Je vous rappelle que nous sommes, pour cette audition, dans un format mixte : le ministre et un certain nombre de sénateurs sont présents dans cette salle, tandis que d'autres membres de la commission participent à cette audition à distance, par visioconférence.
Monsieur le ministre, nous sommes très heureux de pouvoir faire avec vous le point sur la question de l'aménagement numérique du territoire, après cette phase de confinement et durant cette pandémie, qui a des conséquences sur le numérique à court terme et à plus long terme. Je rappelle que votre dernière audition par la commission remonte à décembre 2018, mais nous vous avions également entendu en novembre 2019, à l'occasion du colloque sur l'aménagement numérique du territoire, organisé à l'initiative de notre commission.
Ce sujet fait l'objet d'un suivi spécifique par notre commission en cette période de crise sanitaire. Les travaux sont menés par nos trois référents : Patrick Chaize, président de l'Avicca et du groupe d'études Numérique du Sénat, Jean-Michel Houllegatte et Guillaume Chevrollier, co-rapporteurs de la mission d'information relative à l'empreinte environnementale du numérique. Il y a quelques semaines, nous avons entendu le président de l'Arcep, Sébastien Soriano, et les trois référents ont également auditionné il y a une dizaine de jours la Fédération française des télécoms et les représentants des opérateurs.
Force est de constater que les réseaux ont bien tenu face à l'accroissement significatif des usages, malgré les craintes qui existaient au début de confinement du fait notamment du recours fortement accru au télétravail. Vous nous direz comment et pourquoi nous avons évité la catastrophe que l'on pouvait craindre.
La crise a également montré à quel point les réseaux étaient importants. Ils ont notamment constitué un prérequis indispensable au télétravail, sans lequel notre économie aurait été encore plus affectée. A contrario, nous avons pu constater qu'un certain nombre de territoires n'avait pas accès aux réseaux, fixes ou mobiles. Ce constat conforte notre volonté d'assurer une couverture numérique du territoire, sans rechercher - comme ce fut parfois le cas par le passé - à réaliser des économies budgétaires, qui représentent finalement peu de chose au regard des apports des réseaux à notre économie et à nos concitoyens.
Je voudrais également évoquer les inquiétudes qui se font jour à propos du retard pris durant la crise en termes de réalisation des travaux. Sans doute pourrez-vous faire un point sur le sujet. Un certain nombre de travaux ont été suspendus, ce qui a généré des retards. Nous avons à coeur que le Covid-19 ne soit pas le prétexte, pour les opérateurs, à des retards que l'on aurait observés quoi qu'il arrive. L'année 2020 est importante en termes de déploiement, dans la mesure où elle devait être marquée par la généralisation de la 4G sur les sites existants d'ici la fin de l'année et par la livraison, cet été, des premiers sites de couverture ciblée. C'est également l'année de la généralisation du « bon » haut débit. Enfin, Orange et SFR doivent rendre raccordables 100 % des sites en zone AMII. J'ai vu, en outre, que certains opérateurs demandaient déjà que les échéances de déploiement de la 5G soient différées. Nous sommes très attachés à ce que l'Arcep continue à contrôler la poursuite de déploiement et, le cas échéant, à sanctionner les opérateurs. S'il y a des retards, ils doivent être justifiés au cas par cas et nécessaires.
Je me permets également d'évoquer la question de la téléphonie mobile et la planification pluriannuelle du déploiement des pylônes. Vous avez jugé souhaitable la construction de cette vision pluriannuelle. Celle-ci peine, dans les faits, à voir le jour, en raison notamment de l'absence de diagnostic réel et fiable de la couverture des territoires. À titre d'illustration, les services de l'État ont réalisé, dans mon département, au niveau de la préfecture de région, un travail de grande qualité qui a abouti à l'identification de 57 sites nécessaires pour assurer une bonne couverture du département. Il a été décidé au sein de l'équipe projet d'effectuer des études radio afin de vérifier la pertinence de cette évaluation et estimer les besoins réels. Je pensais naïvement que des études radio consistaient à se rendre sur le terrain pour mesurer la réalité de la couverture. Il n'en est rien. Après six mois d'études, les opérateurs nous disent que nous avons besoin de 16 sites et non 57. Nous nous heurtons ainsi, une fois de plus à un problème de fiabilité du diagnostic.
Monsieur le ministre, je vous laisse la parole.
Mesdames et messieurs les sénateurs, je tiens tout d'abord à vous remercier pour cette invitation. C'est toujours avec beaucoup de plaisir que je viens devant la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable pour évoquer ce sujet qui me tient particulièrement à coeur.
Durant la crise sanitaire que nous avons vécue, l'accès au numérique est apparu comme un élément essentiel au regard notamment de la continuité de l'activité économique. Certains mots trop peu prononcés jusqu'alors, tel que celui de télétravail, sont devenus monnaie courante. Le numérique constitue aussi un facteur majeur de lien social et est parfois un vecteur de sécurité. Bref, cette crise sanitaire a montré une fois encore à quel point les réseaux de communication jouaient un rôle essentiel dans notre pays.
Comme vous l'avez souligné, les réseaux ont tenu le choc et il faut saluer le travail réalisé par les collectivités territoriales mais aussi par les opérateurs. Nous pouvons être fiers de la grande équipe du numérique et de la téléphonie mobile, qui a montré sa détermination et sa disponibilité, lesquelles ont permis aux réseaux de tenir le choc. L'État a également réalisé un travail d'ampleur, piloté notamment par Cédric O, secrétaire d'État au numérique. Celui-ci s'est assuré au quotidien de la pertinence d'un certain nombre de choix stratégiques. Un certain nombre d'applications extrêmement attendues, notamment pour le divertissement des jeunes ou moins jeunes, ont été décalées dans le temps afin de s'assurer que les bandes passantes étaient suffisantes pour l'ensemble des usages essentiels, tel que le télétravail.
Cette crise, si elle a mis en exergue l'impérieuse nécessité des réseaux numériques et de téléphonie mobile, a également mis en évidence l'obligation de réduire la fracture numérique, que la crise a révélée plus encore qu'auparavant. L'action que nous avons conduite dès 2017, au sein du gouvernement, contre les zones blanches et pour la couverture du territoire, s'est trouvée confortée dans sa pertinence. Cela nous oblige aussi à veiller à ce que toutes les actions lancées soient suivies d'effets et à accélérer un certain nombre d'initiatives.
Les données du déploiement des réseaux en 2019, présentées avant le début de la crise sanitaire, sont incroyablement positives : en 2019, 4,8 millions de lignes FTTH ont été rendues raccordables. Ce nombre représente une augmentation de 50 % par rapport à 2018 et un doublement par rapport à 2017. Autrement dit, en deux ans, nous avons multiplié par deux le rythme de déploiement du numérique dans notre pays. Nous sommes ainsi en train de bâtir une architecture du numérique qui n'a pas d'équivalent en Europe, dans des pays de taille comparable. Ce réseau numérique de très haut débit est bien meilleur que ceux existant en Allemagne et au Royaume-Uni. Il crée un avantage compétitif très important au bénéfice de l'ensemble des activités françaises, ce qui a été permis par l'ensemble des acteurs du numérique, collectivités locales, opérateurs et État.
