Séance en hémicycle du 4 juin 2020 à 9h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • APL
  • indépendant
  • logement
  • ménages
  • plateforme
  • social
  • sociaux
  • statut
  • travailleur

La séance

Source

La séance est ouverte à neuf heures.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marc Gabouty

Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marc Gabouty

L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, de la proposition de loi relative au statut des travailleurs des plateformes numériques, présentée par M. Pascal Savoldelli et plusieurs de ses collègues (texte n° 717 [2018-2019], résultat des travaux de la commission n° 472, rapport n° 471).

Notre séance se déroule dans les conditions de respect des règles sanitaires mises en place depuis le mois de mars. J’invite chacune et chacun à veiller au respect des distances de sécurité. Je rappelle que tous les orateurs, y compris les membres du Gouvernement, s’exprimeront depuis leur place, sans monter à la tribune.

Dans la discussion générale, la parole est à M. Pascal Savoldelli, auteur de la proposition de loi.

Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Savoldelli

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’ai à cœur de vous présenter cette proposition de loi, cosignée par Fabien Gay, Cathy Apourceau-Poly et l’ensemble des membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Ce texte, fruit de plus de deux années de rencontres, de travail et d’échanges sur le terrain, vise à renforcer le statut des travailleurs des plateformes numériques, ces « tâcherons du clic », comme je les appelle, soumis au management algorithmique.

Ces travailleurs se sont d’ailleurs trouvés en première ligne durant la crise épidémique du Covid-19, bien malgré eux, en plein confinement, alors que leur activité n’était pas toujours essentielle, parce qu’ils n’avaient pas d’autre choix. Ce sont les chauffeurs de VTC, les coursiers, ou encore les livreurs, tous au service de plateformes numériques de travail, ceux que l’on nomme couramment « travailleurs ubérisés ».

Il s’agit d’un enjeu d’actualité particulièrement important. Je tiens à remercier mes collègues Michel Forissier, Catherine Fournier et Frédérique Puissat, ainsi que la commission des affaires sociales, de leur rapport d’information portant sur le droit social applicable aux « travailleurs indépendants et économiquement dépendants » ; ce rapport fort intéressant démontre l’importance et l’actualité de ce sujet qui pourrait, peut-être, nous rassembler au-delà de nos différences politiques.

Notre proposition de loi tend à offrir un statut protecteur aux travailleurs des plateformes numériques.

Cela dit – c’est assez rare pour qu’on le souligne –, ce texte est le fruit d’un travail collectif de plus de deux ans. En compagnie, notamment, de mon collègue Fabien Gay, nous l’avons mené avec les acteurs de terrain, qui sont les premiers concernés et sont donc ceux qui sont le mieux en mesure de connaître la réalité et les enjeux du métier. Nous les remercions d’ailleurs chaleureusement de ce travail accompli ensemble. Je pense notamment au CLAP, le Collectif des livreurs autonomes de Paris, ou encore à la coopérative Coursiers bordelais, dont les apports nous ont été précieux.

Le collectif Pédale et tais-toi !, que nous avons parrainé, se réunit régulièrement depuis 2017. Il a rassemblé, dès le départ, une grande diversité d’acteurs : des travailleurs des plateformes, mais aussi des acteurs syndicaux, universitaires et politiques.

La proposition de loi que nous vous présentons aujourd’hui est donc le fruit d’un véritable travail collectif, concerté, singulier par sa diversité et directement lié aux réalités de terrain. Elle traduit par conséquent des volontés exprimées par les travailleurs des plateformes eux-mêmes.

Des échanges se sont tenus au Sénat, mais aussi dans plusieurs villes de France. Ils ont été très riches d’enseignement. J’aimerais vous en donner deux exemples qui m’ont particulièrement marqué.

En premier lieu, nous avons organisé à Bordeaux une rencontre avec des travailleurs qui s’engagent très activement pour pointer du doigt les dérives de certaines pratiques des plateformes, qui mettent en œuvre une technologie dont la valeur ajoutée est certes importante, mais qui occulte l’élément humain. Les coursiers nous ont parlé à cette occasion de leur histoire, de leurs conditions de travail, mais aussi des difficultés qu’on rencontre quand on veut engager une négociation collective alors qu’on n’est pas protégé. Nous avons également discuté avec des travailleurs qui se sont organisés et ont pris des initiatives locales, plus éthiques et protectrices, pour proposer des alternatives concrètes à ces géants du numérique : je pense notamment à CoopCycle, une fédération de coopératives de coursiers à vélo.

En second lieu, lors d’un déplacement à Nantes, nous avons pu échanger longuement avec des coursiers, mais aussi avec des commerçants et des restaurateurs ; certains nous ont expliqué refuser de faire appel à des livreurs des plateformes numériques, car ils voyaient bien à quel point ces travailleurs étaient fatigués et exploités. Ces entrepreneurs nous ont aussi fait part de l’emprise économique que peuvent exercer ces géants du numérique sur les commerces locaux. L’arrivée sur le marché de ces plateformes peut certes paraître bénéfique, au départ, pour certains commerces. Toutefois, peu à peu, la part accordée aux plateformes gagne du terrain et la fameuse neutralité qu’elles affichent les défausse de toute responsabilité sociale, contrairement aux TPE, aux commerces ou aux artisans.

J’ai voulu, au travers de ces deux exemples, vous montrer, mes chers collègues, que non seulement ces plateformes bénéficient du flou juridique lié à leur activité pour contourner le droit du travail, mais surtout qu’elles pratiquent une véritable concurrence déloyale vis-à-vis des entreprises traditionnelles qui, quant à elles, respectent certaines règles. Nous sommes face à une stratégie classique visant à casser le marché pour le conquérir et aboutir, à terme, à une situation de monopole par des pratiques de dumping social.

Nous proposons donc, par le biais de cette proposition de loi, de renforcer les droits des travailleurs et de renvoyer ces entreprises du numérique à leurs responsabilités à l’égard de plusieurs aspects.

Tout d’abord, nous entendons intégrer le statut de ces travailleurs à la septième partie du code du travail, afin de leur offrir un contrat de travail véritablement protecteur et assimilé au salariat. Cette forme de salariat autonome devrait permettre de leur assurer la sécurité dont ils ont besoin tout en préservant l’autonomie qu’ils ont dans l’organisation de leur travail.

Ensuite, nous proposons d’organiser leur accès à une véritable protection sociale : aujourd’hui, il suffit qu’un de ces travailleurs tombe malade ou ait un accident du travail pour qu’il perde sa principale source de revenus. Cela implique par ailleurs que les plateformes devront s’acquitter de cotisations sociales.

Nous demandons aussi une plus grande transparence quant aux algorithmes mis en œuvre ; ceux-ci constituent à l’heure actuelle le principal outil de travail de ces personnes, sans pour autant qu’elles puissent savoir comment ils fonctionnent réellement.

Enfin, nous souhaitons leur garantir des conditions de rémunération décentes : pour le dire clairement, celles-ci ne pourront pas être inférieures au SMIC horaire, contrairement à ce qui est pratiqué.

Tel est l’objet de cette proposition de loi.

Pour clarifier le débat, je tiens à souligner que nous ne parlons pas en l’espèce des plateformes d’intermédiation, qui se chargent simplement de mettre en relation un fournisseur de services avec un client. Ce n’est pas le sujet ! Sont bien visées les plateformes numériques de travail, qui font appel à des travailleurs dits indépendants, qui sont en fait largement subordonnés à la plateforme.

Ce texte tend donc à contrer la précarisation de ces travailleurs. Je me permettrai de citer – une fois n’est pas coutume – l’expression que M. Xavier Bertrand §a employée à leur propos : « les nouveaux canuts des plateformes numériques ».

Je relève l’écho que cette formule trouve chez mes collègues de droite ! On pourrait tout aussi bien citer M. Fabien Roussel

On fait mine d ’ être soulagé sur les mêmes travées.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Savoldelli

Un travailleur indépendant est libre de choisir la façon dont il mène son activité. Il exerce à son compte une activité économique et en supporte les risques. Ce n’est pas le cas des travailleurs des plateformes numériques dont nous parlons, qui sont constamment contrôlés par les algorithmes. Il ne s’agit donc pas de travail indépendant, puisque la dépendance économique et la subordination sont à présent attestées.

Les décisions de justice l’ont d’ailleurs démontré : prenons-en pour exemple le dernier arrêt rendu à ce propos par la Cour de cassation, le 4 mars 2020, concernant Uber. La délibération a été très claire : il n’y a aujourd’hui aucun doute sur le statut de ces travailleurs fictivement indépendants, qui sont la proie de pratiques de salariat déguisé.

Au travers de ce texte, nous proposons de prendre acte de la décision des juges et d’en accélérer l’application, les procédures pouvant être très longues.

Quelles seraient les conséquences de l’adoption de notre proposition de loi ? Elle éviterait aux travailleurs de devoir choisir entre renoncer et se lancer dans de longues années de procédure judiciaire pour obtenir la requalification de leur statut en salariat.

Il n’est pas question de créer un troisième statut, comme le proposait la majorité de l’Assemblée nationale. Vous n’ignorez d’ailleurs pas, madame la ministre, que cette idée a été censurée par le Conseil constitutionnel. Je tiens à citer les mots de M. Antoine Foucher, votre directeur de cabinet, au cours de notre échange la semaine dernière – j’ai apprécié cet échange : il faudrait « inventer un encadrement d’une nouvelle relation de travail ». Par le biais de cette proposition de loi, nous répondons : « Chiche ! Allons-y ! »

Nous avons, pour ce faire, besoin de nous appuyer sur ce qui existe déjà. Le code du travail est en effet ce qu’il y a de plus protecteur aujourd’hui.

Sa septième partie permet de combiner la volonté d’exercer un travail autonome et une protection assurant des conditions de travail décentes.

Les plateformes doivent respecter les règles du jeu, à l’image des entreprises traditionnelles, mais il n’est pas question de choisir entre salariat et travail indépendant, sorte de yo-yo que l’on connaît depuis plusieurs années. Quant au « ni-ni » – ni salariat ni travail indépendant –, il n’est pas respectueux de ces travailleurs : on ne prend pas de décision et ils se retrouvent à subir des humiliations et des souffrances.

Nous souhaitons au contraire ouvrir un débat sur le renforcement de ces deux statuts : le travail indépendant, auquel nous voulons accorder davantage de protection, et le salariat, qui devrait acquérir une plus grande autonomie pour sortir des situations d’asservissement résultant de pratiques managériales abusives.

Plus largement, ce texte constitue un jalon important dans le débat sur l’avenir du travail sous toutes ses formes. En effet, l’économie numérique va ouvrir la voie à de nouvelles formes de travail qui se répercuteront sur des pans entiers de la société.

Nous avons la possibilité d’influer sur la direction à prendre. Souhaitons-nous tirer vers le bas l’ensemble des statuts professionnels et aboutir à une plus grande précarisation du travail ? Voulons-nous, au contraire, nous engager de façon forte pour que chaque personne puisse s’accomplir librement et en sécurité dans son activité professionnelle ?

Nous vous proposons de prendre la voie la plus juste, qui est aussi la plus attendue par les premiers concernés, car le progrès technologique doit avant tout servir les êtres humains, et non les asservir.

Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR.

Debut de section - PermalienPhoto de Cathy Apourceau-Poly

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de Pascal Savoldelli, que j’ai cosignée avec les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, vise à créer un statut protecteur de certains travailleurs, qui, depuis l’apparition des plateformes numériques, restent des oubliés du droit du travail et de la protection sociale.

En effet, ces travailleurs, que l’on qualifie généralement, qu’ils soient livreurs à vélo ou chauffeurs de VTC, de « travailleurs de plateformes », se voient nier la qualification de travailleur salarié au prétexte que leurs donneurs d’ordre ne seraient que des intermédiaires leur permettant d’accéder à une clientèle.

Issue du constat que les plateformes de travail sont non pas de simples intermédiaires, mais des organisations productives s’inspirant, plus encore que les entreprises traditionnelles, des logiques de concurrence qui gouvernent le marché, cette proposition de loi tend à adapter le droit du travail à cette situation, afin d’intégrer ces travailleurs dans le salariat.

Si la commission des affaires sociales n’a pas adopté ce texte, ce que je regrette, elle a une nouvelle fois reconnu la nécessité d’améliorer les protections dont peuvent bénéficier ces travailleurs.

Il convient tout d’abord de rappeler ce qui fonde la distinction traditionnelle entre le salariat et le travail indépendant.

La relation entre celui qui possède les moyens de production et celui qui loue sa force de travail est par nature déséquilibrée. Le salarié est en effet placé dans une relation de subordination vis-à-vis de son employeur, dont il dépend pour ses moyens de subsistance.

Afin de remédier à ce déséquilibre, le droit du travail a progressivement construit un socle de garanties protégeant les salariés, notamment en matière de rémunération, de temps de travail et de droit au repos.

Par ailleurs, le préambule de la Constitution de 1946 garantit aux travailleurs certains droits sociaux et permet ainsi la défense collective de leurs intérêts.

La France a également su construire un système de protection sociale qui assure les travailleurs contre un grand nombre de risques de la vie. Il en est ainsi des accidents du travail et des maladies professionnelles. Le droit à une couverture santé complémentaire est également garanti à tous les salariés depuis 2016. Enfin, les salariés sont affiliés de droit à l’assurance chômage, qui leur offre une protection contre le risque de perte de leur emploi.

Les protections offertes par le statut de salarié sont principalement garanties et financées par les employeurs ; d’autres constituent des limitations à leur pouvoir de direction. Dès lors, les stratégies consistant à assimiler une relation de travail à une prestation de services fournie par un travailleur indépendant sont aussi anciennes que le droit du travail.

Face à ces tentatives, la jurisprudence affirme clairement que la nature de la relation de travail est d’ordre public et ne dépend pas de la qualification qu’en font les parties.

Pour apprécier l’existence d’un lien de subordination, le juge se base sur un faisceau d’indices : d’une part, l’autorité et le contrôle exercés par le donneur d’ordre et, d’autre part, les conditions matérielles d’exercice de l’activité. Par exemple, le fait que le travail soit effectué au sein d’un service organisé peut constituer un indice de l’existence d’un lien de subordination. Si celui-ci est démontré, le juge peut requalifier en contrat de travail ce qui était présenté comme un contrat de prestation de services.

Les possibilités offertes par le numérique ont donné une nouvelle actualité à ce problème ancien. Si chacun pense aux chauffeurs de VTC et aux livreurs à deux-roues, les plateformes sont présentes dans un nombre croissant de secteurs. Ainsi, elles interviennent dans le placement de travailleurs temporaires, contournant les règles imposées au secteur de l’intérim.

Force est de constater que, en réalité, ces plateformes jouent souvent un rôle essentiel dans l’organisation des prestations qu’elles proposent.

Ainsi, dans le domaine de la mobilité, les travailleurs ne sont généralement pas en mesure de fixer le prix de la prestation qui leur est proposée. Le tarif est déterminé par un algorithme dont ils ignorent les paramètres. En outre, ils ne connaissent pas toujours à l’avance la destination de la course qu’on leur demande de réaliser et sont tenus de respecter des règles imposées par la plateforme. Enfin, alors qu’en principe un indépendant n’est pas juridiquement subordonné à son client, le non-respect par ces travailleurs des directives données par les plateformes les expose à des sanctions pouvant aller jusqu’à la déconnexion, c’est-à-dire à une forme de licenciement arbitraire.

En somme, ces travailleurs connaissent tous les inconvénients de l’indépendance sans en avoir les avantages.

Dès lors, des juges ont été amenés à requalifier en contrat de travail la relation entre des travailleurs et des plateformes numériques. Au vu des récents arrêts rendus par la Cour de cassation, on ne peut contester qu’une tendance à l’assimilation au salariat du statut de ces travailleurs se dessine. Toutefois, laisser les juges requalifier au cas par cas des situations individuelles ne saurait constituer une réponse satisfaisante au regard des dégâts causés par ce modèle.

Les travailleurs de plateformes portent en germe une nouvelle classe de travailleurs précaires. Certes, ils sont encore peu nombreux – entre 100 000 et 200 000 personnes, selon les estimations –, mais leur nombre a tendance à croître à mesure que se développe l’« ubérisation » de notre société.

Surtout, comme le rappelle la crise sanitaire que notre pays traverse, les travailleurs des plateformes font partie des employés les plus exposés de notre économie.

Les revenus qu’ils perçoivent, notamment les livreurs à vélo, sont souvent dérisoires. Si le chiffre d’affaires affiché par les chauffeurs de VTC est plus important, il ne leur permet pas toujours de couvrir leurs charges.

En plus d’être faiblement rémunérés, les travailleurs de plateformes sont nombreux à ne bénéficier ni d’une assurance contre les accidents du travail, pourtant fréquents chez les usagers de la route, ni d’une complémentaire santé.

Ce phénomène est la suite logique d’une recherche continue de flexibilité, ainsi que du mouvement général d’externalisation, qui fait sortir de l’entreprise les travaux jugés non rentables jusqu’à transformer les salariés en entrepreneurs faussement indépendants. Il pourrait donc non seulement connaître un développement exponentiel dans certains secteurs, mais encore s’étendre à de nouveaux domaines jusqu’ici épargnés, comme le montre le projet de certains groupes bancaires d’expérimenter l’emploi de conseillers indépendants. Cette évolution a pour corollaire de faire peser toujours davantage le risque économique sur les travailleurs.

Face à cette tendance, on assiste cependant à l’émergence d’îlots de résistance. Malgré leur éloignement spontané du syndicalisme et une certaine culture de l’immédiateté, ces travailleurs sont susceptibles de se mobiliser, à l’image du mouvement concerté des livreurs Deliveroo, en juillet 2019, face à la modification de la politique tarifaire de la plateforme.

Un mouvement de fond émerge : l’organisation croissante de ces travailleurs. Certaines associations, telles que le Collectif des livreurs autonomes parisiens, le CLAP, se sont ainsi constituées depuis plusieurs années ; elles ont acquis une forme de reconnaissance de la part des plateformes. Par ailleurs, plusieurs organisations syndicales de salariés ont entrepris de s’intéresser aux travailleurs de plateformes. Enfin, des tentatives de structuration des collectifs existants se dessinent.

