Intervention de Marie Mercier

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 3 juin 2020 à 8h45
Proposition de loi adoptée par l'assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée visant à protéger les victimes de violences conjugales — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Marie MercierMarie Mercier, rapporteur :

Ce sujet dramatique ne cesse de nous mobiliser. Quelques mois seulement après la promulgation de la loi visant à agir contre les violences au sein de la famille, portée par notre collègue Aurélien Pradié, notre commission est saisie d'un nouveau texte, visant à protéger les victimes de violences conjugales, rédigé par deux députés de La République en Marche, Bérangère Couillard et Guillaume Gouffier-Cha et adopté le 29 janvier dernier par l'Assemblée nationale.

Ce texte a pour ambition de transcrire dans la loi les préconisations issues du Grenelle contre les violences conjugales, dont les conclusions ont été rendues publiques le 25 novembre dernier. La proposition de loi déborde toutefois du champ de la lutte contre les violences conjugales pour inclure des mesures visant à protéger les mineurs ou à prévenir les violences en général.

Sur le plan de la méthode, je trouve dommage que deux textes se soient ainsi succédé, à quelques mois d'intervalle. L'examen d'un texte unique, déposé après le Grenelle, aurait permis un débat plus global sur la politique de lutte contre les violences conjugales et intrafamiliales. De plus, la situation nous a contraints à mener nos auditions dans un temps très contraint et les conséquences du confinement n'auront pas pu être évaluées avec soins.

Sur le fond, j'ai l'impression que l'on arrive au bout de ce qu'il est possible de faire en matière législative, l'arsenal juridique étant déjà très étoffé. Si certaines dispositions du texte sont utiles, beaucoup m'apparaissent d'une portée limitée : des ajustements, des clarifications, des précisions sont apportés, mais peu de dispositions semblent de nature à renforcer de manière significative la lutte contre les violences conjugales.

Vous avez sans doute vu le documentaire diffusé hier soir, mes chers collègues, sur ce sujet, appuyé sur le travail des journalistes du Monde. C'était bouleversant et le débat qui a suivi était passionnant, mais personne n'a évoqué la nécessité de changer la loi, sinon la secrétaire d'État, Mme Marlène Schiappa, sur deux points spécifiques : les armes et l'autorité parentale. Or il se trouve que les deux premiers articles, relatifs à cette dernière question, ont été supprimés par l'Assemblée nationale, qui a constaté que leur contenu avait déjà été intégré dans la loi Pradié du 28 décembre 2019..

Le texte prévoit d'interdire le recours à la médiation pénale et à la médiation familiale en cas de violences au sein du couple. Le Grenelle a mis en évidence que le recours à la médiation ne constituait pas une procédure adaptée en cas de violence en raison de l'inégalité entre l'agresseur et sa victime. En matière civile, la médiation familiale serait plus précisément exclue quand des violences sont alléguées par un époux ou en cas « d'emprise manifeste » de l'un des époux sur son conjoint. Cette dernière mention permet au Gouvernement de respecter l'engagement qu'il avait pris d'inscrire la notion d'emprise dans le code civil.

Sur ce sujet, j'ai auditionné le docteur Marie-France Hirigoyen, qui définit l'emprise comme une prise de possession du psychisme de la victime, dont les capacités de jugement sont altérées au point qu'elle en arrive à accepter l'inacceptable.

Quel que soit le niveau culturel des personnes concernées, l'emprise s'installe progressivement : la relation débute généralement par une phase de séduction, suivie d'une phase de dénigrement puis débouche sur une forme de prise de contrôle, marquée par le harcèlement de la victime et par un climat de suspicion et de peur ; le chantage affectif, le chantage au suicide notamment, est fréquemment utilisé pour surmonter une éventuelle résistance, sans oublier la violence physique qui peut constituer l'ultime étape dans cet ascendant pris sur le conjoint. Il est difficile d'en comprendre rationnellement le mécanisme, tant celui-ci ne fonctionne pas sur ce registre.

