Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, sur l’initiative de MM. les présidents Kanner et Éblé et de leurs collègues du groupe socialiste, la présente proposition de résolution invite à la création, a minima temporaire, d’un impôt de solidarité sur le capital afin de renforcer la justice fiscale et la justice sociale et de répondre au défi du financement de la crise sanitaire actuelle. Ce nouvel impôt relèverait le seuil d’assujettissement des contribuables de 1, 3 à 1, 8 million d’euros, ce qui exclurait 40 % des anciens contribuables de l’ISF pour une perte de recettes d’environ 500 millions d’euros, mais pourrait être compensé par un relèvement de deux points du prélèvement forfaitaire unique. Il est également prévu de revenir au « plafonnement du plafonnement » mis en place jadis par le gouvernement Juppé.
Le groupe socialiste présente cette proposition de résolution avec l’objectif louable de « sauver le plus de vies possible et préserver notre tissu économique et social, nos emplois et nos entreprises », la question étant alors de trouver le meilleur moyen d’y parvenir, à moins que la situation actuelle ne soit tout simplement la meilleure occasion de rétablir un ISF amélioré. Le symbole est fort ; souvenons-nous qu’il faisait partie des revendications des « gilets jaunes », et qu’à l’issue du grand débat le Président de la République s’était engagé à vérifier en 2020 l’efficacité de l’actuel impôt sur la fortune immobilière : « S’il n’est pas efficace, nous le corrigerons », avait-il dit.
Un préalable nécessaire, tout de même : ni l’éventuelle création d’un impôt de solidarité sur le capital, dont le rendement est estimé à 2, 5 milliards d’euros, ni le rétablissement de l’ISF, qui rapporta 4, 2 milliards d’euros en 2017, ni l’actuel IFI, dont le rendement doit atteindre 1, 9 milliard d’euros en 2020, ne sont de taille à soutenir le financement de la crise du Covid-19, au titre duquel nous avons déjà voté 110 milliards d’euros de crédits tout aussi indispensables qu’insuffisants au regard des difficultés qui nous attendent.
L’ISC est donc plus idéologique que thérapeutique. Il n’empêche qu’il est utile et légitime de s’interroger sur la pertinence de l’impôt sur la fortune immobilière. Succédant à l’ISF, l’IFI a délibérément exclu de sa base taxable les placements bancaires et liquidités, ses concepteurs prétendant ainsi relancer l’investissement dans les entreprises françaises et favoriser la création d’emplois. La commission des finances du Sénat ayant quelques doutes sur l’atteinte de cet objectif, nous attendons avec impatience l’évaluation de l’IFI promise par Emmanuel Macron.
Cela dit, le groupe Union Centriste n’a jamais été favorable à l’imposition des seules fortunes immobilières, car les détenteurs d’un patrimoine immobilier ne sont pas plus rentiers que les détenteurs d’un portefeuille d’obligations. Et les premiers concourent parfois davantage à la vitalité de notre économie que les seconds. Par exemple, l’IFI ne taxe plus les valeurs européennes placées dans un plan d’épargne en actions, mais taxe les sociétés d’investissement immobilier cotées qui construisent les centres commerciaux ou encore les sociétés civiles de placement immobilier qui louent des bureaux et des commerces. Qui, pourtant, contribue le plus à l’activité et à la création d’emplois ? Qui est, de fait, un pilier essentiel de la filière du BTP ? De notre point de vue, il y a matière à correction.
Second point surprenant d’incohérence : l’IFI ne taxe plus le patrimoine polluant. Avions privés, voitures de luxe et yachts ont disparu de la base taxable, alors que le défi écologique est au cœur des préoccupations du Gouvernement. C’est suffisamment incohérent pour être inacceptable.
L’ISF ne marchait pas, selon le Premier ministre ; il contribuait à l’évasion du capital. L’IFI fonctionne-t-il mieux ? Il rapporte certes deux fois plus que prévu, soit 1, 9 milliard au lieu de 850 millions d’euros, mais l’argument ne suffira évidemment pas. À l’évidence, il faut le corriger, car il ne cible pas encore les freins de notre économie, ceux qui brident les secteurs qui devraient pourtant être nos moteurs.
Concernant la question cruciale du financement de la crise sanitaire, il faut d’abord examiner globalement le système actuel. Certaines mesures fiscales adoptées sous le quinquennat d’Emmanuel Macron, notamment l’institution de la flat tax à 30 % sur la partie mobilière des revenus de l’épargne et des plus-values, ou encore la réduction progressive du taux de l’impôt sur les sociétés (IS), sont indéniablement positives, en ce sens qu’elles répondent à des distorsions extrêmement coûteuses pour l’économie française.
Pour rappel, pendant le quinquennat de François Hollande, l’ensemble des revenus du capital et des plus-values avaient été intégrés aux revenus imposables soumis à la très forte progressivité du barème de l’impôt sur le revenu (IR). Compte tenu des prélèvements sociaux, le taux d’imposition de ces revenus et plus-values pouvait avoisiner 60 %. Il est toujours tentant, politiquement, de s’attaquer au capital déjà constitué ; mais face à des épargnants de plus en plus informés, de plus en plus réactifs et de plus en plus mobiles, il est vain de penser que l’on peut prélever sur ce stock sans affecter les niveaux de croissance économique et de recettes fiscales.
Surtout, la taxation de l’épargne est susceptible de dissuader la formation du capital. Moins de capital signifie une productivité du travail et des salaires réels plus faibles, ou un chômage plus élevé si les salaires réels sont rigides. Il ne faut par ailleurs pas négliger le fait que l’épargne et l’investissement ont des retombées positives sur l’économie, de sorte que les baisses d’imposition associées ne profitent pas qu’aux seuls contribuables concernés.
Pour relancer demain l’économie, plusieurs ajustements fiscaux seraient possibles, permettant, à des niveaux de recettes fiscales inchangés, de limiter les distorsions et les dommages infligés à l’économie. La crise du Covid-19 pourrait être l’occasion de « verdir » le système fiscal français en intégrant dans les prix des biens et des services les coûts des dommages causés à l’environnement, le but n’étant pas d’augmenter la pression fiscale globale, ni donc d’utiliser la fiscalité verte comme une fiscalité de rendement budgétaire. Un relèvement de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) ou de la TVA sur des produits jugés nuisibles à l’environnement pourrait être mis à profit pour diminuer symétriquement la taxation du travail, voire celle de l’épargne, afin de stimuler l’offre productive.
Mes chers collègues, voilà donc quelques contributions à ce débat qui a le mérite de nous faire réfléchir en amont sur les voies possibles d’un financement des réponses à la crise et nous permet de formaliser quelques idées. Notre groupe votera contre cette proposition de résolution, mais soutient cependant l’idée d’une nécessaire révision rapide de l’impôt sur la fortune immobilière.