Il n’en reste pas moins que ces tentatives se heurtent à l’absence de reconnaissance législative d’une représentation des travailleurs de plateformes, ainsi qu’au manque de règles structurant le dialogue social. À cet égard, les instances de concertation mises en place par certaines plateformes ne doivent pas faire illusion.

Par ailleurs, des initiatives se développent sur le terrain pour proposer un modèle alternatif à celui que promeuvent les grandes plateformes. Elles prennent notamment la forme de sociétés coopératives fondées sur une gouvernance démocratique et un partage équitable des résultats.

Face à cette situation, le législateur a jusqu’à présent réagi de manière timide. Le principe d’une responsabilité sociale des plateformes, institué par la loi Travail du 8 août 2016, se traduit par la prise en charge par les plateformes des cotisations d’assurance volontaire contre le risque d’accident du travail, de la cotisation à la formation professionnelle et des frais liés à la validation des acquis de l’expérience. Cette loi a par ailleurs créé un embryon de droit syndical et de droit de grève au bénéfice de ces travailleurs.

La loi d’orientation des mobilités du 24 décembre 2019 est allée dans le même sens, en donnant notamment aux plateformes de mobilité la possibilité d’élaborer des chartes déterminant les conditions et les modalités d’exercice de leur responsabilité sociale.

Ces avancées témoignent d’une certaine prise en compte de la situation des travailleurs concernés. Toutefois, elles demeurent largement tributaires du bon vouloir des plateformes elles-mêmes. Surtout, elles tendent à consacrer le recours à des travailleurs indépendants pour des tâches qui pourraient être réalisées par des salariés.

L’article 1er de la présente proposition de loi crée donc une nouvelle forme de contrat de travail applicable aux travailleurs de certaines plateformes numériques, à savoir celles pour lesquelles la mise en relation est non pas l’objet de l’activité, mais la modalité d’accès et de réalisation du service. Il s’agit notamment, de mon point de vue, des principales plateformes du secteur des transports.

Les dispositions du code du travail seraient largement applicables à ces travailleurs, sous réserve de certains aménagements. Le texte laisse une large place à la négociation collective. Ainsi, les modalités de construction et de gestion des emplois du temps et les modes de calcul de la rémunération feraient l’objet d’une négociation annuelle avec les représentants des travailleurs.

L’article 2 prévoit l’affiliation obligatoire des travailleurs de plateformes au régime général de la sécurité sociale. En outre, il étend à ces travailleurs le bénéfice de l’assurance chômage.

Quant à l’article 4, il complète les dispositions du code du travail applicables aux travailleurs indépendants des plateformes. Il élargit ainsi la possibilité d’assurance des travailleurs à la charge de la plateforme, en mentionnant les maladies professionnelles, et tend à laisser aux travailleurs le choix d’adhérer ou non au contrat collectif proposé par la plateforme.

L’objet de cette proposition de loi est donc bien de trancher clairement, dans la lignée des récents arrêts de la Cour de cassation, en faveur d’une assimilation à des salariés de ces travailleurs considérés comme des indépendants alors qu’ils n’ont pas la pleine maîtrise de leur travail, ce dont quelques grandes entreprises tirent profit.

C’est pourquoi, à titre personnel, mes chers collègues, je vous invite à adopter ce texte que la commission des affaires sociales a rejeté.

Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.

Debut de section - Permalien
Muriel Pénicaud

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux avant tout remercier le groupe communiste républicain citoyen et écologiste d’avoir fait inscrire à l’ordre du jour du Sénat la proposition de loi de M. Savoldelli, car il a mené un travail très important et empreint de l’engagement fort que nous lui connaissons.

Nous partageons tous, me semble-t-il, un même constat : l’essor de l’économie des plateformes numériques de mise en relation des travailleurs avec les consommateurs est l’une des évolutions les plus importantes du marché du travail depuis une dizaine d’années. D’ailleurs, dans le cadre du confinement, cette évolution s’est révélée constituer un maillon à la fois important et fragile.

Aussi, la double crise, sanitaire et économique, que nous traversons pose avec une acuité renforcée la question des protections sociales et économiques dont ont besoin ces acteurs particulièrement exposés.

Nous partageons également, me semble-t-il, la volonté d’y répondre, mais – il faut le dire clairement, et cela ne vous étonnera pas – nous divergeons, monsieur Savoldelli, madame la rapporteure, quant aux voies et moyens pour y parvenir pleinement.

En effet, appréhender l’impact pluridimensionnel – économique, social et territorial – de cette évolution mondiale est d’autant plus complexe qu’il existe – vous le savez, vous l’avez partiellement rappelé – une grande variété de structures et une multiplicité d’acteurs aux aspirations très diverses. Cela a d’ailleurs été parfaitement souligné lors de l’examen de ce texte par votre commission des affaires sociales, mais aussi dans le rapport de la mission d’information conduite par Mmes Catherine Fournier et Frédérique Puissat et M. Michel Forissier, rapporteur de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, que je salue à cette occasion.

Cette équation nouvelle traverse l’ensemble des pays, conduit à s’interroger sur leurs cadres juridiques établis et met de fait en exergue les limites que connaît la recherche d’un équilibre entre, d’une part, la pérennité de l’activité économique des plateformes et des travailleurs indépendants et, d’autre part, la mise en place de garanties sociales robustes. Notre pays ne fait pas exception à la règle ; c’est d’ailleurs, d’une certaine façon, le sens du récent arrêt de la Cour de cassation.

L’enjeu n’est donc pas, comme vous le proposez au travers de ce texte, d’assimiler à des salariés une grande partie des travailleurs des plateformes numériques de mise en relation. Dans leur grande majorité, ces travailleurs ne souhaitent pas recevoir ce statut du salariat, car ils sont attachés à leur autonomie et à leur liberté.

L’enjeu est plutôt de créer une nouvelle voie qui permette de construire une économie des plateformes financièrement soutenable, techniquement innovante et socialement responsable. En d’autres termes, le développement pérenne de ces activités ne doit pas être synonyme de trappe à précarité ou de dumping social, mais doit constituer un vrai tremplin vers un emploi de qualité ; il doit être doté de garanties sociales solides et nouvelles.

Depuis 2016, le législateur s’efforce de construire la responsabilité sociale des plateformes en la ciblant sur celles d’entre elles qui fixent les prix et déterminent les conditions d’exécution des prestations. Des progrès importants ont été acquis pour ces travailleurs, que ce soit en matière de protection contre les accidents du travail, de formation, ou de droit à l’action collective.

Ainsi, l’article 44 de la loi d’orientation des mobilités du 24 décembre 2019 permet de renforcer le droit à la formation professionnelle des travailleurs des plateformes en définissant notamment des règles d’alimentation renforcée du compte personnel de formation. Je rappelle par ailleurs que cette loi a mis en place un socle d’obligations, parmi lesquelles le droit à la déconnexion et la transparence quant au prix des courses pour les plateformes électroniques de mise en relation avec des chauffeurs de VTC et des coursiers.

S’agissant des chartes homologuées par le ministère du travail, elles ont vocation à inciter les plateformes à être plus transparentes quant à leurs engagements sociaux, tout en leur laissant la possibilité d’aller plus loin.

Enfin, concernant le volet du dialogue social, les débats parlementaires ont fait clairement émerger la nécessité d’organiser une meilleure représentation des travailleurs ; je partage cette orientation. C’est un point déterminant : au-delà du socle des droits garantis par les dispositifs législatifs, l’émergence de droits nouveaux correspondant aux réelles aspirations de ces travailleurs ne pourra résulter que de l’organisation d’un dialogue social équilibré et durable. Cela suppose un nouveau modèle de représentation de ces travailleurs.

C’est précisément l’objet de l’ordonnance prévue à l’article 48 de la loi d’orientation des mobilités. Dans la perspective de son élaboration, le Gouvernement a confié en janvier dernier une mission à M. Jean-Yves Frouin, ancien président de la chambre sociale de la Cour de cassation, appuyé par un groupe d’experts.

La présente proposition de loi aborde l’ensemble des questions pertinentes au sujet de ces nouvelles formes d’emploi, tous les défis que nous devons relever pour favoriser une économie des plateformes à la fois créatrice d’emplois et socialement responsable : la gestion du temps de travail, la formation, la rémunération, les modalités de rupture des relations de travail et de représentation des travailleurs, la protection sociale et la transparence du fonctionnement à l’égard des travailleurs – sans oublier les algorithmes, une question que les auteurs du texte soulèvent à juste titre.

Nous sommes conscients que le cadre législatif actuel ne permet pas de répondre pleinement à l’ensemble de ces défis. Il faut donc aller plus loin et construire une réponse adaptée à chacun de ces enjeux. Malheureusement, il n’y a pas de solution unique, facile et uniforme qui réponde à l’ensemble des enjeux ; si une telle solution existait, gageons qu’elle aurait déjà été adoptée par l’ensemble des États, tous confrontés aux mêmes mutations.

De ce point de vue, même si je salue de nouveau le travail sérieux qui a conduit à l’élaboration de cette proposition de loi, un texte étayé, je ne puis pas adhérer à la solution proposée par ses auteurs : l’assimilation de ces travailleurs à des salariés. Ce n’est d’ailleurs pas, je le répète, ce que les intéressés souhaitent dans leur grande majorité.

Pour autant, nous n’entendons pas nous contenter du statu quo. Au contraire, le Gouvernement a décidé d’élargir le champ de la mission confiée à M. Frouin, afin qu’il prenne en compte l’ensemble de ces sujets. Il lui appartiendra dans les tout prochains mois de formuler des propositions sur chacune des problématiques posées par cette nouvelle forme d’emploi ; il pourra s’appuyer sur les débats de ce matin, et nous lui demanderons de vous consulter. Le fruit de ses travaux devra nous aider à construire ensemble un chemin certes étroit, mais possible pour renforcer de manière pérenne le socle des droits dont doivent bénéficier les travailleurs des plateformes, sans remettre fondamentalement en cause la souplesse apportée par le statut d’indépendant.

Au-delà de cette mission, inventer les meilleures réponses à ces préoccupations nouvelles nous impose, au Gouvernement et aux parlementaires, de nous nourrir de toutes les réflexions menées ces derniers mois, y compris dans le cadre du rapport d’information sénatorial auquel j’ai fait référence il y a quelques instants et du débat suscité ce matin par les auteurs de la proposition de loi. Je les invite d’ailleurs, s’ils le souhaitent, à continuer de contribuer aux travaux que nous mènerons sur ce sujet dans les prochains mois.

Enfin, parce que cette problématique dépasse le simple cadre national, nous continuons à la pousser à l’échelon européen. Ainsi, c’est sous l’impulsion de la France que la Commission européenne s’est engagée à préparer une initiative européenne pour établir des conditions de travail justes pour les travailleurs des plateformes et améliorer leur accès à la protection sociale. Cette initiative s’inscrit dans son programme de travail, ainsi que dans sa communication sur le plan de relance intitulée – en bon français – Repair and prepare for the next generation, parue la semaine dernière.

Au cours du second semestre de cette année, la Commission européenne mènera des consultations avec les acteurs concernés et les partenaires sociaux européens, afin d’instruire le sujet. Les priorités qu’elle a affirmées en matière de numérique, notamment dans sa communication de janvier dernier Une Europe sociale forte pour des transitions justes, permettent d’envisager l’adoption d’un nouveau cadre européen visant à garantir des conditions de travail décentes pour les travailleurs des plateformes numériques.

Pour ces raisons, mesdames, messieurs les sénateurs, en dépit du travail sérieux qui a été mené, le Gouvernement vous invite à rejeter cette proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Bignon

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en proposant de renforcer les droits des travailleurs des plateformes numériques, les auteurs de la proposition de loi soumise à notre examen ce matin cherchent à combler une situation d’insécurité juridique à laquelle nous sommes, en tant que parlementaires, spécialement sensibles.

Ces dernières années, de nouvelles formes de travail se sont développées avec l’essor des nouvelles technologies de l’information, qui permettent la mise en relation de millions d’utilisateurs en temps réel. Les plateformes numériques ont en commun de servir d’intermédiaires entre travailleurs et clients, équilibrant l’offre et la demande au moyen d’algorithmes et ouvrant le champ de l’économie collaborative à l’échelle mondiale.

Actuellement, 200 000 personnes en France travaillent comme coursier, chauffeur de VTC ou pour la réalisation de microtâches, de façon indépendante et autonome. Bien qu’ils ne représentent que 1 % des actifs, ces travailleurs sont en forte croissance dans de multiples secteurs, comme l’hôtellerie, les transports, la banque ou le secteur juridique.

Les plateformes concurrencent l’offre traditionnelle de services, encadrée par un droit du travail plus protecteur, et offrent de nouvelles perspectives d’emploi à des personnes éloignées du marché du travail, essentiellement des jeunes, dans un contexte de chômage élevé.

Des difficultés d’interprétation juridique se posent lorsque ces travailleurs indépendants sont économiquement dépendants. De fait, au-delà de la simple fonction d’interface, certaines plateformes organisent le temps de travail, la rémunération et les conditions de mises en relation, hiérarchisant les contenus selon les utilisateurs. Le niveau d’intervention de ces plateformes et l’importance des revenus tirés de leur activité justifient l’attention que nous leur portons.

Les travailleurs dont nous parlons ne sont pas sans statut : travailleurs indépendants, ils bénéficient du régime de protection sociale propre à cette catégorie. C’est pourquoi je souscris à l’avis de l’inspection générale des affaires sociales : plutôt que de créer un statut ad hoc, il convient d’agir sur le terrain de la protection sociale.

La réflexion que nous menons actuellement devrait bénéficier à l’ensemble des indépendants, dont le régime de protection sociale n’est pas aussi complet que celui qui s’applique dans le cadre du salariat – pour avoir été longtemps avocat, je sais de quoi je parle… Les progrès qui ont été accomplis en la matière ne sont pas suffisants, y compris pour les nombreuses professions libérales ; certains médecins se plaignent actuellement de ne pas être bien couverts.

Je ne pense pas qu’il soit pertinent d’ajouter un nouveau niveau de complexité administrative, source d’insécurité juridique. En revanche, il paraît opportun d’offrir à ces travailleurs l’accès à une complémentaire santé et à une couverture des accidents du travail et maladies professionnelles, en particulier pour les plus exposés à ces risques. Comme la crise sanitaire l’a montré, les livreurs à vélo et chauffeurs de VTC sont en première ligne, alors qu’ils ne disposent d’aucun filet de sécurité leur permettant de se mettre à l’abri.

Il importe également de poser les conditions d’un dialogue entre les plateformes et les travailleurs autour des algorithmes utilisés, lorsqu’ils déterminent de façon importante les conditions de travail et de rémunération.

Il s’agit de trouver un juste équilibre entre la liberté d’entreprendre et le besoin de protection, étant entendu qu’un statut trop rigide risquerait de limiter les opportunités d’emploi offertes à de nombreux travailleurs.

Faut-il aller vers une segmentation plus marquée du droit du travail ou, au contraire, une convergence des droits entre travailleurs salariés et indépendants au sein d’un droit de l’activité professionnelle ? La question reste ouverte.

Une réflexion globale sur le statut des travailleurs des plateformes numériques a été engagée par le Gouvernement. Mon groupe sera très attentif aux propositions qui seront formulées.

Composante à part entière de la révolution digitale, les plateformes collaboratives représentent un atout majeur pour l’avenir de notre économie. Leur développement est exponentiel : à l’avenir, comme l’a annoncé un article du New York Times, nous ne dirons plus à un ami nous travaillons, mais sur quoi nous travaillons.

Tout changement est source de déséquilibres, d’incertitudes et de recherches. Prenons le temps de mener, avec le Gouvernement, les acteurs concernés et tous les groupes parlementaires, en particulier nos collègues qui connaissent bien ces sujets, une réflexion ouverte sur le droit des travailleurs des plateformes et, plus largement, sur les frontières entre professionnels et non-professionnels, ainsi qu’entre salariés et travailleurs indépendants.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Fournier

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis quelques années, les centres urbains ont vu émerger une nouvelle catégorie de travailleurs, spécialisés dans le service aux habitants recherchant une offre de transport ou de livraison personnalisée à coût très compétitif.

La vision de ces coursiers à vélo ou en voiture alerte sur ce nouveau modèle d’organisation du travail : dans quelles conditions ces intervenants exécutent-ils leurs missions, comment sont-ils dirigés et sur quels critères repose leur rémunération ?

Mes collègues Michel Forissier, Frédérique Puissat et moi-même nous sommes intéressés à ce dossier de manière plus générale : nous avons été chargés par la commission des affaires sociales d’une mission d’information sur le droit applicable aux travailleurs indépendants économiquement dépendants.

Après six mois de travaux et plus de quarante auditions, nous avons rendu notre rapport la semaine dernière, certains que les plateformes numériques ne se résument pas à celles des livreurs et des coursiers. Nous y rappelons que l’apparition des plateformes numériques de mise en relation a donné une acuité nouvelle à la question, relativement classique, de la frontière entre salariat et travail indépendant.

Instaurer une présomption de non-salariat pour l’ensemble des travailleurs utilisant une plateforme conduirait à valider des stratégies de contournement du droit du travail, au détriment des travailleurs. À l’inverse, qualifier de salariés, par voie législative, des travailleurs qui demeurent libres d’organiser leur travail sans être soumis à un pouvoir de direction de la part de la plateforme poserait un certain nombre de problèmes juridiques. Au demeurant, le salariat n’apparaît pas comme une revendication majoritairement partagée par les travailleurs concernés.

Nous touchons là à un modèle de société décloisonnée réclamé par les nouvelles générations, qui y trouvent plus d’indépendance et de liberté. À charge pour nous d’étudier les moyens de protection sociale associés. En particulier, nous devons dépasser la question du statut et universaliser certains droits sociaux.

Mes collègues rapporteurs de la mission d’information et moi-même avons distingué quatre types de plateformes.

Premièrement, des plateformes de services organisés fournissent des prestations hors ligne standardisées, délivrées par des professionnels, notamment dans les secteurs de la conduite – Uber, Kapten, Bolt – et de la livraison de marchandises – Deliveroo, Uber Eats, Stuart.

