Mission d'information Illectronisme et inclusion numérique

Réunion du 28 mai 2020 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Mizzon

Madame, Messieurs, mes chers collègues, nous avons entendu ce matin M. Yves Le Breton, Directeur général de la nouvelle Agence nationale pour la cohésion des territoires, plaider en faveur d'une action conjointe de l'État et des collectivités territoriales, au premier rang desquelles les intercommunalités, pour construire des politiques publiques en faveur de l'inclusion numérique et de la formation aux usages du numérique.

Avec « Les Interconnectés » et France Urbaine, l'ADCF a publié un manifeste « agir face à l'urgence de l'illectronisme » qui résonne fortement avec les travaux de la mission d'information sénatoriale. Pour nous le présenter, nous entendons Mme Karine Dognin-Sauze, vice-présidente de la Métropole de Lyon en charge de l'innovation et du numérique, Présidente de la Commission numérique AdCF/FU et des « Interconnectés », membre du Conseil national du numérique ; M. Jacques Oberti, président de la communauté d'agglomération du Syndicat Intercommunal pour l'aménagement et le développement des Coteaux et de la Vallée de l'Hers (Sicoval) ; Mme Anne-Claire Dubreuil, DGA-Ressources et directrice de projets Transformation numérique de la communauté d'agglomération du Sicoval ; M. Sébastien Tison, conseiller numérique - France Urbaine ; M. Erwan Le Bot, conseiller stratégies urbaines et enseignement supérieur, Assemblée des Communautés de France. Après une présentation de ce manifeste, de ses objectifs et des moyens concrets mis en oeuvre pour les atteindre, le rapporteur M. Raymond Vall puis les autres sénateurs membres de la mission d'information vous poseront des questions.

Debut de section - Permalien
Jacques Oberti, président de la communauté d'agglomération du Sicoval

Je représente l'ADCF au sein des « Interconnectés ». Je suis également maire d'Aigueville, petite commune du Lauragais et président de la communauté d'agglomération du Sicoval, qui est la plus ancienne intercommunalité de France.

« Les Interconnectés » repose sur une dynamique d'élus locaux que nous avons initiée y a quelques années. Notre volonté est d'apporter la contribution des élus à de grands projets, notamment la transition numérique - qui concerne aussi bien les usagers citoyens que les usagers entreprises. Chaque année, « Les Interconnectés » cherchent à entraîner les territoires dans la dynamique de la transition numérique en organisant plusieurs temps forts tel que le Forum. Son principal objet, au-delà de la réflexion conduite, est de permettre à tous les territoires de profiter des expérimentations conduites dans certains territoires et qui ont fait de la transition numérique une réelle priorité au regard de leur sociologie. C'est le cas du territoire du Sicoval, que j'ai l'honneur de présider en tant que maire pour encore quelques semaines. Ma commune est particulièrement friande d'innovations. Je pourrai donc vous apporter mon témoignage à ce titre.

Le premier facteur déclenchant de la transition numérique a été une réelle prise de conscience, sur de nombreux territoires, de ce que risquait de provoquer la dématérialisation complète des relations avec l'État à compter de 2022. Lors de la mise en place du paiement de l'impôt par Internet, les mairies ont été confrontées à des manifestations de détresse de leurs concitoyens. Cette première étape nous a interpellés à trois niveaux. Premièrement, il importe de se préparer à ce mouvement très rapide de la société pour faire en sorte que chacun puisse se mettre dans la dynamique. Deuxièmement, nous devons nous interroger sur le rôle que doivent jouer les territoires (intercommunalité, commune, CCAS) dans une telle démarche. Nous pensons que l'intervention des élus locaux est à la fois une nécessité et un devoir. Troisièmement, nous avons vu émerger des politiques nationales et des initiatives associatives. Nous avons donc été amenés à réfléchir aux dispositifs permettant de nous assurer qu'aucune personne ne soit laissée pour compte sur le territoire national - non par passion pour le numérique, mais pour éviter absolument la perte de droits.

