Aussi incroyable que cela puisse paraître, souvent les services de l'État chargés du contrôle des installations classées, voire les industriels eux-mêmes ne savent pas exactement quels produits sont stockés ni leur localisation.
Nombre de nos interlocuteurs se sont interrogés sur la nature des « effets cocktail », c'est-à-dire le mélange de substances qui a pu être dégagé durant l'incendie et ses possibles effets secondaires dangereux. Cela a été dit, ce sont 10 000 tonnes de produits chimiques qui sont parties en fumée : ne pas connaître la nature exacte de ces substances peut s'entendre, mais l'usine Lubrizol fabriquant des lubrifiants, on aurait dû, au moins, en avoir une idée. Qu'il n'en soit pas ainsi est tout de même difficile à comprendre... Et c'est sans compter les matériaux contenus dans les bâtiments ayant brûlé, à commencer par le fibrociment du toit de l'un d'entre eux.
Dès le 2 octobre, la ministre de la transition écologique et solidaire a adressé aux préfets une instruction relative aux premières mesures à prendre à la suite de l'accident. Nous avons écrit à tous les préfets de France pour connaître les suites apportées à cette instruction et les enseignements qu'ils en tiraient. Tous ne nous ont pas répondu, mais le cas de Lubrizol, c'est clair, n'est pas isolé : les exploitants, en général, ne savent pas exactement ce qu'il y a chez eux !
Nous n'éviterons jamais les accidents industriels - d'ailleurs, plusieurs incendies spectaculaires ont eu lieu en France ou à l'étranger depuis le 26 septembre dernier -, mais chaque incident majeur doit nous permettre de progresser. Je propose donc d'obliger les exploitants à tenir à la disposition de l'administration, en temps réel, l'état et la localisation exacts de leurs stocks. Cette obligation doit également s'appliquer à toutes les entreprises situées à proximité immédiate d'un site Seveso.
Autre préconisation tombant sous le sens, l'administration doit s'assurer que ses recommandations sont bien mises en oeuvre par les industriels, en particulier en cas de manquements constatés. Il ne s'agit pas de faire peser des contraintes supplémentaires sur les entreprises, mais de « tordre le cou » à ce qui est perçu comme une forme de mansuétude ou d'inertie de la part des services chargés du contrôle des sites classés.
En début d'année, à la suite d'un premier rapport d'inspection, la ministre de la transition écologique et solidaire a en outre défini un premier plan d'action, avec un objectif ambitieux : une augmentation de 50 % du nombre des contrôles des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) d'ici à 2022. D'évidence, cet objectif ne pourra pas être atteint à effectifs constants.
Je préconise par ailleurs que cette volonté se traduise par un contrôle des ICPE déclarées à proximité immédiate des sites Seveso. Le cas de Normandie Logistique en illustre parfaitement la nécessité.
Dans la droite ligne de cette recommandation, vous trouverez dans le rapport des éléments relatifs au renforcement de l'encadrement des activités de logisticien et de la sous-traitance des activités dangereuses, avec, notamment, une limitation à trois des niveaux de sous-traitance.
Enfin, dans le même esprit, certains maires que nous avons rencontrés dans le Rhône ont souligné l'incohérence du régime juridique des gares de triage, sorte de no man's land au milieu des plans de prévention des risques technologiques (PPRT).
Dans son propos liminaire, le président a insisté sur un élément essentiel, la circulation de l'information, et Mme Bonfanti-Dossat a souligné combien les élus et professionnels de santé s'étaient sentis laissés à l'écart de la gestion de crise. Pour améliorer la politique de prévention des risques industriels, il faut donc aussi intensifier les échanges d'information.
Il faut par ailleurs poursuivre les actions mises en oeuvre pour minimiser les conséquences des accidents, en particulier à travers les mesures destinées à aider les communes et les ménages.
Nous proposons que les plans communaux de sauvegarde (PCS) soient élaborés au niveau intercommunal dans les territoires peu denses ou lorsque l'existence d'un risque majeur commun le justifie. L'État pourrait également apporter son expertise technique aux communes pour les élaborer.
En matière de travaux, il faut proroger le crédit d'impôt en faveur des ménages qui réalisent des aménagements en lien avec un PPRT, mais aussi instituer un mécanisme d'avance aux particuliers, dont beaucoup ne paient pas d'impôt sur le revenu.
Tous ces éléments contribueront à diminuer la fréquence des accidents et les dommages causés. Mais cette politique de prévention ne peut pas grand-chose sans une véritable volonté de prévision. À ce titre, il est fondamental de créer une culture du risque industriel dans notre pays.
Je n'aurais certainement pas présenté les choses de la même manière voilà quelques semaines. J'aurais sans doute insisté sur le risque terroriste et les politiques mises en place depuis plusieurs années autour de cette question, comme les séances de mise à l'abri pratiquées dans les établissements scolaires. Mais, au cours des dernières semaines, nous avons appris à vivre avec une autre sorte de menace, un risque sanitaire majeur, et à y faire face de manière individuelle et collective. Toutes proportions gardées, nous ne sommes pas éloignés de notre sujet ; nous avons ainsi dû, avec Mme Bonfanti-Dossat, revoir notre copie sur le confinement, la loi d'urgence sanitaire ayant conduit à l'inscription dans le code de la santé publique de dispositions précises, assorties d'un régime de sanctions. La comparaison s'arrête là, mais, clairement, une culture du risque, cela s'apprend.
Nous proposons donc d'inscrire la formation aux risques industriels dans le code de l'éducation. Un enseignement dédié à la sécurité y figure déjà, qui pourrait servir de modèle.
De même, il faut organiser régulièrement et inopinément des exercices grandeur nature, associant la population. Les enquêtes de terrain confirment les retours des élus rencontrés : il faut mettre des outils pédagogiques à la disposition de la population et vérifier régulièrement l'assimilation des conduites à adopter. La recette est connue : c'est la « journée à la japonaise », relevant de la même philosophie qu'une de nos recommandations adressées aux industriels, celle qui consiste à organiser des exercices hors heures ouvrées, quand les personnels sur site sont moins nombreux.
Corollaire de cette politique d'appropriation du risque industriel, il faut réformer nos mécanismes de concertation et d'information du public. Nous avançons ainsi dans le rapport des propositions pour renforcer le dynamisme des structures existantes, souvent méconnues.