Deuxièmement, des plateformes de placement ont pour objet la mise à disposition de travailleurs indépendants auprès d’entreprises pour des missions ponctuelles. Ces intermédiaires peuvent déterminer le prix des prestations, mais n’interviennent pas ou peu pour organiser les tâches, qui sont définies en amont.

Troisièmement, les plateformes dites de mise en relation entre des travailleurs indépendants et des clients sont des plateformes de free-lance, comme Malt, qui présentent des travailleurs indépendants qualifiés à des entreprises. Dans ce cas, la plateforme ne fixe pas le prix et n’interfère pas dans la négociation ; elle touche une commission évaluée sur la prestation fournie.

Quatrièmement, les plateformes de microtravail renvoient au développement de l’externalisation de tâches fortement fragmentées et à faible valeur ajoutée ; il s’agit notamment d’Amazon Mechanical Turk.

Compte tenu de ces fortes disparités entre plateformes, il ne s’agit pas, comme l’orateur précédent l’a expliqué, de créer un statut supplémentaire spécifique par rapport à un type de plateformes.

Ce nouveau modèle d’entreprise s’organise, se développe et contrôle ses échanges grâce à un seul outil : l’algorithme. Celui-ci, qu’on pourrait appeler le bras armé des plateformes, protégé, car relevant du secret industriel, est source d’une croissance d’activité maîtrisée avec un minimum d’intervenants humains dans la gestion interne – on parle de management algorithmique.

Faute de pouvoir agir sur l’algorithme, il nous reste à œuvrer sur les conditions de travail et la couverture sociale des travailleurs qui en dépendent.

L’écho médiatique laisse entendre que cette nouvelle organisation du travail est amenée à remplacer un modèle traditionnel fondé sur le contrat de travail. Si le nombre de ces travailleurs indépendants est, comme il a déjà été signalé, difficile à évaluer précisément, il semble raisonnable de penser que ce nouveau type de travailleurs représente moins de 1 % de la population active française, les coursiers comptant pour une part infime de ces 1 %. Il s’agit non pas de les négliger, mais de les replacer dans le contexte plus global.

Jusqu’à présent, le législateur n’a pas tranché : il a laissé les juges utiliser les outils disponibles et appliquer la conception classique du droit travail en vigueur, reposant sur le lien de subordination constitutif d’une relation salariée. Il appartient donc au législateur de créer un cadre juridique adapté aux nouveaux enjeux de ce secteur économique émergent.

Sur la base de ces réflexions, plusieurs raisons me conduisent à douter du contenu de la proposition de loi de mes collègues du groupe CRCE.

D’abord, l’intitulé du texte : il vise les « travailleurs », alors que les travailleurs en question sont majoritairement des travailleurs indépendants et nommés comme tels. Le débat est déjà orienté.

Ensuite, l’article 1er transforme la relation commerciale du travailleur indépendant de plateforme en un contrat relevant du droit du travail. Cette hypothèse, centrée sur les plateformes de services, est trop restrictive et fait fi de la diversité des plateformes numériques.

En outre, le texte induit une base horaire minimale, alors que nous sommes en présence, dans la plupart des cas, de contrats commerciaux, évalués à la prestation.

Enfin, il est repris, en lieu et place de la rupture de contrat, l’expression : « conditions de licenciement ».

Je reconnais bien évidemment que cette proposition de loi constitue une alerte et permet d’ouvrir un débat essentiel ; mais elle ne considère qu’une partie des travailleurs dont nous parlons et qu’une sorte de plateformes numériques.

Dans notre rapport, nous avons émis des propositions tendant davantage à élargir la protection sociale des travailleurs indépendants, sans requalifier la relation : transposer à ces travailleurs les dispositions du code du travail relatives à l’interdiction des discriminations à l’embauche ; créer un système de caisses de congés ; imposer aux plateformes un contrat collectif d’assurance complémentaire santé pour leurs travailleurs ; leur imposer aussi d’assurer les travailleurs contre le risque d’accident du travail et de garantir une formation obligatoire aux moins qualifiés ; enfin, explorer, dans certains secteurs, un régime d’autorisation préalable d’exercer.

Nous avons également insisté sur la nécessité d’encadrer les conditions de rupture et d’organiser un dialogue social conformément à l’ordonnance à paraître prévue à l’article 48 de la loi d’orientation des mobilités.

Je salue l’initiative de mes collègues du CRCE, en particulier de M. Pascal Savoldelli. Nous avons des éléments de convergence, mais aussi de divergence, comme ce fut le cas aussi pour la proposition de loi du groupe socialiste et républicain. De fait, nous alimentons tous la réflexion et une meilleure connaissance du sujet.

Pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, le groupe Union Centriste ne votera pas ce texte.

Madame la ministre, vous avez annoncé, le 5 mars dernier, le lancement d’une mission sur le statut des travailleurs de plateformes numériques. Au nom de mes collègues, je souhaite vivement que l’ensemble des débats et travaux parlementaires nourrissent cette vaste réflexion, comme vous venez de nous le proposer.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Forissier

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, quoique la commission des affaires sociales n’ait pas adopté cette proposition de loi, nous avons souhaité poursuivre le débat en séance.

Nous pouvons être collectivement fiers que le Sénat travaille, depuis maintenant deux ans, sur la situation des travailleurs indépendants des plateformes numériques, car le débat est à la fois social et économique : la protection des travailleurs de ce nouveau modèle économique mondial est une question d’accompagnement de la mutation socioéconomique pour éviter le piège de la précarité. Je remercie Mme la rapporteure de soutenir ce matin cette discussion si importante, afin que nous partagions nos réflexions.

La diversité des situations des travailleurs indépendants des plateformes numériques implique que le législateur réfléchisse au-delà de la simple requalification en contrat de travail.

Les travailleurs des plateformes exercent un travail indépendant, défini en opposition au salariat classique, mais une partie de ces indépendants, dont les profils sont très divers, ont pour point commun d’être dans la dépendance économique vis-à-vis des plateformes numériques. Cette situation m’inspire deux constats essentiels.

D’abord, le problème n’est pas statutaire. Les travailleurs des plateformes sont visibles partout, sauf dans les statistiques : il n’existe guère de recensement exhaustif, mais les chiffres des travaux menés vont de 100 000 à 200 000 personnes. Certains travailleurs indépendants des plateformes tirent de cette activité des revenus d’appoint, ayant parallèlement une activité principale salariée ou suivant des études ; d’autres sont des travailleurs permanents ; d’autres encore sont des free-lance s, exerçant des activités pour les entreprises, souvent dans le domaine digital, avec des prestations très rentables.

Les travaux de l’Insee indiquent que 4 % de l’ensemble des indépendants sont économiquement dépendants d’un intermédiaire, qui n’est pas nécessairement une plateforme. Les profils des travailleurs des plateformes sont hétérogènes, allant de l’étudiant à vélo qui transporte des repas au chauffeur de VTC qui exerce cette activité à titre principal, en passant par le travailleur qualifié bien rémunéré et parfaitement autonome qui recourt à des plateformes pour trouver ses clients. Les plateformes numériques sont elles-mêmes des structures diverses – certaines sont des multinationales ; je vous fais grâce des détails, car vous les connaissez.

Proposer à ces travailleurs un statut à mi-chemin entre le salariat et le régime indépendant tout en introduisant de nouveaux droits sociaux n’est pas souhaitable : cette formule aurait des effets contraires aux objectifs visés, sans répondre aux aspirations de tous ces travailleurs.

Ensuite, les travailleurs indépendants ont un point commun : leur déficit de protection sociale.

Par hypothèse, les travailleurs indépendants des plateformes numériques bénéficient de la même couverture sociale que les ressortissants du régime général pour ce qui est de la santé et des prestations de la branche famille, décorrélées du statut. Toutefois, les indépendants ne relèvent pas du droit du travail et ne bénéficient pas des dispositions du code du travail, notamment de celles qui concernent le salaire minimal, les congés payés, l’encadrement ou la rupture du contrat de travail. La question de l’assurance vieillesse se pose aussi, en raison d’un effort contributif moins élevé.

Les travailleurs indépendants des plateformes numériques sont souvent désarmés face aux accidents et à la rupture de la relation de travail. La période que nous traversons, avec l’épidémie et ses conséquences sanitaires et économiques, rend plus que jamais visible le besoin de protection de certains d’entre eux, parfois dans des situations très fragiles. Les innovations dans la gestion de ce risque relèvent de notre compétence de législateur.

Néanmoins, le groupe Les Républicains ne votera pas en faveur de la proposition de loi, tout en remerciant ses collègues du groupe communiste républicain citoyen et écologiste d’avoir suscité ce débat : les problèmes sont bien posés, mais les solutions ne nous paraissent pas adaptées. Réfléchissons plutôt sur la base des seize propositions formulées dans le rapport d’information de Catherine Fournier, Frédérique Puissat et moi-même : elles sont de nature à apporter des solutions, sans modification importante au code du travail et sans reniement de notre modèle social.

J’ajoute que cette proposition de loi comporte des risques constitutionnels, dans la mesure où elle délègue à la négociation avec les utilisateurs des plateformes des pouvoirs que la Constitution attribue à la loi.

Nous sommes très attachés, vous le savez, à la participation des salariés ; de ce point de vue, les propositions en matière de dialogue social me paraissent très constructives !

Mmes Frédérique Puissat, Catherine Fournier et M. Jérôme Bignon applaudissent.

Debut de section - PermalienPhoto de Monique Lubin

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la question du statut des travailleurs de plateformes numériques est malheureusement destinée à nous occuper longtemps ; elle est symptomatique d’une forme de capitulation à tous les niveaux, y compris à l’échelon politique.

Une réalité sociale et économique se déploie : elle correspond à un modèle alternatif à celui qui fonde notre pacte social. Ce nouveau modèle est très « ancien monde », puisqu’il obéit à des logiques d’asservissement par la misère et l’exploitation. Il s’impose de nouveau, sans être pour autant ni explicité ni soumis à validation démocratique. Le sort fait aux travailleurs des plateformes numériques est une manifestation de ce glissement, qui menace de virer en dégringolade.

Le clinquant de technologies sophistiquées sert – difficilement – de voile à la réinstallation de logiques passéistes, que les luttes sociales nous avaient permis de dépasser. Nous renouons avec le tâcheronnage ! Malheureusement, ici comme ailleurs, les systèmes destructeurs reprennent force et repartent à l’offensive à la moindre faiblesse comme à la moindre négligence…

Nadine Grelet-Certenais, Olivier Jacquin et moi-même avons défendu dans cet hémicycle une proposition de loi visant à rétablir les droits sociaux des travailleurs numériques. Affinée en séance, elle avait pour objet de rappeler les vertus aujourd’hui indépassées du salariat. Il s’agissait d’en imposer le recours au profit de travailleurs victimes de donneurs d’ordre qui tirent profit des angles morts de notre législation et d’un rapport de force extraordinairement déséquilibré.

Nous avions promu les solutions prévues par le code du travail, en réhabilitant le contrat de travail et en soutenant le recours aux coopératives d’activité et d’emploi. En particulier, la valorisation du coopérativisme, un mouvement dont il faut soutenir le développement dans le cadre d’une indispensable économie sociale et solidaire, est un enjeu clé.

Ce recours à l’existant, fruit de luttes sociales qui ont garanti à notre pays un haut niveau de protection sociale, nous semble une solution valide, différente de celle qui est prévue par la présente proposition de loi. Si nous saluons la sincérité de l’engagement des auteurs de celle-ci, ainsi que leur volonté d’explorer des pistes en faveur des travailleurs des plateformes numériques, l’ajout d’un nouveau livre au code du travail ne nous semble pas répondre aux enjeux posés. De fait, le texte propose l’invention d’un statut de travailleur en pointillé, une sorte de page blanche, travailleurs et plateformes demeurant dans une confrontation duale, extrêmement déséquilibrée.

Le renvoi à la négociation syndicale, un des piliers de la proposition de loi, est en soi une démarche intéressante, mais il faut relever l’absence de réelle dimension de coercition. Le dialogue social est un enjeu clé de la démocratie sociale, mais il n’est pas suffisant en tant que tel : il lui faut un cadre protecteur, d’autant plus que les travailleurs de plateformes sont membres d’une profession habituée à un très fort turnover, ce qui est une difficulté supplémentaire.

Si elle comporte des points très intéressants, la proposition de loi nous paraît, par d’autres aspects, affaiblir la puissance encadrante de la loi ; je ne suis pas convaincue que ce soit ce dont nous ayons besoin en ce moment…

À notre sens, elle ne va pas suffisamment à la reconquête du terrain perdu pour les droits des travailleurs, au moment même où, en France et dans le reste du monde, les décisions de justice touchant aux travailleurs de plateformes tendent à réhabiliter le salariat. Ainsi, la Cour de cassation a requalifié en contrat de travail la relation contractuelle entre la société Uber et un chauffeur, au mois de mars dernier.

Au vu de cet arrêt historique et alors que certains pays ont le courage de réintégrer ces travailleurs dans le salariat traditionnel, les auteurs de la proposition de loi s’arrêtent au milieu du gué – sans mauvais jeu de mots. En effet, on laisserait aux personnes le soin de concéder ou d’obtenir d’hypothétiques avancées sociales, sans que la puissance publique puisse suffisamment jouer son rôle de garante.

En fait, j’ai l’impression que ce que nous essayons tous de proposer relève d’une forme d’impuissance devant un phénomène massif et qui s’étend aujourd’hui à de nombreux secteurs. Pourtant, le droit du travail n’a pas à se soumettre aux logiques économiques : il doit au contraire s’imposer à elles et les façonner !

Les plateformes dont nous parlons ne sont pas, à ce jour, économiquement viables. Davantage encore que sur des algorithmes innovants, elles ont bâti leur modèle économique sur leur capacité à contourner, voire à ignorer, le droit du travail – c’est le sens des actuelles décisions de justice.

Mes chers collègues, la présente proposition de loi et l’ensemble des débats sur les travailleurs de plateformes montrent singulièrement que nous devons repenser la place de la valeur travail dans notre société : le travail doit servir les travailleurs et permettre leur émancipation, une émancipation dont nous sommes actuellement très loin…

Nous nous abstiendrons sur ce texte, dans un esprit tout à fait constructif ; nous allons continuer à travailler ensemble, jusqu’à trouver la façon de proposer une réelle évolution à des travailleurs qui ne peuvent plus attendre !

Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.

Debut de section - PermalienPhoto de Guylène PANTEL

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie mes collègues du groupe CRCE de cette proposition de loi.

Les nouveaux modèles économiques et leurs conséquences doivent nous conduire à nous interroger. À cet égard, la prudence et l’alerte de mes collègues du CRCE sur l’évolution de ces métiers doivent être entendues. Oui, quand ubérisation devient synonyme de précarisation, nous devons nous sentir interpellés et agir !

Alors que la technologie avance vite, les réponses liées à ces nouvelles formes d’emploi sont à la traîne. La loi tente bien de s’adapter, mais il est difficile de trouver la bonne formule du premier coup.

Aujourd’hui, les plateformes sont partout et offrent de multiples mises en relation pour tous types de services, marchands ou non. Celles qui font débat mettent en relation des travailleurs dits indépendants et des clients : en d’autres termes, une rencontre entre une offre et une demande – le marché pur et simple. Les plateformes de ce genre existent principalement dans les domaines du transport de personnes, de la livraison de repas ou de marchandises, des services à la personne et de petits emplois : la seule limite est la créativité des concepteurs…

S’agissant des rapports entre les travailleurs et les plateformes, le droit a aussi son mot à dire. Deux décisions de la chambre sociale de la Cour de cassation, du 28 décembre 2018 et du 4 mars 2020, ont requalifié en contrat de travail le lien entre une plateforme numérique et un travailleur indépendant. Dans la décision de cette année, la Cour de cassation a même qualifié de « fictif » le statut d’indépendant du plaignant, soulevant de nombreuses interrogations, y compris de votre part, madame la ministre : dès le lendemain, vous avez annoncé la création d’une mission conjointe avec le ministre de l’économie et des finances sur les travailleurs des plateformes numériques, leurs droits et leurs protections.

Certains manques ont servi de base à la chambre sociale de la Cour de cassation dans les deux arrêts que je viens de citer. Ainsi, du fait de leur statut d’autoentrepreneur, les travailleurs des plateformes numériques ne bénéficient d’aucune protection sociale ; en cas d’accident du travail, pas de protection digne. Les assurances proposées par les plateformes sont souvent insuffisantes, quand elles ne sont pas complètement inopérantes : l’une n’assure pas le torse des livreurs à vélo, l’autre pas les viscères d’un livreur qui, accidenté lors d’une livraison, a vu son abdomen perforé…

Voilà pourquoi il est urgent de travailler sur cette question et d’offrir à ces travailleurs de vraies protections.

La technologie a évolué plus vite que notre droit. Il existe une zone de vide juridique entre le statut de salarié et le statut d’indépendant. Les travailleurs des plateformes se trouvant dans cette zone, c’est la raison pour laquelle nous devons mieux les protéger.

La proposition de loi de nos collègues du groupe CRCE prévoit ainsi de créer un statut pour l’ensemble de ces travailleurs. Si l’objectif est louable, il convient néanmoins de s’interroger sur la pertinence de créer une nouvelle forme de contrat de travail applicable aux travailleurs de certaines plateformes numériques.

Ces travailleurs forment un public disparate : certains indépendants sont tout à fait à l’aise avec les conditions d’exercice imposées par les plateformes et s’adaptent à ce modèle. Ceux-là n’aspirent pas nécessairement à être dotés d’un statut qu’ils pourraient juger trop strict au regard de la flexibilité que leur offre leur qualité d’indépendants. D’autres – les plus précaires –, ceux qui exercent cette activité afin d’en tirer un complément de revenus ou sur des périodes plus courtes, souhaiteraient davantage de protection sociale, notamment en matière de droits au chômage et à la santé ou de congés payés. Le statut proposé s’adresse à eux en priorité.

Toutefois, la question du statut ne fait pas consensus. Des convergences existent par ailleurs – et c’est heureux – sur la nécessité de mettre en place un filet de sécurité commun qui s’adresserait tant aux plus précaires qu’aux indépendants pouvant connaître des accidents de parcours.

