Des choses importantes ont été dites, concernant notamment l’autonomie, qui implique le choix.
Xavier Iacovelli a bien présenté le problème. Comment accompagne-t-on ces enfants vers l’autonomie ? Cette question se pose parfois sur le terrain pour les jeunes de 17 ans et 9 mois, et il faut y travailler, mais il faut aussi le faire dès le début de leur histoire.
Le fait que 66 % de ces gamins aient déjà un an de retard au moment de l’entrée en sixième et que 70 % d’entre eux ne fassent pas d’études supérieures – j’entends bien que l’enseignement supérieur n’est pas l’alpha et l’oméga et qu’il y a, bien sûr, d’autres voies –, porte atteinte à leur autonomie future. La question de leur accompagnement vers l’autonomie se pose donc tout au long de leur parcours, en travaillant sur les aspects éducatif et professionnel, et sur l’intégration sociale au sens large.
Permettez-moi à mon tour, madame Gréaume, de faire un retour dans le temps.
En 1989, notre pays comptait peu d’institutions pour les adultes handicapés – il n’y en a pas encore assez aujourd’hui, mais la société change… –, car, c’était bien connu, les handicapés ne vieillissaient pas ! Cette année-là, le grand acteur Michel Creton, qui avait un fils polyhandicapé, a fait voter l’amendement qui porte son nom.
Trente ans après, où en sommes-nous ? La situation n’est pas résolue ! Il y a des adultes, et même beaucoup, dans des instituts médico-éducatifs pour enfants, qui – pardonnez-moi cette expression, d’autant que je suis un fervent partisan de la société inclusive – occupent des places qui ne sont par conséquent plus disponibles pour des enfants et dont le handicap se révèle plus élevé que celui des personnes de leur âge qui ne sont pas en institution, puisque l’accompagnement dont ils bénéficient n’est évidemment pas adapté.
Je l’ai dit et je l’assume – cela m’a valu quelques inimitiés –, je ne serai pas le secrétaire d’État d’un amendement Creton pour l’aide sociale à l’enfance. Nous avons les moyens d’accompagner ces enfants vers l’autonomie et nous commençons déjà de le faire. Oui, nous avons une obligation de résultat, car il est insupportable d’imaginer qu’un enfant, passé ou non par les services de l’aide sociale à l’enfance, puisse terminer à la rue.
Dès 2018, avant ma nomination, un volet spécifique a été dédié à cette question dans le cadre de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, avec – même si ce chiffre macro n’a pas grand sens – l’attribution de 12 millions d’euros aux départements pour financer quelque chose de très important : le lien. Sans doute, il y a le problème du logement – j’y reviendrai –, mais le fait de maintenir un lien est crucial. Vous l’avez très bien dit, pour l’enfant sans famille qui atteint 18 ans, un accompagnement social, les liens qu’il a noués avec son éducateur, qui cessent, c’est aussi déstructurant que l’absence d’un toit.
Je dispose de premiers chiffres, transmis par la délégation interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté, qui portent sur 67 départements ; le rapporteur l’a évoqué dans son propos liminaire, il y a un problème de connaissance des données, mais il sera résolu par la réforme de la gouvernance que nous allons lancer.
L’année dernière, 14 000 jeunes ont atteint leur majorité. Sur ceux-ci, 10 500 ont bénéficié, dans le cadre du plan Pauvreté, d’un accompagnement, élaboré sur le fondement d’un référentiel conçu avec d’anciens bénéficiaires de l’aide sociale à l’enfance.
Sur ces 10 500 jeunes, 5 000 ont bénéficié du maintien du lien – la poursuite du suivi par un éducateur – et 7 000 ont eu un accompagnement financier dans la recherche de leur logement. Certes, la somme de ces deux chiffres dépasse 10 500, mais l’aide peut être multiple.
Les 3 500 jeunes qui n’ont pas eu d’accompagnement étaient dans un processus d’apprentissage, avaient déjà un travail, ou encore ne ressentaient pas le besoin de cet accompagnement, car un certain nombre de jeunes ne veulent qu’une chose une fois leur majorité atteinte : ne plus avoir affaire aux institutions.
Par ailleurs, je veux le répéter, on met aussi, dans le cadre la stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance, des choses en place. J’évoquais précédemment l’expérimentation que nous menons avec l’Unhaj. Nous avons ainsi créé, de façon expérimentale, un fonds de solvabilisation, une sorte de subvention « coup de pouce », pour aider les jeunes à se loger, en prenant un appartement ou en intégrant un foyer de jeunes travailleurs.
Nous travaillons aussi avec le Centre national des œuvres universitaires et scolaires (Cnous), qui a été mobilisé pour que les jeunes issus de l’aide sociale à l’enfance puissent avoir un accès prioritaire aux bourses et au logement étudiant, logement qu’ils peuvent garder pendant l’été, puisqu’ils n’ont nulle part où retourner. Quant à leur bourse, elle leur est versée pendant toute l’année.
Enfin, la garantie jeune doit pouvoir être mobilisée.
Par ailleurs, il faut également aller voir dans les territoires. Je me suis rendu dans le Val-de-Marne, avec la vice-présidente du conseil départemental, Isabelle Santiago, que vous connaissez probablement. Dans ce département, quand un gamin a 17 ans, tout le monde se met autour de la table – les représentants du département, de Pôle emploi, de la préfecture, des associations – et on commence à anticiper la situation du jeune pour envisager la manière de l’accompagner vers l’autonomie. C’est aussi de cela que l’on doit s’inspirer pour éviter les ruptures et améliorer la situation de ces jeunes.
L’ensemble de ces dispositifs, conjugués, permet, nous semble-t-il, d’éviter, de façon très pragmatique, concrète, proche de la réalité de ces enfants, le risque de tomber à la rue, davantage que des mesures couperet, dont il faut redouter les effets de bord et de seuil.