Intervention de Frédéric Billet

Commission des affaires européennes — Réunion du 18 mai 2020 à 14h40
Justice et affaires intérieures — Audition de M. Frédéric Billet ambassadeur de france en pologne en téléconférence

Frédéric Billet, ambassadeur de France en Pologne :

En matière de sécurité, les Polonais sont un peu désorientés après le Brexit, parce que les Britanniques étaient leurs alliés, y compris en matière militaire. Leur logiciel est également perturbé par les incertitudes américaines, qu'il s'agisse de la crise syrienne ou de la crise existentielle de l'OTAN. Comme l'a dit M. Leconte, pour les Polonais, la menace principale est à l'Est.

J'observe un incontestable regain d'intérêt en Pologne pour l'Europe de la défense. Alors que l'Initiative européenne d'intervention (IEI) ne les intéressait pas officiellement jusqu'à présent, les Polonais ont déclaré, lors de la visite du Président de la République, en février dernier, qu'ils souhaitaient la rejoindre. Ils ont également demandé à bénéficier du statut de nation cadre au sein du Corps européen et devraient l'obtenir très rapidement - ce corps exerce une double mission, dans le cadre de l'OTAN mais aussi de l'Union européenne. Pas à pas, la Pologne essaie donc de se rapprocher des structures européennes.

Enfin, les Polonais s'intéressent par exemple au projet franco-allemand de char de combat. Même s'il convient de rester prudent, on observe un infléchissement de l'attitude polonaise à l'égard de structures européennes moins « otanisées ». Cela dit, l'OTAN reste la référence face à ce que la Pologne considère comme une menace existentielle, à savoir la Russie.

S'agissant de la politique intérieure, M. Leleux évoquait une fracture de la coalition : indéniablement, celle-ci a beaucoup souffert des derniers développements de la crise autour de l'élection présidentielle. En ce qui concerne le président Grodzki, nous allons essayer de trouver une nouvelle date pour sa visite à Paris, sachant qu'il est très demandeur. Nous sommes en contact très régulier, et il m'a envoyé un message de soutien après la publication dans la presse de la tribune commune que mon collègue allemand et moi-même avions signée.

La question de la contribution polonaise à la restauration de Notre-Dame de Paris a été abordée lorsque j'ai rencontré les membres du groupe d'amitié du Sénat polonais. Cette question intéresse nos interlocuteurs, mais je ne dispose pas d'éléments concrets concernant un engagement officiel polonais.

En ce qui concerne la Polonia, le gouvernement polonais a nommé une personne chargée de suivre les questions relatives aux Polonais à l'étranger. De nombreux membres de la Polonia, présents en France, mais aussi dans d'autres pays, étaient également extrêmement inquiets de ne pas pouvoir participer à l'élection présidentielle selon les modalités initialement prévues par le gouvernement.

Le gouvernement polonais a mis en place un programme d'ampleur pour répondre à la crise économique - de l'ordre de 14 % du PIB, soit 72 milliards d'euros. Un premier plan a été annoncé le 18 mars, comprenant essentiellement une aide au maintien de 40 % du salaire et divers prêts en faveur des PME-TPE, suivi d'un deuxième au début du mois d'avril, visant à renforcer la trésorerie des grandes entreprises. Ces mesures ont été gérées par un fonds polonais de développement qui a émis des obligations, lesquelles ont été rachetées par la banque centrale. Une partie des aides de ce plan sont non remboursables.

S'agissant de la contraction du PIB, selon la Commission européenne et les principaux experts économiques, la Pologne se différencie de ses voisins d'Europe centrale et orientale en subissant le choc récessif le moins important (- 4 % à - 5 %), grâce à ses bons fondamentaux avant la crise. La Pologne a aussi une meilleure capacité de rebond grâce à la dimension de son marché et à la qualification de sa main-d'oeuvre. Les pronostics sont donc plutôt favorables pour l'an prochain, qu'il s'agisse de l'évolution du PIB, du chômage ou de l'inflation - ainsi, les prévisions concernant le taux de chômage sont de 7 % à la fin de 2020 et de 5 % en 2021, soit un retour à la situation d'avant la crise.

La Pologne a soutenu dès le départ le fonds de relance de l'Union européenne. Le ministre des affaires européennes polonais nous a expliqué, la semaine dernière, que son gouvernement souhaitait qu'il y ait un équilibre entre les prêts et les aides non remboursables, et espérait un fonds de relance ambitieux qui permette de couvrir le tourisme, les infrastructures, la santé, les transports... Sur ce point, la Pologne est en phase avec nous ; en revanche, nous aurons plus de difficultés en ce qui concerne le budget. Elle est également favorable à la taxe sur le numérique, à une taxe carbone aux frontières de l'Union, ainsi qu'à une taxe sur les transactions financières pour alimenter ce budget.

Le gouvernement polonais ne parle pas de la double conditionnalité et, lorsque la question est abordée, fait valoir qu'elle n'est pas prévue par les textes. En revanche, l'opposition, la société civile, les experts en parlent beaucoup, de même que la presse.

Concernant les élections municipales en France, c'est le ministre de la justice, et non le président Duda, qui a cité cet exemple pour rejeter les critiques concernant le maintien de l'élection présidentielle.

Enfin, le gouvernement polonais s'est félicité de la décision du Tribunal constitutionnel fédéral de Karlsruhe, estimant intéressant qu'une juridiction constitutionnelle puisse formuler ce type d'observations. En revanche, on peut noter qu'il a effectivement « gelé » l'activité de la chambre disciplinaire qu'il a créée au sein de la Cour suprême jusqu'à ce que la CJUE rende sa décision sur le fond de ce sujet.

Concernant les écarts sur les chiffres des cas déclarés et des décès, j'ai rappelé au début de notre entretien, que les règles variaient entre les pays européens. Les écarts entre pays sont très importants, mais des études semblent indiquer que les chiffres réels, en Pologne, seraient supérieurs aux chiffres officiels. Il convient d'attendre quelques semaines avant de constater si ces écarts sont vérifiés. Je peux toutefois vous indiquer que la Pologne dispose de 1 500 lits de réanimation et de 10 000 respirateurs et que ses capacités n'ont pas été saturées.

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