Je salue à mon tour le rapport d’information de mes collègues Mmes Fournier et Puissat et M. Forissier sur le droit social applicable aux travailleurs indépendants économiquement dépendants. Ce rapport met en exergue le nombre de « trappes à précarité » qui verront le jour si le modèle applicable aux travailleurs des plateformes numériques n’évolue pas.

Sans aller jusqu’à la création d’un statut, ce rapport comporte quatorze recommandations qui permettent d’améliorer les protections des travailleurs et leurs relations avec les plateformes, notamment en matière de dialogue social.

Il faut agir vite, car le futur s’écrit déjà. Quand la voiture autonome sera mise au point, lorsque nos livraisons de repas et de biens pourront se faire de manière automatisée, que deviendront les femmes et les hommes qui aujourd’hui sont chargés de nous transporter et de livrer nos commandes ? Quelles garanties de formation, de reclassement, d’évolution professionnelle ou de réorientation pourront leur être proposées ? Comment accompagner ces travailleurs, pour les sortir de ces « trappes à précarité », et leur permettre de ne pas dépendre uniquement d’un modèle économique qui, à terme, se retournera contre eux ?

Mes chers collègues, permettez-moi, en conclusion, d’insister : si cette proposition de loi pose les bonnes questions, elle n’apporte pas la meilleure réponse. C’est pourquoi les sénatrices et sénateurs du groupe du RDSE s’abstiendront. Pour autant, ce texte est une contribution importante, et j’espère que le Gouvernement saura entendre certains arguments qui sont présentés.

Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Martin Lévrier

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le sort des travailleurs indépendants des plateformes numériques aura fait l’objet de plusieurs initiatives parlementaires ces derniers mois au Sénat.

La crise sanitaire de la Covid-19 n’a fait que renforcer la nécessité pour la commission des affaires sociales de se pencher sur la situation de ces travailleurs bien souvent désarmés face aux accidents et au fonctionnement des algorithmes des plateformes.

Les derniers travaux en date sont le fruit de la réflexion d’une mission d’information relative au droit social applicable aux travailleurs indépendants économiquement dépendants, qui a rendu officiellement ses conclusions le 20 mai. Le rapport rédigé par mes collègues Forissier, Fournier et Puissat liste une série de quatorze recommandations pour améliorer la situation des travailleurs des plateformes économiques, prenant ainsi en compte la diversité des situations.

La plupart des recommandations consistent à étendre, dans la droite ligne des précédentes lois en la matière, notamment la loi d’orientation des mobilités, le bénéfice des garanties qu’offre le code du travail. Au total, entre 100 000 et 200 000 personnes seraient concernées.

Nous nous retrouvons aujourd’hui pour examiner un texte déposé par le groupe CRCE au mois de septembre. Nous ne saurions débattre d’une proposition de loi relative aux droits sociaux des travailleurs numériques sans rappeler le contexte dans lequel ces derniers évoluent.

Les travailleurs des plateformes représentent environ 0, 8 % de la population active. Ils se répartissent entre trois catégories de travailleurs : les travailleurs, par ailleurs salariés, qui utilisent les plateformes afin de compléter leurs revenus ; les travailleurs indépendants qui recourent aux plateformes comme forme d’activité exclusive – le rapport d’information fait état de travaux de l’Insee selon lesquelles 4 % des indépendants, soit 0, 5 % de la population active occupée, sont économiquement dépendants d’un intermédiaire, qu’il s’agisse ou non d’une plateforme ; enfin, les travailleurs indépendants hautement qualifiés qui souhaitent bénéficier de davantage de flexibilité en se tournant vers un intermédiaire numérique, comme les free-lance s, dont le principal atout est la simplification des démarches administratives.

Les récentes lois ont permis d’instituer une responsabilité sociale des plateformes au bénéfice des travailleurs indépendants, mais également d’approfondir cette démarche de régulation de la relation entre les plateformes numériques et les travailleurs indépendants – je pense à la prise en charge, plafonnée par décret, de la cotisation du travailleur pour une assurance couvrant le risque d’accident du travail, au droit d’accès à la formation professionnelle continue et au bénéfice de la validation des acquis de l’expérience, aux droits collectifs tels que la protection des travailleurs participant à des mouvements en vue de la défense de leurs revendications professionnelles, ou encore à la faculté, pour les travailleurs visés, de constituer une organisation syndicale.

Ces avancées ne sont qu’un début dans la régulation des relations avec les plateformes numériques, dont la nouveauté met en question les catégories juridiques existantes et implique une réflexion approfondie. Cet encadrement des relations est actuellement renforcé, mais nous devons garder à l’esprit l’objectif de concilier l’indépendance de ces travailleurs, le modèle économique des plateformes et la protection des droits sociaux.

Si elle souligne certains problèmes, la proposition de loi relative au statut des travailleurs des plateformes numériques, coécrite par les sénateurs Pascal Savoldelli et Fabien Gay, n’en résout pas l’ensemble, tant s’en faut. Ainsi, elle prévoit un statut pour ces travailleurs à mi-chemin entre le salariat et le régime indépendant et introduit de nouveaux droits sociaux. Ce statut intermédiaire n’est pas souhaitable, car il entraînerait des effets contraires aux objectifs visés.

Pour autant, cette proposition de loi soulève des éléments très importants : la représentation des travailleurs numériques et les algorithmes. Cela peut paraître un peu abstrait pour certains d’entre nous, mais l’objectif des plateformes est de constituer un intermédiaire dont le rôle est de créer de la valeur en facilitant des transactions au moyen d’algorithmes de recherche, d’appariement, de paiement, etc., qui lui sont propres.

Si les algorithmes ont un rôle déterminant dans le fonctionnement des plateformes, ils rendent également celles-ci plus opaques. Ils peuvent, par exemple, entraîner certaines discriminations, tarifaires entre autres, que nous devons prendre en compte, afin que les travailleurs du numérique puissent disposer de toutes les clés de compréhension et travailler en toute connaissance de cause avec ces intermédiaires que constituent les plateformes.

C’est pourquoi le Premier ministre a confié, le 14 janvier dernier, à Jean-Yves Frouin, ancien président de la chambre sociale de la Cour de cassation, une mission visant à définir les différents scénarios envisageables pour construire un cadre permettant la représentation des travailleurs des plateformes numériques. Cette mission est chargée de préparer l’ordonnance prévue par l’article 48 de la loi d’orientation des mobilités du 24 décembre 2019, ordonnance qui doit déterminer les modalités de la représentation de ces 200 000 travailleurs de plateformes.

Comme vous venez de l’annoncer, madame la ministre, le périmètre de cette mission sera élargi. Elle posera la question non seulement de la représentation des travailleurs du numérique, mais aussi de la transparence des modes de fonctionnement des plateformes, autrement dit les algorithmes, et d’autres compétences économiques, numériques et juridiques. L’objectif reste inchangé : renforcer le droit de ces 200 000 Français. Il est donc indispensable d’en attendre les résultats.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, les réponses présentées dans cette proposition de loi ouvrent des pistes. Nous en remercions les auteurs, mais ces pistes ne répondent pas aux vastes problèmes posés par le développement de l’économie des plateformes numériques. Pour cette raison, le groupe La République En Marche votera contre ce texte.

Debut de section - PermalienPhoto de Fabien Gay

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier mon ami et collègue Pascal Savoldelli, avec qui j’ai travaillé pendant deux ans à cette proposition de loi, de sa pugnacité à mener ce combat aux côtés des travailleuses et travailleurs des plateformes numériques.

Je remercie ensuite toutes celles et tous ceux que nous avons rencontrés, ainsi que Mme la rapporteure, Cathy Apourceau-Poly, de la qualité de son rapport et des auditions menées, qui nous ont permis d’enrichir ce travail.

Je remercie enfin mes collègues Fournier, Puissat et Forissier de la qualité de leur rapport. Même si nous ne partageons pas les préconisations formulées, le rapport dresse un état des lieux largement partagé.

Le modèle en cause se répand à tous les secteurs de la société, souvent au détriment des travailleuses et travailleurs les plus précaires, comme les aides ménagères, mais aussi des entreprises vertueuses.

Au cours du travail d’élaboration du texte, Pascal Savoldelli et moi-même avons été bousculés par nos rencontres avec les livreuses et les livreurs, car il s’agissait parfois de jeunes hostiles au salariat, dégoûtés par leur expérience et par celle de leurs parents, maltraités par un management avilissant, et, en conséquence, à la recherche d’une grande autonomie de travail et d’une sortie de la précarité.

Au départ, ils ont été séduits, parfois, par la liberté vantée par les plateformes. Mais où est la liberté lorsqu’on travaille sept jours sur sept et dix heures par jour pour moins que le SMIC horaire ?

En détournant le statut d’autoentrepreneur en salariat déguisé pour échapper à leurs obligations en termes de salaire et de protection sociale, Uber, Deliveroo et toutes ces grandes plateformes ne proposent en réalité qu’un horizon : la liberté d’exploiter. Les maîtres de forges ont été remplacés par un iPhone avec une application et des algorithmes, mais la réalité est la même : ce sont les nouveaux forçats du travail.

Si Victor Hugo devait réécrire Les Misérables aujourd’hui, assurément Cosette livrerait des repas à vélo, les Thénardier seraient l’une de ces grandes multinationales, et je ne sais pas encore qui tiendrait le rôle de Javert, madame la ministre, tant nous tardons à légiférer pour faire respecter le droit du travail.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Fabien Gay

C’est pourquoi nous avons construit cette proposition de loi autour de l’assimilation de ces travailleurs au statut de salarié tout en leur ménageant une large autonomie. Contrairement à ce que vous avez dit, madame la ministre, un sondage réalisé par le CLAP montre que 66 % des livreuses et livreurs soutiennent la proposition de loi que Pascal Savoldelli, l’ensemble des membres du groupe CRCE et moi-même défendons.

Le droit social donc, ni plus ni moins, mais d’une part, en prévoyant des adaptations pour que les travailleurs puissent mobiliser les droits imaginés dans un contexte industriel qui a évolué et, d’autre part, en permettant de rendre efficiente une véritable autonomie, existante en droit du travail, mais qui s’est délitée.

L’objectif n’est pas d’accompagner ou d’adapter l’ubérisation de la société, ni de créer pour les travailleurs des plateformes un troisième statut d’indépendants économiquement dépendants.

Les plateformes visées sont les plateformes de travail, celles qui font semblant d’être des plateformes de mise en relation entre des indépendants et des clients, mais qui, en réalité, font tout autre chose : elles adoptent cette posture d’intermédiaire pour nier l’exercice sur les travailleurs d’un pouvoir de direction, de contrôle et de sanction qui supposerait l’application de la législation sociale.

En cette période de crise sanitaire, cela n’a rien d’anodin, notamment du point de vue de la sécurité des travailleurs, puisque ces plateformes ne sont soumises à aucune obligation de sécurité les obligeant à tout faire pour éviter la contamination et à aucune obligation de payer des masques et du gel. Ces travailleurs ont donc pris des risques pour leur santé en travaillant sans matériel de protection, et ils ont été obligés d’improviser eux-mêmes des règles.

Or ces plateformes ne sont pas neutres dans la prestation réalisée. Au contraire, comme en témoigne le récent arrêt Uber rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation, ces plateformes organisent et encadrent l’activité des travailleurs. Les prescriptions des contremaîtres ont simplement été remplacées par celle des algorithmes, traduction informatique des directives patronales. Cela n’est pas acceptable ! Ces travailleurs doivent pouvoir jouir des droits qui sont les leurs. Ils doivent bénéficier du droit du travail et de la protection sociale.

Soyons clairs : les véritables indépendants qui recourent à de véritables plateformes de mise en relation ne nous posent aucun problème, au contraire. On ne peut que se féliciter qu’un ébéniste ou un sculpteur puissent élargir leur base de clientèle au moyen d’un profil sur une plateforme de mise en relation pour leurs productions. Il n’est pas question de les transformer en salariés.

En revanche, nous voulons lutter contre les faux indépendants, ceux qui ne disposent pas de leur propre clientèle, qui ne peuvent déterminer ni leurs propres tarifs ni leurs propres conditions de travail et d’organisation, et qui voient au contraire leur activité complètement encadrée et maîtrisée par la plateforme.

Ce texte a vocation à permettre l’application effective du droit social, la mobilisation des travailleurs, mais aussi à lutter contre la dégradation du salariat en garantissant une réelle écoute, une véritable émancipation collective.

Nous ne voulons pas laisser les plateformes galvauder et paupériser l’entrepreneuriat. Nous ne voulons pas que la nouveauté d’accès à un service serve de prétexte à certaines entreprises pour faire de la concurrence déloyale à nos entreprises vertueuses, au détriment des plus précaires.

La mutation de l’économie, qui accroît la dépendance des travailleurs comme des entreprises à ces plateformes dont le modèle économique repose sur le non-respect des règles sociales et fiscales, doit nous conduire à nous interroger, car les entrepreneurs sont aussi concernés. Ils nous ont tous indiqué qu’ils avaient constaté, certes, une hausse d’activité, mais aussi une dépendance accrue à la plateforme, ainsi que de nouvelles contraintes de priorisation de commandes et de prix. Certains ont fait le choix de passer par des organismes respectueux des entrepreneurs comme des travailleurs.

N’oublions pas que la livraison est un service, mais surtout un vrai travail. Elle se fait au prix de la sueur du travailleur. Il est donc normal, comme le disait très justement un restaurateur, de payer le prix de la flemme.

En posant le débat sur une petite partie des 30 millions d’actifs, c’est sur notre organisation du travail et ses transformations dans leur ensemble que nous nous interrogeons. En attendant l’avènement d’une société égalitaire où chaque individu pourra s’épanouir dans son travail, en continuant d’encourager les coopératives de livreurs, comme à Bordeaux, nous proposons de poser une première pierre à l’édifice en accordant un statut et des droits à celles et ceux qui n’en ont pas.

Mes chers collègues, une convergence doit s’opérer pour voter en faveur de ce texte d’intérêt général.

Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.

Debut de section - PermalienPhoto de Frédérique Puissat

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est présentée aujourd’hui par les membres du groupe CRCE fait suite à plusieurs travaux sur ce qu’il est coutume d’appeler les « travailleurs des plateformes ». Sans chercher à être exhaustive, j’en citerai quelques-uns qui ont déjà été rappelés par des orateurs précédents : la loi Travail de 2016, qui a créé au sein de la septième partie du code du travail un chapitre dédié aux travailleurs des plateformes ; la loi d’orientation des mobilités, ou LOM, de 2019, qui a contribué à lui donner de la substance ; la proposition de loi visant à rétablir les droits sociaux des travailleurs numériques, déposée par Monique Lubin, il y a quelques mois de cela ; et le travail, évoqué par de nombreux orateurs, que nous avons conduit avec mes collègues Michel Forissier et Catherine Fournier et qui a été publié le 20 mai dernier.

Nous attendons aussi avec impatience, madame la ministre, le résultat de la mission Frouin. Comme l’ont dit Michel Forissier et Catherine Fournier, nous nous tenons à la disposition de M. Frouin, car nous avons des choses à dire en la matière. Cette mission, dont les travaux portaient d’abord sur la représentation des travailleurs des plateformes, a ensuite été étendue à la question du statut des travailleurs.

Autant de textes qui ont le mérite d’aborder un sujet effectif : l’histoire des plateformes. Si l’importance de ce sujet est sans commune mesure avec sa visibilité médiatique, puisqu’il ne concerne que 100 000 à 200 000 travailleurs, nous devons tenir compte de ces personnes.

Chaque texte contribuera à faire bouger les lignes. Cette proposition de loi est une initiative intéressante qui nous rassemble sur l’intérêt du sujet, mais malheureusement pas forcément sur le vote que nous allons lui réserver, même si elle comporte certains aspects que nous avons pu approfondir avec la rapporteure au cours notamment d’auditions toujours très enrichissantes.

Dans son article 1er, la présente proposition de loi introduit un nouveau livre dans le code du travail consacré aux travailleurs des plateformes et prévoit qu’au statut d’autoentrepreneur et d’indépendant peu se substituer un CDI ou un CDD dont le temps de travail et la rémunération donneraient lieu à une négociation annuelle.

Rappelons, tout d’abord, que la multiplicité des plateformes, même si ce texte en limite la portée, comme l’absence de statistiques ou leur faible épaisseur du fait d’un turnover important, ne permettent pas d’affirmer que cette transformation est souhaitée par les utilisateurs, ni même que les plateformes la supporteraient économiquement.

En audition, la Fédération nationale des autoentrepreneurs et microentrepreneurs (FNAE) a rappelé que, globalement, les utilisateurs des plateformes n’étaient qu’une courte majorité à souhaiter changer de statut. Un sondage réalisé par la FNAE montrait qu’ils n’étaient que 20 %.

Par ailleurs, sur le fond, ce contrat que l’on peut qualifier d’elliptique suscite de fortes inquiétudes de la DG. En effet, en matière de conclusion du contrat, d’horaires et de rémunération, ce texte renvoie à la négociation collective. En substituant celle-ci au législateur, il prend le risque d’une possible violation de l’article 34 de la Constitution qui délimite le domaine de la loi.

L’article 2 de la présente proposition de loi étend le droit à l’assurance chômage, dont l’intérêt est indéniable, mais sans en préciser le financement et en prenant en compte des périodes d’activité qui peuvent paraître complexes à atteindre.

Rappelons qu’au contact de la réalité l’assurance chômage universelle promise par le Gouvernement s’est transformée en une mesure nettement moins ambitieuse via l’Unédic. Or en la matière ce texte n’apporte aucune clarté.

Mme Éliane Assassi s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Frédérique Puissat

Le débat sur les algorithmes introduit par l’article 3 est d’importance. Une mathématicienne américaine de renom pensait les algorithmes comme une bombe à retardement. En ce sens, l’intention des auteurs de la proposition de loi est louable, car ce texte permettrait aux représentants de travailleurs de demander des explications sur des modifications d’algorithme concernant l’organisation et les conditions de travail, et les aiderait à solliciter le recours à un expert spécialiste en algorithmes dont les frais seraient à la charge de la plateforme.

Malgré sa clarté, la proposition de loi n’en demeure pas moins complexe à mettre en œuvre, car sa déclinaison se heurte à deux difficultés.

