Madame la présidente, madame, monsieur les rapporteurs, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je me réjouis que nous puissions discuter aujourd’hui de ce sujet vital et qu’il n’ait pas été remis à plus tard du fait de la crise sanitaire qui a touché notre pays.
Au contraire, comme l’ont souligné nombre d’observateurs, et notamment le Défenseur des droits, le confinement a rendu les inégalités familiales plus perceptibles. Le déconfinement représente également un nouvel enjeu pour les services sociaux après deux mois de liens distendus avec les mineurs placés.
À l’issue de mon expérience de professeur et à la suite des auditions et des visites que j’ai eu l’occasion de mener en tant que sénatrice, cette proposition de loi s’adresse à deux types de vulnérabilités chez l’enfant : la première est liée à de graves dysfonctionnements de la cellule familiale dans laquelle naît l’enfant, et concerne des mineurs de toutes tranches d’âge ; la seconde est plus récente et résulte de l’isolement d’adolescents envoyés en France à la suite d’un projet familial construit autour d’eux et pour eux.
Ces deux cas de figure ont en commun de bouleverser le développement de l’enfant, en le mettant face à des choix ou des responsabilités inadaptés à la maturité communément admise à son âge.
Ces deux types de vulnérabilités présentent également des défis inégaux dans nos départements, dont nous connaissons les limites budgétaires. Inévitablement, les déséquilibres démographiques de notre territoire se traduisent également par des dépenses très variables d’un département à un autre.
À l’échelle nationale, les besoins de la protection de l’enfance n’ont cessé de croitre ces dernières décennies, à la fois parce que nos exigences de protection ont augmenté, ce qui est positif, mais également en raison de l’émergence de nouveaux profils de mineurs vulnérables, tels les mineurs isolés étrangers que j’évoquais. Ils seraient près de 40 000 aujourd’hui, pour 300 000 enfants concernés par l’aide sociale à l’enfance (ASE). Il me paraît nécessaire que nos institutions s’adaptent à cette réalité sociale que nous ne pouvons continuer d’ignorer.
En formulant ces propositions, nous nous sommes donc attachés à nous départir de tout dogmatisme et à ne pas juger les circonstances qui ont produit ces vulnérabilités, mais simplement à constater leur existence et à tenter de concevoir les outils pragmatiques destinés à pallier chacune d’entre elles.
« L’histoire est une galerie de tableaux où il y a peu d’originaux et beaucoup de copies », écrivait Tocqueville. Nombre de ces propositions reprennent des pistes déjà évoquées dans le passé, en les approfondissant et en les associant pour former une stratégie cohérente autour du renforcement du recours à l’adoption simple, au cœur du dispositif, à l’article 3.
Jusqu’à présent, la politique française de l’aide sociale à l’enfance s’articule autour d’une alternative qui ne me paraît satisfaisante : soit la préservation des liens biologiques exclusifs, soit l’adoption plénière et l’effacement de ces mêmes liens biologiques. Cette dichotomie forte me semble de nature à accroître le dilemme des adultes accompagnant l’enfant – juge, assistant social et conseil de famille.
Pour une raison qui m’échappe, l’adoption simple continue d’être très peu proposée, alors qu’elle existe depuis 1804.
La loi de 2016 l’a récemment réformée pour prévoir qu’elle ne peut être révoquée qu’à la majorité de l’individu. Contrairement à l’adoption plénière, le lien avec la famille biologique est donc maintenu : l’adopté peut en conserver le nom, auquel s’ajoute celui de la famille adoptante. La famille biologique d’origine conserve d’ailleurs l’obligation de le nourrir dans le cas où la famille adoptante ne pourrait plus le faire. Pour le parent biologique, cette solution pourrait s’avérer moins déchirante et permettre une meilleure coopération avec les services sociaux.
Qui plus est, l’adoption simple permet d’établir des liens juridiques plus durables et plus étoffés qu’avec une famille d’accueil rétribuée ou un tiers digne de confiance dont l’enfant ne porte pas le patronyme et qui ne se double pas nécessairement d’une délégation de l’autorité parentale. La superposition de liens biologiques et de nouveaux liens affectifs me paraît être la plus à même de respecter l’intérêt supérieur de l’enfant. Enfin, parce qu’elle repose sur la gratuité, elle se révèle également relativement économique.
Les articles 1er à 4 s’inscrivent dans la logique de recherche d’une plus grande stabilité pour l’enfant, cette même logique qui avait prévalu en 2016 avec la redéfinition du projet pour l’enfant et l’inscription de la recherche de stabilité au sein des missions de l’ASE. Il s’agit en particulier d’adapter les procédures à l’âge de l’enfant, en fonction du risque d’impact pour son développement, et de lui apporter le plus rapidement possible une solution stable, qui ne soit pas totalement excluante pour la famille biologique.
Madame, monsieur les rapporteurs, je comprends la prudence, faute de données suffisantes sur les évolutions de la loi de 2016. J’espérais justement que cette initiative permettrait d’en obtenir davantage.
Dans cette proposition de loi, les mineurs isolés étrangers prennent une place particulière. Comme je l’évoquais à l’instant, au regard des données disponibles, leur situation semble différente de celle des autres mineurs concernés par l’ASE.
Il est vrai que le parcours migratoire de ces adolescents peut les amener à une maturité plus précoce que des enfants élevés dans des cadres protecteurs, ce qui justifie, pour certains, de ne pas les prendre en charge. D’une certaine manière, leur situation se rapproche de celle des jeunes majeurs issus de l’ASE que notre proposition de loi prévoit également de mieux accompagner.
Nous savons que la majorité est une fiction législative, qui est d’ailleurs passée de 21 ans à 18 ans en 1974 par la seule volonté du législateur. Ainsi, au regard de notre droit, nous ne pouvons nous dispenser de les considérer encore comme des enfants et de leur offrir la protection que la minorité garantit, sauf à introduire des ruptures d’égalité fondées sur le seul critère de nationalité, ce qui n’est pas acceptable.
Nous savons aujourd’hui que notre inaction les expose à des réseaux, à de la violence, et que leur errance nourrit un climat d’insécurité qui ne convient à aucun d’entre nous. En particulier, leur difficulté à ouvrir un compte bancaire renforce leur vulnérabilité, en les contraignant à conserver leur argent liquide avec eux. L’un d’entre eux est mort en février dernier en tentant de conserver son pécule.
Tous ceux qui ont accompagné ces jeunes savent à quel point la reconnaissance est un vecteur vertueux d’intégration. C’est la raison pour laquelle je propose quelques simplifications administratives destinées à leur permettre de s’insérer plus facilement dans notre société.
Je ne néglige pas l’importance de l’effort budgétaire que ces mesures représentent pour nos concitoyens. Mais je pense que la société s’enrichirait de la sensibilité de ces jeunes aux parcours moins rectilignes que bon nombre d’entre nous et que nous avons beaucoup à apprendre de leur résilience.