Je crois pouvoir dire que le choix que nous avons fait dès 2017, consistant à ne pas remettre en cause et même à renforcer les réseaux d'initiative publique dans les zones les moins denses, a démontré sa pertinence. Je m'en félicite car de nombreux débats avaient eu lieu à ce propos.
L'engagement de la filière a été très fort durant la crise du Covid-19 en dépit de contraintes majeures. Certes, il n'a pas été possible de déployer les réseaux au rythme très soutenu dont nous avions pris l'habitude en 2019. Un certain nombre de dispositions ont néanmoins été prises pour maintenir leur déploiement. Je pense en particulier à l'ordonnance du 25 mars 2020, qui a permis, pour la seule période d'urgence sanitaire, d'alléger les obligations pesant sur les opérateurs afin de permettre la réalisation des opérations de maintenance et ainsi assurer la continuité de fonctionnement des réseaux.
Des dispositions opérationnelles ont également permis de soutenir l'activité là où elle était nécessaire et de rebondir plus rapidement au moment de la reprise. Je pense au guide des bonnes pratiques sanitaires établi avec les fédérations pour l'ensemble des travaux publics et à la plateforme de signalement mise à la disposition des opérateurs rencontrant des difficultés de déploiement liées à des contraintes administratives. Je pense aussi à des signalements effectués auprès d'Enedis. Il est indispensable de s'assurer que le raccordement électrique du pylône puisse avoir lieu, pour qu'il puisse fonctionner.
Si, durant la crise sanitaire, les réseaux ont tenu et si les déploiements se sont poursuivis, l'activité n'a aucunement été la même qu'auparavant. C'est la raison pour laquelle notre rôle consiste aujourd'hui à permettre d'aller encore plus vite dans le déploiement. C'est la raison pour laquelle je suis résolu à maintenir une très forte pression dans le tube, c'est-à-dire à ne pas balayer d'un revers de main les calendriers contraignants qui avaient été définis mais au contraire à considérer que, par défaut, ils doivent prévaloir. Si retard il y a, ce retard doit être justifié et nécessaire, pour reprendre les termes que vous avez employés. De nombreux engagements ont été pris par les opérateurs vis-à-vis du gouvernement, tant en matière de fixe que de mobile, que ce soit sur le fondement de l'article L. 33-13 du code des postes et des communications électroniques ou dans le cadre des contrats de réseaux d'initiative publique (RIP) qui ont été passés.
Des aménagements ont été apportés puisque les ordonnances prises pendant la crise ont permis de décaler les pénalités de retard de la durée de la période de crise sanitaire, accrue d'un mois. Cela vaut donc pour les engagements pris dans le cadre des RIP. J'ai réuni hier avec Jacqueline Gourault et Agnès Pannier-Runacher le comité de pilotage, au sein duquel sont représentés l'ensemble des associations d'élus, les opérateurs de téléphonie et les opérateurs de RIP, autour d'un message clair : pour la fibre comme pour le mobile, les engagements pris sur le fondement de l'article L. 33-13 doivent en principe être maintenus et tout décalage doit être justifié.
J'ai demandé à l'ensemble des opérateurs de nous transmettre des informations sur l'avancée du New Deal, et notamment de son dispositif de couverture ciblée, dont les 485 premiers pylônes devaient être déployés avant la fin juin. Les opérateurs devront nous indiquer, dans un délai de quinze jours, l'état d'avancement de ces déploiements, les retards constatés et plus spécifiquement les retards dont les raisons n'incombent pas aux opérateurs. Ces situations peuvent se produire. Nous en avons tous des exemples en tête. Nous pourrons ainsi définir un échéancier très précis avec l'Arcep. Si l'échéance du 30 juin devra sans doute être décalée dans certains cas, les décalages devront être dûment justifiés.
S'agissant du déploiement des réseaux fixes et des engagements en zone AMII au titre de l'année 2020, les deux principaux opérateurs concernés - Orange et SFR - doivent effectuer le même travail d'ici la mi-juin. Notre main ne tremblera pas. Je suis reconnaissant envers les opérateurs pour le travail effectué, y compris durant la période d'urgence sanitaire. Ceci ne peut toutefois conduire à utiliser le Covid-19 comme prétexte pour justifier d'éventuels décalages. Si décalage il y a - ce qui peut être compréhensible -, il doit être justifié et ses raisons devront être exposées.
Concernant la fibre, il est très difficile de disposer de données précises quant au rythme de déploiement actuel. Il s'agit de données empiriques. Selon les données présentées hier en comité de pilotage, tous les opérateurs souhaitent reprendre les déploiements au rythme exceptionnel qui prévalait en 2019. L'année 2020 sera naturellement marquée par un impact majeur et les déploiements seront sensiblement inférieurs à ce qui était escompté. Je crois que chacun le comprend. Nous souhaitons renouer le plus vite possible et en tout état de cause avant la fin de l'année retrouver le rythme de déploiement soutenu qui était constaté avant la survenue de la crise.
À titre de comparaison, dans le BTP, 80 % de l'activité était suspendue durant la première période de la crise sanitaire, c'est-à-dire pendant la période de confinement. Il y a trois semaines ou un mois, 30 % des chantiers avaient repris. Il y a quinze jours, 50 % des chantiers avaient repris. Il y a une semaine, ce taux était de 72 %. De nombreux chantiers n'ont pas repris à 100 % de leur activité mais la reprise existe et l'envie est présente. La situation est comparable concernant le déploiement de la fibre.
Nous devons continuer de soutenir cette reprise. Nous avons soumis deux propositions aux opérateurs. Il s'agit d'abord de la possibilité de recourir au Fonds de solidarité numérique (FSN) en disposant d'avances à ce titre. Il s'agit souvent d'un élément très important, pour les sous-traitants des opérateurs. N'oublions pas ce tissu de PME et ETI qui participent elles aussi à l'activité et qui sont fortement impactées. Il s'agit par ailleurs d'élargir l'accès au guichet de cohésion numérique, permettant de donner un soutien de 150 euros aux Français non-couverts par les réseaux filaires, pour leur permettre de s'équiper en « bon » haut débit via des technologies sans fil. Nous avons créé il y a environ un an ou un an et demi ce guichet, qui n'est pas utilisé autant qu'il pourrait l'être. Aussi proposons-nous d'élargir son utilisation, selon des critères à définir, afin d'aller plus loin et ainsi tenir l'engagement souhaité par le Président de la République, celui du « bon » débit pour tous en 2020, par le filaire ou par les technologies hertziennes. Nous réaffirmons cet objectif.
