Intervention de Julien Denormandie

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 26 mai 2020 à 17h00
Répercussions de la crise du covid-19 sur l'aménagement numérique du territoire — Audition de M. Julien deNormandie ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales chargé de la ville et du logement

Julien Denormandie, ministre :

J'entends la proposition faite par M. Chaize, visant à octroyer un délai maximal par défaut afin d'éviter qu'on ne s'enferme, ici ou là, dans des débats sans fin quant aux délais supplémentaires susceptibles d'être octroyés. Nous avons d'ores et déjà mis en oeuvre ce principe dans le cadre d'une ordonnance prise le 15 avril dernier. Celle-ci énonce que tout projet dont la date d'achèvement se trouve durant la première période d'urgence sanitaire, qui a pris fin le 24 mai, ou lui est postérieure, peut être décalé à hauteur de la durée de la période de confinement, plus un mois, soit trois mois et demi au total. Je souhaite aller plus loin car je ne veux en aucune manière que ceci revienne à indiquer aux opérateurs qu'ils peuvent décaler le déploiement de trois mois et demi concernant leurs engagements pris sur le fondement de l'article L. 33-13 du code des postes et des communications électroniques. Il s'agit d'un délai maximum, qui doit être justifié au cas par cas. Peut-être nous faudra-t-il définir un jalon avant ces trois mois et demi. J'irais donc volontiers un peu plus loin que ne le propose M. Chaize, tout en allant dans le même sens.

Nous pouvons mobiliser de nouveau 280 millions d'euros au titre du FSN pour la généralisation de la fibre. Ce n'est pas un artifice. Nous constations, avant la survenue de la crise sanitaire, que dans tous les projets de déploiement, un euro engagé par le secteur public ne donnait pas lieu à une dépense privée du même montant. On peut s'en réjouir pour l'État et pour les collectivités territoriales : la part du privé augmente au fur et à mesure dans l'ensemble des projets. Une difficulté se fait jour toutefois car si les entreprises savent que le montant des projets financés sera supérieur au montant engagé, la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) ne peut permettre de raisonner ainsi. C'est la raison pour laquelle nous écrivons des lettres d'engagement en nous assurant de la disponibilité de ce montant, a minima, afin de couvrir ces engagements. Nous avons lancé un cahier des charges en février dernier mais nous n'avons pas décalé les dates de remontée de ces demandes de financement complémentaire. Nous étudierons tous les dossiers remontant jusqu'au 15 septembre prochain, ce qui permettra de constater le montant total à engager. C'est une technique budgétaire éprouvée et non un artifice. Elle doit nous permettre, in fine, de couvrir l'ensemble des besoins, dont nous aurons une vision précise, de façon consolidée, mi-septembre.

Nous n'avons pas encore le détail de ce que nous pourrions faire pour introduire davantage d'agilité dans le versement des aides. Nous estimons que nous devrions pouvoir verser 100 millions d'euros d'acompte, ce qui permettrait de réduire les délais de paiement et de passer des commandes immédiatement, plutôt que de prendre le risque de retards qui auraient pour origine le délai de versement des concours financiers.

De nombreuses fédérations m'ont demandé de légiférer quant à la répartition des surcoûts. J'y suis totalement opposé, pour une raison simple : la loi n'a pas à régir le rapport contractuel entre un donneur d'ordre et un opérateur à propos des surcoûts, faute de quoi toute modification contractuelle nécessiterait de repasser devant les chambres. Dans un très grand nombre de cas, le donneur d'ordre et l'opérateur ouvrent leurs livres, évoquent les marges de l'un et de l'autre et constatent que tous les surcoûts ne reposent pas sur une seule des parties. Si le promoteur, par exemple, conserve une marge conséquente alors que l'opérateur est en déficit important, celui-ci préférera, in fine, ne pas reconduire le marché. L'intelligence locale permet, dans la plupart des cas, de traiter les difficultés lorsqu'elles se font jour. Il y a quelques cas plus difficiles à résoudre. Nous accompagnons alors les promoteurs et les opérateurs afin de trouver des solutions. Je n'oublie pas que l'État est un donneur d'ordre important et doit être exemplaire.

Je vous remercie d'avoir rappelé que nous avions pris, conformément à l'engagement que j'avais pris, l'arrêté « Enedis », qui était très attendu. Il est un peu tôt pour en tirer un bilan détaillé. De nombreux opérateurs m'en parlent encore, de même que des acteurs de collectivités, ce qui montre que le problème n'a pas été totalement éliminé. C'est la raison pour laquelle j'ai proposé aux parties prenantes (associations d'élus, opérateurs, acteurs de la mise en oeuvre des réseaux numériques) que le comité de pilotage inclue désormais Enedis. Ce principe devrait permettre de résoudre de nombreuses difficultés.

Je suis d'accord avec vous à propos de la base adresse : ce sujet doit être abordé avec l'ANCT. Des tentatives ont été menées mais n'ont pas été couronnées de succès. Nous devons rouvrir ce dossier, sans méconnaître les enjeux de sécurité qu'il présente.

