Sur les questions plus fiscales ou techniques, je n'ai, évidemment, ni les réponses ni les compétences. Une visioconférence est toutefois prévue la semaine prochaine avec l'ensemble des acteurs du patrimoine autour du ministre de la Culture pour étudier comment donner un nouvel élan sur tous les chantiers du patrimoine. Ma crainte est que l'on privilégie les grands chantiers alors qu'il est beaucoup plus intéressant, notamment par rapport aux normes sanitaires de distanciation physique, que les petits chantiers puissent repartir. J'ai d'ailleurs signé une tribune avec le président de ma région François Bonneau invitant à rouvrir rapidement les petits sites. Pour les grands sites, cela peut aussi être facile. Il n'y aura pas de hordes de touristes chinois ou américains qui vont se précipiter, mais des visites privées pourraient être organisées pour les Français résidant à 100 kilomètres à la ronde tout en respectant les distances de sécurité. Il va falloir qu'on travaille pour sauver ce petit patrimoine de proximité.
Avec l'émission « Le village préféré des Français », qui en sera à sa neuvième édition au printemps, je m'aperçois qu'on a de plus en plus de mal à trouver des villages n'ayant pas été défigurés. Expliquez-moi pourquoi un maire préfère soutenir la construction de lotissements en leur donnant l'eau, l'électricité et tous les autres moyens, plutôt que de restaurer les centres-bourgs et notamment agir pour la revalorisation culturelle de ces centres ? Je crois qu'en restaurant les longères des centres-bourgs, on remet de la vie. Ce sont des personnes âgées qui continuent à y vivre, alors que les familles préfèrent se rendre à l'extérieur et loger dans des lotissements.
Le patrimoine est un cadeau, un héritage du passé. On le valorise et il constitue une manne touristique. On a trop tendance, dans notre pays, à considérer le patrimoine comme un coût ou une charge, alors que c'est un investissement. On considère aussi que c'est un luxe, alors que c'est une nécessité absolue. Ce n'est pas délocalisable. C'est la seule entreprise où on ne peut plus enlever les vieilles pierres et les assembler ailleurs. Des usines partent, des entreprises disparaissent, mais le tourisme patrimonial demeure et crée de l'emploi. Dans mon village, avec mon seul monument, nous avons créé six emplois. Il n'y a rien d'autre, à l'exception de quelques entreprises aux alentours. Le patrimoine entraîne la réouverture de certains commerces et vient impacter directement l'économie locale. Il faut convaincre de ce point les plus hautes autorités de l'État ; je m'y emploie, même si je ne suis pas toujours entendu ou écouté.
Depuis la révision générale des politiques publiques, il existe une direction générale du patrimoine, incarnée par Philippe Barbat, qui regroupe les monuments et les grands musées. Il serait donc difficile de recréer une nouvelle division transversale. Ce qui me questionne en revanche, c'est que le tourisme en France est avant tout patrimonial et qu'il dépend pourtant des affaires étrangères, cela m'a toujours étonné. Notre tourisme est avant tout culturel.
Je ne peux pas dissocier le patrimoine de la préservation des sites naturels, ce qui explique mon inclinaison pour l'écologie. Nous n'allons malheureusement pas pouvoir conserver cette image de carte postale que les touristes viennent pourtant, à raison, rechercher.
Le Loto du patrimoine va se poursuivre. Nous lançons en ce moment la nouvelle saison et les dix-huit sites ont déjà été sélectionnés. Je pense que nous serons prêts fin août pour annoncer les 103 monuments du maillage territorial et nous travaillons avec la Française des jeux pour que ces 103 monuments, éligibles au Loto du patrimoine 2020, bénéficient également de leur système de tirage et grattage. Le comité de sélection s'est réuni le 4 mars dernier et a pu donner, sous embargo, le nom des sites à la Française des jeux, car la réalisation des tickets de grattage prend jusqu'à six mois. Grâce à la Fondation du patrimoine, nous avons une souplesse qui permet de débloquer certains fonds tout de suite, afin de venir en aide au patrimoine le plus en péril.
Nous n'avons, en revanche, pas de visibilité sur la manière dont les sommes résultant de la compensation des taxes vont être débloquées par l'État. Or, cette compensation des taxes, comme je vous l'ai expliqué, ne pourra être fléchée que vers du monument historique classé ou protégé. Cela nous demande donc de mener une forme de réflexion a priori afin de cerner les monuments protégés et ceux qui ne le seront pas.
Je me suis par ailleurs énervé auprès du ministre de la Culture car les DRAC ont envoyé des lettres informant qu'ils cessaient de financer ceux qui avaient reçu des fonds du Loto du patrimoine. Cela impliquerait que l'État reconnaît que je me substitue à lui. Or nous avons toujours affirmé que nous ne substituions pas à l'État mais que nous apportions une manne financière supplémentaire. Que les DRAC continuent donc leur travail de financement et nous apporterons nos fonds complémentaires au même titre que les régions, les départements, le fonds européen de développement régional (FEDER), etc. Nous demandons l'établissement d'un plan de financement préalable afin d'identifier qui va payer quoi dans le cadre de la restauration d'un monument.
Le mécénat est en effet essentiel. Il faut le protéger. Il faut aider les entreprises de taille intermédiaire (ETI) qui ont le sens de la transmission. Beaucoup sont prêtes à en faire plus. On pourrait créer des allégements pour leur permettre de financer le patrimoine local. Passer de 60 à 40% dans le cadre de la défiscalisation du mécénat a eu des effets dramatiques. J'appelle ça un amendement « Bernard Arnault » ou « LVMH »... Le seul but était de s'attaquer à un monsieur qui a pourtant donné 200 millions d'euros pour la cathédrale Notre-Dame de Paris. La première chose aurait été de le remercier... Je remercie cette philanthropie et cette générosité. Néanmoins, on arrive à trouver 900 millions pour Notre-Dame alors que je dois me décarcasser pour collecter 20 millions à destination des petites églises de nos campagnes. La réforme régionale n'a pas aidé à mener cette opération, entre la disparition de certaines communes et l'apparition des communautés de communes. Il a fallu faire des choix.