Une première action a été réalisée au travers d'une évaluation nationale. En outre, nous nous sommes attachés à simplifier au maximum le champ de l'inclusion numérique en traitant les fondamentaux, en adoptant des approches les plus simples et les plus pragmatiques possible, de façon à déployer les moyens nécessaires à la couverture de l'ensemble du territoire. La tâche est loin d'être simple. Si l'on trouve des associations très dynamiques dans les métropoles, qui sont par ailleurs dotées de moyens conséquents, en revanche lorsque l'on s'éloigne du champ métropolitain, l'on trouve autant d'élus éloignés du numérique que de citoyens. Il s'agit de convaincre les élus pour leur permettre de jouer leur rôle de relais, mais surtout de leur simplifier la tâche. Nous devons donc réfléchir à une organisation territoriale adaptée au contexte tout en dotant ces territoires des outils les plus pertinents, en s'appuyant sur les forces locales - et ce, pour deux raisons. D'une part, je ne vois pas pourquoi il en irait autrement. D'autre part, la confiance est un élément essentiel à cette démarche. Il est question, dans nos propositions, d'un plan local de lutte contre l'illectronisme, à la manière du plan canicule, du plan grand froid ou encore du plan d'urgence sanitaire. Ce dernier a d'ailleurs été riche en enseignements y compris pour le sujet qui nous intéresse. L'idée est de faire de l'inclusion numérique un passage incontournable des politiques locales au même titre que les autres plans. L'illectronisme engendre des situations de grande détresse (isolement notamment) qui pourraient se révéler extrêmement graves (perte de droits, etc.).

Nous n'avons pas procédé à une évaluation complète de l'illectronisme sur le territoire. Dans le manifeste, nous avons principalement inscrit des éléments relevant de la méthode. En particulier, nous préconisons de l'adapter au contexte local. Nous avons en effet l'opportunité de créer des conditions d'optimisation en faisant confiance à l'intelligence locale.

Je vous propose d'examiner les propositions du manifeste. Vous pourrez me poser des questions sur les convictions qui ont prévalu à ces propositions.

Dans toute démarche de lutte contre l'illectronisme, il faut en premier lieu effectuer une mesure de son importance sur le territoire avec, le cas échéant, toutes ses variantes. Nous pouvons distinguer trois grands profils, à commencer par les personnes relativement à l'aise avec le numérique et souhaitant éventuellement se perfectionner. C'est un sujet pour les collectivités elles-mêmes au regard des accès numériques qu'ils proposent à leurs services. Il y a ensuite une catégorie de personnes pas du tout à l'aise avec les outils numériques, mais qui présentent une capacité à s'adapter. Avec les acteurs locaux, il s'agira de les accompagner, dans le cadre de formations de découverte, vers leur montée en compétences. La troisième catégorie regroupe les personnes qui n'arriveront pas à s'approprier ces outils, pour différentes raisons. L'intervention auprès de ces publics consistera à effectuer les opérations à leur place.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Mizzon

Quels acteurs avez-vous sollicités pour déterminer l'importance de ces trois catégories de population sur les territoires concernés ?

Debut de section - Permalien
Jacques Oberti, président de la communauté d'agglomération du Sicoval

Une première évaluation nationale a été réalisée en lien avec un grand nombre d'acteurs. Le rapport a été remis à M. Mounir Mahjoubi, alors secrétaire d'État chargé du numérique. Nous avons lancé une évaluation sur le territoire du Sicoval en nous appuyant sur l'idée portée par le manifeste : permettre à chaque territoire d'initier la même démarche. Nous avons donc travaillé avec les acteurs locaux : non seulement les techniciens, les associations et les fournisseurs d'énergie, mais aussi La Poste, qui a contacté en priorité des ménages à faible niveau de revenus ou d'un certain âge. Les facteurs ont ainsi réalisé une vaste enquête de terrain. De mémoire, nous avions l'objectif de réaliser cette enquête auprès de 250 ménages sur le périmètre de 9 communes parmi les 36 communes qui composent la communauté d'agglomération. Finalement, nous avons pu réaliser 400 entretiens. Il s'agissait non seulement de mesurer la capacité de ces ménages à utiliser les outils numériques, mais aussi d'identifier leur volonté à entrer dans la démarche proposée. Lorsqu'une collectivité mène une enquête, elle manifeste sa volonté de se saisir de ce sujet, première condition pour tisser le lien de confiance nécessaire pour progresser dans la maîtrise du numérique.

Les premiers éléments de l'enquête nous ont été remis. Nous avons travaillé en partenariat avec Berger-Levrault, éditeur de logiciels pour les collectivités. Cette entreprise, dont le siège est implanté sur notre territoire, a accepté de dépouiller les résultats gratuitement. Au niveau national, le nombre de personnes concernées par l'illectronisme est évalué à 13 millions et 40 % de la population se dit en difficulté. En outre, 7 % ont exprimé un besoin d'assistance, 19 % un besoin d'accompagnement et 14 % un besoin de réassurance. Il serait également nécessaire de mesurer l'éloignement des entreprises vis-à-vis du numérique. Comme nous avons eu l'occasion de le vérifier pendant le confinement, une entreprise qui n'est pas présente sur Internet n'existe plus. Il faudra donc mener une démarche particulière en direction des TPE et PME.