Concernant les arguments qui plaidaient pour le maintien de la 5G, ils ont trait principalement à la compétitivité de l'économie française. J'ai vu les débats lancés à propos de la pertinence de cette technologie dans le moment que nous traversons. Je ne voudrais surtout pas que nous rations le train de la 5G, à l'instar de sauts technologiques que notre pays a ratés par le passé. Je crois que cet état d'esprit est partagé par tous, y compris par le président Bouygues. Le Covid-19 ne doit en rien réduire nos ambitions pour la compétitivité « coûts » ou « hors coûts » de notre économie. Il m'importe, en revanche, que l'état d'esprit du New Deal perdure aujourd'hui : le déploiement dans les zones très peu denses doit devenir une priorité et une obligation, grâce à l'outil que constituent les enchères. C'est la raison pour laquelle nous avons réintroduit dans les enchères 5G un indicateur lié à l'aménagement du territoire, comme nous l'avions fait pour les enchères 4G.

J'ai lu avec une grande attention l'étude très intéressante que vous évoquiez à propos des permissions de voirie. Plus de 1 700 collectivités ont répondu à cette enquête et il apparaît effectivement que plus de 70 % des services d'urbanisme fonctionnent normalement ou quasi-normalement. L'étude constate notamment que les demandes de projets ont plus fortement diminué que les instructions de projets, ce qui semble indiquer que des porteurs de projets ont sans doute différé leur demande, estimant que le service instructeur avait probablement suspendu son activité. Cette étude doit être diffusée et connue, pour montrer que de nombreuses collectivités ont poursuivi leurs efforts et qu'il faut continuer de déposer ces demandes.

Nous avons néanmoins un défi à relever pour la numérisation de ces services d'instruction - qu'ils se trouvent au sein des collectivités territoriales ou des services de l'État - comme l'avaient mis en évidence les débats sur la loi ELAN. Rares étaient les obligations contenues dans la loi ELAN mais je plaidais pour l'obligation de la numérisation des permis - notamment les permis d'urbanisme et permis de construire - à l'horizon 2020, en particulier pour les grandes agglomérations. Le débat a reporté ces échéances à fin 2021 et 2022, pour des raisons tout à fait justifiées de faisabilité technique. Nous devons, au sein de l'État et des services spécialisés, accompagner les collectivités et les services de l'État pour parvenir à une numérisation plus rapide. Je crois notamment que nous devons mettre à la disposition de l'ensemble des acteurs des outils simples d'utilisation, pour ceux qui ne l'auraient pas encore fait.

Je ne connais pas le détail des demandes adressées à la plateforme de signalement. Je puis vous indiquer que 245 dossiers y ont été déposés. 144 dossiers concernaient le mobile et 94 le fixe. Je ne saurais vous dire s'ils portaient plutôt sur des problèmes de voirie ou de raccordement. Les problèmes de raccordement m'ont été rapportés à de nombreuses reprises, notamment hier, en comité de pilotage. S'agissant des problèmes de voirie, certaines dispositions n'ont pas franchi les fourches caudines des vérifications juridiques, car nous allions trop loin. Cela dit, les ordonnances du 25 mars favorisaient déjà des dispositions exceptionnelles, y compris pour la voirie. Si j'ai le détail des demandes déposées sur la plateforme, nous vous transmettrons ces données avec grand plaisir.

Je suis partisan d'aller le plus loin possible en matière d'allègement des procédures. Il y a néanmoins un certain nombre de points qu'il ne nous faut pas franchir. Faut-il par exemple simplifier davantage que nous ne l'avons fait dans la loi ELAN les consultations conduites au moment de l'érection d'un pylône ? Je suis persuadé que consulter et faire adhérer la population fait gagner, in fine, beaucoup de temps, plutôt que de donner à la population locale l'impression que cette installation lui est imposée.

Ces consultations se déroulent d'ailleurs dans des délais très brefs lorsque cela se passe bien. Là où des difficultés se font jour, la consultation permet souvent de les aplanir.

Vous avez raison de souligner que certains retards ne sont pas imputables aux opérateurs. Je ne ferai jamais la chasse aux uns ou aux autres et ne suis jamais entré dans ce jeu. Nous devons jouer collectivement en la matière d'autant plus que nous avons tous des responsabilités dans ces situations, à commencer par les services de l'État et des collectivités. C'est le sens des propos du président Maurey, que je me suis approprié, estimant qu'il fallait examiner chaque retard pour le justifier. Parfois, les pylônes ne peuvent être livrés. Parfois, le raccordement ne pouvait être effectué.

Je n'ai pas en tête le calendrier du décret « zones fibrées ». Je vous le ferai parvenir. Il existe en tout cas un enjeu majeur de commercialisation des offres. Nous avons trop souvent constaté que certaines technologies étaient disponibles mais n'étaient pas commercialisées. C'est le sujet de l'accès des fournisseurs d'accès à internet (FAI) aux réseaux, qu'il nous faut traiter. Il était inscrit à l'agenda de l'année 2020 mais a été reporté du fait du Covid-19.

La souveraineté numérique constitue l'un des sujets pouvant être traités par les comités de filière, ce qui répond à une volonté conjointe qui nous a animés avec la secrétaire d'État chargée de ces sujets, Agnès Pannier-Runacher.

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