En effet, les délais d'examen ont été réduits au strict minimum. S'il n'a pas été possible d'auditionner la CNAF, j'ai tout de même pu organiser une table ronde avec l'ensemble des associations représentatives des locataires, entendre la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP), avoir un échange avec le cabinet du ministre du logement et, bien entendu, partager mon analyse du texte avec l'auteur de la proposition de loi, notre collègue Cécile Cukierman.
Je voudrais m'attacher à expliquer notre convergence sur l'essentiel des dispositions de la proposition de loi, qui comprend des mesures que la plupart d'entre nous avons soutenues au sein de la commission, sans parvenir à les faire aboutir.
Comme vous le savez, les APL sont constituées de trois allocations différentes créées depuis la Libération : les allocations de logement, qui regroupent l'allocation familiale et l'allocation sociale et, depuis 1977, l'aide personnalisée au logement. Si la proposition de loi traite des dispositions générales touchant les trois allocations, cette distinction garde son importance, et j'y reviendrai lors de l'examen de l'article 2.
Ces trois allocations ont été créées pour aider directement les locataires à se loger de manière décente, pour lutter contre le mal-logement, et elles viennent compléter les aides à la pierre ou à la construction, qui sont le second volet essentiel de la politique du logement dans notre pays.
S'il y a des débats politiques et théoriques sur le bénéfice de l'aide à la pierre ou de l'aide personnelle au logement, leurs effets négatifs et la nécessité de privilégier telle ou telle allocation, il est assez évident que, compte tenu des masses financières en jeu, de l'ordre de 17 milliards d'euros pour les APL, dont plus de 12 milliards d'euros sur le budget de l'État, et du nombre de bénéficiaires, qui s'élève à 6,6 millions de ménages, soit 20 % des ménages français, seules des inflexions prudentes et progressives sont possibles, sauf à risquer de déséquilibrer l'ensemble du secteur.
C'est du reste ce que nous avons pu constater depuis les décisions du Président de la République, à l'été 2017, de réduire les APL de cinq euros et d'appliquer la réduction de loyer de solidarité (RLS) dans le parc social. Aujourd'hui, face à la crise, les bailleurs sont fragilisés - Annie Guillemot et moi suivons les problématiques du logement et de la politique de la ville, et nous voyons se profiler de graves difficultés : leur équilibre économique a été profondément remis en cause et, plus que de trésorerie, ils risquent de manquer de fonds propres pour relancer la construction ou acheter des programmes en vente en l'état futur d'achèvement (VEFA) aux promoteurs comme ils ont pu le faire en 2008-2009, jouant un rôle d'amortisseur contra-cyclique.
Concernant le contexte budgétaire relatif aux APL, je rappelle ce que j'indiquais dans mon rapport sur le projet de loi de finances pour 2020. Sans les mesures d'économies décidées depuis le début du quinquennat, le budget dévolu aux APL devrait être, toutes choses égales par ailleurs, de l'ordre de 19 milliards d'euros. Ce sont donc 7 milliards d'économie qui devaient être réalisées. Certes, la non-application de la contemporanéisation réduit ce chiffre à un peu moins de 6 milliards d'euros, mais il nous faut conserver à l'esprit le caractère massif de ces réductions budgétaires.
Or, comme l'a rappelé la Cour des comptes dans son rapport public pour 2020, les APL jouent un rôle central dans la redistribution au profit des plus modestes, puisqu'elles représentent environ un tiers de l'effort en la matière au profit des ménages du premier décile de niveau de vie, qui constituent 75 % des bénéficiaires des APL.
La Cour critiquait également la baisse uniforme des APL, quelle que soit la situation du ménage, car celle-ci pose des problèmes d'équité.
Pour ma part, comme je l'ai déjà dit à plusieurs reprises, je suis favorable à un moratoire de la RLS, pour redonner de l'air aux bailleurs sociaux dans la crise actuelle, et au rétablissement de l'APL accession, mesure peu coûteuse et extrêmement profitable pour soutenir l'accession sociale à la propriété, et que nous n'avons pas encore réussi à faire aboutir.
Les cinq articles de la proposition de loi ont une dimension essentiellement budgétaire. Chacun a un objet différent.
L'article 1er supprime le principe d'un mois de carence de versement des APL lors de la première demande. Ce mois de carence est une mesure plus budgétaire que de gestion. Il a été instauré par la loi de finances pour 1995 et s'applique aux prestations familiales depuis 1983 mais, en réalité, il existe plusieurs exceptions. Il ne s'applique qu'aux premières demandes, pour le premier mois d'ouverture des droits, et non si les droits sont acquis depuis plus longtemps mais n'ont pas fait l'objet d'une requête. Par ailleurs, il ne s'applique pas à plusieurs catégories : les personnes hébergées qui accèdent à un logement, celles qui quittent un logement frappé d'insalubrité, les personnes logées en foyers, comme les jeunes travailleurs ou les travailleurs migrants, et les bénéficiaires des minima sociaux.
