Intervention de Serge Lagauche

Réunion du 14 octobre 2008 à 21h45
Logement et lutte contre l'exclusion — Discussion générale

Photo de Serge LagaucheSerge Lagauche :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce projet de loi n’est ni un texte de mobilisation pour le logement ni un texte de lutte contre les exclusions : c’est un outil de captation financière destiné à permettre à l’État de mieux se désengager des politiques publiques du logement. En effet, madame la ministre, il porte bien plus la marque de Bercy que celle du ministère du logement, et l’on regretterait presque le temps où la majorité se contentait de ne pas asseoir ses mesures sur des prévisions financières sérieuses et des moyens importants !

La logique gouvernementale à l’œuvre dans tous les secteurs d’intervention de l’État est diablement cohérente : vous êtes passés de la recherche d’économies et du dégraissage des capacités de l’État au détournement des trésoreries encore disponibles. La théorie du bas de laine des organismes d’HLM a été savamment orchestrée et le 1 % logement soigneusement discrédité, pour qu’ils puissent être mieux ponctionnés. Ainsi, les organismes d’HLM seraient à la tête d’une cagnotte de 11 milliards d’euros qu’ils conserveraient au détriment de leur mission de développement du logement social. Or, sur ces 11 milliards d’euros, 4, 7 milliards sont constitués des dépôts de garantie des locataires et des réserves indispensables pour faire face aux travaux d’entretien, aux remboursements d’emprunts, aux impôts fonciers, … et ne sont donc pas mobilisables pour investir. Rapporté aux plus de 4 millions d’appartements gérés par les organismes d’HLM, ce trésor ne représente que 1 500 euros par logement. Et c’est sans compter avec les investissements très importants qui, dans un contexte de désengagement accru de l’État de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, l’ANRU, doivent intervenir pour la poursuite du plan de rénovation urbaine et pour l’application du Grenelle de l’environnement.

Quant à la participation des employeurs à l’effort de construction, plus communément appelée « 1 % logement », elle est carrément détournée pour faire face à la réduction drastique du budget de la politique de la ville et du logement. Pour 2009, la mission « Ville et logement » verra son budget baisser de 7 % : alors que le budget du logement correspondait à 1, 33 % du PIB en 2001, il n’en représente plus actuellement que 1, 1 %.

L’accord conclu la semaine dernière avec les partenaires sociaux, s’il réduit quelque peu la ponction opérée et a donné lieu à des contreparties, ne change rien sur le fond. Il faut dire que le Gouvernement lorgnait depuis un moment les fonds collectés au titre du 1 % logement. À l’idée de les budgétiser, idée remise au goût du jour dans le rapport Attali, il préfère le siphonage… et la mise sous tutelle des organismes collecteurs. Désormais, la définition de l’emploi des fonds se fera non plus conventionnellement, mais par décret : les partenaires sociaux sont dessaisis de leurs prérogatives et cantonnés dans un rôle purement consultatif ; quant au Parlement, il n’a aucun droit de regard. Le pouvoir de l’État est renforcé au sein du conseil d’administration de l’Agence nationale pour la participation des employeurs à l’effort de construction, l’ANPEEC, d’où les partenaires sociaux sont exclus.

Au lieu de rendre plus efficients les outils de l’économie sociale du logement, le Gouvernement les casse, alors même que le 1 % logement, géré paritairement, fait l’objet d’un large consensus entre syndicats de salariés et organisations d’employeurs, ceux-ci étant conscients du fort lien entre accès au logement et développement de l’emploi.

Sur le terrain, dans nos territoires – et tout particulièrement en Île-de-France, où la situation du logement est la plus tendue –, le 1 % logement, par sa réactivité et les complémentarités de ses interventions, est un facteur essentiel du bon fonctionnement de la chaîne du logement. Les maires bâtisseurs d’Île-de-France ont bien conscience du fait que certaines opérations de construction voient le jour grâce au 1 % logement et qu’elles ne sortiraient donc jamais de terre sans l’apport de ce dernier. Ainsi, dans le Val-de-Marne, les subventions du 1 % logement ont profité, en 2007, à 23 opérations PLUS/PLAI portant sur 670 logements, pour un montant de 9, 4 millions d’euros.