Aucun territoire n'est épargné par l'illectronisme. Nous avons pu le constater à plus forte raison durant la crise sanitaire. Dans ma commune, je me suis demandé si je n'allais pas organiser une tournée avec un mégaphone pour informer la population. Les marges de progrès sont très importantes, mais l'ordinateur n'est pas forcément la seule solution. Nous avons formulé quelques propositions en la matière.

Peut-être faudrait-il réaliser ce premier diagnostic sur tous les territoires à l'initiative des communes, de l'intercommunalité voire des départements, dans le cadre des schémas départementaux des usages. L'idée serait de mobiliser systématiquement les maires afin d'élaborer un plan local de lutte contre l'illectronisme. Nous considérons qu'il s'agit d'une grande cause au niveau local. Il faut absolument contacter les personnes isolées du numérique, car elles auront inévitablement affaire à cette technologie. Il est donc important de s'appuyer sur les acteurs du champ social : maires, CCAS, CIAS, maisons de la solidarité, associations... À partir du moment où cette démarche aura été rendue obligatoire (encore faut-il la percevoir comme une obligation positive), tous les élus eux-mêmes se seront posé cette question. Qui plus est, avec le renouvellement des exécutifs locaux, la France comptera de moins en moins d'élus éloignés du numérique.

Pour mettre en oeuvre des actions, il faut conclure des partenariats locaux avec les acteurs jugés les plus pertinents. Dans une métropole, ces acteurs peuvent être issus d'un quartier. C'est souvent la communauté d'agglomération qui apportera les ressources mutualisées les plus intéressantes, en lien avec des dynamiques régionales, voire nationales. L'échelon le plus pertinent peut aussi être le département, celui-ci étant en charge de la solidarité territoriale et de l'action sociale. La structure locale choisie est celle en laquelle les citoyens ont le plus confiance.

Comment porter une telle démarche ? Nous sommes partis du principe bien connu du pollueur payeur, en considérant que la dématérialisation a plutôt été perçue comme un outil d'économies qu'un outil positif d'amélioration des services. L'un n'exclut pas l'autre, mais nous considérons que les acteurs (publics et privés) qui utilisent le numérique à des fins de rationalisation doivent consacrer une partie des moyens économisés à la mise en oeuvre d'outils destinés à améliorer la desserte du niveau local. Il faut définir des règles, y compris sous la forme d'une contribution en nature. En matière de dématérialisation, le premier acte est celui de l'accompagnement des usagers. Celui-ci peut se concrétiser au travers d'un guide, d'initiatives locales ou encore d'un fonds - à l'image d'autres dispositifs tel que celui du handicap. Nous partons du postulat que les acteurs qui recourent à la dématérialisation à des fins mercantiles doivent contribuer à la solidarité locale et nationale. Nous considérons également que l'on ne peut s'en remettre uniquement à l'échelon local, sous prétexte qu'il est en contact avec l'usager.

La sous-commission « Inclusion numérique » des Interconnectés n'est pas encore allée au bout de sa démarche. Nous espérons la porter plus loin encore, quitte à expérimenter. Il s'agit d'une part, de constituer des recettes, de définir les règles de leur mobilisation aux différents échelons et d'autre part, de prévoir une contribution à l'accompagnement par le local au profit des usagers éloignés du numérique. Une chose est certaine : ce ne sera pas une action « one-shot ». Il faudra forcément mobiliser des moyens pérennes au niveau local. Il est également envisageable de conclure des partenariats public-privé incluant la mise à disposition d'équipements numériques pour faciliter les contacts à distance avec les services des impôts, de la CAF, d'un fournisseur d'énergie ou encore une banque. Tous ces acteurs peuvent contribuer à la mise en place des infrastructures et de l'accompagnement local. Nous avons donc formulé plusieurs propositions à l'image d'autres dispositifs - tout n'est pas forcément à inventer ex nihilo.

