Une première évaluation nationale a été réalisée en lien avec un grand nombre d'acteurs. Le rapport a été remis à M. Mounir Mahjoubi, alors secrétaire d'État chargé du numérique. Nous avons lancé une évaluation sur le territoire du Sicoval en nous appuyant sur l'idée portée par le manifeste : permettre à chaque territoire d'initier la même démarche. Nous avons donc travaillé avec les acteurs locaux : non seulement les techniciens, les associations et les fournisseurs d'énergie, mais aussi La Poste, qui a contacté en priorité des ménages à faible niveau de revenus ou d'un certain âge. Les facteurs ont ainsi réalisé une vaste enquête de terrain. De mémoire, nous avions l'objectif de réaliser cette enquête auprès de 250 ménages sur le périmètre de 9 communes parmi les 36 communes qui composent la communauté d'agglomération. Finalement, nous avons pu réaliser 400 entretiens. Il s'agissait non seulement de mesurer la capacité de ces ménages à utiliser les outils numériques, mais aussi d'identifier leur volonté à entrer dans la démarche proposée. Lorsqu'une collectivité mène une enquête, elle manifeste sa volonté de se saisir de ce sujet, première condition pour tisser le lien de confiance nécessaire pour progresser dans la maîtrise du numérique.
Les premiers éléments de l'enquête nous ont été remis. Nous avons travaillé en partenariat avec Berger-Levrault, éditeur de logiciels pour les collectivités. Cette entreprise, dont le siège est implanté sur notre territoire, a accepté de dépouiller les résultats gratuitement. Au niveau national, le nombre de personnes concernées par l'illectronisme est évalué à 13 millions et 40 % de la population se dit en difficulté. En outre, 7 % ont exprimé un besoin d'assistance, 19 % un besoin d'accompagnement et 14 % un besoin de réassurance. Il serait également nécessaire de mesurer l'éloignement des entreprises vis-à-vis du numérique. Comme nous avons eu l'occasion de le vérifier pendant le confinement, une entreprise qui n'est pas présente sur Internet n'existe plus. Il faudra donc mener une démarche particulière en direction des TPE et PME.
Aucun territoire n'est épargné par l'illectronisme. Nous avons pu le constater à plus forte raison durant la crise sanitaire. Dans ma commune, je me suis demandé si je n'allais pas organiser une tournée avec un mégaphone pour informer la population. Les marges de progrès sont très importantes, mais l'ordinateur n'est pas forcément la seule solution. Nous avons formulé quelques propositions en la matière.
Peut-être faudrait-il réaliser ce premier diagnostic sur tous les territoires à l'initiative des communes, de l'intercommunalité voire des départements, dans le cadre des schémas départementaux des usages. L'idée serait de mobiliser systématiquement les maires afin d'élaborer un plan local de lutte contre l'illectronisme. Nous considérons qu'il s'agit d'une grande cause au niveau local. Il faut absolument contacter les personnes isolées du numérique, car elles auront inévitablement affaire à cette technologie. Il est donc important de s'appuyer sur les acteurs du champ social : maires, CCAS, CIAS, maisons de la solidarité, associations... À partir du moment où cette démarche aura été rendue obligatoire (encore faut-il la percevoir comme une obligation positive), tous les élus eux-mêmes se seront posé cette question. Qui plus est, avec le renouvellement des exécutifs locaux, la France comptera de moins en moins d'élus éloignés du numérique.
Pour mettre en oeuvre des actions, il faut conclure des partenariats locaux avec les acteurs jugés les plus pertinents. Dans une métropole, ces acteurs peuvent être issus d'un quartier. C'est souvent la communauté d'agglomération qui apportera les ressources mutualisées les plus intéressantes, en lien avec des dynamiques régionales, voire nationales. L'échelon le plus pertinent peut aussi être le département, celui-ci étant en charge de la solidarité territoriale et de l'action sociale. La structure locale choisie est celle en laquelle les citoyens ont le plus confiance.
Comment porter une telle démarche ? Nous sommes partis du principe bien connu du pollueur payeur, en considérant que la dématérialisation a plutôt été perçue comme un outil d'économies qu'un outil positif d'amélioration des services. L'un n'exclut pas l'autre, mais nous considérons que les acteurs (publics et privés) qui utilisent le numérique à des fins de rationalisation doivent consacrer une partie des moyens économisés à la mise en oeuvre d'outils destinés à améliorer la desserte du niveau local. Il faut définir des règles, y compris sous la forme d'une contribution en nature. En matière de dématérialisation, le premier acte est celui de l'accompagnement des usagers. Celui-ci peut se concrétiser au travers d'un guide, d'initiatives locales ou encore d'un fonds - à l'image d'autres dispositifs tel que celui du handicap. Nous partons du postulat que les acteurs qui recourent à la dématérialisation à des fins mercantiles doivent contribuer à la solidarité locale et nationale. Nous considérons également que l'on ne peut s'en remettre uniquement à l'échelon local, sous prétexte qu'il est en contact avec l'usager.
La sous-commission « Inclusion numérique » des Interconnectés n'est pas encore allée au bout de sa démarche. Nous espérons la porter plus loin encore, quitte à expérimenter. Il s'agit d'une part, de constituer des recettes, de définir les règles de leur mobilisation aux différents échelons et d'autre part, de prévoir une contribution à l'accompagnement par le local au profit des usagers éloignés du numérique. Une chose est certaine : ce ne sera pas une action « one-shot ». Il faudra forcément mobiliser des moyens pérennes au niveau local. Il est également envisageable de conclure des partenariats public-privé incluant la mise à disposition d'équipements numériques pour faciliter les contacts à distance avec les services des impôts, de la CAF, d'un fournisseur d'énergie ou encore une banque. Tous ces acteurs peuvent contribuer à la mise en place des infrastructures et de l'accompagnement local. Nous avons donc formulé plusieurs propositions à l'image d'autres dispositifs - tout n'est pas forcément à inventer ex nihilo.
Ensuite se pose la question de l'usage. À cet égard, l'idée est de favoriser, dans un premier temps, l'initiative locale. Un dispositif a inspiré une partie de nos propositions : la conférence des financeurs de l'innovation sociale. Installée au niveau départemental, elle permet de réaliser de l'innovation sociale à partir de financements publics ou privés. Elle présente l'intérêt de réunir des acteurs qui, au détour d'un débat sur les moyens, vont parler de projets innovants. Nous avons donc évoqué une conférence des financeurs pour l'e-inclusion ou l'inclusion numérique au niveau local. Cédric O, secrétaire d'État chargé du numérique, nous a proposé d'expérimenter cette modalité. Nous n'avons pas encore défini de territoire pertinent. Je pense qu'il serait intéressant de ne pas en définir a priori pour considérer que le territoire le plus adapté est celui qui sert le mieux l'échelon local.
Nous avons également réfléchi aux modalités d'accompagnement du progrès dans les territoires. Je pense par exemple aux Aidants Connect pour les questions de droit et de confidentialité. Il faudra définir des règles de base, en considérant que la dématérialisation doit systématiquement constituer un progrès en matière de service et doit nécessairement être assortie de la possibilité, pour l'usager de revenir à un interlocuteur humain (y compris sous la forme d'un contact à distance). Nous étudions aussi les questions d'ergonomie et d'accompagnement des publics spécifiques. Nous commençons à observer des expériences intéressantes à cet égard.
Dernier point : toute nouvelle politique doit être évaluée. Cette démarche d'évaluation doit être prévue dès l'origine, et ce, au niveau local pertinent ainsi qu'au niveau national.
Voici donc le contenu de notre manifeste.