Intervention de François-Noël Buffet

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 27 mai 2020 à 8h30
Proposition de loi tendant à sécuriser l'établissement des procurations électorales — Examen du rapport et du texte proposé par la commission

Photo de François-Noël BuffetFrançois-Noël Buffet, rapporteur :

Nous examinons donc dans l'urgence la proposition de loi de Cédric Perrin tendant à sécuriser l'établissement des procurations électorales, déposée le 11 octobre dernier, mais ayant pris une nouvelle dimension avec la crise sanitaire.

Inutile de revenir sur le report des élections municipales, communautaires et métropolitaine, un sujet connu de tous : 16,5 millions d'électeurs seront appelés aux urnes le 28 juin prochain dans 4 857 communes, dont 1 442 communes de 1 000 habitants et plus.

Dans ce contexte, ce scrutin implique de prendre un certain nombre de précautions sanitaires, comme l'a indiqué le comité de scientifiques dans son avis du 18 mai dernier. Il nous faut donc travailler en amont et de manière pragmatique afin de renforcer la sécurité sanitaire dans tous les bureaux de vote.

Le Gouvernement a déclaré qu'il partageait cet objectif. Nous l'invitons donc à soutenir la démarche lancée par les présidents Philippe Bas, Bruno Retailleau et Hervé Marseille avec le dépôt, vendredi dernier, de leur proposition de loi visant à mieux protéger les électeurs et les candidats pour le second tour des élections municipales de juin 2020. Mais, sans procédure accélérée, ce texte ne peut pas être inscrit à l'ordre du jour du Sénat avant un délai de six semaines, ce qui serait trop tardif au regard du contexte électoral.

La réflexion doit être collaborative, mais également évolutive : des incertitudes demeurent concernant l'évolution de l'état sanitaire du pays et la situation que nous connaîtrons à la fin du mois de juin. C'est pour cela qu'il nous faut solliciter un nouvel avis du comité de scientifiques, quinze jours avant l'échéance.

La proposition de loi de Cédric Perrin vise à mieux informer le mandataire d'une procuration pour s'assurer qu'il se rende jusqu'au bureau de vote en lieu et place du mandant. Cette information serait réalisée par voie dématérialisée ou par courrier, lorsque le mandataire n'a pas accès à internet. En réalité, Cédric Perrin regrette la suppression, en 2006, du volet « mandataire » du formulaire de procuration, que le mandataire recevait pour l'informer de la procédure. Il arrive en effet que le mandant oublie d'informer son mandataire, même si une telle omission ne représente pas la majorité des cas.

La proposition de loi tend également à faire contrôler les procurations établies par les membres du bureau de vote et les représentants des candidats. Cette disposition me semble toutefois peu opportune : comme le confirme la jurisprudence, ce contrôle relève davantage de l'autorité qui établit la procuration et du maire qui la reçoit.

Plus fondamentalement, je vous propose d'utiliser ce véhicule législatif pour reprendre les propositions des présidents Philippe Bas, Bruno Retailleau et Hervé Marseille. La proposition de loi serait ainsi recentrée sur le second tour des élections municipales, communautaires et métropolitaines.

Cette méthode n'est pas habituelle, j'en conviens, mais elle me semble adaptée à l'urgence de la situation : le scrutin ayant lieu dans un mois, les électeurs doivent pouvoir s'organiser en amont, notamment lorsqu'ils ne peuvent pas se rendre jusqu'aux bureaux de vote pour des raisons de santé.

Il nous faut d'abord étendre le recours aux procurations. Dans notre tradition républicaine, les procurations s'adressent aux électeurs temporairement absents et ne font pas l'objet d'une grande attention, il faut bien le reconnaître...

Notre ancien collègue Patrice Gélard disait que les procurations répondent « à la louable volonté de faciliter la participation civique des citoyens dont la disponibilité ne saurait être toujours exigée le jour d'une échéance électorale ». Nous n'avons d'ailleurs aucun chiffre sur le nombre total de procurations : une étude universitaire évoque 1,5 million de procurations pour l'élection présidentielle de 2012, soit 5,4 % des voix exprimées. Ce taux est toutefois beaucoup plus important dans les grandes villes, comme notre capitale.

La crise sanitaire nous invite à changer de paradigme : en juin prochain, les procurations seront indispensables pour les citoyens qui ne peuvent pas se rendre jusqu'aux bureaux de vote, soit parce qu'ils sont atteints du covid-19, soit parce qu'ils présentent une vulnérabilité physique.