J'en reviens à la présentation des articles, dont plusieurs visent à alourdir les peines encourues ou à créer de nouvelles infractions. Ainsi, des circonstances aggravantes sont introduites pour les délits d'usurpation d'identité et d'atteinte au secret des correspondances quand les faits sont commis par le conjoint, le concubin ou le partenaire d'un pacte civil de solidarité (PACS). Dans le même esprit, je vous proposerai un amendement visant à créer une circonstance aggravante du délit d'envoi réitéré de messages malveillants.

Le délit de harcèlement du conjoint serait également puni plus sévèrement lorsque le harcèlement a conduit au suicide de la victime. Cet ajout doit permettre de répondre à la problématique des « suicides forcés ». Si je comprends l'objectif poursuivi par nos collègues députés, je crains que le lien de causalité entre le harcèlement et le suicide ne soit difficile à établir et que les condamnations prononcées sur ce fondement soient finalement assez rares. Il est également prévu de compléter le code pénal pour sanctionner, au titre des atteintes à la vie privée, le fait de géolocaliser un individu sans son consentement.

Ces sanctions pénales seraient complétées par ce qui s'apparente à de nouvelles formes de sanction civiles.

Tout d'abord, les descendants ou ascendants de la victime d'un crime ou d'un délit portant atteinte à l'intégrité physique ou psychique de la personne, commis par un parent sur l'autre parent ou sur un descendant, seraient automatiquement déchargés de l'obligation alimentaire, conformément à une demande forte des associations. Si j'approuve l'esprit de cette disposition, je vous proposerai d'en revoir la rédaction, car l'automaticité de la mesure pourrait poser un problème sur le plan constitutionnel.

Le texte prévoit également que le juge pourra déclarer indigne de succéder celui qui a été condamné à une peine criminelle pour avoir commis des violences ou un viol sur le défunt. Ainsi, le mari violent ne pourra hériter de son épouse si celle-ci décède avant lui. Je vous présenterai dans quelques instants un amendement afin d'aller plus loin sur cette question de l'indignité successorale.

D'autres dispositions du texte s'inscrivent davantage dans une démarche de prévention. Ainsi, un article tend à donner au juge pénal la possibilité, dans le cadre d'un placement sous contrôle judiciaire, de suspendre le droit de visite et d'hébergement de l'enfant mineur. Nous savons que les moments où les anciens conjoints se retrouvent pour confier l'enfant à l'autre parent sont propices à la répétition des violences.

Il est également prévu d'alourdir la peine prévue en cas de consultation de sites pédopornographiques, ce qui aura pour effet d'entraîner, sauf décision contraire de la juridiction, l'inscription des auteurs sur le fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijaisv). Je vous rappelle que ce fichier peut être consulté par différents employeurs, par exemple l'Éducation nationale, afin d'éviter que les auteurs de ces infractions ne soient embauchés pour occuper un poste au contact des mineurs. Cette mesure avait été préconisée par la mission commune d'information sur la lutte contre les violences sexuelles sur mineurs présidée par Catherine Deroche et que j'avais eu l'honneur de rapporter avec nos collègues Michelle Meunier et Dominique Vérien.

Dans le prolongement de cette mesure, je vous présenterai un amendement visant à favoriser l'inscription sur le Fijaisv des personnes mises en examen pour des faits de violence ou de violences sexuelles sur mineurs.

J'en arrive maintenant à une série d'articles qui s'apparentent plus, à mes yeux, à des mesures de clarification ou de précision qu'à de véritables mesures nouvelles. Ainsi, la saisie des armes que peut posséder le conjoint violent est déjà autorisée et pratiquée au cours des enquêtes ; l'article 9 en rend simplement plus lisible le cadre juridique applicable.

L'article 11, sur l'accès des mineurs aux sites pornographiques, a pour objet de codifier une jurisprudence ancienne de la Cour de cassation et ne modifie donc pas l'état du droit en vigueur. La question du contrôle effectif de l'accès des mineurs à ces sites restera entière. Nous allons auditionner le producteur et éditeur de sites Marc Dorcel, ou un de ses fils, sur ce sujet, car ce contrôle est dans leur intérêt. Il faudra interpeller le Gouvernement pour connaître ses intentions en la matière, car il serait dommage que cet article se révèle être une mesure d'affichage dépourvue de retombées concrètes.