S'agissant du mobile, le New Deal avance et je ne voudrais pas que les difficultés liées au déploiement des pylônes du dispositif de couverture ciblée constituent le seul critère d'appréciation de ce vaste plan, qui contient nombre d'autres mesures. Il prévoit aussi le passage des anciennes technologies (2G et 3G) aux nouvelles technologies (4G). L'engagement des opérateurs prévoit de faire passer, d'ici fin 2020, 99 % de leurs pylônes à la 4G. Ce taux est à ce jour de 86 %, ce qui veut dire que de nombreux pylônes sont passés à la 4G. Ce changement fut massif, perceptible et s'est avéré très précieux durant la période de confinement.
Nous avons d'ores et déjà notifié 1 361 sites à couvrir au titre de la couverture ciblée. Sous le précédent quinquennat, le plan mobile ne contenait ni de volet relatif à la généralisation de la 4G sur les sites existants, ni de volet relatif à la couverture des axes routiers, également prévue par le New Deal. Il ne prévoyait qu'une couverture ciblée du territoire, avec en tout et pour tout un objectif de déploiement de 600 pylônes, dont un faible nombre a été effectivement réalisé puisqu'un certain nombre d'entre eux ont finalement été inclus dans le dispositif New Deal que nous avons proposé. Aujourd'hui, 1 361 sites sont déjà en cours de traitement. J'ai signé, juste après le début de la période de confinement, l'arrêté pour 2020, qui ajoutera 480 sites aux 1 361 sites, soit environ 1 800 sites en cours de couverture en trois ans. Nous allons poursuivre l'effort à raison de 600 à 800 nouveaux sites pour lesquels les travaux de couverture débuteront chaque année. Je n'ai pas encore publié cet arrêté puisque cette publication ferait courir l'obligation, pour les opérateurs, de couvrir le site en deux ans, ou en un an si la collectivité locale met le terrain à la disposition de l'opérateur. Cet arrêté paraîtra dans les prochains jours. Nous aurons alors 1 800 sites en cours de traitement.
En ce qui concerne la planification pluriannuelle, que nous avons déjà évoquée à plusieurs reprises, rappelons que la nouvelle Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT), entrée en fonction le 1er janvier, a été construite notamment autour de la mission France Mobile, qui repose sur une logique de projet, au service des collectivités territoriales. L'ANCT a vocation à accompagner les collectivités afin de leur apporter l'ingénierie dont elles ont parfois besoin. L'enjeu réside parfois dans la disponibilité des financements. Il nous faut en tout cas prendre ce sujet à bras-le-corps.
Sur les 1 361 pylônes que j'évoquais, 485 doivent entrer en fonctionnement avant la fin du mois de juin. Du fait de la période de confinement, ce nombre ne pourra être atteint. Comme je l'indiquais, tout décalage devra être justifié et nécessaire. 120 pylônes ont déjà été activés, dont 52 durant la période de confinement. Ce nombre peut paraître assez éloigné de l'objectif de 485 pylônes. Il faut cependant rappeler que, dans ces projets, c'est généralement à la fin de la période que le pylône est monté et livré. De nombreux projets étaient en phase finale. Il restait à effectuer la livraison et le montage final, ce qui était prévu au cours des deux premiers trimestres de l'année 2020.
Le numérique doit naturellement constituer un élément majeur de la reprise. Personne ne comprendrait que sa massification et ses usages ne soient pas au centre des dispositions que nous prenons pour favoriser la reprise et la relance de l'activité économique de notre pays.
Nous sommes très heureux que vous soyez résolu à maintenir la pression dans le tube et que nous soyons en phase pour considérer qu'il faut avoir un langage de fermeté vis-à-vis des opérateurs, afin que ceux-ci remplissent leurs obligations. Cette couverture numérique des territoires est indispensable et nous ne pouvons pas prendre des retards supplémentaires.
Merci Monsieur le ministre, pour votre présence et pour présenter le numérique comme un élément central de la politique de votre gouvernement.
Je m'associe pleinement aux propos du président Maurey quant à la nécessaire vigilance du régulateur et de l'État concernant les retards qui seront pris par les programmes de déploiement, tant pour le fixe que pour le mobile. Ces éventuels reports d'échéances devront, comme vous l'avez souligné, être étudiés au cas par cas et chaque opérateur devra fournir des informations afin d'étayer les situations dont il sera question. Je me demande s'il n'y aurait pas lieu de définir un délai forfaitaire qui s'appliquerait à tous les marchés et tous les contrats en cours, avec pour effet de geler une période que nous pourrions définir collectivement, afin que nous évitions des débats sans fin entre les uns et les autres ou que d'aucuns obtiennent des délais plus longs que d'autres. Ce serait sûrement imparfait mais cela aurait pour mérite de placer tous les opérateurs sur un pied d'égalité et de pouvoir s'appliquer sans difficulté.
Notre regard doit en tout cas se porter, aujourd'hui, sur les moyens à mobiliser pour relancer les programmes de couverture numérique du territoire et les adapter au contexte sanitaire qui devrait nous accompagner encore plusieurs mois.
Consacrons tout d'abord les moyens financiers nécessaires à la généralisation de la fibre. Le sujet revient de façon cyclique, notamment à l'occasion de la discussion de chaque projet de loi de finances. Je me suis battu, lors de la discussion du projet de loi de finances 2020, de même que lors du projet de loi de finances 2019. Le Sénat a eu la sagesse de considérer qu'il fallait effectivement manifester la volonté de couvrir totalement le territoire national, en accordant une forme de « rallonge » au plan France Très Haut Débit. À chaque fois, malheureusement, le Gouvernement est revenu sur cette proposition et l'Assemblée nationale a maintenu les engagements financiers de ce plan au niveau initial. Certes, on nous dit aujourd'hui, par un artifice, que l'on peut couvrir l'ensemble des départements. Comme vous le savez bien, ceci ne peut se faire de façon égalitaire et je le déplore. Les collectivités auraient reçu, à travers la proposition que nous défendions, un signal positif qui aurait permis d'impulser une dynamique encore plus forte. Allez-vous revenir sur votre position, et abonder pleinement le « guichet » France Très Haut Débit afin d'atteindre l'objectif de 100 % FTTH à l'horizon 2025 ?
Lors des États généraux des RIP auxquels vous participiez la semaine dernière, vous avez plaidé pour plus d'agilité dans le versement des aides du guichet France Très Haut Débit, par exemple par la remise d'avances aux collectivités. Pourriez-vous développer devant nous ce point, qui me semble bien sûr aller dans le bon sens ?
