Intervention de Monique Lubin

Réunion du 28 mai 2020 à 14h30
Conditions de la reconstruction du pacte social national dans le cadre de la sortie de la crise sanitaire — Débat organisé à la demande du groupe socialiste et républicain

Photo de Monique LubinMonique Lubin :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, débattre aujourd’hui des conditions de la reconstruction du pacte social national dans le cadre de la sortie de la crise sanitaire, c’est aussi définir le monde d’après.

Selon Jean-Jacques Rousseau, le souverain, c’est le peuple. La Constitution française témoigne que celui-ci s’est choisi une République sociale. Ce sont ces fondamentaux qui sont au principe de notre pacte social et qui doivent guider la politique qui nous permettra d’affronter la terrible crise qui se profile.

Le confinement a fait apparaître les vices de notre organisation sociale et économique.

Il n’a fallu que deux mois pour voir des milliers de Français basculer de la précarité dans la pauvreté ou de la pauvreté dans l’extrême pauvreté. D’ores et déjà apparaissent ceux que l’on appelle les « nouveaux vulnérables », qui représentent 4, 3 millions de personnes issues des rangs des salariés les plus durement et immédiatement touchés par la crise, ceux de l’hôtellerie-restauration, de la culture, des transports entre autres. Ils viennent s’ajouter aux 400 000 pauvres supplémentaires dénombrés en 2019, du fait de la baisse de l’aide personnalisée au logement (APL), de la désindexation des pensions de retraite en 2019, de la diminution de la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE), de la suppression du complément de ressources – jusqu’à 170 euros par mois – aux bénéficiaires de l’allocation aux adultes handicapés (AAH), de la réforme de l’assurance chômage.

De l’alimentation au logement, la satisfaction des besoins vitaux et le respect de la dignité humaine sont des prérequis non négociables pour la septième économie mondiale. Ils n’ont pas été votre priorité.

Avant la crise, vous vous glorifiiez de résultats économiques en progression, mais, au lieu d’en élargir les bénéfices, vous en profitiez pour immédiatement réduire non pas les inégalités, mais les mesures de solidarité ou de redistribution, et pour revoir, en même temps, une politique fiscale en faveur des plus riches dans l’espoir d’un vain « ruissellement ».

Comme le dit Alain Supiot, « seul le choc avec le réel peut réveiller d’un sommeil dogmatique ». Nous y sommes. Il faut réparer maintenant. Notre pacte social national doit réhabiliter quelques fondamentaux.

Les premières mesures s’imposent et sonnent comme une évidence : rétablissement de l’impôt sur la fortune et de la compensation des dépenses à la sécurité sociale, restitution de leurs moyens aux associations, suppression de la réforme de l’assurance chômage…

Il faut aussi agir sur les inégalités structurelles par des politiques innovantes et commencer par la considération de ceux qui exercent les métiers dont la crise a révélé l’utilité immédiate et indispensable, ceux que certains croisent sur le quai d’une gare en disant qu’ils « ne sont rien » ou ceux que les mêmes renvoient implicitement parmi les « derniers de cordée », en mettant en avant les « premiers de cordée ». Bien évidemment, la considération passe par la rémunération.

Pourquoi ne pas s’intéresser à ce qui se fait au Québec depuis de très nombreuses années autour du concept d’équité salariale ? Ce principe va plus loin que le principe « à travail égal, salaire égal », puisqu’il exige un salaire égal pour un travail différent, mais équivalent. De manière générale, tous les emplois doivent être évalués à l’aune, d’une part, de leur utilité sociale, d’autre part, de quatre facteurs déterminés, qui sont les qualifications requises, les responsabilités assumées, les efforts exigés et les conditions dans lesquelles le travail est réalisé.

Le résultat conduit à une augmentation sensible des salaires correspondant aux emplois d’ordinaire les plus mal payés, parce que l’utilisation de cette grille de lecture démontre à la fois la primauté de leur utilité sociale, mais aussi les conditions souvent difficiles dans lesquelles ils sont exercés.

Ce concept a une autre vertu, et non des moindres, celle de donner toute leur place aux emplois dits féminins. C’est d’ailleurs pour cela qu’il a été au départ conçu.