Comme l’a rappelé Catherine Fournier, la directive sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulguées, ou directive Secret des affaires, de 2016, inclut les algorithmes parmi les savoir-faire susceptibles d’être protégés au titre de secrets industriels essentiels de l’entreprise. La divulgation d’un algorithme peut donc contrevenir au secret des affaires.

Par ailleurs, force est de constater que l’identification et le recensement des experts spécialistes relèvent de la gageure. Qui sont-ils ? Combien coûtent-ils ? Ont-ils une connaissance spécifique des algorithmes et du droit du travail ? Pourront-ils suivre les évolutions constantes ? Autant de questions auxquelles nous n’avons pas obtenu de réponse au cours des auditions et qui mettent à mal l’efficience du dispositif proposé.

Ce texte, vous l’avez dit, madame la rapporteure, est une proposition de loi d’appel. Il va nous permettre d’aborder un sujet d’importance. Mes collègues Michel Forissier, Catherine Fournier et moi-même préconisons pour notre part de sortir du principe de requalification et de la question du statut pour universaliser certains droits sociaux qui sont d’importance.

Cette proposition de loi ne se situant pas dans cette lignée, nous ne pourrons pas répondre favorablement à votre appel, mais le débat est toujours important. S’il convient de lutter contre les précarités, il ne faut pas brider, notamment en cette période, les leviers accélérateurs de l’activité que sont certaines plateformes.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Jacquin

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à mon tour à remercier mes collègues de nous permettre d’approfondir ce débat sur les conditions de travail et d’emploi des travailleurs des plateformes.

Monique Lubin a exposé ce qui nous différenciait de cette proposition de nos camarades ; je n’y reviens pas. Lors la discussion, en janvier dernier, de la proposition de loi d’appel, nous avons défendu l’idée, alors trop mal connue, de la coopérative d’activités et d’emploi (CAE). Je vous renvoie sur ce point à l’excellent rapport de Jérôme Giusti et Thomas Thévenoud pour la Fondation Jean-Jaurès.

La CAE offre la possibilité du statut original d’entrepreneur salarié associé. Celui-ci a été inventé en 2014 pour répondre aux besoins de l’économie collaborative et des plateformes, pour contrer les excès de l’autoentrepreneuriat et pour offrir de l’autonomie et des droits sociaux aux salariés. En regroupant les entrepreneurs salariés, la CAE répond au besoin de représentation, et cela, comme l’a rappelé Monique Lubin, sans nécessiter d’aménagement du code du travail existant.

Ma collègue et moi-même notons avec satisfaction que notre proposition a fait progresser et évoluer la réflexion de nombreux acteurs, à commencer par nos collègues de la majorité sénatoriale, puisque cette solution fait partie des recommandations de leur rapport paru il y a quelques jours.

Je souhaite poursuivre dans la même veine, en proposant une idée nouvelle de régulation sous un angle totalement différent, et jamais abordée dans les travaux parlementaires, qui consiste à adapter le devoir de vigilance à cette problématique.

Ce devoir existe en droit depuis la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre de 2017, adoptée sur l’initiative de mon collègue député Dominique Potier. Pour tenter la recevabilité et vous présenter l’idée, nous l’avons restreint à certains modèles de plateformes numériques. Dans son principe, le devoir de vigilance mériterait toutefois d’être élargi à l’ensemble du champ de l’économie, dès lors que les modèles économiques peuvent légitimer la présence de travailleurs indépendants.

Avec les dérégulations spécieuses que nous connaissons depuis quelques décennies, un donneur d’ordre qui respecte la loi peut malgré lui créer les situations indécentes que nous dénonçons, particulièrement en utilisant le sous-statut d’autoentrepreneur dénoncé dans le récent rapport précité.

L’exemple le plus flagrant de cette déresponsabilisation des donneurs d’ordre était excellemment rapporté par le journal Libération lundi soir. L’article dressait le portrait d’un migrant récemment arrivé qui n’était pas payé depuis deux mois. Le travailleur pensait travailler pour la plateforme Frichti alors qu’il travaillait en fait pour un sous-traitant. Or la plateforme affirme ne connaître ni ce sous-traitant ni ce travailleur. Comment est-ce possible ? Vous le constatez, nous proposons un nouvel angle d’attaque pour lutter contre le cyber-précariat et la dictature de l’algorithme.

Je remercie mes collègues du groupe CRCE de nous offrir l’opportunité de débattre et de chercher des solutions à ce cancer qu’est l’ubérisation du travail. Monique Lubin a indiqué notre position de fond à ce sujet.

Madame la ministre, le confinement a mis en évidence la détresse de nombreux travailleurs surexploités, indépendants fictifs, exposés aux risques de la route et au Covid-19, et ne disposant pas de droits suffisants lorsque l’activité cesse. J’ai déjà eu l’occasion de demander qu’on leur accorde une protection comme s’ils étaient salariés.

Plusieurs orateurs précédents ont rappelé l’arrêt du 4 mars de la Cour de cassation, qui confirme le lien de subordination chez Uber, et donc le caractère fictif, madame la ministre, du statut d’indépendant des travailleurs. Nombre de recours sont d’ailleurs en cours d’instruction, et encore davantage sont déposés. Mais une requalification demande des années, et il faut avoir le goût et les moyens de la procédure. C’est à vous d’agir ! J’en appelle à votre raison.

Par deux fois, sur la saisine des groupes de gauche du Parlement, le Conseil constitutionnel a censuré les tentatives gouvernementales d’instauration d’un tiers statut et de chartes, qui visent à protéger davantage les plateformes que les travailleurs.

À vous écouter, je constate que vous souhaitez poursuivre dans cette direction malgré les décisions constantes des juridictions, dont la Cour de cassation. Madame la ministre, faites cesser la politique du fait accompli ! Nous devons lutter contre l’indécence du travail qui rend pauvre, et nous défendre des plateformes, cheval de Troie qui menace notre modèle social.

Mes chers collègues, profitons de l’occasion de ce débat pour dire non aux chartes et aux bricolages gouvernementaux, pour dire non à l’ubérisation du travail.

Je terminerai en citant le fondateur de la CAE québécoise, Eva, qui, avec son bel accent, nous disait dans une récente réunion en téléconférence que « l’économie collaborative qui existe doit être socialisée et solidarisée ».

Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Cyril Pellevat

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la révolution numérique que nous expérimentons tous est le catalyseur de nouvelles activités professionnelles. Le numérique a des effets indéniablement importants sur le monde du travail. La dématérialisation des entreprises de services et l’indépendance accrue des travailleurs se heurtent aux formes de travail traditionnel.

Ces deux aspects soulèvent la question de l’évolution de la protection des droits des travailleurs au sein de ce nouveau modèle. Derrière le terme vague « ubérisation » se profile une nouvelle configuration du statut de salarié. Cette forme inédite d’emploi questionne certains acquis de notre droit du travail.

La liberté octroyée aux travailleurs des plateformes du numérique est parfois un moyen de contourner les structures de protection salariale. En effet, le travailleur, bien que déclaré autoentrepreneur, reste au service d’une structure numérisée. S’il ne faut pas extrapoler la place des travailleurs numériques dans notre économie, il convient de rappeler que ces derniers représentent 1 % du bassin d’emploi total.

Les travailleurs des plateformes du numérique évoluent dans un cadre légal inapproprié. En effet, le code du travail ne reconnaît que deux statuts de travailleur : salarié et travailleur indépendant. Seuls les salariés bénéficient du régime général de la sécurité sociale et de l’assurance chômage. Dès lors, les travailleurs des plateformes du numérique sont exposés à la précarité et ne sont pas en mesure de renégocier leurs conditions de travail.

Pour autant, cette prétendue exploitation d’une intensité digne du siècle dernier est-elle systématique du mode de fonctionnement de ces plateformes ? Doit-on soumettre ces entreprises à un régime spécifique extrêmement rigoureux, quitte à les fragiliser ? Il me semblerait plus convenable de faire preuve de raison : la révolution numérique, bien qu’elle ébranle notre conception actuelle du monde du travail, est aussi le terreau et l’incubateur de multiples projets qui enrichissent notre économie. Soyons clairs : certaines plateformes internationales disposent de moyens financiers suffisants pour absorber de nouvelles contraintes, mais ce n’est pas le cas d’autres structures, notamment les jeunes entreprises innovantes françaises, souvent plus vertueuses.

Plus encore, les plateformes du numérique sont une véritable porte d’entrée sur le marché du travail pour les travailleurs peu qualifiés. La mise en place de telles restrictions aura des conséquences négatives sur le nombre d’emplois créés par les plateformes du numérique.

C’est pourquoi j’estime que la question complexe des plateformes ne peut être résolue par le biais de cette proposition de loi. Raisonner dans la généralité nous empêche de saisir les particularités propres à chacune des plateformes du numérique. Astreindre sous le même régime toutes ces entreprises revient à condamner les plus fragiles.

Je tiens à réaffirmer mon engagement pour la protection du statut des travailleurs, et bien que je considère comme souhaitable d’étendre aux travailleurs des plateformes du numérique certaines garanties du code du travail, la méthode n’est pas la plus adaptée.

Je tiens notamment à souligner la nécessité de protéger les travailleurs des plateformes numériques contre les ruptures de contrat abusives, et mettre un point d’honneur à garantir une protection à ces derniers. Celle-ci se devra d’être différenciée selon les secteurs et les entreprises. À cet égard, il est de notre ressort d’améliorer la protection sociale des travailleurs des plateformes numériques.

Au vu de la crise économique qui se profile, nous ne pouvons toutefois faire peser sur les entreprises de trop fortes contraintes économiques. C’est pourquoi la proposition de loi doit considérer davantage la possibilité pour les travailleurs de souscrire à une assurance relative aux accidents du travail et maladies professionnelles ou à une complémentaire santé. Cette couverture suffit à assurer les frais médicaux afférents à une maladie ou à un accident lié à l’exercice d’une profession. Rappelons que les personnes exerçant une profession libérale, les artisans, les commerçants et les infirmiers y ont eux-mêmes recours dans l’exercice de leur profession.

Il serait plus opportun de s’intéresser à la rédaction d’une proposition de loi relative aux règles de la microentreprise, afin de mettre celles-ci à jour au regard des nouvelles problématiques que soulève l’émergence de plateformes numériques. J’insiste sur la possibilité d’inclure, lorsqu’un régime d’autorisation préalable serait pertinent, des critères sociaux dans leurs agréments. J’ai la conviction que cela permettrait de rationaliser les conditions de travail des employés de ces plateformes. Par ailleurs, une réglementation plus souple serait davantage susceptible de s’adapter à la diversité de ces dernières.

L’essentiel de notre mission est d’instaurer un dialogue apaisé entre les multiples acteurs des plateformes numériques. C’est pourquoi je considère que la création d’instances de dialogue social, où travailleurs indépendants et représentants des plateformes pourraient se rencontrer régulièrement et échanger autour de thèmes prédéfinis, serait plus adaptée.

Tout en partageant la volonté de mes collègues d’améliorer la condition des travailleurs des plateformes du numérique, je voterai contre cette proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marc Gabouty

La discussion générale est close.

La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion de la proposition de loi initiale.

La septième partie du code du travail est complétée par un livre VI ainsi rédigé :

« LIVRE VI

« TRAVAILLEURS DES PLATEFORMES NUMÉRIQUES

« TITRE I

« DISPOSITIONS GÉNÉRALES

« CHAPITRE I

« CHAMPS DAPPLICATION

« Art. L. 7522 -1. – Les travailleurs des plateformes numériques sont les personnes qui concluent avec des plateformes numériques des contrats portant sur la location de leur force de travail en vue de la réalisation du service proposé et organisé par la plateforme.

« Les plateformes numériques de travail sont celles qui développent une activité économique et commerciale qui consiste à proposer et organiser des services à des clients qui seront réalisés par des travailleurs directement mis en relation par la plateforme. Cette mise en relation n’est pas l’objet de l’activité de la plateforme mais la modalité d’accès et de réalisation du service.

« Art. L. 7522 -2. – Les dispositions du présent code sont applicables aux travailleurs définis à l’article L. 7522-1, sous réserve des dispositions prévues aux titres II à IV du présent livre.

« TITRE II

« FORMATION ET DURÉE DU CONTRAT

« Art. L. 7523 -1. – Les contrats conclus entre les travailleurs et les plateformes définis à l’article L. 7522-1 peuvent être conclus à durée indéterminée ou à durée déterminée. Dans les deux cas, les travailleurs restent libres de déterminer leur temps de travail en cours de contrat de manière autonome, conformément aux dispositions du titre III.

« Les modalités de délivrance et de signature feront l’objet d’une négociation annuelle avec les représentants des travailleurs.

« Le résultat de cette négociation constituera un socle auquel il ne pourra être dérogé par contrat individuel.

« TITRE III

« CONDITIONS DE TRAVAIL

« CHAPITRE I

« Temps de travail

« Art. L. 7524 -1. – Les travailleurs des plateformes numériques ne sont pas soumis aux règles relatives au temps de travail, sous réserve des articles L. 3121-18 et L. 3131-20. Les modalités de construction et de gestion des plannings horaires devront faire l’objet d’une négociation annuelle avec les représentants des travailleurs.

« Le résultat de cette négociation constituera un socle auquel il ne pourra être dérogé par contrat individuel.

« CHAPITRE II

« Rémunération

« Art. L. 7525 -1. – La rémunération des travailleurs définis à l’article L. 7522-1, à l’exclusion de ceux qui exercent une profession de transport de personnes, devra être constituée sur une base horaire. Pour tous les travailleurs définis au même article L. 7522-1, sans exception, les modes de calcul et autres éléments de rémunération devront faire l’objet d’une négociation annuelle avec les représentants des travailleurs.

« Le résultat de cette négociation constituera un socle auquel il ne pourra être dérogé par contrat individuel.

« CHAPITRE III

« Les algorithmes

« Art. L. 7526 -1. – Les plateformes numériques construisant l’architecture normative de leurs organisations essentiellement par le biais d’algorithmes, l’obligation d’intelligibilité des informations transmises devra faire l’objet d’une attention renforcée. Elle se traduit notamment par la prise en charge complète des frais de recours à un expert spécialiste en algorithmes et intelligence artificielle.

« Art. L. 7526 -2. – Les représentants des travailleurs ont le droit de demander, à tout moment, des explications documentées en cas de doute sur une modification des algorithmes concernant les conditions de travail, l’organisation du travail et des temps d’attente, la modalité de la mise en relation, la modalité et le montant des rémunérations. Pour les aider dans leur travail d’analyse, ils peuvent solliciter le recours à un expert spécialiste en algorithmes et intelligence artificielle à la charge de la plateforme.

« CHAPITRE IV

« Rupture du contrat

« Art. L. 7527 -1. – La rupture du contrat conclu entre les plateformes et les travailleurs définis au premier alinéa de l’article L. 7522-1 doit être motivée par un motif réel et sérieux.

« Le lieu de l’entretien préalable peut être déterminé par accord avec les représentants des travailleurs à l’occasion de la négociation annuelle. À défaut d’accord, le lieu devra se trouver dans le secteur habituel de réalisation de l’activité du travailleur ou dans sa ville de résidence fiscale.

« La notification du licenciement peut, par accord, être notifiée par envoi d’un message numérique.

« Le cas échéant, le résultat de cette négociation constituera un socle auquel il ne pourra être dérogé par contrat individuel.

« TITRE IV

« NÉGOCIATION ET REPRÉSENTATION

« CHAPITRE I

« Représentativité syndicale

« Art. L. 7528 -1. – Pour les travailleurs soumis aux dispositions du présent livre, le 5° de l’article L. 2121-1 ne s’appliquera qu’à partir du 1er janvier 2023. Jusqu’à cette date, l’ancienneté requise au 4° du même article L. 2121-1 est réduite à un an.

« CHAPITRE II

« Représentation des travailleurs des plateformes

« Art. L. 7528 -2. – Le livre III de la deuxième partie du présent code s’applique aux plateformes numériques définies au second alinéa de l’article L. 7522-1, sous réserve des adaptations suivantes :

« 1° Les plateformes prévues au second alinéa devront donner aux travailleurs définis au premier alinéa du même article L. 7522-1 qui se présentent à des fonctions de représentation un accès simple et efficace aux noms et coordonnées des travailleurs habilités à voter ;

« 2° a) Sont électeurs les travailleurs des deux sexes, âgés de seize ans révolus, ayant travaillé au moins 450 heures sur les douze derniers mois pour la plateforme et n’ayant fait l’objet d’aucune interdiction, déchéance ou incapacité relatives à leurs droits civiques ;

« b) Sont éligibles les électeurs âgés de dix-huit ans révolus, et ayant effectué au moins 850 heures de travail pour la plateforme, à l’exception des conjoint, partenaire d’un pacte civil de solidarité, concubin, ascendants, descendants, sœurs, frères et alliés au même degré de l’employeur ;

« 3° Par dérogation à l’article L. 1111-2, pour la mise en place de la représentation des travailleurs des plateformes, les travailleurs définis au premier alinéa de l’article L. 7522-1 ayant travaillé au moins 450 heures sur une période de douze mois pour une plateforme numérique telle que définie au second alinéa du même article L. 7522-1 sont pris intégralement en compte dans les effectifs.

« CHAPITRE III

« Accès à la connaissance des droits négociés

« Art. L. 7529 -1. – Le résultat des négociations annuelles entre les plateformes et les représentants des travailleurs définis à l’article L. 7522-1 devra faire l’objet d’une information des travailleurs au moment de leur inscription sur la plateforme, à la suite de la négociation, ainsi que d’un accès permanent, simple et clair sur le site et l’application de la plateforme.

« Les modalités de cet accès font également l’objet de la négociation annuelle.

« Pour ce faire, les coordonnées des organisations de travailleurs parties à la négociation devront elles aussi être accessibles de manière permanente, simple et claire sur le site et l’application donnant accès à la plateforme. »

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Jacquin

Après cette discussion générale passionnante, je veux apporter quelques éléments complémentaires.