Au-delà de ces enjeux financiers primordiaux, nous devons également réfléchir à des leviers réglementaires de relance des déploiements. Certains acteurs ont exprimé devant vous les surcoûts que le contexte du Covid-19 allait engendrer. Je ne suis pas favorable à considérer dès aujourd'hui que ces surcoûts seront importants, même s'il faudra sans doute s'organiser différemment et si des contraintes de chantiers risquent de créer des surcoûts. Le financement de ces surcoûts peut sans doute être compensé par des allégements de procédures, notamment de procédures administratives. Je vous avais interpellé, dans le cadre du débat sur la loi ELAN, à propos des réseaux aériens et vous avez fait un pas, à travers l'adoption d'un nouvel arrêté sur le sujet. Quel bilan tirez-vous de ces dispositions ? Ne pensez-vous pas que nous pourrions trouver de nouveaux leviers de simplification ? Nous serons à vos côtés pour travailler sur ce sujet.
Nous devons aussi accélérer le déploiement de la base adresse nationale (BAN), sujet que nous évoquons depuis trop longtemps. Aujourd'hui, 30 % des foyers français ne sont pas couverts par cette base adresse, particulièrement dans les territoires ruraux, ce qui occasionne de grandes difficultés de raccordement à la fibre, quand bien même celle-ci passe dans la rue des ménages considérés. Nous devons remédier à cela. Il faudrait confier aux maires la compétence relative à la dénomination des voies et à l'adressage et confier à l'ANCT la responsabilité d'accompagner les collectivités dans l'élaboration de leur base adresse locale. Quel regard portez-vous sur cette proposition ?
Vous avez souligné le fait que la crise avait mis en lumière l'impérieuse nécessité des réseaux et de la couverture numérique, tant il est vrai que la fracture numérique s'est fait sentir dans nos territoires. Le calendrier des déploiements a été impacté par la crise sanitaire. De nouvelles priorités se font jour, ce qui est naturel. Il faut mettre de la pression dans le tube, comme vous le dites, pour que les engagements soient tenus et que les opérateurs soient totalement mobilisés vers ces objectifs.
Dans ces conditions, le lancement des enchères de la fréquence 5G est-il actuellement pertinent ? Martin Bouygues a récemment déclaré qu'à ses yeux la 5G ne constituait pas la priorité du pays dans le climat économique actuel, même si chacun a conscience que cette 5G est nécessaire à terme. Il semblerait qu'on ne soit pas totalement certain des apports que permettra la 5G. Le sujet donne lieu à de nombreux débats, ce qui est tout à fait normal s'agissant de ce type d'innovation. Ces débats doivent avoir lieu. Le Gouvernement s'est doté d'une méthode consistant à peser le pour et le contre. Quels sont les arguments qui vous pousseraient à maintenir le nouveau calendrier annoncé par l'Arcep pour ces enchères, avec pour échéance la fin du mois de juillet ou septembre prochains ?
Je voudrais me féliciter, comme vous, que le réseau de téléphonie ait fait preuve de résilience. Nous ne pouvons que nous en féliciter collectivement.
Depuis le début de la crise sanitaire, notre commission a réalisé un certain nombre d'auditions. À cette occasion, les opérateurs nous ont fait savoir qu'ils rencontraient des difficultés, dans un certain nombre de territoires, pour obtenir des autorisations d'urbanisme nécessaires à la poursuite des travaux. Ils estiment que plus de la moitié des permissions de voirie ne sont pas délivrées dans des conditions normales. Pourtant, selon un sondage mené par des associations de collectivités territoriales, 70 % des collectivités ont travaillé normalement ou presque normalement à l'instruction de ces dossiers et seulement 7 % d'entre elles se sont trouvées à l'arrêt.
L'écart est donc très grand entre la perception des opérateurs et les remontées des collectivités et nous avons demandé aux opérateurs d'objectiver leurs griefs, en fournissant des exemples précis de difficultés ponctuelles qu'ils pourraient rencontrer avec certaines collectivités. Pour l'heure, nous n'avons pas eu de retour. Peut-être avez-vous des informations susceptibles de nous éclairer sur ce sujet, dans la mesure où vous avez mis en place une plateforme de signalement des difficultés rencontrées par les opérateurs ? Considérez-vous que les autorisations d'urbanisme constituent un réel blocage et quelles suites donnez-vous, le cas échéant, aux éventuelles remontées ? Vous pourriez en tout cas partager ces remontées avec les parlementaires des départements concernés, qui pourraient constituer de bons médiateurs afin de contribuer au déblocage des situations problématiques si elles existent. Il ne faudrait pas que la question de ces permissions de voirie justifie des retards. Nous avons entendu que vous seriez vigilant sur le sujet.
D'autres difficultés ont trait à la fermeture de nombreux constructeurs de pylônes et à l'impossibilité d'importer des pylônes construits hors de France. D'autres difficultés portent sur l'approvisionnement en béton pour couler les dalles et sur le raccordement électrique des pylônes par Enedis. Comment l'État peut-il aider la filière à surmonter ces difficultés très concrètes ?
Enfin, durant la période de confinement, nous avons reçu un certain nombre de remontées concernant les dysfonctionnements ponctuels du réseau cuivre. Il est temps qu'Orange offre aux acteurs une plus grande visibilité sur la bascule du réseau cuivre vers la fibre, nécessaire pour améliorer la qualité du service dans les territoires. Il faut maintenant une vraie feuille de route, avec des échéances claires, et mieux définir les périmètres dans lesquels pourront s'opérer les basculements entre le cuivre et la fibre. Ce pourrait être le rôle du décret « zones fibrées », qui doit définir et délimiter des zones éligibles, leur taux de couverture minimale en fibre et les critères de qualité de service. Pouvez-vous nous en dire plus concernant ce futur texte ? Il existe aussi un lien étroit entre l'extinction du cuivre et le financement de la couverture de l'intégralité du territoire par la fibre. De nombreuses collectivités considèrent que l'abandon du cuivre aura des impacts financiers sur les délégations de service public en cours et sur les conventions d'utilisation des poteaux utilisés pour déployer la fibre. Certains acteurs se sont d'ores et déjà prononcés en faveur de l'abandonnement du « guichet » France Très Haut Débit, par une taxation du cuivre qui viendrait compenser l'impact financier négatif de l'extinction du cuivre. Quel est votre regard sur cette proposition ?
Enfin, vous évoquiez en ouverture la nécessité de voir le numérique contribuer à la relance de l'activité économique. Si chacun admet la nécessité d'une souveraineté alimentaire et en matière de santé, cette souveraineté est loin d'exister dans le domaine du numérique, puisque ni les technologies ni les réseaux et infrastructures de support ne sont français. Quelle est votre appréciation de ces enjeux de souveraineté du numérique ?
