Intervention de Françoise Laborde

Réunion du 28 mai 2020 à 9h00
Mineurs vulnérables sur le territoire français — Adoption d'une proposition de loi modifiée

Photo de Françoise LabordeFrançoise Laborde :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ces dernières années, le législateur s’est régulièrement emparé de la cause des enfants, sous la triple influence d’une prise de conscience à l’échelon national de l’incidence des violences intrafamiliales dont certains enfants sont victimes ; d’un contexte international dramatique fait de guerres et de crises économiques jetant sur les routes et sur les mers des familles avec enfants, mais également des jeunes isolés venant frapper aux portes de l’Europe ; d’un mouvement juridique intervenu au plan international.

Bien sûr, des glissements sociétaux ont préparé ce changement de paradigme, en France et dans le monde. Ainsi, la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989, contraignante, a consacré le changement de regard des adultes sur les enfants et produit des jurisprudences dont nous ne mesurons pas encore toute la portée. Relevons encore des initiatives non contraignantes, comme la Déclaration de Genève de 1924 ou la création de l’Unicef en 1947.

Ces dernières années, les occasions législatives de rendre les droits des enfants plus effectifs se sont multipliées de façon transpartisane. Je pense, bien sûr, à la loi de 2016 sous le précédent quinquennat, comme cela a été rappelé, et plus récemment à l’adoption de la loi relative à l’interdiction des violences éducatives ordinaires ou de la loi visant à agir contre les violences au sein de la famille. Ces initiatives ont permis de rendre visible la vulnérabilité de certains mineurs du fait de relations familiales toxiques, trop fragiles ou inexistantes. Vous connaissez aussi mon engagement pour la lutte contre les violences sexuelles sur les mineurs et contre l’inceste.

Dans un premier temps, la médiatisation de ces violences a permis de sensibiliser la population et de lever les tabous dans toutes les institutions : familiales, scolaires et même ecclésiastiques.

Dorénavant, la problématique se déplace vers la question de la prise en charge des mineurs vulnérables. Ces derniers mois, plusieurs reportages ont mis en lumière les limites de notre système de protection de l’enfance et l’insécurité qui peut à la fois découler du manque d’encadrement et de l’instabilité des parcours pour ces jeunes.

C’est dans ce contexte que notre collègue Josiane Costes, forte de son expérience de conseillère départementale et d’enseignante, a décidé de s’engager pleinement devant le Sénat pour défendre sa proposition de loi, soutenue par le groupe du RDSE. Très soucieuse d’améliorer la protection des mineurs, elle a voulu mettre toutes ses convictions au service de ceux-ci, afin de leur donner un cadre de vie décent, en particulier aux plus vulnérables d’entre eux.

C’est un sujet qu’elle soutient depuis de nombreuses années ; je tiens à lui rendre hommage pour cette initiative parlementaire qui ne se contente pas de dénoncer les limites du système de protection de l’enfance actuel. Elle vise également à apporter des solutions destinées à tous les mineurs vulnérables, français et étrangers – je ne ferai aucun commentaire sur ce que j’ai entendu précédemment, d’autant que je n’ai pas tout écouté puisque je me suis bouché les oreilles ! –, placés auprès des services de l’aide sociale à l’enfance.

Ses propositions reposent sur le constat de l’affaiblissement budgétaire des départements, qui est malheureusement une tendance structurelle. Cet affaiblissement est lié, en partie, à la performance croissante de la détection des cas problématiques, notamment depuis la loi de 2016 : mieux on détecte les cas de maltraitance, plus nombreux sont les enfants à être pris en charge, c’est mathématique !

Mais surtout, la difficulté financière des départements est liée à l’aggravation de la situation sociale sur notre sol, au renforcement des inégalités et à l’émergence de nouveaux « publics » des services sociaux : les personnes admises à l’asile et les mineurs non accompagnés.

Sans un effort financier supplémentaire substantiel de l’État, il est à craindre que la qualité de la prise en charge des mineurs ne pâtisse de la dégradation de la situation financière des conseils départementaux.

Dans sa tâche, ma collègue s’est attachée à adopter une philosophie positive et à poursuivre les travaux dans la direction de la loi de 2016, qui avait en particulier réformé l’adoption simple en la rendant irrévocable durant la minorité.

Toutes les propositions contenues dans ce texte tendent, en réalité, à ce que l’enfant puisse bénéficier d’une plus grande stabilité, d’un accueil dans la dignité et le respect de ses droits, rendant possible un accès à l’éducation, sans être balloté entre sa famille biologique, les foyers et les familles d’accueil, mais tout en préservant son droit à connaître ses origines.

Il s’agit de s’élever au-dessus des oppositions classiques de la protection de l’enfance entre, d’une part, la préservation absolue des liens biologiques et, d’autre part, l’idéalisation d’une protection étatique, et ainsi de sortir de tout dogmatisme, ce qui, comme vous le savez, mes chers collègues, est un souci constant des membres du groupe du RDSE. On confond trop souvent encore l’intérêt supérieur de l’enfant et celui de ses parents.

De façon indirecte, ces nombreuses propositions pourraient permettre de repenser l’action des départements au moment où la prise en charge des jeunes majeurs et des mineurs isolés étrangers bute essentiellement sur la question financière, comme l’a montré très récemment l’examen de la proposition de loi Bourguignon à l’Assemblée nationale.

Rappelons que, selon les chiffres de l’Assemblée des départements de France (ADF), en 2019, la seule prise en charge des mineurs isolés étrangers s’est élevée à 2 milliards d’euros. C’est pourquoi il est apparu nécessaire que ces propositions soient présentées dans le texte qui comporte également d’importantes propositions de simplifications administratives en direction des mineurs non accompagnés, lesquels continuent de se trouver dans un angle mort de nos politiques publiques.

Ainsi, avec Josiane Costes, mon groupe espère ouvrir des travaux sur l’adaptation de la protection de l’enfance à ces nouveaux paradigmes juridiques et sociétaux, afin de renforcer l’égalité des chances de tous les mineurs présents sur le sol de la République.

Nous sommes tout à fait favorables, d’une part, à ce que le débat puisse se poursuivre dans les deux chambres, dans un esprit de coconstruction respectueux du travail parlementaire et, d’autre part, à ce que tous les acteurs concernés puissent être associés à cette démarche, comme le permet la navette parlementaire. Sa lenteur a parfois des vertus !

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