Ensuite se pose la question de l'usage. À cet égard, l'idée est de favoriser, dans un premier temps, l'initiative locale. Un dispositif a inspiré une partie de nos propositions : la conférence des financeurs de l'innovation sociale. Installée au niveau départemental, elle permet de réaliser de l'innovation sociale à partir de financements publics ou privés. Elle présente l'intérêt de réunir des acteurs qui, au détour d'un débat sur les moyens, vont parler de projets innovants. Nous avons donc évoqué une conférence des financeurs pour l'e-inclusion ou l'inclusion numérique au niveau local. Cédric O, secrétaire d'État chargé du numérique, nous a proposé d'expérimenter cette modalité. Nous n'avons pas encore défini de territoire pertinent. Je pense qu'il serait intéressant de ne pas en définir a priori pour considérer que le territoire le plus adapté est celui qui sert le mieux l'échelon local.

Nous avons également réfléchi aux modalités d'accompagnement du progrès dans les territoires. Je pense par exemple aux Aidants Connect pour les questions de droit et de confidentialité. Il faudra définir des règles de base, en considérant que la dématérialisation doit systématiquement constituer un progrès en matière de service et doit nécessairement être assortie de la possibilité, pour l'usager de revenir à un interlocuteur humain (y compris sous la forme d'un contact à distance). Nous étudions aussi les questions d'ergonomie et d'accompagnement des publics spécifiques. Nous commençons à observer des expériences intéressantes à cet égard.

Dernier point : toute nouvelle politique doit être évaluée. Cette démarche d'évaluation doit être prévue dès l'origine, et ce, au niveau local pertinent ainsi qu'au niveau national.

Voici donc le contenu de notre manifeste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Mizzon

Je vous propose de passer à la phase de questions-réponses. Je donne la parole à notre collègue rapporteur Raymond Vall.

Debut de section - PermalienPhoto de Raymond Vall

Merci Monsieur le Président. Bonjour à tous. J'ai eu très peur : j'ai cru que nous avions fini notre mission ! Monsieur Oberti, je voudrais vous féliciter. L'histoire de Sicoval est exemplaire à plus d'un titre. Je suis très impressionné. J'ai presque envie de vous demander pourquoi vous vous êtes engagé aussi tôt dans cette lutte contre l'illectronisme, même si les résultats de l'évaluation le justifient. Nous pouvions imaginer qu'un territoire intégré dans des activités de pointe, comme l'aérospatiale, incluant une métropolie dynamique, serait peu concerné par l'illectronisme. Lorsque nous avons évoqué le sujet avec le directeur général de l'ANCT, nous nous sommes interrogés sur la dimension territoriale pertinente pour engager une politique de lutte contre l'illectronisme et en faveur de l'inclusion numérique. Vous avez relaté l'expérience de votre communauté d'agglomération de 80 000 habitants. Le partenariat qui s'est noué avec la métropole est intéressant.

Par ailleurs, le fait que vous évoquiez la conférence des financeurs est inespéré. Il va bien falloir que notre mission se saisisse de ce sujet essentiel. Il est important d'examiner le sujet dans le détail pour vérifier si cette dynamique a suscité une prise de confiance et si le système s'autoalimente pour se développer.

Quelles évaluations faites-vous des différents dispositifs que le Gouvernement actuel a mis en place ? Le Pass Numérique, les appels à projets ont-ils facilité vos démarches ? Au contraire, ces dispositifs vous paraissent-ils ne pas répondre aux besoins ? Enfin, avez-vous évalué les résultats des initiatives un peu dispersées de la lutte contre l'illectronisme au niveau national ?

Debut de section - Permalien
Jacques Oberti, président de la communauté d'agglomération du Sicoval

Si nous avions déjà une expérience en matière d'action sociale, en revanche notre action en faveur de l'inclusion numérique est encore en gestation. Sa mise en oeuvre était prévue pour février, date à laquelle la crise sanitaire est survenue.

Le Sicoval est loin d'être seul, puisqu'il se situe à proximité de la métropole toulousaine, qui est très impliquée en faveur de l'inclusion numérique. Il se situe à la fois à la ville et à la campagne. Comme l'a souligné le Sénateur Vall, nous avons un pôle tertiaire extrêmement dynamique, avec des entreprises comme Berger-Levrault ou Thales, qui sont à même d'aider à la recherche de solutions. Ce territoire compte aussi de petites communes qui doivent bénéficier de la solidarité territoriale. En 2012, le Sicoval s'est vu transférer l'ensemble des services à la personne (petite enfance, jeunesse, aide à domicile, soins infirmiers à domicile, portage de repas). L'intercommunalité a donc touché tout un pan d'usagers éloignés du numérique. C'est sans doute le contraste avec un écosystème numérique extrêmement dynamique et ces publics éloignés du numérique qui nous a fait prendre à bras le corps la question du numérique, en phase avec les autres collectivités présentes au sein des Interconnectés.