J'entends la proposition faite par M. Chaize, visant à octroyer un délai maximal par défaut afin d'éviter qu'on ne s'enferme, ici ou là, dans des débats sans fin quant aux délais supplémentaires susceptibles d'être octroyés. Nous avons d'ores et déjà mis en oeuvre ce principe dans le cadre d'une ordonnance prise le 15 avril dernier. Celle-ci énonce que tout projet dont la date d'achèvement se trouve durant la première période d'urgence sanitaire, qui a pris fin le 24 mai, ou lui est postérieure, peut être décalé à hauteur de la durée de la période de confinement, plus un mois, soit trois mois et demi au total. Je souhaite aller plus loin car je ne veux en aucune manière que ceci revienne à indiquer aux opérateurs qu'ils peuvent décaler le déploiement de trois mois et demi concernant leurs engagements pris sur le fondement de l'article L. 33-13 du code des postes et des communications électroniques. Il s'agit d'un délai maximum, qui doit être justifié au cas par cas. Peut-être nous faudra-t-il définir un jalon avant ces trois mois et demi. J'irais donc volontiers un peu plus loin que ne le propose M. Chaize, tout en allant dans le même sens.
Nous pouvons mobiliser de nouveau 280 millions d'euros au titre du FSN pour la généralisation de la fibre. Ce n'est pas un artifice. Nous constations, avant la survenue de la crise sanitaire, que dans tous les projets de déploiement, un euro engagé par le secteur public ne donnait pas lieu à une dépense privée du même montant. On peut s'en réjouir pour l'État et pour les collectivités territoriales : la part du privé augmente au fur et à mesure dans l'ensemble des projets. Une difficulté se fait jour toutefois car si les entreprises savent que le montant des projets financés sera supérieur au montant engagé, la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) ne peut permettre de raisonner ainsi. C'est la raison pour laquelle nous écrivons des lettres d'engagement en nous assurant de la disponibilité de ce montant, a minima, afin de couvrir ces engagements. Nous avons lancé un cahier des charges en février dernier mais nous n'avons pas décalé les dates de remontée de ces demandes de financement complémentaire. Nous étudierons tous les dossiers remontant jusqu'au 15 septembre prochain, ce qui permettra de constater le montant total à engager. C'est une technique budgétaire éprouvée et non un artifice. Elle doit nous permettre, in fine, de couvrir l'ensemble des besoins, dont nous aurons une vision précise, de façon consolidée, mi-septembre.
Nous n'avons pas encore le détail de ce que nous pourrions faire pour introduire davantage d'agilité dans le versement des aides. Nous estimons que nous devrions pouvoir verser 100 millions d'euros d'acompte, ce qui permettrait de réduire les délais de paiement et de passer des commandes immédiatement, plutôt que de prendre le risque de retards qui auraient pour origine le délai de versement des concours financiers.
De nombreuses fédérations m'ont demandé de légiférer quant à la répartition des surcoûts. J'y suis totalement opposé, pour une raison simple : la loi n'a pas à régir le rapport contractuel entre un donneur d'ordre et un opérateur à propos des surcoûts, faute de quoi toute modification contractuelle nécessiterait de repasser devant les chambres. Dans un très grand nombre de cas, le donneur d'ordre et l'opérateur ouvrent leurs livres, évoquent les marges de l'un et de l'autre et constatent que tous les surcoûts ne reposent pas sur une seule des parties. Si le promoteur, par exemple, conserve une marge conséquente alors que l'opérateur est en déficit important, celui-ci préférera, in fine, ne pas reconduire le marché. L'intelligence locale permet, dans la plupart des cas, de traiter les difficultés lorsqu'elles se font jour. Il y a quelques cas plus difficiles à résoudre. Nous accompagnons alors les promoteurs et les opérateurs afin de trouver des solutions. Je n'oublie pas que l'État est un donneur d'ordre important et doit être exemplaire.
Je vous remercie d'avoir rappelé que nous avions pris, conformément à l'engagement que j'avais pris, l'arrêté « Enedis », qui était très attendu. Il est un peu tôt pour en tirer un bilan détaillé. De nombreux opérateurs m'en parlent encore, de même que des acteurs de collectivités, ce qui montre que le problème n'a pas été totalement éliminé. C'est la raison pour laquelle j'ai proposé aux parties prenantes (associations d'élus, opérateurs, acteurs de la mise en oeuvre des réseaux numériques) que le comité de pilotage inclue désormais Enedis. Ce principe devrait permettre de résoudre de nombreuses difficultés.
Je suis d'accord avec vous à propos de la base adresse : ce sujet doit être abordé avec l'ANCT. Des tentatives ont été menées mais n'ont pas été couronnées de succès. Nous devons rouvrir ce dossier, sans méconnaître les enjeux de sécurité qu'il présente.
Concernant les arguments qui plaidaient pour le maintien de la 5G, ils ont trait principalement à la compétitivité de l'économie française. J'ai vu les débats lancés à propos de la pertinence de cette technologie dans le moment que nous traversons. Je ne voudrais surtout pas que nous rations le train de la 5G, à l'instar de sauts technologiques que notre pays a ratés par le passé. Je crois que cet état d'esprit est partagé par tous, y compris par le président Bouygues. Le Covid-19 ne doit en rien réduire nos ambitions pour la compétitivité « coûts » ou « hors coûts » de notre économie. Il m'importe, en revanche, que l'état d'esprit du New Deal perdure aujourd'hui : le déploiement dans les zones très peu denses doit devenir une priorité et une obligation, grâce à l'outil que constituent les enchères. C'est la raison pour laquelle nous avons réintroduit dans les enchères 5G un indicateur lié à l'aménagement du territoire, comme nous l'avions fait pour les enchères 4G.
J'ai lu avec une grande attention l'étude très intéressante que vous évoquiez à propos des permissions de voirie. Plus de 1 700 collectivités ont répondu à cette enquête et il apparaît effectivement que plus de 70 % des services d'urbanisme fonctionnent normalement ou quasi-normalement. L'étude constate notamment que les demandes de projets ont plus fortement diminué que les instructions de projets, ce qui semble indiquer que des porteurs de projets ont sans doute différé leur demande, estimant que le service instructeur avait probablement suspendu son activité. Cette étude doit être diffusée et connue, pour montrer que de nombreuses collectivités ont poursuivi leurs efforts et qu'il faut continuer de déposer ces demandes.
Nous avons néanmoins un défi à relever pour la numérisation de ces services d'instruction - qu'ils se trouvent au sein des collectivités territoriales ou des services de l'État - comme l'avaient mis en évidence les débats sur la loi ELAN. Rares étaient les obligations contenues dans la loi ELAN mais je plaidais pour l'obligation de la numérisation des permis - notamment les permis d'urbanisme et permis de construire - à l'horizon 2020, en particulier pour les grandes agglomérations. Le débat a reporté ces échéances à fin 2021 et 2022, pour des raisons tout à fait justifiées de faisabilité technique. Nous devons, au sein de l'État et des services spécialisés, accompagner les collectivités et les services de l'État pour parvenir à une numérisation plus rapide. Je crois notamment que nous devons mettre à la disposition de l'ensemble des acteurs des outils simples d'utilisation, pour ceux qui ne l'auraient pas encore fait.