Je rappelle que les héros de la lutte contre le Covid-19 sont en majorité des héroïnes, structurellement en charge des emplois à la fois mal payés et indispensables au fonctionnement de notre société. Le personnel soignant est majoritairement féminin et huit dixièmes des vendeurs et caissiers sont des femmes, sans parler des personnels de l’aide à domicile et d’entretien. La place des femmes doit faire partie intégrante de l’évolution de notre pacte social.

En France, la démarche de rémunération appropriée des professionnels est au contraire assez mal engagée. Le Gouvernement a en effet répondu à l’enjeu qui s’est imposé à la suite de cette crise par la multiplication anarchique de primes à destination de certaines des différentes catégories de personnels qui ont été en première ligne.

Pour notre part, ce que nous voulons, c’est au contraire très exactement ce qu’a promis le Président de la République le 13 avril dernier : que soit mieux prise en compte l’utilité sociale des métiers, pour tous, hommes et femmes. L’enjeu est de tourner le dos à la libéralisation du marché du travail et de restaurer la démocratie sociale au sein des entreprises et de la fonction publique.

Pour rebâtir un pacte social qui nous convienne, l’enjeu du rapport à nos aînés est également central.

Le Covid-19 a ouvert les portes des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) : ce que nous y avons découvert n’est pas toujours glorieux, quand ce n’est pas carrément sordide, à l’image de ce que l’on a trouvé dans certains établissements du secteur privé lucratif.

Nous attendons le contenu de vos propositions au travers d’un projet de loi relatif au grand âge et à la dépendance et nous espérons que, contrairement à d’autres projets de loi, nous serons pleinement associés dans un temps suffisamment long pour produire un travail et, à la fin, une loi de qualité.

Quelles stratégies pour prévenir la dépendance ? Quelle implication du secteur public ? Comment offrir un service de prévention, puis de traitement de la dépendance égal, quels que soient les revenus ?

Après la survenue de la dépendance, pourquoi ne pas imaginer des transitions plus douces et la prise en compte du lien entre les différentes générations ? Il me semble qu’il serait par exemple intéressant de réfléchir à des Ehpad intégrés au domicile.

Quelles formations pour les personnels dédiés, et pas uniquement pour les personnels soignants ? La vie d’une personne âgée dépendante ne peut s’articuler seulement autour du soin et des besoins vitaux. Nombreuses sont les personnes âgées qui survivent, mais qui ne vivent plus !

Il est évident que toutes les générations doivent faire l’objet d’une attention spécifique. Or les plus démunis se trouvent aux deux extrémités de la pyramide des âges : les personnes âgées et les plus jeunes.

Alors que nous avons eu le spectacle désespérant de résidences étudiantes devenues des zones de parcage de jeunes économiquement fragiles et n’ayant pas nécessairement les moyens de se nourrir, la mise en place d’un revenu de base d’un montant suffisant s’impose comme une nécessité, pour les jeunes comme pour d’autres.

Un nombre croissant de jeunes sont laissés sur le côté pour de multiples raisons, dont la transmission intergénérationnelle de la pauvreté, avec un ascenseur social en panne et une éducation nationale qui, malgré l’implication et le dévouement de ses personnels, ne parvient pas à briser le mur séparant enfants issus d’une famille au capital socioculturel élevé et ceux qui sont pourvus d’autres richesses.

Il faut casser à la base la spirale infernale du déterminisme social. Cela passe, nous le savons tous, par des politiques d’accompagnement dès la petite enfance et par l’amélioration perpétuelle des dispositifs en faveur des jeunes tels que la garantie jeunes mise en place sous le quinquennat précédent, qui a fait largement ses preuves et dont il va falloir ouvrir les vannes pour aider les primo-demandeurs d’emploi dès maintenant. Nous savons en effet que la génération des jeunes qui arrivent sur le marché de l’emploi cette année sera la première sacrifiée.

Je ne peux bien évidemment pas ici brosser le tableau de tout ce qu’il est nécessaire de mettre en place dès aujourd’hui pour que n’explose pas notre vivre ensemble à la sortie de cette crise.

Je conclus en rappelant que la redéfinition de notre pacte social national doit faire coexister dans l’harmonie les différentes composantes de notre société, en assurant toujours plus de justice entre classes sociales et générations.

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