serein.

Il y a trois mois, on pouvait se réjouir ici même d’une augmentation de 16 % du nombre d’apprentis, d’une baisse du taux de chômage à 8, 1 %, et même à 7, 9 % en métropole : certes, il fallait continuer les efforts, car le chômage restait à un niveau élevé, mais il était au plus bas depuis onze ans. C’était il y a trois mois : cela nous paraît bien loin !

Nous avons apporté un soutien massif et immédiat aux entreprises en veillant à la simplicité des dispositifs. À cet égard, un indicateur est tout à fait intéressant : 60 % des salariés couverts travaillent dans des entreprises de moins de 50 salariés – et je sais combien vous êtes attachés aux PME et TPE. Le chômage partiel a donc bien servi à sauver l’emploi dans nos territoires, car ce sont les TPE et PME qui irriguent notre pays sur les plans de l’économie et de l’emploi.

Toutefois, le temps est venu de faire évoluer le dispositif, car le contexte a changé. Beaucoup de secteurs ont repris. Dans le pays, le taux d’activité est remonté à 65 %. Mais certains secteurs restent à l’arrêt complet, car ils n’ont pas le droit de reprendre. Je pense en particulier aux cafés et restaurants. Or – vous l’avez dit à juste titre à propos des grossistes – beaucoup d’autres secteurs en dépendent directement : eux non plus ne peuvent pas rouvrir aujourd’hui. Si nous voulons différencier, c’est précisément pour que la reprise se poursuive.

Il s’agit tout de même de l’argent des Français ; les montants en jeu sont très élevés – nous en sommes tous conscients – et il faut concentrer l’effort là où l’on en a besoin. Il y a deux mois et demi, on avait besoin d’argent dans tous les secteurs, partout, quelle que soit la taille de l’entreprise. À présent, on en a besoin dans certains secteurs et dans certaines filières pour des raisons structurelles, du fait d’une interdiction plus longue ou de la nature même des métiers exercés.

Par définition, les clients d’un restaurant sont installés les uns près des autres ; ils se retrouvent ensemble, dans la convivialité. Les gestes barrières sont donc plus difficiles à appliquer dans un tel établissement qu’ailleurs. Nous avons élaboré avec les professionnels un guide sanitaire en vue de la réouverture des restaurants et des bars ; ce document sera publié à la fin de la semaine. Mais – on le voit bien –, ces règles seront difficiles à suivre dans la durée.

Il faut coller à la réalité du terrain, en maintenant un effort massif en faveur des secteurs les plus en difficulté tout en accompagnant les autres domaines. Il n’y a aucun couperet ! Nous allons procéder de manière progressive. À mon sens, c’est ainsi que l’État doit assurer la reprise économique en assumant son rôle social.

Concrètement – c’est un paradoxe –, les taux de prise en charge sont définis par voie réglementaire, mais leur différenciation exige un cadre législatif.

Afin d’éviter toute rupture d’égalité, nous allons fixer, par décret, une liste de secteurs sur la base des codes de la nomenclature d’activités française, ou codes NAF. Les bars et les restaurants seront bien sûr inclus, de même que les entreprises qui dépendent complètement d’eux. Un grossiste qui ne vit que parce qu’il alimente les bars doit être pris en compte lui aussi. Les secteurs concernés seront, grosso modo, la restauration, le tourisme, qui est très fortement touché, et de larges pans de la culture et les sports, qui, d’ailleurs, relèvent également du tourisme. Quelques autres secteurs peuvent aussi être concernés.

En procédant par décret, nous pourrons plus facilement nous adapter : selon l’évolution de la situation sanitaire, nous pourrons lever telle ou telle contrainte d’ici à deux ou trois mois, et certaines activités aujourd’hui à l’arrêt pourront reprendre.

La décrue du chômage partiel est amorcée, et heureusement. Depuis le début de la crise, les demandes cumulées des entreprises concernent 12, 8 millions de salariés sur les 20 millions que compte le secteur privé, soit plus de 60 % d’entre eux.

Au mois d’avril dernier, 8, 5 millions de Français ont été effectivement au chômage partiel. En soi, ce chiffre est énorme. Néanmoins, les entreprises ont sollicité le chômage partiel avant de savoir si elles en auraient entièrement besoin. Rassurez-vous : au titre des salariés qui, en définitive, ne sont pas concernés, l’État ne débourse pas un seul centime ! De surcroît, environ la moitié de ces 8, 5 millions de personnes travaillent une partie du temps.