Je ne connais pas le détail des demandes adressées à la plateforme de signalement. Je puis vous indiquer que 245 dossiers y ont été déposés. 144 dossiers concernaient le mobile et 94 le fixe. Je ne saurais vous dire s'ils portaient plutôt sur des problèmes de voirie ou de raccordement. Les problèmes de raccordement m'ont été rapportés à de nombreuses reprises, notamment hier, en comité de pilotage. S'agissant des problèmes de voirie, certaines dispositions n'ont pas franchi les fourches caudines des vérifications juridiques, car nous allions trop loin. Cela dit, les ordonnances du 25 mars favorisaient déjà des dispositions exceptionnelles, y compris pour la voirie. Si j'ai le détail des demandes déposées sur la plateforme, nous vous transmettrons ces données avec grand plaisir.
Je suis partisan d'aller le plus loin possible en matière d'allègement des procédures. Il y a néanmoins un certain nombre de points qu'il ne nous faut pas franchir. Faut-il par exemple simplifier davantage que nous ne l'avons fait dans la loi ELAN les consultations conduites au moment de l'érection d'un pylône ? Je suis persuadé que consulter et faire adhérer la population fait gagner, in fine, beaucoup de temps, plutôt que de donner à la population locale l'impression que cette installation lui est imposée.
Ces consultations se déroulent d'ailleurs dans des délais très brefs lorsque cela se passe bien. Là où des difficultés se font jour, la consultation permet souvent de les aplanir.
Vous avez raison de souligner que certains retards ne sont pas imputables aux opérateurs. Je ne ferai jamais la chasse aux uns ou aux autres et ne suis jamais entré dans ce jeu. Nous devons jouer collectivement en la matière d'autant plus que nous avons tous des responsabilités dans ces situations, à commencer par les services de l'État et des collectivités. C'est le sens des propos du président Maurey, que je me suis approprié, estimant qu'il fallait examiner chaque retard pour le justifier. Parfois, les pylônes ne peuvent être livrés. Parfois, le raccordement ne pouvait être effectué.
Je n'ai pas en tête le calendrier du décret « zones fibrées ». Je vous le ferai parvenir. Il existe en tout cas un enjeu majeur de commercialisation des offres. Nous avons trop souvent constaté que certaines technologies étaient disponibles mais n'étaient pas commercialisées. C'est le sujet de l'accès des fournisseurs d'accès à internet (FAI) aux réseaux, qu'il nous faut traiter. Il était inscrit à l'agenda de l'année 2020 mais a été reporté du fait du Covid-19.
La souveraineté numérique constitue l'un des sujets pouvant être traités par les comités de filière, ce qui répond à une volonté conjointe qui nous a animés avec la secrétaire d'État chargée de ces sujets, Agnès Pannier-Runacher.
En janvier 2020, le « guichet » France Très Haut Débit a rouvert, après avoir été fermé en 2017, afin d'aider les collectivités locales à achever la couverture du territoire. Notre commission avait relevé, à la fin de l'année dernière, que ce « guichet » manquait de fonds pour atteindre les objectifs fixés par le Gouvernement. De plus, le nouveau cahier des charges excluait le raccordement des sites prioritaires et la mise à niveau des réseaux existants. Avec les retards pris du fait du confinement et le besoin accru d'internet, le déploiement de la fibre, ce « guichet » s'avère d'autant plus primordial aujourd'hui.
Le gouvernement prévoit-il d'augmenter les crédits budgétaires du « guichet » ? De quelle façon celui-ci pourra-t-il mieux accompagner les collectivités territoriales pour le déploiement des réseaux dans la période actuelle ? Vous avez rappelé que ce déploiement progressait bien. Pensez-vous que le Gouvernement pourra atteindre son objectif, consistant à fournir internet à très haut débit à tous les Français en 2022 ?
La crise sanitaire a montré l'importance des outils numériques, y compris en matière d'aménagement du territoire. Au-delà de la nécessité d'un équipement de qualité de l'ensemble de la France, les échanges que nous avons eus depuis le début des auditions soulignent aussi la nécessité d'imaginer ce qui permettra, demain, à des millions de salariés de travailler à distance sans avoir à se déplacer chaque jour et sans pour autant être isolés. Cela pourrait plaider pour la création d'espaces de coworking dans les villes moyennes et dans les bourgs, ce qui induira des changements dans les mobilités et les rapports aux villes centres. Votre ministère commence-t-il à réfléchir à cette question et à des engagements que pourrait prendre l'État - en lien avec l'Agence nationale de la cohésion des territoires - pour l'équipement de ces villes et bourgs de périphérie en outils numériques ?
Je voudrais pour ma part aborder la question du logement, qui, du même que celle de la construction, a subi un impact important et probablement des effets à moyen et long terme du fait de la crise du Covid-19. On estime à plus de deux millions le nombre de ménages en difficulté pour payer leur loyer ou leur emprunt. Avez-vous des estimations à ce sujet et envisagez-vous de prendre des mesures à court ou moyen terme ?
Nous restons par ailleurs très loin des objectifs fixés en matière de rénovation des « passoires thermiques ». Un appel à projets, Renovation Wave, a été lancé dans le cadre du Pacte Vert européen, prévoyant une consultation jusqu'au 8 juin. De quelle manière la France s'est-elle engagée dans ce programme ?
Enfin, il me paraît important d'avoir de fortes ambitions en matière de nouvelles constructions. La nouvelle réglementation thermique, baptisée désormais réglementation environnementale 2020, avait déjà été repoussée. Son application est annoncée pour juillet 2021. Est-on désormais certain de cette date ? Je crois en tout cas qu'il y a urgence à passer à la vitesse supérieure dans le neuf en matière d'impact carbone, d'utilisation de matériaux biosourcés et locaux et de performance thermique. Cette exigence pourrait aller jusqu'à envisager une relocalisation des matériaux de construction et une recherche de démarches équivalentes aux circuits courts qui existent en agriculture. De tels dispositifs sont économes en déplacements et créateurs d'emplois. J'aimerais avoir votre avis sur ce sujet.
Comme mes collègues, je suis favorable au maintien de l'effort d'aménagement numérique, en s'en donnant les moyens. Le confinement a mis en évidence les limites de la numérisation en France. Il ne faudrait pas qu'il soit à l'origine de son ralentissement. Certains acteurs évoquent un retard de douze mois. Vous dites avoir l'intention de ne pas avoir la main qui tremble et de faire preuve de fermeté vis-à-vis des opérateurs. Je voudrais, comme M. Chaize, évoquer des mesures un peu plus coercitives et une règle écrite, en prévoyant notamment des délais forfaitaires.
Je crois également qu'il faut maintenir un effort, particulièrement dans les zones moins denses, considérées comme non rentables par les opérateurs. Un soutien accru de l'État doit exister en faveur des réseaux d'initiative publique. Cela me paraît indispensable. Plutôt que des avances et de l'agilité, je crois qu'un abondement significatif du « guichet » serait nécessaire.