Debut de section - Permalien
Céline Colucci, déléguée générale, Réseau des Territoires Innovants - « Les Interconnectés »

Le réseau des Interconnectés regroupe des agglomérations de tailles assez diverses. Je rejoins ce qui a été dit au sujet de la préoccupation commune des territoires sur ce sujet. La question de l'échelon pertinent est une question que nous nous posons régulièrement : faut-il formuler une recommandation unique ? Dans le cadre des prémices du manifeste, nous avons été associés à la rédaction de la stratégie nationale « Pour un numérique inclusif » qui a été présentée à Mounir Mahjoubi, puis portée par la mission « Société numérique ». Pour rester en phase avec la réalité du terrain, il ne nous a pas semblé opportun de recommander un échelon territorial unique. La perspective de la conférence des financeurs a pour objet de lier la gouvernance locale et la partie financière, en sachant que les contours sont susceptibles de varier d'un territoire à l'autre. Il nous a semblé plus prudent de déterminer une taille minimum, mais nous n'avons pas voulu « forcer » un modèle unique. Il faut agir au plus proche de la réalité du terrain et tenir compte des alliances fonctionnelles en place.

Depuis février, plusieurs expérimentations sont en cours. Cinq collectivités se sont portées volontaires pour expérimenter la formule et rédiger des recommandations. Nous formulons des recommandations issues du terrain, de grandes lignes conductrices à partir de la mi-juin. Nous vérifierons nos présupposés à l'aune des constats des différents acteurs. La conférence des financeurs aura pour objectif de réunir des financements institutionnels et des financements privés complémentaires (financements directs ou mise à disposition de moyens) pour faire cause commune. Nous essaierons de produire des outils destinés à identifier les contreparties et l'efficacité des actions.

L'expérience du Sicoval permet de souligner l'importance du diagnostic partagé. Il nous paraît indispensable de mettre les énergies en commun à partir d'un constat partagé. Une cartographie des fragilités numériques a été testée. Cet outil, qui a vocation à être généralisé, permet de combiner des données de l'Insee avec le profil des publics en difficulté. Nous pouvons projeter ces bases de données sur une carte pour avoir une première idée des disparités ou des risques de fragilité numérique sur un territoire. L'étude de terrain du Sicoval permettra de concrétiser les premiers éléments de diagnostic et de les mettre en rapport avec les équipements en place. D'après les premiers tests, il s'avère que les équipements se concentrent sur certains endroits, tandis que d'autres secteurs ne sont absolument pas couverts. Ces outils sont intéressants, car susceptibles d'être dupliqués sur tout le territoire.

De l'avis des territoires ayant participé au groupe de travail, un premier aspect très positif est la capacité de documenter un certain nombre de démarches, notamment au travers de la cartographie des fragilités numériques. De la même manière, la cartographie des acteurs facilite l'identification des lieux de médiation numérique. Il nous parait intéressant que l'ensemble du territoire national puisse travailler sur des outils communs capables de communiquer entre eux. Le Pass Numérique a été conçu pour organiser l'accompagnement des publics en difficulté vers leur montée en compétences numériques, mais il est encore trop tôt pour évaluer cet outil. Le premier appel à projets va se déployer. Du fait des évènements, le deuxième appel à projets a été repoussé au 31 juillet. Ce vecteur est intéressant, même s'il ne couvre pas l'ensemble des besoins (notamment financiers). Le rôle de la conférence des financeurs est aussi d'apporter des moyens supplémentaires. Nous avons prévu d'associer les hubs aux réflexions des conférences des financeurs dans cinq territoires (dont quatre couverts par des hubs) pour tester l'articulation entre les acteurs locaux et les hubs régionaux. Il nous semble important d'identifier un interlocuteur régional pour mettre en cohérence les initiatives locales. Il ne serait pas pertinent de piloter une stratégie d'inclusion numérique de proximité à l'échelon régional. Pour autant, une coordination au niveau régional doit être mise en oeuvre en termes d'outils et de moyens. Le dispositif étant à ses débuts, il est difficile d'avoir une vision éclairée des résultats.

Debut de section - PermalienPhoto de Angèle Préville

Vous avez indiqué que certains publics n'arriveront pas à gérer la numérisation. Est-ce à dire qu'il faudrait d'ores et déjà renoncer à la participation de l'État, alors même que vous prévoyez la contribution des acteurs ayant eu recours à la dématérialisation pour réaliser des économies ?