Le Gouvernement a souligné le coût de sa suppression, qui serait de l'ordre de 250 millions d'euros en année pleine, 1,2 million de nouvelles demandes étant enregistrées chaque année. Néanmoins, compte tenu des exceptions déjà existantes, celle-ci apportera plus de lisibilité. Son coût doit être rapporté aux économies réalisées ces dernières années au détriment des populations les plus fragiles qui bénéficient des APL. Enfin, dans le contexte actuel, il est à craindre qu'un grand nombre de nos concitoyens ne deviennent éligibles à cette aide... Il serait alors incompréhensible de réaliser une économie à leur détriment. La MSA m'a d'ailleurs fait savoir qu'elle s'est prononcée, depuis 2002, pour le versement des APL dès le premier mois d'occupation. Je vous proposerai donc d'adopter cet article.
L'article 2 de la proposition de loi supprime le seuil de non-versement des APL, qui est actuellement fixé à 10 euros par mois. L'argument selon lequel le vrai seuil devrait être celui de l'éligibilité, et non un montant minimum de versement, est naturellement compréhensible, mais il s'agit en l'espèce d'une mesure de bonne gestion. Selon le Gouvernement, ce seuil ne frappe que 17 000 ménages, pour un montant total de 1 million d'euros et des APL moyennes de 60 euros par an, alors que le coût de gestion et d'instruction d'une nouvelle demande serait de l'ordre de 80 à 90 euros, selon la Cour des comptes. En 2017, pour atténuer les effets indésirables de la baisse de cinq euros des APL, ce seuil avait été abaissé de 15 à 10 euros pour les locataires du parc privé et complètement supprimé dans le parc social, donc pour les bénéficiaires de l'APL, pour tenir compte de l'impact de la RLS qui s'y applique. Par ailleurs, on pourrait craindre que le versement d'une aide très faible, même si son versement était annualisé, n'apparaisse comme indécent à certaines familles.
Compte tenu de ces éléments, je ne suis pas favorable à l'adoption de cet article et présenterai un amendement de suppression en séance. Aujourd'hui, je vous proposerai de vous abstenir, conformément à l'accord entre les groupes qu'a rappelé notre présidente.
L'article 3 facilite le maintien des APL en cas d'impayés de loyer. Les auteurs visent à instaurer une présomption de bonne foi du locataire en cas de baisse de ressource dans le cadre d'une crise sanitaire. Je comprends bien l'intention, et le souci, dans la crise sanitaire, de maintenir les APL pour éviter les expulsions. Mais la rédaction proposée n'a pas véritablement de caractère normatif et elle est peu opérationnelle. En effet, l'ensemble des dispositifs existants permet le maintien des APL dès lors que le locataire accepte d'entrer dans un processus d'étalement et d'apurement de sa dette locative et qu'il manifeste la volonté de faire face aux charges de son logement, même partiellement. L'ajout envisagé n'apporterait donc rien, il introduirait peut-être même de la complexité puisque la notion de crise sanitaire n'est pas définie - il serait sans doute difficile pour le locataire de l'invoquer et de prouver un lien de cause à effet.
C'est pourquoi, si les auteurs me confirment leur accord, je proposerai un amendement de suppression de cet article 3.
L'article 4 revient sur la sous-indexation des APL, décidée dans le cadre de la RLS, pour l'année 2020. Les APL seraient de nouveau indexées sur l'indice de référence des loyers, soit une augmentation de l'ordre de 1,5 % au lieu de 0,3 %. Le coût serait de 171 millions d'euros. Il s'agit d'une demande très forte des associations de locataires et du monde HLM. Je la soutiens, estimant qu'il s'agit d'une mesure de justice. Je vous propose donc l'adoption de l'article 4.
Le dernier article, l'article 5, constitue le gage financier. Il portait initialement sur l'impôt sur les sociétés. Mais comment approuver une telle solution dans le contexte actuel, si le Gouvernement, comme c'est probable, ne lève pas le gage ? C'est pourquoi j'approuve l'amendement du groupe CRCE proposant de retenir une hausse des taxes sur le tabac.
Enfin, et comme prévu par le vade-mecum sur l'application de l'article 45 de la Constitution, je vous propose de considérer qu'entrent dans le champ des dispositions présentant un lien direct ou indirect avec le texte les mesures tendant à modifier le droit régissant les modalités de versement des APL, les règles d'indexation des APL et les conditions du maintien des APL en cas d'impayés de dépenses de logement.