M. Étienne Dugas, président d'InfraNum, propose la création d'un fonds de filière, sous l'égide de Bpifrance, à l'image de celui qui existe dans l'aéronautique. J'aimerais connaître votre avis à ce sujet.
Enfin, on constate l'existence d'une rupture d'égalité inacceptable entre les citoyens, ayant généré durant la crise sanitaire des situations de détresse, d'isolement, de précarité et de décrochage scolaire. Il s'agit de l'exclusion numérique. Malgré des actions en faveur de l'inclusion numérique depuis dix ans, 13 millions de personnes sont toujours exclues du numérique. Les actions menées (développement des maisons de services au public, des hubs numériques, etc.) n'ont pas encore apporté de réponse structurée. Sans doute me direz-vous que cette question n'entre pas directement dans le champ de vos compétences et que d'autres ministres en sont chargés. Il existe néanmoins une responsabilité régalienne collective en la matière et j'aimerais savoir quelles pistes de travail vous envisagez.
Nous attendons tous beaucoup d'une couverture numérique complète du territoire. Les promesses de couverture sont parfois contestées mais vous avez été rassurant dans vos propos, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter. Toutefois, lorsque les territoires sont correctement couverts, nombre de nos concitoyens restent encore sur le bord du chemin, parce qu'ils ne disposent pas du savoir-faire de base ou parce qu'ils n'ont pas l'équipement adéquat. Je voudrais donc insister sur l'inclusion numérique et la formation des usagers. Quelles actions d'accompagnement pourraient être améliorées autour du développement du territoire afin que chacun dispose du socle numérique minimum ? Comment faire en sorte que le développement numérique comprenne aussi des mesures d'inclusion, de sorte que ceux qui sont encore très éloignés des services en ligne ne soient pas confrontés à des sources de fragilité supplémentaires ?
Tous les gouvernements ont leur part de responsabilité dans le manque de couverture des territoires ruraux par le numérique. Le retard annoncé est de douze mois au minimum. Il pénalisera particulièrement les départements très ruraux comme le mien. Le gouvernement envisage-t-il d'agir pour combler ce retard dans les meilleurs délais ?
Une inquiétude grandit, parmi les opérateurs, à propos du vandalisme qui sévit de plus en plus à l'encontre de pylônes. On sent dans une partie de la population un manque de confiance et un rejet de ce secteur d'activité. Quelle est votre perception de cette question ? J'ai récemment rappelé à Mme Pannier-Runacher qu'il fallait, avant de se lancer dans la 5G, redonner de la confiance dans le numérique, notamment dans la téléphonie mobile. Là aussi, je crois qu'il faut consulter avant de construire et de s'engager dans la 5G, même si je ne remets pas en cause l'intérêt de celle-ci.
Enfin, pouvez-vous nous éclairer quant au calendrier du numérique pour les prochains mois ? La transposition du code européen des communications électroniques devait être inscrite à l'agenda. Un véhicule législatif est-il prévu à ce sujet ? Peut-être pourrons-nous également aborder la question de l'arrêt du cuivre et le décret « zones fibrées », qui n'a jamais été publié.
Je reviens un instant sur la téléphonie mobile. J'attire votre attention sur le fait que ce dispositif de couverture ciblée est celui qui concerne le plus les territoires qui n'ont rien, c'est-à-dire les territoires ruraux, dans lesquels les opérateurs rechignent à investir, faute d'une clientèle suffisante. Ce dispositif est donc particulièrement important en milieu rural.
Je reviendrai d'abord sur les moyens du FSN. 280 millions d'euros peuvent déjà être engagés pour le déploiement de la fibre dans les réseaux d'initiative publique. Le cahier des charges a été publié le 20 février et les réponses doivent être reçues avant le 15 septembre.
Les objectifs - un « bon » haut débit pour tous en 2020 et le très haut débit pour tous en 2022 - sont effectivement maintenus. En 2020, le mix technologique fait notamment une place aux technologies hertziennes.
Je vous remercie, M. Dantec, pour votre question qui me donne l'occasion de mettre en exergue une politique publique qui me tient beaucoup à coeur, que nous avons lancée fin 2019 avec Jacqueline Gourault, à l'issue d'un long travail conjoint. Elle vise à diffuser très largement et à démultiplier les tiers lieux, c'est-à-dire les espaces de coworking. Nous avons lancé la création de 300 tiers lieux supplémentaires, dont 150 dans les quartiers prioritaires de la ville. Un appel à manifestations d'intérêt est en cours afin de permettre aux collectivités locales qui le souhaitent de bénéficier de financements ad hoc. Nous avons créé une sorte de fédération des tiers lieux. Ces dispositifs étaient peu mis en avant antérieurement à la crise du Covid-19 alors qu'il existe de très nombreux lieux de cette nature dans notre pays. Peut-être leur besoin ne se faisait-il pas ressentir avec la même acuité qu'aujourd'hui. Patrick Lévy-Waitz, qui a notamment présidé la fondation Travailler Autrement, avait notamment été mandaté par mes soins, il y a deux ans, pour travailler sur ces questions.
M. Gontard, je voudrais d'abord vous faire part de ma satisfaction au vu des chiffres publiés ce matin quant aux constructions de logements pour la période allant de mars 2019 à février 2020 : les autorisations de construction augmentent de 10 % et les mises en chantier de locaux non résidentiels de 8 %. Ces chiffres étaient déjà positifs en fin d'année 2019. Je me bats depuis de nombreux mois pour que la confiance revienne dans le domaine du logement et que la construction reparte. Cette tendance s'est affirmée durant plusieurs mois, avant que la crise du Covid-19 ne survienne. Celui-ci aura à l'évidence des conséquences très significatives sur les chiffres de construction. La politique de logement que nous avons engagée, dans une optique de court et de moyen terme, commençait néanmoins à porter ses fruits, comme en témoignent ces chiffres.
Nous avons effectivement dû décaler de quelques mois la RE2020, non par manque d'ambition : la crise renforce encore, si besoin en était, la pertinence de cette réglementation. Les consultations que nous avions lancées juste avant la période de confinement n'ont pu être poursuivies durant celle-ci. Il s'agit de consultations assez complexes qui requièrent la tenue d'un certain nombre de réunions. La RE2020 demeure à mes yeux un objectif politique majeur. Nous la mènerons à terme avec toute l'ambition requise. Il m'importe particulièrement de faire en sorte que nous prenions l'ensemble du cycle de vie des matériaux pour favoriser par exemple la construction en bois, la construction biosourcée ou l'innovation, à travers des matériaux proposés par les acteurs du BTP.