En outre, vous évaluez à 13 millions le nombre de personnes concernées par l'illectronisme. S'agit-il d'une extrapolation des statistiques des petits territoires ? Quant aux pourcentages de personnes en difficulté ou ayant un besoin d'accompagnement, sont-ils le fruit de votre enquête ou d'une étude nationale ?

Enfin, j'ai compris que vous aviez eu recours aux données de l'Insee pour identifier les ménages à faibles revenus dans les communes couvertes par votre enquête.

Debut de section - Permalien
Jacques Oberti, président de la communauté d'agglomération du Sicoval

En matière d'inclusion numérique, l'État doit se faire un point d'honneur d'initier la démarche. J'en ai d'ailleurs discuté avec le Directeur régional des finances publiques, qui est tout à fait disposé à développer des partenariats avec le service civique pour mettre en place des contacts vidéo entre l'administration fiscale et l'usager en cas de difficultés de compréhension. Il faut faire preuve de pragmatisme. L'on ne considère pas seulement les moyens financiers, mais aussi la mise à disposition d'équipements dans le cadre de partenariats. L'État doit être mobilisé sur ces questions de dématérialisation du lien entre les collectivités et les services de l'État. Les pouvoirs publics essaient d'accélérer la dématérialisation des permis de construire. L'État ne doit faire porter au niveau local la charge qu'il a ainsi économisée. Avant de parler d'économies, il faut imaginer des dispositifs bien plus intelligents.

Pour évaluer la dimension de l'illectronisme, nous nous sommes référés à un rapport national. La Poste a réalisé 400 enquêtes locales auprès des ménages. Nous avons ensuite élaboré une cartographie à partir du croisement des données de l'Insee (catégories socioprofessionnelles, niveaux d'équipement...). Nous n'avons pas encore effectué le dépouillement des 400 enquêtes de La Poste. Nous attendons avec impatience les résultats.

Un élément très important dans cette démarche est celui d'afficher la volonté de la collectivité. Dès lors que vous effectuez une enquête auprès des ménages, vous leur signifiez votre volonté de travailler avec eux. En matière de numérique, c'est fondamental.

Debut de section - Permalien
Anne-Claire Dubreuil

Nous nous sommes également appuyés sur le rapport d'Emmaüs Connect sur l'illectronisme en France. Le Sicoval dispose de bases de données nominatives qui nous permettent d'interpeller directement les personnes, puisque l'enquête porte sur des usages précis du numérique et permet d'identifier des appétences et des compétences. Ce fichier nominatif nous a permis de proposer des actions très ciblées à ces publics, d'aller à la rencontre des invisibles. Nous avons adressé aux personnes ayant participé à l'enquête un courrier pour leur proposer des ateliers, que nous avons organisés en articulation avec une école de formation. Ce fichier est donc un outil pour mener des actions sur le terrain. Quant aux ménages identifiés comme les plus compétents, nous les avons invités à se mobiliser à titre bénévole pour accompagner les personnes en difficulté. Outre les allocations de ressources des entreprises, nous pouvons faire appel au mécénat de compétences. Nous avons initié une négociation en ce sens avec Berger-Levrault. Enfin, nous pouvons recourir à la mise à disposition ou au don de matériel.

Debut de section - Permalien
Jacques Oberti, président de la communauté d'agglomération du Sicoval

Nous avons aussi eu l'idée de promouvoir la formation au numérique dans les entreprises pour des profils de métiers qui a priori ne devraient pas recevoir ces formations de façon à ce qu'ils soient outillés dans la vie courante.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Gold

Les élus sont tous attachés à la couverture numérique du territoire. Depuis la loi Engagement et proximité, en matière de correspondance, le numérique est la règle et le format papier, l'exception. Avez-vous recensé les collectivités ou établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) dans lesquels ce nouveau mode de fonctionnement crée des difficultés, soit par manque de réseau, soit en raison de l'illectronisme des élus, ce qui, à l'heure où les collectivités figurent en première ligne pour la transformation numérique, ne serait pas sans poser problème du point de vue de la crédibilité ?

En matière d'inclusion, certains EPCI (y compris les plus petits) comptent le numérique dans le champ de leurs compétences facultatives et ont développé des expériences diverses (bus numériques, fab labs...) qui permettent une utilisation plus démocratisée du numérique. Quelles expériences innovantes ayant déjà fait leurs preuves pourriez-vous citer ? Quels freins avez-vous identifiés ?