Dans la dernière loi, Sébastien Lecornu a fait en sorte de lever la contrainte minimale de participation des collectivités. Des règles ont donc été assouplies. D'autres lois m'ont mis vent debout, par exemple la loi ELAN contre laquelle je me suis battu. Les ABF ont un rôle essentiel. Certains élus ont eu tendance à se défausser sur l'ABF pour justifier des refus de construction. Le maire est maintenant en première ligne et doit choisir entre enlaidir son village mais gagner une voix ou protéger son village mais en perdre une. Je pense que les ABF avaient un rôle pour encourager les maires.
Ce qui est fondamental, c'est l'assistance à la maîtrise d'ouvrage, l'AMO. Je prends un exemple vécu ; je suis à proximité d'une abbatiale du Xe siècle. Le maire ne peut s'en sortir seul avec sa secrétaire de mairie pour réaliser l'ensemble des procédures administratives et lancer les appels d'offres ou les demandes de subvention. Ils sont débordés, particulièrement en ce moment. Il faut augmenter le travail des assistants à la maîtrise d'ouvrage, que le ministère de la Culture en fasse un service à rendre à tous les maires, à travers les DRAC. C'est un problème d'ingénierie administrative. C'est ce qui empêche parfois que les crédits soient dépensés, les dossiers étant incomplets ou ne pouvant être finalisés à temps.
Le prochain problème gravissime en France est celui du patrimoine religieux. Les maires n'ont plus les moyens nécessaires pour la sauvegarde des églises de nos villages. Si vous remettez sans cesse à plus tard cette ligne budgétaire « Entretien du patrimoine religieux de la commune », la facture sera particulièrement douloureuse cinq ans plus tard. La question des compétences n'aide pas. Le tourisme relève des communautés de communes mais la sauvegarde du patrimoine dépend du maire. La rénovation de l'église n'est plus, en outre, un sujet électoral. Les priorités sont le transport scolaire, la cantine ou le terrain de foot. Qui va s'occuper des églises de nos campagnes ? On trouve de l'argent, et j'en suis le premier ravi, pour le Grand Palais à Paris, mais à hauteur de 400 millions d'euros, pas de 22. Il faudrait décréter le patrimoine rural cause nationale et débloquer l'argent nécessaire. J'aimerais entendre de la part de l'exécutif la création d'un New Deal en faveur du patrimoine, comme Roosevelt a pu le faire après la guerre. Le patrimoine a d'ailleurs été un facteur de reconstruction après les guerres, symbolique comme économique. Le patrimoine, ce sont des micro-entreprises, des artisans, je pense aux tailleurs de pierres, aux charpentiers, aux couvreurs, aux maçons et, plus globalement, à tous ceux qui travaillent sur les chantiers du patrimoine. Ce sont des auto-entrepreneurs sans aucune sécurité juridique.
Dans mon village, le châtelain local n'avait pas les moyens de financer une étude préalable. Il a été interdit à la maire de prendre en charge cette étude, qui aurait permis de résoudre un problème d'eau. Il faudrait des accords entre les pouvoirs publics et les propriétaires privés qui possèdent la moitié de notre patrimoine. Les blocages sont nombreux.
S'agissant des normes, il convient d'alléger ce qui relève du pointilleux tout en restant strict sur le respect des normes. En matière de patrimoine, on ne peut pas s'affranchir des règles et il ne peut pas y avoir de dérogation. L'État doit respecter la loi qu'il impose à d'autres. Derrière, ce sont des métiers d'art qui oeuvrent.
Je suis très attaché à la transmission du savoir. Nous devons initier les jeunes au patrimoine. Avec l'association Vieilles Maisons Françaises, j'ai financé le kit « J'aime le patrimoine » dans les écoles. Il faudrait un équivalent de la « Semaine du goût » : il faut emmener les enfants à la découverte du patrimoine local, de cette beauté à portée de main. Ce patrimoine est gratuit et à portée de tous. Il faut donner à ces enfants la possibilité d'être les Stéphane Bern de demain et de transmettre à leur tour l'amour du patrimoine. J'entendais le Président de la République évoquer les colonies de vacances. Voilà des endroits formidables où envoyer les jeunes cet été pour s'initier au patrimoine ! Je vois partout des jeunes s'impliquer et s'instruire dans ces chantiers. Ces métiers d'art n'existent qu'en France. Le monde entier nous envie ce savoir-faire et cet art de vivre, il nous faut le transmettre. Nous devons profiter de cette crise pour sauver notre patrimoine de proximité, aider les maires à le valoriser, les inciter davantage dans certains territoires, amener l'État à aider dans les chantiers via un New Deal et développer le « Pass Famille » en parallèle du « Pass Patrimoine ».
Certains chantiers sont à l'arrêt car les conseils municipaux n'ont pas pu se former. Il y a un risque d'année blanche avec des carnets de commande vides car tout est bloqué. Il faut donc que les propriétaires privés mobilisent ces acteurs mais ils ne pourront pas tout faire. Nous devons comprendre que le patrimoine est la chance de la France et il nous fait avancer tous ensemble dans le même sens. J'espère que le Président de la République va envoyer un signal fort en faveur du patrimoine.