Avec la reprise d’activité, ces situations vont se multiplier. Par exemple, compte tenu des normes sanitaires, tel salon de coiffure ne pourra pas accueillir autant de clients qu’en temps normal : sur ses cinq salariés, trois reprendront le travail et les deux autres resteront quelque temps au chômage partiel.

Il y a quelques jours, je me suis rendue sur un chantier du bâtiment. La semaine dernière, je suis allée, à Valenciennes, sur le site d’une entreprise automobile ; dans ces deux cas, les salariés reviendront en trois vagues.

J’y insiste : c’est important que l’État continue à accompagner les entreprises. Nous n’allons pas, pour toujours, mettre sous perfusion l’économie française. Quand bien même nous en serions capables, cela n’aurait aucun sens, économiquement ou financièrement. En d’autres termes, nous ne nationalisons pas l’emploi !

Après le 1er juin, rien ne changera pour les salariés : leur rémunération restera la même. En revanche, pour les employeurs en dehors des secteurs en difficulté, lesquels conserveront un remboursement à 100 %, l’État remboursera 85 % des sommes dépensées, ce remboursement concernant non plus 70 % du brut, mais 60 %. Les 15 % restants seront à leur charge.

Ainsi, pour un salarié au chômage partiel à temps plein percevant deux fois le SMIC, l’entreprise devra payer 300 euros par mois : l’effort reste donc d’une ampleur très mesurée, mais nous envoyons un signal aux entrepreneurs. Si nous attendons que la situation soit optimale, nous ne pourrons pas redémarrer. Or la France est le pays où l’arrêt de l’économie a été le plus fort.

Il faut repartir ; mais, pour les entreprises, le reste à charge est assez modeste, d’autant que, pour des salariés au SMIC, le chômage partiel demeure intégralement remboursé.

De surcroît, vous avez longuement évoqué l’enjeu de la visibilité et, à juste titre, vous avez beaucoup parlé du tourisme.

La semaine dernière, le comité interministériel du tourisme s’est réuni sous l’autorité du Premier ministre pour défendre notre activité touristique. Vous connaissez ces chiffres par cœur : notre pays accueille, chaque année, quelque 90 millions de touristes étrangers, et le tourisme représente 7 % du PIB en France. Or ce secteur majeur est extrêmement touché par la crise. Nous avons pris, en sa faveur, une série de mesures économiques et sociales, en particulier au titre du chômage partiel : sa prise en charge sera maintenue plus longtemps et à un niveau plus élevé que dans d’autres secteurs, qui, eux, ont pu reprendre.

La visibilité nous impose également d’assurer, pour certains secteurs, un accompagnement spécifique au cours des mois qui viennent, voire pour un ou deux ans dans certains cas.

Je prends de nouveau l’exemple de l’automobile ; ce secteur est en pleine mutation. De surcroît, avec la crise économique et la baisse de la demande, il pourrait subir des plans de licenciements massifs. Le risque est réel.

Vous connaissez la situation de certains de nos constructeurs automobiles ; au moins l’un d’entre eux connaît de graves difficultés. Sa faillite entraînerait à la fois un drame social et, dans des métiers à haute valeur ajoutée, une perte de compétences tout à fait dommageable pour l’avenir.

Nous devons être en mesure d’adapter les dispositifs au cas par cas, selon les entreprises : le cas échéant, au lieu de licencier, il faudra trouver un accord pour que les salariés puissent travailler moins d’heures et que l’État compense en partie le différentiel de temps de travail, afin de limiter la perte du pouvoir d’achat. Pendant les heures « chômées », les salariés pourront bénéficier de formations. Globalement, on accompagnera la mutation de ce secteur, qui, comme le tourisme et la culture, exige de la visibilité. L’aéronautique devra certainement, lui aussi, bénéficier d’un tel plan de relance.

Au-delà des larges filets de protection que nous avons déployés depuis deux mois et demi pour faire face à l’urgence, il va falloir accompagner la relance dans des secteurs appelés à connaître de fortes mutations.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’espère avoir mieux répondu à vos interrogations. Je précise enfin que le fonds de garantie constitué en faveur des indépendants a été largement sollicité. Son deuxième étage, qui relève des régions, est financé par l’État, les régions et les assureurs.

Rien n’est parfait, mais, quand on se compare, on peut dire que l’on a bien protégé notre économie pendant la première phase. À présent, il faut réussir la deuxième phase, à savoir l’accompagnement de la reprise !

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