Ajoutons à cela la réforme de la dotation de solidarité urbaine, dont le calcul ne prendra plus en compte le nombre de logements sociaux : c’est un coup supplémentaire porté aux maires bâtisseurs ! Votre politique, madame la ministre, va vraiment à l’encontre de ce qu’il faudrait faire.

Le 1 % logement, ce sont aussi les aides individuelles pour le financement des cautions, avec le Locapass, et des travaux dans les résidences principales, avec le prêt Pass-travaux, pour ne citer que les deux plus importantes. Or, justement, cette dernière aide risque fortement d’être remise en cause.

C’est pourquoi, faute d’obtenir le report de l’examen du projet de loi, nous nous attacherons à reformuler les catégories d’emploi du 1 % logement afin de garantir le cœur de sa mission, à assurer une vérification par le Parlement de l’utilisation des fonds, à recentrer les missions de l’ANPEEC sur le contrôle, et à préserver la représentation des partenaires sociaux ainsi que leur rôle dans la définition des emplois de la contribution. En un mot, nous nous attacherons à optimiser le système plutôt qu’à le mettre à bas, parce que nous ne pouvons accepter, dans une situation de crise aiguë, de nous déposséder d’outils qui fonctionnent.

La crise du logement se fait de plus en plus prégnante : depuis 2005, la part de ressources affectées par les ménages au logement et à son fonctionnement a atteint un niveau historique, la moyenne étant de 24, 7 %. Ce taux est fréquemment supérieur à 30 % et peut même dépasser 40 %, voire 50 % des revenus pour les ménages les plus modestes. Nous devons en outre compter avec la crise financière, que le projet de loi ignore totalement. Vous en restez à des réponses segmentées, parcellaires, dictées par le dogme de la propriété individuelle, celui-là même qui est à l’origine de la crise que nous traversons. Plus que jamais, il est nécessaire, en mobilisant le parc social comme le parc privé, de réorienter notre politique du logement vers la construction de logements permettant des niveaux de loyers accessibles aux ménages les plus modestes, dont des logements très sociaux. Ce doit être « la » priorité nationale, et c’est encore plus vrai dans le contexte actuel de précarisation des revenus des ménages, de surendettement et, désormais, de crise économique.

En Île-de-France, nous devons faire face à plus de 374 000 demandes de logement social, alors que la moitié du parc social se situe dans 8 % des communes, avec, proportionnellement, une plus grande concentration en petite couronne qu’à Paris et qu’en grande couronne. Cette répartition doit être rééquilibrée et le nombre de logements sociaux augmenté ; tel est l’objet de l’article 55 de la loi SRU.

Le bilan triennal des réalisations de logements sociaux montre que 330 des 730 communes concernées par un programme de rattrapage n’ont pas atteint leurs objectifs ; pis, 56 d’entre elles ont un taux de réalisation nul ou négatif. Au lieu d’élargir à l’accession sociale à la propriété la définition des logements entrant dans le décompte des 20 %, comme vous le souhaitez, madame la ministre, c’est bien vers un renforcement du dispositif que nous devons aller, notamment en instaurant un pouvoir de substitution du préfet dans les communes en constat de carence.

La disposition proposée est purement scandaleuse et constitue une véritable provocation, surtout si on la met en parallèle avec la stigmatisation de certains occupants du parc d’HLM. À vous entendre, madame la ministre, la pénurie de logements sociaux serait due à des « profiteurs » du système trop bien payés pour y habiter ou occupant des logements trop grands pour la taille de leur famille. Mais, en Île-de-France, seuls 4 % des ménages logés par les organismes d’HLM sont assujettis au supplément de loyer de solidarité !

Nous refusons la spécialisation du parc social dans les publics pauvres et très pauvres. Ce sont 60 % de la population qui sont éligibles au logement social. Cette vocation du parc social à loger le plus grand nombre est essentielle pour la mixité sociale et territoriale.

L’enjeu est non pas de réduire le nombre des bénéficiaires et de renvoyer comme vous le faites les demandeurs vers le secteur privé, trop souvent inaccessible, mais bien de développer le parc, dans un effort porté par tous, à travers une offre cohérente territorialement.

La juxtaposition de politiques hétérogènes constitue en Île-de-France un frein au nécessaire rééquilibrage territorial. Or la spécificité de la région francilienne est totalement ignorée du projet de loi.

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