Nous n'avons pas d'estimations chiffrées en matière d'impayés de loyers. Nous n'avons que des données empiriques que nous nous efforçons de consolider. L'Agence nationale information logement (ANIL), qui réalise un travail formidable, reçoit deux à trois fois plus d'appels en avril 2020, par rapport au mois de janvier, étant entendu que la plateforme que nous avons créée avec l'ANIL n'existait pas en tant que telle. Je ne suis donc pas en mesure de vous indiquer la part des appels résultant de notre communication sur la mise en place de cette plateforme et manie ces chiffres avec beaucoup de précautions. La crise a, à l'évidence, un impact sur la capacité de nombreux ménages à payer leurs factures. J'y inclus les factures du logement parmi de nombreuses autres factures car, pour de nombreuses familles, il s'agit d'une des factures que l'on paie coûte que coûte, quitte à faire des sacrifices par ailleurs, en se résolvant parfois à faire la queue pour obtenir une aide alimentaire, alors qu'on n'aurait jamais imaginé le faire, dans le souci de préserver son logement. Une aide exceptionnelle a été versée le vendredi 15 mai à plus de quatre millions de familles. Il faut également rappeler la création de cette plateforme dédiée aux impayés de loyer et la mise en place de structures avec les bailleurs sociaux. Nous avons mis en place des lignes de financement à leur intention, afin qu'ils puissent procéder à des étalements, dans une politique d'accompagnement individualisé, au cas par cas.
Monsieur le président Maurey, je n'ai aucunement voulu minimiser l'importance de la couverture ciblée. Je me suis battu dès le premier jour pour que l'État fasse évoluer le paradigme même des enchères, tant j'étais animé par la conviction de cette inégalité dans le déploiement au détriment des territoires les moins denses et les plus ruraux. La façon dont le système fonctionnait suscitait des plaintes ; nous étions nous-mêmes à l'origine de ces dysfonctionnements car les enchères n'intégraient pas suffisamment les enjeux d'aménagement du territoire. J'ai simplement indiqué que la couverture ciblée n'était qu'un volet du New Deal qui ne devait pas occulter d'autres volets très importants, comme la généralisation de la 4G sur les sites existants. Je vous confirme que la couverture des territoires les plus ruraux constitue la priorité des priorités.
Mme Filleul, il existe deux règles en matière de délais forfaitaires. La règle contractuelle fixe à trois mois et demi le délai maximum permis dans les contrats au titre des pénalités de retard. Les engagements pris devant l'Arcep doivent-ils tenir compte de ce délai ou devons-nous être encore plus vigilants ? Si, au titre des contrats, les ordonnances permettent un décalage maximum de trois mois et demi, je crois qu'il n'est pas justifié de décaler de trois mois et demi tous les projets conduits au titre des engagements pris devant l'Arcep sur le fondement de l'article L. 33-13 du code des postes et des communications électroniques. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé aux opérateurs des retours étayés, d'ici mi-juin, tant pour le New Deal que pour le déploiement de la fibre. Nous pourrons ainsi livrer ces éléments à la connaissance de l'Arcep et décider des délais supplémentaires qui seront octroyés aux opérateurs dès lors que ces délais sont justifiés et nécessaires.
La proposition de fonds de filière, portée notamment par Étienne Dugas, que je salue, a trait aux enjeux de souveraineté puisqu'elle renvoie à des prises de participation dans le capital de certains acteurs. L'une des questions posées vise à déterminer si nous devons, dans le cadre des stratégies de filière, créer des fonds d'investissement qui pourraient notamment être portés par Bpifrance. Etienne Dugas a fait cette proposition lors d'une réunion à laquelle participait Patrick Chaize, il y a une dizaine de jours, en présence de Cédric O. Celui-ci s'est engagé vis-à-vis d'Etienne Dugas à examiner cette proposition avec Bpifrance.
Vous prêchez un convaincu au sujet de l'exclusion numérique. L'illectronisme touche près de 13 millions de nos concitoyens. Des initiatives ont été prises, à l'image du Pass numérique ou des maisons France Services, structures que nous encourageons fortement avec Jacqueline Gourault, et qui permettent d'accéder à des formations. Souvent, à travers la politique de tiers lieux que j'évoquais, nous essayons de créer des infrastructures d'accueil, qui comprennent un espace de coworking et un espace de formation. Cédric O y consacre beaucoup d'énergie, comme l'avait fait Mounir Mahjoubi lorsqu'il était chargé de ces dossiers. Ce sujet des usages revient de plus en plus fréquemment, ce qui n'était pas du tout le cas lorsque j'ai pris mes fonctions il y a trois ans. Les questions qui m'étaient posées, en audition, ne portaient alors que sur les réseaux. Cette évolution montre aussi que nous avons considérablement avancé sur les réseaux. Il est évident que si le TGV passe au bout de votre jardin mais que vous ne pouvez monter dedans, cela n'a pas beaucoup d'intérêt. 13 millions de nos concitoyens sont dans ce cas. Nos politiques publiques doivent prendre d'autant plus d'ampleur, face à cet enjeu d'inclusion numérique, que le numérique a démontré toute son utilité au cours de la période que nous vivons.
M. Bérit-Débat, j'ai apporté une réponse à la question du retard. Il n'est pas question qu'il y ait des retards de douze mois. Contractuellement les retards sont limités à trois mois et demi. Dans les faits, nous sommes en train d'établir des dispositions avec l'Arcep. Tous les retards éventuels devront être étayés et justifiés.
Je n'ai pas de réponse à propos de la transposition du code européen. Cette question n'est pas suivie par mon ministère. Je vous apporterai cette réponse.
Le vandalisme prenant pour cible les pylônes devient en effet un sujet récurrent. L'opérateur TDF nous indiquait hier en comité de pilotage qu'il avait subi davantage d'actes de vandalisme, au cours des derniers mois, que durant toute l'année précédente. Ce constat met en évidence un besoin d'explication et de pédagogie. Il ne peut que conforter la nécessité de la consultation que j'évoquais tout à l'heure. Nous devons aussi déployer des efforts de préservation et de sécurisation de ces sites. Il ne s'agit évidemment pas de placer des forces de l'ordre à proximité de chaque pylône. Des dispositions peuvent néanmoins être envisagées avec les collectivités locales afin d'empêcher ces actes de vandalisme, que je condamne fermement. J'ai la même préoccupation que vous sur ce sujet.
- Présidence de M. Patrick Chaize, vice-président -
Nous vous remercions pour le temps que vous nous avez accordé. Cette audition a bien rappelé l'importance du numérique dans notre pays et apporté des éléments quant aux moyens que le gouvernement mobilisera afin que le numérique soit au service de tous, partout, de façon aussi rapide que possible. Nous vous remercions en particulier pour les précisions que nous vous avez apportées à propos des délais. Nous ne pouvons que vous accompagner afin de continuer à « mettre de la pression dans le tube », de sorte que les objectifs de déploiement du numérique pour tous soient atteints.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 36.