Il est donc proposé que chaque mandataire puisse recevoir deux procurations établies sur le territoire national, contre une seule aujourd'hui. Cette proposition n'est pas extravagante : elle s'inspire du droit applicable avant 1988. Je rappelle également que les Français établis hors de France peuvent recevoir jusqu'à trois procurations et que cela ne pose pas de difficulté particulière.

Nous avons ensuite une difficulté concernant le « vivier », si l'on peut dire, des mandataires : ces derniers doivent être inscrits dans la même commune que leur mandant, en application de l'article L. 72 du code électoral.

On comprend l'objectif de cette règle, qui est de permettre au maire de contrôler le nombre de procurations détenues par un même mandataire. Elle représente toutefois une contrainte pour nos concitoyens : certaines personnes isolées ne connaissent personne dans leur commune et ne peuvent donc pas établir de procuration.

Nous aurons une solution à compter du 1er janvier 2022 : le répertoire électoral unique (REU) sera modifié pour comptabiliser le nombre de procurations et procéder aux vérifications nécessaires. Contrairement à aujourd'hui, le mandataire et le mandant pourront être inscrits dans deux communes différentes.

Dans l'attente de ce développement informatique, nous devons nous adapter à la situation sanitaire. À titre dérogatoire, nous proposons de permettre à un électeur de disposer d'une procuration dans une autre commune, mais uniquement pour voter au nom d'un ascendant, d'un descendant, d'un frère ou d'une soeur.

Dans ce même objectif de simplification, il nous apparaît opportun de maintenir les procurations établies pour le scrutin de mars dernier. Le mandant pourra toutefois s'y opposer et retirer sa procuration, sa volonté devant respectée en toute circonstance.

Nous devons également prêter une attention toute particulière aux personnes les plus fragiles. Le code électoral prévoit déjà la possibilité pour les autorités compétentes de se rendre à leur domicile afin d'établir les procurations.

Ce dispositif de « procuration à domicile » présente toutefois trois lacunes : il est laissé à la libre appréciation de l'administration, qui ne dispose pas toujours des moyens nécessaires pour le mettre en oeuvre ; il est inadapté à la nature même du covid-19 puisqu'il ne couvre que les personnes atteintes d'une maladie ou d'une infirmité grave, et non les personnes exposées à un risque de contamination et n'ayant pas encore développé de symptôme ; la procédure à suivre reste complexe : les mandants doivent saisir les autorités compétentes par écrit malgré l'absence de formulaire type et fournir un certificat médical ; un simple appel téléphonique ne suffit pas, comme l'a rappelé le Conseil d'État.

En conséquence, nous proposons de consacrer un droit, pour certains électeurs, d'établir leur procuration à domicile, notamment lorsqu'ils risquent de développer une forme grave de covid-19 ou qu'ils sont mis en quarantaine dans le cadre de l'état d'urgence.

Cette procédure serait étendue au retrait des procurations, qui doit être réalisé selon les mêmes formes que leur établissement. Si nous aidons une personne âgée à établir sa procuration, il faut également l'aider à la retirer, si elle le souhaite.

Cette stratégie impliquera une grande mobilisation de la part du Gouvernement : il devra organiser un véritable « service public des procurations » et mobiliser les moyens nécessaires pour permettre aux électeurs les plus fragiles d'exercer leur droit de vote. Le ministre de l'intérieur a déjà évoqué la mobilisation des directeurs d'établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), ce qui semble aller dans le bon sens, à condition de bien encadrer la procédure.

Enfin, nous proposons de sécuriser les opérations de vote. En cohérence avec les propos du ministre de l'intérieur, il s'agit de préciser dans la loi que des équipements de protection, notamment des masques, doivent être mis à la disposition des électeurs et de toutes les personnes qui participent aux opérations de vote. Cette dépense doit être prise en charge par l'État, au même titre que les autres dépenses liées à l'organisation du scrutin.

Sur le plan pratique, les médias se sont fait écho d'une éventuelle difficulté au regard de l'article L. 62 du code électoral, qui prévoit que l'électeur doit « faire constater son identité ». Le Gouvernement devra préciser ce point en séance et modifier une circulaire du 9 mars dernier, qui permettait aux membres du bureau de vote de demander à l'électeur de retirer son masque pour permettre son identification.

Nous prévoyons également de mieux encadrer l'organisation du dépouillement. Chacun sait, de son expérience personnelle, que le dépouillement peut réunir de nombreux électeurs jusqu'à l'annonce des résultats, ce qui peut représenter un risque sur le plan sanitaire. Il faut donc que chaque président de bureau de vote puisse limiter le nombre de personnes présentes au dépouillement, sans que cela enlève des garanties aux candidats concernant le comptage des voix.

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