Madame la ministre, je vous ai écrit il y a quelque temps au sujet du contrôle des livreurs à vélo – on parle de livreurs à vélo, parce que ces travailleurs n’ont pas de licence de transport et que leur seul moyen légal de se déplacer est un deux-roues non motorisé –, afin de vous demander ce que faisait la puissance publique en matière de contrôle des licences de transport pour les utilisateurs de deux-roues motorisés. Je n’ai reçu aucune réponse, sûrement parce qu’il n’y a quasiment pas de contrôle : je le sais par les livreurs et par ceux qui travaillent à vélo.

Plus précisément, je vous invite à consulter les travaux de la chercheuse Laetitia Dablanc du laboratoire Ville Mobilité Transport, qui vient de nous fournir de nouveaux éléments de mesure : près de 37 % des livreurs utilisent des deux-roues motorisés et n’ont pas de licence de transport. Madame la ministre, que faites-vous en la matière ?

Par ailleurs, pour dissiper quelques mythes, notamment celui selon lequel on offrirait ainsi aux étudiants de petits jobs qui s’inscriraient dans des « parcours d’insertion », pour reprendre l’expression employée par votre collègue Christelle Dubos il y a quelques jours au Sénat lors du débat sur les mesures d’urgence sociale, je dirai que ce secteur d’activité évolue très vite et que les choses ont bien changé.

Certes, il existe encore quelques étudiants qui s’assurent de petits compléments de revenus avec ces livraisons, mais il y en a d’autres qui cherchent à en vivre. Comme l’indique la chercheuse que je viens de citer, on est passé des étudiants aux précaires, puis des précaires aux étrangers sans titre de séjour, comme le migrant dont j’ai parlé précédemment, dont Libération a fait le portrait.

Je vous répète ces chiffres, madame la ministre : environ 37 % des livreurs à vélo et des chauffeurs de VTC partagent ou sous-utilisent des comptes, c’est-à-dire qu’ils sont les sous-traitants de sous-traitants. Laetitia Dablanc estime qu’il y a près de 16 % d’étrangers – il est très difficile de connaître leur situation légale, mais cela pose bien des questions.

Dernier point : le mythe selon lequel ces travailleurs ne voudraient pas être salariés. Allez interroger ceux qui ont été victimes de la crise du Covid-19 et qui n’avaient plus ni travail ni protection ! Les choses ont bien changé dans ce domaine, et même s’ils ne représentent que 1 % de la population active, cela n’est pas rien. Ces travailleurs ne veulent pas avoir de mauvais patron ni être salariés d’Uber dans les conditions de sous-traitance que leur impose cette plateforme.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Savoldelli

À ce moment de la discussion, je veux remercier les uns et les autres de leur contribution. Mes chers collègues, je souhaite aussi attirer votre attention sur trois aspects.

Premièrement, il m’arrive parfois à moi aussi de tenir des propos maladroits : quand on parle de 100 000 personnes, on ne parle pas de 0, 7, 0, 8 ou 0, 9 % de la population active. Qui oserait dire des 216 000 médecins exerçant en France qu’ils représentent à peine 1 % de la population active ? Personne dans cet hémicycle ! Il faut faire attention à nos propos, mes chers collègues. Nous vivons dans une société violente et difficile. Je l’avais d’ailleurs souligné en commission des affaires sociales : il faut être prudent et respecter ces travailleurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Savoldelli

Deuxièmement, cessons de citer des chiffres, de nous les jeter à la figure et de les manipuler. Il faut aller voir les travailleurs des plateformes, arrêter de s’aligner sur des pseudo-sondages fabriqués par les plateformes pour expliquer à leurs travailleurs ce qu’ils pensent ! Faisons davantage attention, parce que nous évoquons des difficultés que vit la société actuelle et que subit une partie de notre activité économique. Ma remarque est valable pour tout le monde, y compris l’auteur de ce texte et ceux qui ont travaillé sur cette proposition de loi.

Troisièmement, madame la ministre, vous avez accordé une aide exceptionnelle aux autoentrepreneurs, adaptée à leurs conditions de travail spécifiques. Mon groupe a voté pour cette mesure au moment de la crise, et il a eu raison. Mais nous avions aussi formulé des remarques. Les travailleurs des plateformes numériques dont nous parlons, parfois avec justesse, mais aussi avec un peu de condescendance, ne pouvaient pas bénéficier de cette aide, car il leur est impossible de justifier qu’ils ont eu cette année une activité 50 % inférieure à celle de l’an passé. Je vous donne un exemple concret de ces ni-ni, ni salariés ni travailleurs indépendants.

Ces 100 000 à 200 000 personnes, en définitive éjectables en un clic, ne reçoivent aucune aide en cas d’épidémie, car elles ne sont pas en mesure de justifier leurs difficultés. Pourtant, nombre d’entre elles doivent payer un loyer.

Je fais ce rappel dans un esprit constructif. Nous avons rencontré ces travailleurs, nous avons même organisé un point presse avant le débat. La situation actuelle nous met face à nos contradictions. Nous devons faire attention à ce que nous allons faire avec ces plateformes numériques.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marc Gabouty

La parole est à Mme Catherine Fournier, sur l’article.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Fournier

Quand nous parlons de 200 000 travailleurs des plateformes numériques en disant qu’ils représentent peu de monde, cela ne signifie pas pour autant que nous les dénigrons, que nous ne les respectons pas, que nous ne nous en occupons pas, que nous ne les considérons pas. Absolument pas !

Simplement, nous ne pouvons pas réduire ces travailleurs à un contexte aussi étroit, alors que nous sommes en train de réfléchir à un statut global. Cela ne veut pas dire que nous ne devons pas régler le problème. En tout cas, ce n’est pas mon propos, et je tiens vraiment à le préciser.

Au contraire, dans notre rapport, mes collègues Frédérique Puissat, Michel Forissier et moi-même nous sommes attachés à réfléchir aux conditions de travail de ces personnes.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marc Gabouty

L’amendement n° 1, présenté par MM. Savoldelli et Gay, Mmes Apourceau-Poly, Cohen, Gréaume et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :

Alinéa 24, première phrase

Compléter cette phrase par les mots :

et ne peut être inférieure au taux horaire du salaire minimum interprofessionnel de croissance

La parole est à M. Fabien Gay.

Debut de section - PermalienPhoto de Fabien Gay

Cela arrive parfois : nous avions laissé passer une petite coquille dans le texte initial en faisant référence à un salaire décent. Pour nous, la disposition était claire, mais nous proposons de la clarifier aujourd’hui en indiquant que la rémunération ne peut être inférieure au taux horaire du SMIC. Il s’agit d’un amendement de précision.

Debut de section - PermalienPhoto de Cathy Apourceau-Poly

La commission émet un avis défavorable sur cet amendement, conformément à sa position sur la proposition de loi. Il n’en va pas de même pour moi : à titre personnel, je considère que cet amendement tend à apporter une précision fondamentale, comme l’a dit M. Gay.

En effet, la proposition de loi prévoit que, à l’exclusion de ceux qui exercent une activité de transport de personnes, la rémunération des travailleurs des plateformes numériques « devra être constituée sur une base horaire. » Suivant sa logique, l’article 1er renvoie à la négociation collective les modes de calcul de tous les éléments de rémunération sans référence à un socle législatif.

Les auteurs de l’amendement proposent de fixer, en faisant référence au SMIC, une rémunération minimale pour les travailleurs des plateformes, qui en sont actuellement privés. C’est pourquoi, à titre personnel, je vous invite, mes chers collègues, à voter en faveur de cet amendement.

Sourires.

Debut de section - Permalien
Muriel Pénicaud

Monsieur le sénateur, je comprends votre objectif. Toutefois, à amendement de cohérence, réponse de cohérence : défavorable.

Je voudrais revenir sur un point : la mission que le Gouvernement a confiée à M. Frouin a été évoquée à plusieurs reprises. La représentation des travailleurs de plateformes est l’un des points importants sur lequel travaille cette mission. C’est dans ce cadre que les chauffeurs de VTC, notamment, pourront discuter du tarif des courses. Une activité indépendante fondée sur le prix de la course n’est en effet pas assimilable à celle d’un salarié, pour laquelle la référence au SMIC est pertinente.

Cela étant, il faut que ces travailleurs aient les moyens de discuter. Une fois que nous aurons mis en place un système de représentation, après le débat parlementaire qui devrait se tenir sur les recommandations de M. Frouin, il y aura un cadre pour discuter du prix des prestations et des conditions de travail. Ce sera un progrès.

Quant au fonds de solidarité pour les indépendants pendant la crise, comme vous le savez, les critères pour bénéficier des aides ont été assouplis en avril, de sorte à s’adapter aux microentrepreneurs. Je ne prétends pas qu’il s’agisse de la réponse parfaite, mais on a essayé de faire au mieux et au plus vite pour couvrir un maximum de personnes. Désormais, un certain nombre de microentrepreneurs, notamment au niveau des plateformes, peuvent en bénéficier.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marc Gabouty

La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Savoldelli

Madame la ministre, je vais vous faire une suggestion, qui recueillera l’assentiment de tout le monde : quand vous désignez quelqu’un en début d’année pour piloter une mission, la moindre des choses est que cette personne sollicite les parlementaires travaillant sur le sujet. Je pense à mes collègues de la commission des affaires sociales qui réfléchissent à la question des travailleurs indépendants comme à nous, qui avons déposé cette proposition de loi en septembre 2019.

On peut avoir des opinions différentes sur le sujet, mais la moindre des choses est de tirer profit du travail parlementaire : madame la ministre, dites-le à M. Frouin ! Des parlementaires de toutes sensibilités réfléchissent à cette problématique et ne sont pas sollicités.

Par ailleurs, j’aimerais bien savoir si M. Frouin a reçu les formes organisées de représentation des travailleurs des plateformes numériques. Les a-t-il auditionnées ?

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Savoldelli

À ma connaissance – et j’ai des liens avec ces collectifs, qui sont très différents –, ce n’est pas le cas. A-t-il sollicité l’avis des organisations syndicales ? Non plus ! J’attire votre attention sur ce point, madame la ministre : sous votre impulsion, ces auditions pourraient avoir lieu.

Il faut donc corriger le tir : d’une part, respecter le travail parlementaire dans sa diversité, d’autre part, recevoir les organisations syndicales et, surtout, les formes organisées de représentation des travailleurs des plateformes.

J’ajoute que nous sommes également disposés à réfléchir, avec toutes les personnes concernées, sur la question de la représentation. Et, madame la ministre, il faudra innover et faire preuve de souplesse en ce qui concerne le nombre d’heures travaillées pour que ces travailleurs puissent être représentés par un collectif, via les organisations syndicales traditionnelles ou d’autres formes d’organisation qu’ils choisiraient – cela relève de leur libre choix de s’organiser comme ils l’entendent. Sinon, avec qui pourront-ils discuter ?

Quand le travailleur d’une plateforme numérique a travaillé 35 heures par semaine pendant trois mois – peut-être pas durant trois mois, mais sur une année –, j’estime qu’il a le même droit que les salariés de voter et d’élire des représentants qui détermineront, avec la plateforme, les conditions d’organisation du travail, la manière dont est calculée sa rémunération. Ce serait une avancée, qui est attendue par l’ensemble des travailleurs des plateformes.

Debut de section - Permalien
Muriel Pénicaud

Monsieur le sénateur, dans mon propos introductif, je vous ai moi-même proposé de vous associer à ces travaux, non seulement les auteurs de la proposition de loi, mais aussi l’ensemble des sénateurs, notamment ceux qui ont contribué à élaborer les rapports, puisqu’il y a eu beaucoup de travail et de matière première accumulés.

Il existe un certain consensus autour de l’idée que toutes les questions sont posées et bien posées, même si nous ne sommes pas tous d’accord sur les réponses. Quoi qu’il en soit, cela permet déjà d’avancer sur un sujet, qui est maintenant très documenté. Vos travaux et les débats de ce jour contribuent à créer un matériau de qualité en vue de cette réflexion.

La mission de M. Frouin a pris un peu de retard à cause du confinement. En effet, la nature même des travaux suppose de mener des réunions plutôt en présentiel lorsque c’est possible. Nous allons donc prolonger la durée de cette mission de juin à octobre pour que ce travail, qui associe évidemment les organisations syndicales et patronales – c’était prévu –, mais aussi les parlementaires et l’ensemble des parties prenantes, puisse avoir lieu dans de bonnes conditions.

L ’ amendement est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Tout d’abord, madame la ministre, l’ensemble des débats a été particulièrement intéressant jusqu’à présent et les travaux de mes collègues, tant ceux de Mme la rapporteure que ceux de la mission d’information, au nom de la commission, devraient produire des résultats également intéressants pour tout le monde.

Permettez-moi maintenant un petit parallèle professionnel : madame la rapporteure, monsieur Savoldelli, je trouve que votre recherche épidémiologique dans le cadre de ces travaux, votre analyse des symptômes et votre diagnostic sont bons. En revanche, le traitement me semble un peu discutable, et il est d’ailleurs discuté par les uns et les autres.

Sourires.

Rires.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. En conséquence, nous allons nous remettre au travail en ce qui concerne le traitement. Et je demande à l’ensemble de mes collègues que leur vote sur les articles soit en cohérence avec leur vote sur l’ensemble de la proposition de loi.

Sourires.

L ’ article 1 er n ’ est pas adopté.

I. – Après le 36° de l’article L. 311-3 du code de la sécurité sociale, il est inséré un 37° ainsi rédigé :

« 37° Les travailleurs des plateformes numériques définis à l’article L. 7522-1 du code du travail. »

II. – L’article L. 5422-1 du code du travail est complété par un III ainsi rédigé :

« III. – Ont également droit à l’allocation d’assurance chômage les travailleurs définis au premier alinéa de l’article L. 7522-1, aptes au travail et recherchant un emploi, qui satisfont à des obligations de durée antérieure d’activité et de recherche effective d’un emploi.

« Les mesures permettant d’adapter les règles du régime général d’assurance chômage à la situation particulière des travailleurs des plateformes numériques font l’objet d’accords conclus entre les organisations représentatives d’employeurs et de travailleurs. Ces mesures doivent tenir compte des objectifs suivants :

« 1° Concernant les conditions d’ouverture des droits :

« a) Les périodes d’activité, ayant eu lieu dans le cadre d’un contrat conclu avec une plateforme numérique de travail, prises en compte pour l’ouverture des droits correspondent à au moins 450 heures de travail sur les douze derniers mois pour une plateforme définie à l’article L. 7522-1 ;

« b) L’activité, organisée par un contrat conclu avec une plateforme de travail numérique, a pris fin dans les conditions prévues à l’article L. 7527-1 ;

« c) Le travailleur est en recherche d’emploi effective, au sens de l’article L. 5421-3 ;

« d) Les droits à l’allocation sont ouverts à compter de la fin de l’activité organisée par un contrat conclu avec une plateforme définie au second alinéa de l’article L. 7522-1, intervenue dans les conditions prévues à l’article L. 7527, qui doit se situer dans un délai de douze mois précédant la veille de l’inscription comme demandeur d’emploi ou, le cas échéant, le premier jour du mois au cours duquel la demande d’allocation a été déposée ;

« 2° Concernant la détermination des droits :

« a) Les revenus de référence pris en considération pour fixer le montant de l’allocation journalière sont établis à partir des rémunérations des douze mois civils précédant le dernier jour de travail payé à l’intéressé, rémunérations liées à l’activité organisée par un contrat conclu avec une plateforme prévue au second alinéa de l’article L. 7522-1 ;

« b) Sont exclues toutes les sommes dont l’attribution trouve sa seule origine dans la rupture du contrat de travail ou l’arrivée du terme de celui-ci. »

L ’ article 2 n ’ est pas adopté.

Le chapitre Ier du titre VIII du livre II de la deuxième partie du code du travail est complété par un article L. 2281-12 ainsi rédigé :

« Art. L. 2281 -12. – Lorsque les conditions de travail, l’organisation du travail, la modalité de la mise en relation, la modalité et le montant ou le mode de rémunération sont déterminés au travers d’algorithmes, ceux-ci devront faire l’objet d’une information, d’une consultation ou d’une négociation, selon les champs concernés.

« Afin de mener à bien leur mission, les représentants des travailleurs ont le droit de recourir à un expert spécialiste en algorithmes et intelligence artificielle, conformément à l’article L. 7525-1. »

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Savoldelli

Je veux réagir aux propos de Frédérique Puissat, qui a évoqué la question de la confidentialité des algorithmes dans l’entreprise. Il va falloir statuer très vite sur ce point, parce que le travail avec les plateformes numériques est vraiment aliénant. Et il a effectivement été prouvé que le fonctionnement de ces algorithmes était totalement opaque.

Nous pensons évidemment qu’il faut protéger l’entreprise, l’esprit d’entreprendre et les innovations ; il existe d’ailleurs un certain nombre de dispositifs, que nous connaissons tous. Mais, en l’occurrence, nous ne sommes pas en train de protéger une innovation. Quand il s’agit de labelliser ou de breveter, une forme de secret et de confidentialité se justifie, surtout quand on voit les ravages de la concurrence.

En commission, j’ai déjà eu l’occasion de dire au professeur Milon, qui m’apportera peut-être aussi un éclairage sur mon espérance de vie, afin d’y voir plus clair

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Savoldelli

– je ne parle pas d’espérance de vie politique, mais d’espérance de vie personnelle

Rires.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Savoldelli

–, que les algorithmes étaient bien plus vieux que nous tous réunis dans cet hémicycle, tous âges confondus. Je le dis avec tout le respect que je vous dois, mes chers collègues.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Savoldelli

Plus sérieusement, le problème posé par ces plateformes, c’est tout simplement que les algorithmes fonctionnent comme une suite d’opérations et d’instructions, qui fixe l’organisation du travail, le niveau de rémunération, et introduit des éléments de flexibilité. Tout cela a été démontré.

Tous les jeunes savent que, pendant un match de football, tel ou tel événement ou tel ou tel concert, s’il tombe des cordes ou s’il y a un orage, le prix de la course au kilomètre est plus élevé. C’est l’algorithme qui gère et fixe ce tarif !

Derrière, c’est tout le débat sur l’offre et la demande. Ce n’est pas l’algorithme en soi qui nous fait peur – il faut vivre avec son époque ! D’ailleurs, depuis les débuts de la civilisation, nos sociétés ont toutes été construites autour d’algorithmes. Le problème ici, c’est que les travailleurs qui ont ces algorithmes pour contremaîtres, puisqu’ils décident des modalités de leur travail et de leur rémunération, doivent pouvoir y avoir accès.