Debut de section - Permalien
Jacques Oberti, président de la communauté d'agglomération du Sicoval

Au sein de l'Association des maires de Haute-Garonne, j'ai vécu en temps réel la forme d'illectronisme que vous évoquez. Certes, il y a eu énormément de progrès depuis la crise sanitaire. Les élections vont aussi permettre un renouvellement des élus. Malheureusement, il existe encore des élus extrêmement éloignés du numérique. Dans certains territoires, cette proportion est assez proche des pourcentages nationaux. Il faut absolument convaincre les élus du bien-fondé de la démarche pour qu'ils puissent la mettre en oeuvre sur leur territoire. Les associations d'élus joueront un rôle essentiel à cet égard, tout en assurant l'entraide.

Erwan Le Bot, conseiller stratégies urbaines et enseignement supérieur, Assemblée des Communautés de France. - L'ADCF n'a pas mené d'étude globale de l'intervention des intercommunalités dans le champ numérique. Le premier geste d'investissement de l'ADCF a consisté à porter la création, avec France Urbaine, de l'association des Interconnectés. Cette association était plutôt orientée vers les usages, sous un angle moins politique que pratique. Il s'agissait d'organiser la rencontre entre les agents et les techniciens des territoires ainsi que d'identifier les projets innovants par l'attribution d'un label. Ces expériences numériques sont mises en valeur à l'occasion des « Intercos Tour ». Elles sont examinées par un jury. Le Forum (journée nationale des Interconnectés) est l'occasion de remettre un label. En matière d'inclusion numérique, la diversité est la règle. C'est à la fois un problème et une chance. Très souvent, ce sont des associations qui portent le savoir-faire en termes d'inclusion numérique, et ce, parfois depuis très longtemps. Notre objectif n'est pas d'élaborer une politique normalisée d'inclusion numérique, mais de respecter les différences territoriales tout en nous assurant de la mise à disposition d'une offre diversifiée d'inclusion numérique.

La réflexion progresse, puisque l'ADCF a choisi de créer une commission numérique. Les Interconnectés ont vu le jour il y a 10 ans, mais la création de la commission, et donc, de la parole politique, remonte à moins de 18 mois. Nous avons mis l'accent sur l'inclusion numérique au travers de la sous-commission présidée par Jacques Oberti, au sein de la commission « Rassembler les élus ». Le manifeste est le fruit des travaux de cette commission. Il a été adopté officiellement par les deux associations France Urbaine et l'ADCF en novembre 2019, et présenté à Cédric O en février lors du Forum des Interconnectés organisé à Lyon. Nous n'avons pas de vision nationale, mais nous évertuons à animer les écosystèmes et les sensibiliser. Le manifeste est le premier geste politique sur lequel l'ADCF a apposé sa signature, avec France Urbaine. D'une certaine manière, nous n'en sommes qu'au début, mais nous ne sommes pas trop en retard en comparaison avec l'État.

Debut de section - Permalien
Céline Colucci, déléguée générale, Réseau des Territoires Innovants - « Les Interconnectés »

Nous ne menons pas d'enquête systématique auprès des collectivités. Avec l'ADCF, nous avions coutume d'établir un baromètre des usages qui nous permettait de mesurer la tendance et les évolutions. Néanmoins, il est certain que l'échelon intercommunal et local est pertinent en matière d'innovation, car il est au plus proche des usagers et des acteurs. Depuis deux ans, nous nous attachons à recenser, décrire et systématiser tout ce qui peut l'être. La commission numérique donne l'impulsion politique et la direction. En parallèle, nous avons constitué des groupes de travail opérationnels, constitués d'agents d'une vingtaine de collectivités pour produire des descriptions d'outils transposables et réutilisables. Nous pouvons par exemple décrire un dispositif itinérant respectueux de la diversité territoriale, une cartographie des fragilités, etc. La conférence des financeurs, d'une certaine manière, est l'outil de gouvernance locale pour essayer de définir un socle commun. Ce temps de consolidation est assez récent. Le fait que l'État se soit approprié le sujet en nous associant au dispositif, et le fait que nous nous autosaisissions de cette opportunité pour décrire nos propres besoins nous permettent d'avoir une capacité de diffusion nationale à terme. En tout cas, c'est ce que nous espérons et nous y consacrons de l'énergie.

