Je formulerai plusieurs remarques.
Tout d’abord, je veux saluer, madame la secrétaire d’État, l’introduction de votre propos. Vous avez en effet indiqué que, grâce à notre système de protection sociale, nous avions pu amortir les effets de la crise pour les plus fragiles. Je me réjouis de cet hommage que vous rendez à notre système de protection sociale. Pour tout vous dire, je préfère que vous en parliez ainsi plutôt que d’entendre le Président de la République évoquer un « pognon de dingue » à propos des allocations familiales.
Nous sommes au moins d’accord sur le fait qu’il faut un système de protection sociale fort pour protéger les plus fragiles. Ce système doit d’ailleurs être tellement fort que vous avez dû revenir sur vos propres décisions, en suspendant l’application de la réforme de l’indemnisation du chômage. Vous vous êtes en effet rendu compte que cette réforme, sans doute acceptable dans un pays ayant atteint un taux de chômage résiduel, était néfaste dans un pays encore soumis à la pauvreté, à la crise et à la fragilité.
On peut également se réjouir que la crise sanitaire vous ait amené à suspendre, pour une durée que nous espérons définitive, votre réforme du système d’assurance vieillesse, que vous estimiez trop généreux et que vous avez si souvent discrédité depuis trois ans.
Je souhaite faire une remarque sur un sujet qui n’a pas été évoqué, à savoir la suspension d’une nouvelle phase du déploiement de l’Agence de recouvrement des impayés de pensions alimentaires (Aripa). Nous en parlerons peut-être tout à l’heure à l’occasion de l’examen du projet de loi relatif à diverses dispositions liées à la crise sanitaire.
Vous aviez annoncé, avec une communication importante, un service public des pensions alimentaires. Pour ma part, j’ai toujours pensé qu’une telle appellation était un peu exagérée, dans la mesure où il ne s’agit que d’une intermédiation entre le débiteur et le créancier des pensions alimentaires. Ce n’est pas l’État qui paie les pensions alimentaires !
Cette intermédiation, qui prolongeait la création, en 2017, de l’Aripa, aurait dû se mettre en place au 1er juin. Elle concerne les familles monoparentales, c’est-à-dire celles qui ont été le plus touchées par la crise, leur pauvreté s’accroissant et leurs difficultés de vie augmentant. Pourtant, vous avez décidé de reporter cette mesure ! Comment avez-vous pu accepter une telle décision, extrêmement préjudiciable, vous qui avez la charge de ce dossier ? Comment avez-vous pu dire « oui » à Bercy s’agissant de cette agence ?
Les familles monoparentales souffriront six mois de plus, puisqu’elles ne pourront pas faire appel à l’intermédiation de l’Aripa.
On le sait bien, les effets de la crise sont à venir. Les chiffres du chômage en témoignent : ceux qui paient cash la crise sanitaire, ce sont les intermittents du travail. Pour eux, le chômage sera plus douloureux.
On vous a demandé à plusieurs reprises d’anticiper les effets de la pauvreté. Dans les éléments que vous avez donnés jusqu’à présent, vous ne nous avez pas dit que vous renonciez à la réforme de l’assurance chômage. C’est pourtant ce qu’attendent de nombreuses personnes, en particulier les salariés intermittents, les précaires du monde du travail, qui sont déjà les plus durement frappés par cette réforme.
Enfin, comme les effets sont à venir, il faut aussi penser aux 700 000 jeunes qui arriveront sur le marché du travail dans des conditions dramatiques, alors même que la situation est déjà compliquée en temps normal pour un certain nombre d’entre eux. Il faut aller vite pour leur garantir un revenu minimum d’existence, un « RSA jeune », quelque chose qui soit plus que la garantie jeunes, mais pas non plus la prime d’activité, qui n’est pas adaptée à des jeunes qui sont intermittents.
Enfin, la crise nous l’a appris, le travail au noir est une réalité en France. Ainsi, on a vu dégringoler tous ceux qui ont des petits boulots payés au noir. Il faudra s’en occuper, madame la secrétaire d’État, après l’état d’urgence et après les mesures provisoires que vous avez prises.
Il y a donc encore beaucoup à faire. J’espère que vous renoncerez à ce qui a été votre dogme au cours des deux dernières années, c’est-à-dire l’idée selon laquelle nous vivrions dans un pays dans lequel les personnes précaires, les personnes âgées et les jeunes sont trop protégés. Il suffirait, pour trouver un travail, de « traverser la rue ».
Or il n’y a pas de rue à traverser, mais des mains à tendre !