Intervention de Jean-François Husson

Réunion du 28 mai 2020 à 14h30
Plafonnement des frais bancaires — Adoption d'une proposition de loi modifiée

Photo de Jean-François HussonJean-François Husson :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous discutons aujourd’hui de la proposition de loi du groupe socialiste visant à renforcer le plafonnement des frais bancaires.

Les observateurs quelque peu cyniques y verront sans doute une scène écrite d’avance ; lors de ce duel annoncé entre les consommateurs, en particulier les plus modestes, et les banques, chaque côté de l’hémicycle défendra probablement un camp différent, dans un style très « ancien monde »… En réalité, il ne s’agit pas du tout de cela. C’est pourquoi je remercie le rapporteur et les auteurs de la proposition de loi d’avoir posé le problème.

Soyons précis : qu’un service proposé ait un coût, quoi de plus normal, d’autant que le jeu de la concurrence empêche les excès. Mon inquiétude porte moins sur le prix des services que sur les frais d’incidents bancaires. S’il me semble bienvenu de rappeler que le coût de gestion d’un incident de paiement ne se limite pas, pour la banque, au prix du timbre utilisé pour envoyer une lettre au client, est-il pour autant acceptable de constater que les citoyens les plus fragiles financièrement sont aussi ceux qui peuvent payer le plus de frais bancaires, au risque d’être entraînés dans une spirale sans fin ? Non, nous ne pouvons pas nous y résoudre !

Mes chers collègues, ce texte comporte néanmoins des imperfections manifestes. Outre les questions juridiques, le plafonnement proposé paraît excessif à bien des égards. Il vise ainsi l’ensemble des Français, alors que la problématique des frais bancaires ne pourra être résolue qu’au moyen d’une approche plus fine.

Quant à la suppression des frais proposée par les auteurs de cette proposition de loi durant la crise sanitaire, elle a certes le mérite d’envoyer un signal fort, mais elle ne résout en rien le problème de fond, au contraire même. Je suis d’ailleurs peu enclin à la gratuité, quelle qu’elle soit, car c’est une forme de leurre. Ce qui est gratuit a toujours un coût supporté par d’autres et a, de surcroît, un effet déresponsabilisant.

Il faut, me semble-t-il, lier ce débat à celui du modèle économique des banques dans son ensemble, notamment dans un contexte de taux bas. Si les prêts ne rapportent plus, il faut bien trouver l’argent ailleurs. Dans le retrait d’espèces ? On sait malheureusement qu’entre les zones blanches et la surabondance de distributeurs bancaires dans certains endroits, les injustices sont nombreuses.

Ne resterait-il alors que les frais bancaires pour survivre ? Non, assurément ! Et ce raisonnement simpliste doit nous conduire à nous interroger. Un plafonnement aveugle déplacerait simplement le problème, et, demain, une nouvelle proposition de loi socialiste serait peut-être déposée pour demander l’intervention de l’État face à une nouvelle étape de désengagement territorial des banques.

Le ciblage plus fin et la détection plus rapide des publics vulnérables, pour lesquels l’on pourrait ainsi réduire fortement la charge des frais bancaires pour leur éviter la spirale que j’évoquais précédemment, sans bouleverser davantage le modèle économique des acteurs bancaires, paraissent une piste intéressante. Nous avons eu l’occasion de rappeler que le taux de souscription de l’offre spécifique n’excédait pas 15 % des clients éligibles. Faut-il alors réformer le fonctionnement d’un outil considéré comme trop rigide pour ses détenteurs ? La question est posée.

Mais il est toujours délicat de faire en sorte que l’offre spécifique ne soit pas perçue comme punitive et stigmatisante. Pour autant, il ne s’agit pas d’en faire un statut comme un autre alors qu’elle signifie la fragilité du client.

Face à ce dilemme, les engagements forts négociés avec le secteur depuis la crise des gilets jaunes ont été rappelés. Dont acte. Oui, nous devons apprécier ces avancées, qui auraient bénéficié, selon vos chiffres, madame la secrétaire d’État, à un million de clients supplémentaires.

Profitons dès lors de ce texte pour traduire dans la loi les engagements mis en œuvre depuis dix-huit mois sur les frais bancaires, la loi étant par définition moins perméable aux aléas du contexte général. Le rapporteur, Michel Canevet, dont je salue une nouvelle fois le travail, propose de profiter de l’examen de ce texte pour apporter des améliorations reposant sur une logique importante, la transparence. Cette transparence paraît en effet nécessaire, ne serait-ce qu’en raison de la difficulté qu’il y a à connaître le réel montant des frais d’incidents bancaires acquittés chaque année par les Français. On le sait, derrière l’opacité, les règles de la réelle concurrence des marchés sont vite distordues ; c’est un terreau propice à certains abus.

Mes chers collègues, je pense que l’esprit de responsabilité de Sénat peut et doit imprégner cet épineux sujet, trop souvent réduit à la caricature du banquier qui se gave sur le dos des plus modestes. Sachons élever le débat au bon niveau, en évitant tout excès. Derrière les mots se cachent des réalités très différentes, et nous devons éviter de les caricaturer ou de les traiter à la légère.

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