Pendant la crise sanitaire, la société numérique en charge de ces questions au niveau de l'État a mobilisé les acteurs pour ouvrir un portail « Solidarité Numérique », qui a permis de faciliter la mise en relation des usagers en difficulté avec une personne compétente située à proximité. Un numéro unique a été créé à cet effet. Cette initiative, extrêmement positive, mérite d'être pérennisée. En effet, les personnes éloignées du numérique doivent avoir accès à une aide par un canal non numérique. C'est un élément essentiel pour favoriser les demandes spontanées d'aide.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Mizzon

Je vous remercie d'avoir souligné ce point, qui est d'ailleurs l'une des exigences formulées par le Défenseur des droits.

Debut de section - Permalien
Jacques Oberti, président de la communauté d'agglomération du Sicoval

Plusieurs strates ont leur rôle à jouer dans la transition numérique des collectivités. La réalisation des schémas des usages a été confiée aux départements. Dans la Haute-Garonne, la démarche départementale a eu peu de succès. Nous avons donc entrepris notre propre démarche en essayant d'insuffler une dynamique avec l'appui de l'ADCF et l'Association des maires de Haute-Garonne. Il faudra bien créer une plateforme unique de partage sur ces questions de façon à réellement fédérer les territoires. Le plan local d'inclusion numérique, s'il devient une mesure obligatoire, nécessitera le déploiement d'une dynamique collective pour ne laisser aucun territoire de côté.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Mizzon

La conférence des financeurs me semble un dispositif majeur dans la démarche que vous avez construite. Si les acteurs publics s'associent naturellement à la démarche, les acteurs privés sont généralement moins philanthropes. Il est normal que ces derniers recherchent une contrepartie, mais je me demande ce qu'il en est. L'entreprise Berger-Levrault, créée dans le Grand Est, a quitté Strasbourg après la Première Guerre mondiale, ce qui a fait le bonheur d'autres territoires. Vous avez parlé de mécénat de compétences. Au-delà du bénéfice en termes d'image, que proposez-vous aux entreprises pour qu'elles adhèrent à votre démarche ?

Debut de section - PermalienPhoto de Raymond Vall

Je m'adresse au responsable politique Jacques Oberti. Je voudrais savoir si la lutte contre l'illectronisme développe une économie, libère des énergies, si elle constitue une nouvelle forme d'économie participative ? Pouvons-nous imaginer que des gens très éloignés du numérique, s'ils s'approprient cet outil, libèrent des idées nouvelles, originales, qui constituent une richesse ?

Debut de section - Permalien
Jacques Oberti, président de la communauté d'agglomération du Sicoval

Lorsque j'ai voulu créer une dynamique pour faire émerger une plateforme dans ma commune, j'ai rapidement vu Groupama et le Crédit Agricole se positionner comme des bailleurs de fonds soit pour mettre à disposition des particuliers leur propre salle de visioconférence, soit pour s'associer aux initiatives locales. Pourquoi pas, à condition de définir très précisément les usages. L'aspect mercantile est présent, mais l'on peut envisager un dispositif gagnant-gagnant, par exemple un partenariat avec le service civique pour organiser des consultations auprès des usagers. Encore faut-il bien définir le cadre du partenariat avec les entreprises et mettre en évidence l'intérêt que chacun va y trouver. Cependant, le chemin est long, y compris pour les élus, afin de distinguer ce qui relève de la sphère publique et ce qui relève de la sphère privée.

Le Sénateur Vall a soulevé la question du marché que cela représente. Pendant le confinement, j'ai utilisé le réseau Facebook pour diffuser un message à mes habitants. En deux heures, j'ai obtenu 2 500 likes pour 2 500 habitants. Nous avons là un potentiel fabuleux dans la relation aux citoyens. C'est une forme moderne de mégaphone. Peut-être faudrait-il envisager l'inclusion numérique en lien avec l'écran de télévision pour aborder les questions de démocratie, d'identité numérique et, partant, le lien avec le citoyen au travers des outils numériques. La question est donc celle du lien avec le citoyen via les outils numériques. Pendant le confinement, nous avons vu se développer une offre d'achat accessible sur Internet. Des microentreprises locales ont complètement changé leur modèle économique pour commercialiser leurs produits sur Internet. La démarche d'inclusion numérique rend possible la création d'une dynamique économique sur les territoires, à laquelle contribuent les filières du numérique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Mizzon

Merci. Si vous n'avez pas d'autres questions, il me reste à vous remercier de votre participation. Peut-être nous reverrons-nous aux prochains États Généraux du numérique que le Ministre a promis d'organiser en novembre prochain.

La téléconférence est close à 17 h 40.