Un travailleur indépendant est libre de choisir la façon dont il mène son activité. Il exerce à son compte une activité économique et en supporte les risques. Ce n’est pas le cas des travailleurs des plateformes numériques dont nous parlons, qui sont constamment contrôlés par les algorithmes. Il ne s’agit donc pas de travail indépendant, puisque la dépendance économique et la subordination sont à présent attestées.
Les décisions de justice l’ont d’ailleurs démontré : prenons-en pour exemple le dernier arrêt rendu à ce propos par la Cour de cassation, le 4 mars 2020, concernant Uber. La délibération a été très claire : il n’y a aujourd’hui aucun doute sur le statut de ces travailleurs fictivement indépendants, qui sont la proie de pratiques de salariat déguisé.
Au travers de ce texte, nous proposons de prendre acte de la décision des juges et d’en accélérer l’application, les procédures pouvant être très longues.
Quelles seraient les conséquences de l’adoption de notre proposition de loi ? Elle éviterait aux travailleurs de devoir choisir entre renoncer et se lancer dans de longues années de procédure judiciaire pour obtenir la requalification de leur statut en salariat.
Il n’est pas question de créer un troisième statut, comme le proposait la majorité de l’Assemblée nationale. Vous n’ignorez d’ailleurs pas, madame la ministre, que cette idée a été censurée par le Conseil constitutionnel. Je tiens à citer les mots de M. Antoine Foucher, votre directeur de cabinet, au cours de notre échange la semaine dernière – j’ai apprécié cet échange : il faudrait « inventer un encadrement d’une nouvelle relation de travail ». Par le biais de cette proposition de loi, nous répondons : « Chiche ! Allons-y ! »
Nous avons, pour ce faire, besoin de nous appuyer sur ce qui existe déjà. Le code du travail est en effet ce qu’il y a de plus protecteur aujourd’hui.
Sa septième partie permet de combiner la volonté d’exercer un travail autonome et une protection assurant des conditions de travail décentes.
Les plateformes doivent respecter les règles du jeu, à l’image des entreprises traditionnelles, mais il n’est pas question de choisir entre salariat et travail indépendant, sorte de yo-yo que l’on connaît depuis plusieurs années. Quant au « ni-ni » – ni salariat ni travail indépendant –, il n’est pas respectueux de ces travailleurs : on ne prend pas de décision et ils se retrouvent à subir des humiliations et des souffrances.
Nous souhaitons au contraire ouvrir un débat sur le renforcement de ces deux statuts : le travail indépendant, auquel nous voulons accorder davantage de protection, et le salariat, qui devrait acquérir une plus grande autonomie pour sortir des situations d’asservissement résultant de pratiques managériales abusives.
Plus largement, ce texte constitue un jalon important dans le débat sur l’avenir du travail sous toutes ses formes. En effet, l’économie numérique va ouvrir la voie à de nouvelles formes de travail qui se répercuteront sur des pans entiers de la société.
Nous avons la possibilité d’influer sur la direction à prendre. Souhaitons-nous tirer vers le bas l’ensemble des statuts professionnels et aboutir à une plus grande précarisation du travail ? Voulons-nous, au contraire, nous engager de façon forte pour que chaque personne puisse s’accomplir librement et en sécurité dans son activité professionnelle ?
Nous vous proposons de prendre la voie la plus juste, qui est aussi la plus attendue par les premiers concernés, car le progrès technologique doit avant tout servir les êtres humains, et non les asservir.