Ma chère collègue, si je fais ce rappel, c’est qu’il faut trouver ensemble la réponse

Mme Frédérique Puissat opine.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Savoldelli

Mon grand-père, d’origine italienne, travaillait à la tâche. Voilà comment cela se passait : l’accord entre l’ouvrier et l’exploitant se faisait d’homme à homme. Il n’y avait pas de contrat ni de problème de statut mais, au moins, mon grand-père pouvait discuter, avec son dictionnaire français-italien, du coût de vingt mètres de carrelage, de la réalisation de tel pavillon ou de telle maison en pierre meulière. Il existait encore des relations humaines ! Les tâcherons pouvaient discuter la valeur de leur travail. Au niveau des plateformes, la situation est bien pire, puisque les travailleurs ne peuvent même pas le faire !

Il faut vraiment que l’on se rapproche sur ce sujet, mes chers collègues, et que l’on torde le cou à cette dérive, afin que ces travailleurs, ces jeunes aient au moins accès à ce qui détermine leur vie pendant plusieurs heures dans la journée. Il faut qu’ils sachent comment le système fonctionne. Après, ils le contesteront ou, au contraire, l’accepteront : ils seront libres de décider.

L ’ article 3 n ’ est pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marc Gabouty

L’amendement n° 2 rectifié, présenté par M. Jacquin, est ainsi libellé :

Après l’article 3

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. – Après le chapitre III du sous-titre II du titre III du livre III du code civil, il est inséré un chapitre ainsi rédigé :

« Chapitre …

« Devoir de vigilance

« Art. 1253. – Toute plateforme de mise en relation par voie électronique, au sens de l’article 242 bis du code général des impôts, ayant recours à des travailleurs indépendants pour l’exécution d’une opération, quelle qu’en soit la nature, est tenue d’une obligation de vigilance consistant à identifier les risques, à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement, consécutifs à l’exécution de cette opération, et à garantir une rémunération décente et juste au regard du temps pendant lequel le travailleur est à la disposition de la plateforme.

« Le donneur d’ordre ou le maître d’ouvrage qui, à titre de professionnel, contracte avec une plateforme ayant recours à des travailleurs indépendants dans les conditions posées à l’alinéa précédent, veille à ce que la plateforme respecte les obligations mentionnées à l’alinéa précédent. S’il est informé par écrit, par le travailleur, par un agent de contrôle mentionné à l’article L. 8271-1-2 du code du travail ou par une organisation syndicale, du fait que la plateforme ne respecte pas les obligations visées à l’alinéa premier, le donneur d’ordre ou le maître d’ouvrage lui enjoint aussitôt, par écrit, de faire cesser sans délai cette situation. À défaut de régularisation de la situation signalée ou de rupture sans délai du contrat conclu avec la plateforme, le maître d’ouvrage ou le donneur d’ordre est solidairement responsable du dommage mentionné à l’article 1254 du présent code.

« La plateforme publie chaque année sur son site internet un rapport précisant les modalités selon lesquelles est assuré, directement et le cas échéant par l’intermédiaire des algorithmes mis en œuvre, le respect des obligations mentionnées au premier alinéa, selon les modalités précisées par décret en Conseil d’État.

« Les mesures mises en œuvre au titre des alinéas précédents sont proportionnées aux moyens dont dispose l’entreprise mentionnée au premier alinéa, ou, le cas échéant, l’unité économique et sociale ou le groupe auquel elle appartient.

« Art. 1254. – Le manquement aux obligations définies à l’article 1253 oblige la plateforme à réparer le dommage que l’exécution de ces obligations aurait permis d’éviter.

« La juridiction peut ordonner la publication, la diffusion ou l’affichage de sa décision ou d’un extrait de celle-ci, selon les modalités qu’elle précise. Les frais sont supportés par la personne condamnée.

« La juridiction peut ordonner l’exécution de sa décision sous astreinte.

« L’action est introduite devant la juridiction compétente par toute personne justifiant d’un intérêt à agir à cette fin. »

II. – Le troisième alinéa du I de l’article L. 225-102-4 du code de commerce est complété par une phrase ainsi rédigée : « Sans préjudice des articles 1253 et 1254 du code civil, le plan détaille les mesures relatives aux opérations effectuées par les travailleurs indépendants. »

La parole est à M. Olivier Jacquin.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Jacquin

Cet amendement vise à instaurer un devoir de vigilance et à responsabiliser les donneurs d’ordre. Comme je l’ai dit au cours de la discussion générale, avec les réglementations complexes que nous connaissons, les contrats passés par un donneur d’ordre vertueux peuvent, même si celui-ci utilise des dispositifs légaux, aboutir à des situations indécentes en termes de revenus et de précarité.

Je précise que, travaillant sur ce concept nouveau pour le monde des plateformes numériques, j’ai adapté le dispositif pour qu’il puisse être examiné au cours du présent débat, mais il aurait vocation à être étendu à tous les secteurs économiques de notre pays. Je rappelle que le devoir de vigilance a été inventé par mon collègue député Dominique Potier lors de l’examen des lois de 2014 et de 2017 pour mettre fin à des chaînes internationales de sous-traitance qui ont suscité des désastres. L’idée est donc d’adapter ce principe à la situation économique française.

Pour les plateformes qui font débat dans les médias et qui font l’objet de la présente discussion, c’est-à-dire les plateformes de travail et non les plateformes de mise en relation, je ne suis pas sûr que le dispositif soit totalement opportun. En revanche, il serait intéressant dans le champ plus large de l’économie, lorsqu’on a légitimement recours au travail indépendant, parce que les modèles économiques le permettent.

Je précise aussi que ce dispositif n’est pas incantatoire : il a un fondement juridique qui le rendrait opposable. Examinez-le en détail, on ne pourra pas accuser un donneur d’ordre pour n’importe quel motif : juridiquement, le donneur d’ordre doit en effet être informé par écrit que sa chaîne de sous-traitance n’est pas vertueuse.

Le dispositif, appliqué au champ général de l’économie, me semble constituer un progrès intéressant par rapport, notamment, aux dégâts de l’autoentreprenariat. Madame Fournier, je salue le fait que vous l’ayez dénoncé dans votre rapport : ce statut crée des poches sans modèle économique et conduit à des situations inacceptables.

Debut de section - PermalienPhoto de Cathy Apourceau-Poly

Cet amendement tend à modifier le code civil pour imposer aux plateformes un devoir de vigilance consistant, d’une part, à identifier et prévenir les risques d’atteintes graves envers les droits et libertés des travailleurs, leur santé, leur sécurité et, d’autre part, à leur garantir une rémunération décente. Les utilisateurs de plateformes à titre professionnel seraient solidairement responsables de ce devoir de vigilance.

Cet amendement va dans le sens d’une meilleure protection des travailleurs des plateformes, mais n’est pas compatible avec ma position, dans la mesure où il a pour objet de maintenir les travailleurs concernés dans un statut d’indépendance qui ne peut être que trompeur. Au contraire, le groupe auquel j’appartiens souhaite étendre aux travailleurs concernés les protections du salariat, notamment une rémunération au moins égale au SMIC, alors qu’il n’est fait mention dans le dispositif de cet amendement que d’un salaire décent.

La commission émet un avis défavorable sur cet amendement. À titre personnel, j’y suis évidemment défavorable si bien que, une fois n’est pas coutume, je suis d’accord avec la commission.

Sourires.

Debut de section - Permalien
Muriel Pénicaud

Monsieur le sénateur, le Gouvernement est défavorable à votre amendement.

Vous souhaitez imposer aux plateformes et à leurs donneurs d’ordre un devoir de vigilance. Vous prévoyez que le manquement à un tel devoir serait sanctionné et que la plateforme devrait réparer les dommages occasionnés.

Je comprends l’esprit de cet amendement : ce dispositif s’inspire de la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, qui impose aux grandes entreprises et grands groupes d’établir et de mettre en œuvre un plan de vigilance destiné à identifier et à prévenir les risques d’atteintes graves aux droits humains, à la santé, à la sécurité des personnes et à l’environnement, notamment les chaînes de sous-traitance mondialisées qui ont provoqué des drames.

Nous poussons à l’échelon européen pour que le devoir de vigilance, qui intéresse certains de nos partenaires, puisse être pris en compte dans les directives européennes.

Toutefois, en l’espèce, le dispositif proposé ne s’articule autour d’aucun seuil, crée des contraintes qui seraient difficilement vérifiables. Aujourd’hui, il ne nous paraît pas suffisamment abouti pour permettre de respecter des dispositions légales qui seraient, dans certains cas, disproportionnées ou très difficilement applicables.

Par ailleurs, ainsi que je l’ai déjà indiqué plusieurs fois ce matin, je pense qu’il faut intégrer cette réflexion dans une réflexion globale sur les plateformes et l’inscrire dans le travail que nous devrons mener tous ensemble après la remise du rapport de M. Frouin. Encore une fois, ce dispositif n’est pas assez abouti pour être efficace.

J’en profite pour répondre à vos deux autres motifs d’interpellation.

Premier sujet, les plateformes peuvent-elles être des tremplins ? Je suis d’accord avec M. Savoldelli : c’est sur le terrain qu’on le voit et pas simplement dans les enquêtes d’opinion.

Nous travaillons beaucoup sur l’insertion des jeunes, notamment dans les quartiers prioritaires de la ville – je salue à cet égard mon collègue Julien Denormandie avec lequel je collabore beaucoup sur cette question.

Nous constatons que beaucoup de jeunes sont intéressés et recherchent un travail auprès des plateformes, parce qu’ils restent ainsi indépendants, libres et autonomes, ce qui ne les empêche pas, ce qui est légitime et fait l’objet de notre débat, de vouloir des protections, mais aussi parce qu’ils aspirent à un tremplin professionnel et qu’il existe encore trop de discriminations à l’embauche pour leur ouvrir une autre perspective.

Il faut être lucide sur ce point : les plateformes sont souvent la meilleure et la première voie d’accès à l’emploi. Le problème se pose quand c’est la seule et quand il n’y a pas de débouché ensuite.

D’un côté, il y a donc le sujet de la protection sociale des travailleurs des plateformes et, de l’autre, celui des possibilités d’évolution. Toute la philosophie de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel repose sur l’idée qu’il faut permettre l’émancipation professionnelle par le travail et la formation tout au long de la vie. Il est important, y compris pour les travailleurs des plateformes, de pouvoir évoluer vers d’autres formes d’emploi, qui ne sont parfois envisagées que plus tard.

C’est pourquoi nous avons renforcé les droits à la formation dans le cadre de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel et de la loi d’orientation des mobilités (LOM) : les plateformes doivent désormais payer et contribuer au compte personnel de formation de leurs travailleurs.

Second point, vous avez évoqué la question du contrôle des licences de transport. Ce contrôle relève du ministère des transports, qui s’y emploie. J’ajoute que l’on a aussi mené des opérations de contrôle dans le cadre de la lutte contre le travail illégal, inspection du travail, police, gendarmerie, Urssaf réunies. Comme pour tous les nouveaux modes de travail – c’est vrai aussi des anciens –, il faut de temps en temps aller contrôler et démanteler quelques opérations qui n’ont pas lieu d’être. Ne vous inquiétez pas, nous sommes aussi attentifs à cette question dans ce secteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marc Gabouty

La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Savoldelli

L’auteur de cet amendement a été extrêmement clair, le resituant dans sa chronologie et ses fonctionnalités. Olivier Jacquin a posé la question des relations entre la société mère, les filiales et les différents donneurs d’ordre, au regard du devoir de vigilance, et l’on peut avoir des avis très différents sur ce sujet. Mon cher collègue, mon groupe ne souhaite pas voter cet amendement, dont l’adoption dénaturerait notre proposition de loi. Vous le comprendrez parce que vous savez très bien qu’une plateforme n’est pas une société mère et que les travailleurs de ces plateformes numériques ne sont pas des sous-traitants. Nous pourrions sans doute valider unanimement ce point, le Gouvernement pouvant même nous rejoindre.

Comme vous l’avez dit, votre amendement traduit votre volonté de mettre en place des outils de protection, de faire en sorte que les chartes ne soient pas rédigées unilatéralement par lesdites plateformes. Néanmoins, il serait sage de le retirer, et je vous livre un argument plaidant en ce sens : nous, parlementaires, devons être attentifs à la question de la sécurité des travailleurs. C’est bien de cela qu’il s’agit, et non pas du devoir de vigilance : deux exemples récents l’attestent, avec la condamnation d’Amazon et de Renault, non pas pour avoir manqué à leur devoir de vigilance, mais par méconnaissance du statut protecteur – nous avons réussi à obtenir ce dernier – qui s’applique aux travailleurs de ces deux sociétés. Et il est bien qu’ils aient fait valoir leurs droits.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marc Gabouty

La parole est à M. Olivier Jacquin, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Jacquin

Je prie de m’excuser ceux dont c’est le travail, mais tout cela est compliqué, peu intelligible, et rassemble à une véritable loterie !

Cela étant, je vais écouter Pascal Savoldelli et retirer mon amendement. Effectivement, et je l’ai dit moi-même, il ne s’inscrit pas exactement dans le cadre de cette proposition de loi, mais je puis vous garantir que je poursuivrai ce travail en faveur de cette responsabilisation des donneurs d’ordre dans une société complexe.

Vous l’aurez compris, je voulais vous entendre à ce propos, notamment vous, madame la ministre. Je vous remercie des deux réponses complémentaires que vous m’avez apportées, mais vous ne m’avez pas donné de chiffres sur les contrôles effectifs. C’est pourquoi j’insisterai pour les obtenir.

Vous m’avez répondu, s’agissant du devoir de vigilance, que c’était compliqué. Le professeur de droit avec lequel je collabore sur ce sujet, Stéphane Vernac, qui a travaillé sur le devoir de vigilance de 2014 à 2017, m’a assuré que vous alliez me dire que c’était compliqué et difficile à mettre en œuvre !

Je suis optimiste, parce que mon collègue député a mis trois ans pour faire admettre que c’était faisable. Nous allons lancer des travaux, échanger, voir les chefs d’entreprise et d’autres personnes encore pour faire avancer cette idée.

Madame la ministre, puisque vous faites preuve d’un esprit constructif, puisque vous avez ouvert le champ de la mission Frouin, j’aimerais être entendu.

Pour mieux illustrer cette notion du devoir de vigilance, j’aimerais aussi que le migrant travaillant pour Frichti que citait Libération soit reçu. Et je l’accompagnerai volontiers. C’est possible si j’en juge par le fait que, voilà quelque temps, vous m’aviez fait le plaisir de recevoir un jeune qui croyait au modèle des plateformes collaboratives, avant d’être sacrément déçu.

Un dernier point sur le devoir de vigilance. Carrefour, par exemple, a annoncé pendant le confinement un partenariat avec Uber Eats pour la livraison de ses clients à domicile, ce service étant presque présenté comme un service public. De même, la SNCF développe sous marque blanche un système de réservation préalable de VTC, tandis que le Sénat – le Sénat ! – dispose depuis peu de son propre système de réservation via LeCab, l’une de ces plateformes que nous dénonçons. J’interrogerai d’ailleurs à ce sujet les questeurs, car se posent les questions de responsabilité et de conditions de travail.

Cela dit, je retire mon amendement.

L’article L. 7342-2 du code du travail est ainsi modifié :

1° À la première phrase du premier alinéa, après les deux occurrences du mot : « travail », sont insérés les mots : « et maladies professionnelles » ;

2° Le second alinéa est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :

« Le travailleur peut librement choisir d’adhérer au contrat collectif souscrit par la plateforme, la cotisation à ce contrat est prise en charge par la plateforme.

« Le remboursement des cotisations au titre du premier alinéa du présent article n’est pas soumis à l’absence d’un contrat collectif souscrit par la plateforme mentionnée au deuxième alinéa. »

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marc Gabouty

Mes chers collègues, je vous rappelle que, si cet article n’était pas adopté, il n’y aurait plus lieu de voter sur l’ensemble de la proposition de loi dans la mesure où les quatre articles qui la composent auraient été rejetés. Il n’y aurait donc pas d’explications de vote sur l’ensemble.

Je mets aux voix l’article 4.

L ’ article 4 n ’ est pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marc Gabouty

Les articles de la proposition de loi ayant été successivement rejetés par le Sénat, je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire puisqu’il n’y a plus de texte.

En conséquence, la proposition de loi, modifiée, n’est pas adoptée.

Debut de section - PermalienPhoto de Guylène PANTEL

Lors du scrutin n° 108 portant sur l’amendement n° 58 rectifié bis tendant à insérer un article additionnel après l’article 1er septies A du projet de loi relatif à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, ma collègue Mireille Jouve souhaitait voter pour.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marc Gabouty

Acte est donné de votre mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marc Gabouty

L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, de la proposition de loi visant à garantir l’efficacité des aides personnelles au logement, présentée par Mme Cécile Cukierman et plusieurs de ses collègues (proposition n° 372 rectifiée, texte de la commission n° 470, rapport n° 469).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Cécile Cukierman, auteure de la proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Cécile Cukierman

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon groupe a fait le choix d’inscrire dans le cadre de sa niche parlementaire une proposition de loi déposée avant la crise du Covid-19, mais dont l’actualité nous semble encore plus prégnante en ces circonstances.

En effet, alors que notre pays traverse une grave pandémie, que la baisse d’activité liée au confinement va se traduire très directement par des difficultés accrues pour nos concitoyens, il nous a semblé utile d’assurer un soutien solide aux ménages concernant un poste de dépenses très lourd dans leur budget : les charges de loyer.

Malgré les dispositifs de chômage partiel mis en place, de nombreux allocataires des aides au logement affrontent une baisse, voire une suppression de leur revenu.

Le confinement a représenté une charge financière supplémentaire : hausse des dépenses alimentaires, utilisation plus importante d’eau et d’électricité, notamment.

Selon une note de l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES), plus de 2, 5 millions de ménages de locataires ou d’accédants à la propriété, soit un tiers des actifs, ont été touchés. C’est considérable.