En ce qui concerne la possibilité de déroger au secret médical pour signaler des faits de violence conjugale, même en l'absence d'accord de la victime, prévue à l'article 8, un examen attentif montre que cette dérogation vise des hypothèses très restrictives - danger immédiat pour la vie de la victime et emprise - pour lesquelles il est déjà admis que le professionnel de santé puisse déroger au secret médical.

Avec nos collègues Catherine Deroche, Michelle Meunier et Maryse Carrère, je me suis longuement penchée, à l'automne dernier, sur la question de l'articulation entre secret professionnel et signalement des sévices infligés aux mineurs. Lorsqu'un patient est confronté à une situation de « péril grave et imminent », le professionnel de santé peut d'ores et déjà déroger au secret médical et procéder à un signalement. Il n'est certes pas obligé de le faire s'il existe une autre solution pour mettre la victime à l'abri, demander son hospitalisation par exemple. Toutefois, comme nous l'avait expliqué l'universitaire Bruno Py, « si le seul moyen efficace de porter secours consiste à transgresser le secret professionnel, l'obligation de porter secours prime ».

Je suis très attachée au secret médical, vous le savez, ce qui me conduit à porter un jugement plutôt neutre sur la rédaction qui a été trouvée, et qui a obtenu l'aval du Conseil de l'ordre des médecins. Le médecin fait toujours face à un conflit de devoirs : violer le secret médical ou ne pas le violer et laisser peut-être la victime encourir un danger ? Je vous proposerai simplement de préciser les conditions dans lesquelles le signalement peut intervenir en explicitant les conséquences de l'emprise exercée sur la victime.

Enfin, en ce qui concerne l'article 12 relatif à l'accès provisoire à l'aide juridictionnelle dans les procédures d'urgence, son apport est ténu par rapport au droit en vigueur et le renvoi à une liste limitative de contentieux arrêtée par décret en Conseil d'État pose problème. Je crois donc plus raisonnable de le supprimer.

Quelques mesures dépassent le cadre de la lutte contre les violences conjugales ou de la protection des mineurs : deux articles consacrent le droit pour toutes les victimes de violences de recevoir un certificat médical lorsqu'elles ont subi un examen médical requis par un officier de police judiciaire ou un magistrat ; l'article 9 bis permet de prononcer diverses interdictions relatives aux armes ou à la possibilité d'entrer en contact avec la victime en plus d'une peine d'emprisonnement, et pas seulement à la place de la peine d'emprisonnement, une modification intéressante qui pourra s'appliquer à tous types d'affaires ; enfin, l'article 11 bis comporte des dispositions qui permettront de sanctionner plus efficacement la pratique qui consiste à commanditer, depuis la France, un crime ou un délit, un viol par exemple, commis à l'étranger dans le but de visionner la scène sur internet, lorsque le crime ou le délit n'a été ni commis ni tenté. Des mineurs peuvent être victimes de ces agissements odieux, des majeurs également.

Vous le voyez, ce texte comporte des mesures variées, pour ne pas dire disparates, d'une portée parfois réduite. Tout l'enjeu va être maintenant de mettre en oeuvre, sur le terrain, l'arsenal législatif dont nous disposons. Cela supposera de la volonté politique et des moyens pour soutenir tous ceux, policiers, gendarmes, magistrats, éducateurs, travailleurs sociaux, etc., qui oeuvrent tous les jours aux côtés des victimes, mais aussi aux côtés des auteurs pour les aider à prendre conscience de leurs actes et prévenir la récidive. Nous avions parlé des auteurs en disant qu'il importait de les prendre en charge. L'objet de la loi est donc de protéger les femmes et de stopper les agresseurs. Il s'agit ici de mieux vivre dans l'intimité des foyers, où tout est caché, de ces femmes et de ces enfants qui vivent avec la peur au ventre, de ces hommes qui ne se conduisent pas comme des hommes.

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