Intervention de Agnès Pannier-Runacher

Réunion du 28 mai 2020 à 14h30
Plafonnement des frais bancaires — Adoption d'une proposition de loi modifiée

Agnès Pannier-Runacher :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le débat et la concertation sont indispensables à la vie démocratique. C’est d’ailleurs la méthode que nous avons suivie depuis le début du quinquennat et que nous continuons de suivre pour répondre aux attentes de nos concitoyens et leur apporter les meilleures solutions possible.

C’est notamment le cas sur la maîtrise des frais bancaires. Le sujet est important, dans un contexte où nombre de nos concitoyens sont confrontés à une dégradation de leur situation économique et sociale.

Le plafonnement des frais d’incidents bancaires mis en place par le Gouvernement en faveur des publics fragiles est effectif. Il permet de soutenir nos concitoyens en difficulté dans la période actuelle. Le Gouvernement ne s’est pas contenté de promesses sur le sujet ; il a pris des mesures fortes qui s’appliquent désormais.

Première étape, au mois de septembre 2018, nous avons conclu un accord avec le secteur bancaire pour plafonner les frais d’incidents à 20 euros par mois et à 200 euros par an pour les publics bénéficiaires de l’offre dite « clients fragiles ». Cette offre spécifique, prévue par la loi depuis 2014, garantit l’accès aux services bancaires de base à un prix modique. Nous avions également fixé l’objectif d’une progression de 30 % du nombre de personnes bénéficiant de l’offre, soit environ 300 000 à l’époque.

Deuxième étape, au mois de décembre 2018, nous avons élargi le principe du plafonnement à tous les clients identifiés comme fragiles financièrement, permettant à plus de 3 millions de personnes d’être éligibles au dispositif. Les banques se sont engagées auprès du Président de la République à plafonner à 25 euros par mois et à 300 euros par an les frais d’incidents bancaires pour tous les clients concernés.

Ces mesures sont importantes. Elles fonctionnent aujourd’hui pour les Français touchés par la crise. Le dispositif que nous avons mis en place a démontré son efficacité pour réduire les frais d’incidents des personnes en fragilité financière. Comme vous le savez, ces engagements sont suivis et contrôlés depuis 2019 par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et l’Observatoire de l’inclusion bancaire. Des contrôles de l’ACPR et de la DGCCRF ont ainsi été diligentés à partir de 2019. Nous avons réalisé sur cette base un bilan de l’application du plafonnement en février dernier. Il en ressort que les engagements pris par les banques en matière de plafonnement ont bien été respectés.

Le plafond mensuel de 25 euros de frais d’incidents bancaires s’applique à 3, 3 millions de clients. Il a permis une diminution des frais pour plus d’un million de nos concitoyens. En 2019, 490 000 personnes ont bénéficié de l’offre spécifique, contre 380 000 à la fin de l’année 2017, soit une progression de plus de 100 000 personnes en quelques mois. Ces résultats sont significatifs.

Sur la base de ce bilan, nous avons amélioré le dispositif pour répondre aux attentes des différentes parties prenantes. En février dernier, nous avons obtenu l’engagement des grandes entreprises émettrices de factures de déployer d’ici à la fin de l’année 2021 des solutions, afin que les prélèvements infructueux représentés – ils peuvent générer plusieurs fois des frais – soient automatiquement identifiés. Ainsi, pourra être évitée l’application répétée de frais. Ces entreprises vont également pouvoir proposer à leurs clients de choisir librement les dates de prélèvement pour prévenir les accidents de trésorerie.

D’autres améliorations inspirées de discussions concrètes avec les acteurs de terrain vont être mises en œuvre dans les prochaines semaines.

Dans le cadre de l’examen du projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire, Bruno Le Maire s’est engagé à améliorer la définition de la fragilité financière, qui conditionne l’accès à l’offre bancaire spécifique et au plafonnement des frais d’incidents. Cette évolution vise à permettre aux personnes fragiles de bénéficier plus rapidement des effets du plafonnement, qui intervient aujourd’hui après trois mois. L’idée est de déclencher plus précocement ce repérage des personnes fragiles. Nous allons également renforcer la transparence relative à l’application du plafonnement par chaque établissement de crédit et aux résultats concrets.

Vous le voyez, le dispositif existe, il est effectif et les résultats sont au rendez-vous. Cela démontre qu’il n’est pas besoin de passer par la contrainte législative pour parvenir à des résultats concrets et puissants, et que le dispositif peut être amélioré constamment en s’appuyant sur les remontées de terrain. Nous proposons donc pragmatiquement de poursuivre dans cette voie, car elle a démontré son efficacité.

Au-delà de cette question de méthode, nous avons également une divergence de fond avec le dispositif proposé. Le texte de la proposition de loi elle-même n’est pas en accord avec l’exposé des motifs. En effet, il prévoit un plafonnement de l’ensemble des frais bancaires, et pas seulement de ceux qui sont liés à des incidents, pour toutes les clientèles, quelle que soit leur situation de revenus et de patrimoine. Cela ne nous semble pas vraiment pertinent. Il nous paraît difficile de défendre un plafonnement généralisé qui s’appliquerait de manière indiscriminée aux frais d’incidents et aux frais de fonctionnement normaux, lesquels rémunèrent des prestations habituelles fournies par les établissements bancaires. Il nous semble aussi difficile de défendre l’extension aux clientèles plus aisées d’un dispositif de plafonnement créé pour les clients fragiles.

Il n’y a rien d’anormal à ce qu’un client effectuant de nombreuses transactions bancaires et disposant de moyens financiers importants paye des frais, notamment en cas d’incident ; on peut effectivement estimer qu’il est suffisamment organisé pour éviter une telle situation.

En outre, un plafonnement généralisé aurait des effets collatéraux contre-productifs. En plafonnant tous les tarifs pour toutes les clientèles, nous risquons d’inciter les établissements à ne plus proposer certains services, qui sont quasiment gratuits aujourd’hui, comme la mise à disposition de chéquiers, mais aussi à renchérir d’autres produits, comme les crédits à la consommation ou les crédits immobiliers, pour qu’ils puissent retrouver des marges.

Une telle contrainte risquerait enfin d’accélérer la réorganisation de certains réseaux bancaires, ce qui pourrait nuire à la continuité territoriale de l’offre bancaire et à la densité des réseaux, à laquelle je sais votre assemblée à juste titre sensible.

J’ajoute enfin que cette proposition irait à l’encontre du développement de services innovants. En effet, dans le secteur bancaire, le développement d’offres alternatives favorise le consommateur. Je pense notamment aux néo-banques, qui font partie intégrante du paysage bancaire pour nombre de nos concitoyens et qui permettent d’accéder à des services bancaires de qualité pour un coût très faible.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez compris, le Gouvernement ne soutiendra pas ce texte, qui, tant sur la méthode que sur les propositions formulées, n’améliorera pas la situation des plus fragiles.

En matière de frais bancaires, le dispositif de plafonnement des frais d’incidents mis en place par le Gouvernement en lien avec le secteur bancaire et les associations protège nos concitoyens touchés par la fragilité financière. Nous allons poursuivre la mise en œuvre de cette méthode de terrain fondée sur la concertation, qui a démontré son efficacité.

Les Français, particulièrement dans cette période difficile, attendent avant tout des résultats. C’est ainsi que nous répondrons réellement au défi social qui est devant nous.

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