Face à cette situation inédite, le Gouvernement a commencé à agir : report de la trêve hivernale à la fin de l’état d’urgence sanitaire, mise en place d’une aide aux ménages attributaires des minima sociaux, ainsi qu’une hausse de l’aide personnalisée au logement de 100 euros par enfant. Ces actions ponctuelles sont nécessaires, mais insuffisantes sur le long terme.

Nous soutenons ainsi les propositions formulées par les associations de création d’un fonds spécifique pour aider durablement les locataires.

Pour autant, et sur un temps plus long, il nous semble utile – c’est ce que nous souhaitons engager avec ce texte – de revenir sur toutes les décisions prises qui ont conduit à raboter les aides au logement.

L’adoption de cette proposition de loi dès le stade de son examen en commission – j’en remercie mes collègues, ainsi que Mme la rapporteur – envoie un signe clair du Sénat, un signal transpartisan, constructif et positif en faveur d’une priorité donnée à la préservation des aides au logement, qui sont un outil majeur d’égalité et de solidarité pour nos concitoyens.

Trop d’économies ont été réalisées sur ce poste de dépenses, pourtant vital pour nombre de familles.

Alors que la question du logement est aujourd’hui fondatrice et structurante, le Gouvernement a fait le choix depuis le début du quinquennat de la considérer uniquement comme un produit marchand, asséchant par là même tous les amortisseurs de crise que sont les aides à la personne et les aides à la pierre. Un choix très « ancien monde », si vous me permettez l’expression, monsieur le ministre, l’aboutissement d’une logique libérale appliquée à un bien essentiel.

L’habitat est une question politique majeure. Le confinement l’a démontré avec acuité : le logement est l’une des cellules de base indispensables à l’individu.

De sa qualité, de sa taille, de sa configuration dans son environnement, de sa proximité avec les services publics dépendront pour beaucoup la qualité de vie de ses occupants, leur capacité à faire société.

Le droit au logement est consubstantiel à la notion même de dignité humaine et il est reconnu comme un droit à valeur constitutionnelle, garanti par les textes fondamentaux de la République et considéré comme tel par la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Nous ne pouvons donc accepter cette politique du rabot qui a frappé ces aides directes à la solvabilisation des ménages, aides qui bénéficient pourtant à 6, 5 millions de personnes.

Le Président de la République a donné le ton dès les premiers mois de son mandat présidentiel, faisant le choix de la provocation sociale par une baisse systématique de 5 euros des aides personnelles au logement, ou APL, un choix déconnecté des réalités sociales de notre pays et qui a nourri la colère.

Cette mesure est apparue particulièrement injuste au moment même où était supprimé l’impôt sur la fortune : 32 millions d’euros économisés sur les Français les plus fragiles et 3, 2 milliards d’euros redonnés à ceux qui possèdent déjà tout !

À ce titre, la crise que nous traversons a permis de revoir cette échelle de valeurs, afin de définir qui sont réellement les premiers de cordée dans notre pays.

Ce retour à l’intérêt commun doit nous conduire en cohérence aujourd’hui à effectuer d’autres choix budgétaires, notamment en faveur des employés et des ouvriers, qui représentent 70 % des bénéficiaires des APL : supprimer les niches fiscales inutiles et remettre l’argent là où il est utile pour soutenir le mouvement HLM, permettant ainsi de disposer de logements abordables et d’épauler nos concitoyens pour garantir le maintien dans le logement et l’accès à ce droit essentiel.

L’émoi suscité par cette mesure a conduit à la création du collectif Vive l’APL, rassemblant plus de 70 organisations de défense des locataires et mal-logés, d’étudiants, de syndicats et de bailleurs sociaux réclamant le retrait de celle-ci.

Depuis a également été créé le Collectif des associations unies regroupant de nombreuses associations œuvrant dans le secteur social, qui demande notamment de renoncer à toutes les économies réalisées depuis 2017 sur ces aides.

Pourtant, le Président de la République s’obstine encore à justifier la réduction de cette aide fondamentale pour nombre de familles, avec un mépris coutumier pour « les gens qui pensent que […] le summum de la lutte, c’est les 50 euros d’APL » et qui ont tant besoin « du pognon de dingue » des aides sociales. Il affirmait aussi ne plus vouloir qu’aucune personne ne soit demain à la rue. Une stratégie du « en même temps » qui ne convainc pas.

Cette défense des APL n’est pas une lubie ou un totem ; c’est la reconnaissance de leur utilité, de leur capacité à jouer les amortisseurs de crise. Il s’agit en effet de l’un des principaux instruments anti-pauvreté dans notre pays.

Ce gouvernement, plus que tous les autres, n’a eu de cesse de les attaquer. On note un désengagement de l’État de l’ordre de 7 milliards d’euros sur les aides au logement depuis le début du quinquennat.

L’ensemble des politiques publiques du logement ont été largement malmenées : extinction progressive des aides à la pierre financées par l’État, disparition de l’aide aux maires bâtisseurs, mise à mal du modèle social des bailleurs HLM, notamment par l’instauration de la réduction de loyer de solidarité, baisse des APL en 2017, absence de revalorisation en 2018, et, enfin, revalorisation en deçà de l’inflation pour 2019 et 2020.

Parallèlement, l’APL accession a été supprimée. Dans le cadre de la loi de finances pour 2020, le niveau de revalorisation des APL a également été limité à 0, 3 %, en deçà de l’inflation et de l’indice de référence des loyers (IRL).

Selon la réforme engagée par la loi de finances pour 2019 et par la loi de financement de la sécurité sociale, les aides personnelles au logement doivent faire l’objet d’une réforme de leur mode de calcul liée à la contemporanéité de la prise en compte des ressources.

D’après les chiffres dont nous disposons, cette réforme pourrait entraîner une baisse du montant de ces aides pour 1, 2 million d’allocataires, en particulier des jeunes actifs, sur un total de 6, 5 millions de bénéficiaires. Et 600 000 allocataires verraient leur prestation purement et simplement supprimée.

Nous n’avons eu de cesse de vous alerter sur ces conséquences, et il aura donc fallu la crise du Covid-19 pour que vous en admettiez, sans le dire, la nocivité.

La crise sanitaire a conduit à repousser une fois de plus cette réforme, déjà reportée de juillet 2019 au 1er janvier 2020, puis au 1er avril 2020. Tirez-en pleinement les conséquences, et abandonnez-la définitivement, comme cela est demandé, monsieur le ministre.

Nous proposons donc par le biais du présent texte de changer le curseur et de remettre au cœur de la définition des aides au logement l’intérêt des allocataires.

D’autres mesures du domaine réglementaire doivent d’ailleurs être engagées par le Gouvernement, notamment concernant la réforme de la contemporanéité ou la suppression de la baisse de 5 euros, sur laquelle il faudrait revenir.

De manière précise, et parce qu’ici nous faisons la loi, nous demandons, par l’article 1er de cette proposition de loi, la suppression du délai de carence d’un mois pour le versement des aides personnelles au logement. À l’heure où la crise risque d’accroître le nombre de nouveaux allocataires, il convient en effet de ne pas ajouter, par l’instauration d’un mois de carence, des difficultés aux difficultés, risquant d’entraîner des familles dans la spirale des dettes locatives et in fine des expulsions locatives.

Par l’article 2, nous demandons la suppression de l’application d’un seuil de non-versement, aujourd’hui fixé à 10 euros. Nous avons conscience des réserves sur cet article et nous y reviendrons au cours du débat.

L’article 3 initialement proposé visait à créer une présomption de bonne foi lorsque la baisse des ressources est liée à la crise sanitaire pour le maintien des APL. Il a été supprimé en commission au motif qu’il était redondant avec le droit existant. Nous partageons cet avis et en prenons acte.

L’article 4 permet, quant à lui, de revenir sur la désindexation des APL opérée par l’article 200 du projet de loi de finances pour 2020. Comme en 2019, celles-ci ne sont revalorisées que de 0, 3 % en 2020 quand l’inflation est estimée à 1 % – une économie évaluée à 200 millions d’euros.

L’article 5, enfin, constitue le gage financier.

Mes chers collègues, nous remercions la commission de nous avoir suivis en adoptant cette proposition de loi. Nous espérons maintenant que la séance sera l’occasion de mener ce beau débat sur les conditions d’un droit fondamental pour nos concitoyens, celui d’avoir un toit, et de ses modalités de mise en œuvre, qui passent par un soutien aux aides personnelles au logement.

Il faudra, parallèlement à ce rehaussement des APL, bâtir dans notre pays un plan de relance de l’offre de production sociale et de régulation des loyers privés. Il s’agit, en effet, du meilleur levier pour faire baisser le niveau de charge que représentent pour l’État ces aides.

La lutte contre le logement cher et le mal-logement doit ainsi devenir prioritaire par rapport aux économies de bout de chandelle réalisées sur le dos d’un trop grand nombre de nos concitoyens, et, parmi eux, de tous ceux qui ont été le plus souvent en première ligne lors de cette crise sanitaire.

Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR. – M. Henri Cabanel applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Estrosi Sassone

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux vous expliquer pourquoi, à une très large majorité, la commission des affaires économiques a décidé d’apporter son soutien aux deux mesures principales de cette proposition de loi visant à garantir l’efficacité des aides personnelles au logement : la suppression du mois de carence et la réindexation des APL sur l’indice de référence des loyers.

Nous sommes – à une large majorité dans cet hémicycle – en désaccord avec une politique conduite au détriment des plus modestes qui affaiblit le mouvement HLM. En effet, en 2017, le Gouvernement a décidé, de manière délibérée et brutale, de réaliser des économies sur les aides au logement pour réduire le déficit budgétaire et permettre à la France de sortir de la procédure pour déficit excessif.

Monsieur le ministre, votre collègue Gérald Darmanin l’a écrit noir sur blanc dans sa réponse aux observations que la Cour des comptes formule dans son rapport public annuel pour 2020.

Entre 2017 et 2020, compte tenu de la non-application de la contemporanéisation des APL pour le moment, près de 6 milliards d’euros seront économisés. Dit autrement, entre le budget de 2017 et le budget de 2020, l’État dépense 3 milliards d’euros de moins pour les APL.

Or, dans ce même rapport public, la Cour des comptes souligne combien cette politique de baisse uniforme des APL, quelle que soit la situation du foyer, suscite des interrogations en termes d’équité. Elle relève aussi qu’elle a mis à mal la confiance entre le Gouvernement et le mouvement HLM et nui à la capacité des acteurs de se projeter dans l’avenir.

Rappelons quelques données. Les APL représentent près de 40 % des moyens financiers de la politique du logement, soit environ 17 milliards d’euros en 2018 et en 2019. De fait, 20 % des ménages français – les plus fragiles – touchent les APL, soit 6, 6 millions.

Les APL sont l’une des principales mesures de redistribution en leur faveur. Elles représentent un tiers de l’effort de la Nation pour les ménages du premier décile de niveau de vie, qui constituent 75 % des bénéficiaires.

Baisser les APL ou ne pas les revaloriser correctement, comme l’a fait le Gouvernement, c’est frapper le portefeuille et le pouvoir d’achat des moins favorisés. C’est aussi accroître les inégalités en réduisant la redistribution.

Cette politique de réduction des aides au logement est également – nous le constatons – une politique d’affaiblissement du logement social. La réduction de loyer de solidarité (RLS) qui a été imposée représente une ponction de 1, 3 milliard d’euros en 2020.

L’ensemble des opérateurs ont été durablement déstabilisés. La capacité des bailleurs à investir, c’est-à-dire à construire de nouveaux logements, a été amputée. D’ailleurs, dans la crise que nous traversons, c’est moins de trésorerie que de fonds propres que vont manquer les bailleurs sociaux.

Monsieur le ministre, notre pays va devoir affronter une crise du logement très importante puisque ce sont sans doute près de 100 000 constructions qui ne seront pas réalisées cette année en raison de l’arrêt des chantiers pendant le confinement. Ne serait-il pas temps de se rendre compte que les économies effectuées ces dernières années sont aujourd’hui un handicap pour organiser la relance et soutenir les locataires en difficulté ?

En 2008 et en 2009, les bailleurs sociaux avaient pu acheter un grand nombre de programmes en vente en l’état futur d’achèvement (VEFA). Sont-ils encore en capacité de le faire ?

Concernant l’aide aux locataires face aux impayés, vous vous souviendrez, monsieur le ministre, que la présidente Sophie Primas, ma collègue Annie Guillemot et moi-même vous avons écrit pour soutenir la proposition de la Fondation Abbé-Pierre de créer un fonds d’aide à la quittance doté de 200 millions d’euros. C’est moitié moins que l’économie réalisée chaque année par la réduction de 5 euros des APL, moins que leur gel en 2018, moins que leur non-revalorisation en 2019 et en 2020.

Pour ma part, comme je l’ai dit à plusieurs reprises à cette tribune, je suis convaincue qu’il faut redonner de l’air aux bailleurs sociaux. La question d’un moratoire de la RLS ou d’une mesure équivalente doit être envisagée. Je crois également à la nécessité du rétablissement de l’APL accession, qui est une mesure peu coûteuse et efficace pour soutenir l’accession sociale à la propriété. Peut-être nous indiquerez-vous, monsieur le ministre, les intentions du Gouvernement dans le cadre du futur plan de relance.

Mes chers collègues, après avoir rappelé les motivations de fond de la commission en faveur d’une politique ambitieuse du logement pour tous les Français – nous y reviendrons grâce à la cellule de suivi constituée avec Annie Guillemot –, je voudrais expliciter la position de la commission sur les différentes dispositions de la proposition de loi.

La commission vous propose, tout d’abord, de supprimer le mois de carence de versement des APL lors de leur première demande. Il convient de rappeler que ce mois de carence est plus une mesure budgétaire qu’une mesure de gestion. Il a été instauré par la loi de finances pour 1995, sachant qu’il s’applique aux prestations familiales depuis 1983. Mais, en réalité, il existe déjà de nombreuses exceptions.

Il ne s’applique qu’aux premières demandes, pour le premier mois d’ouverture des droits, et non si les droits sont acquis depuis plus longtemps, mais n’ont pas fait l’objet d’une requête.

Par ailleurs, il ne s’applique pas aux personnes hébergées qui accèdent à un logement, à celles qui quittent un logement frappé d’insalubrité, à celles qui sont logées en foyer – jeunes travailleurs et travailleurs migrants – et aux bénéficiaires des minima sociaux.

Vos services, monsieur le ministre, nous ont indiqué que le coût de cette mesure serait de l’ordre de 250 millions d’euros en année pleine, 1, 2 million de nouvelles demandes étant enregistrées chaque année.

J’estime cependant que, compte tenu des exceptions déjà existantes, cette mesure apportera plus de lisibilité – d’ailleurs, la Mutualité sociale agricole (MSA) demande depuis 2002 la suppression de ce mois de carence ; que son coût doit être rapporté aux économies réalisées ces dernières années au détriment des populations les plus fragiles qui bénéficient des APL ; enfin, que, dans le contexte actuel où il est malheureusement à craindre que de nombreux Français ne deviennent éligibles à cette aide, il serait alors incompréhensible de réaliser une économie à leur détriment.

La commission vous propose d’approuver une seconde disposition, prévue à l’article 4 de la proposition de loi : le retour à l’indexation des APL sur l’IRL.

Comme je l’ai rappelé, après avoir réduit les APL de 5 euros à l’été 2017, le Gouvernement a pris des mesures plus discrètes conduisant à leur érosion par rapport à l’inflation ou à l’évolution des loyers : leur gel ou leur sous-revalorisation.

C’est ce qui a été décidé en loi de finances pour l’année 2020 – mesure que nous avons dénoncée – en limitant la revalorisation à 0, 3 % plutôt que d’appliquer ce qui est prévu par le code de la construction et de l’habitation, c’est-à-dire de se baser sur l’IRL, qui aurait conduit à une hausse de l’ordre de 1, 5 %, mesure dont le coût aurait été de 171 millions d’euros selon les chiffres qui m’ont été communiqués.

Il s’agit là d’une demande forte des associations de locataires et de l’ensemble du monde HLM. Nous la soutenons, estimant qu’il s’agit d’une mesure de justice.

En revanche, la commission, dans sa majorité, n’approuve pas la suppression du seuil de non-versement, qui est actuellement fixé à 10 euros par mois. L’argument selon lequel le vrai seuil devrait être celui de l’éligibilité et non un montant minimal de versement est naturellement compréhensible, mais il s’agit en l’espèce d’une mesure de bonne gestion.

Ce seuil touche actuellement 17 000 ménages pour un montant total de 1 million d’euros et des APL moyennes de 60 euros par an, alors que le coût de gestion et d’instruction d’une demande serait de l’ordre de 80 à 90 euros selon la Cour des comptes.

Par ailleurs, il faut le rappeler, en 2017 et en 2018, pour atténuer les effets indésirables de la baisse de 5 euros des APL, ce seuil avait été abaissé de 15 à 10 euros, voire complètement supprimé lorsque la RLS pouvait avoir un effet aggravant.

Enfin, on pourrait craindre que le versement d’une aide très faible, même si son versement était annualisé, ne paraisse finalement indécent à certaines familles.

Ce sont les raisons qui nous ont conduits à présenter un amendement de suppression de l’article 2.

En résumé, la commission souhaite promouvoir une politique du logement juste et ambitieuse, tenant compte des difficultés des locataires, tant dans le parc social que dans le parc privé, et des bailleurs dans le cadre de la crise sanitaire et économique que traverse actuellement notre pays. C’est pourquoi elle vous propose de supprimer le mois de carence et de revenir à une meilleure revalorisation des APL.

Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, SOCR et CRCE.

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l’examen aujourd’hui de cette proposition de loi visant à garantir l’efficacité des aides personnelles au logement déposée par le groupe CRCE est évidemment essentiel.

Cet examen est d’autant plus important dans la période que nous venons et que nous continuons de traverser, laquelle a montré à quel point l’habitat est une question cruciale, centrale, malheureusement encore beaucoup trop vectrice d’inégalités sociales.

C’est aussi, comme vous l’avez mentionné, madame la sénatrice, une question de dignité pour beaucoup de nos concitoyens. Notre rôle à tous, en tant que responsables politiques à l’échelon national ou local, est de tout faire pour accompagner les trop nombreuses personnes qui souffrent dans leur logement.

Je veux profiter de l’examen de cette proposition de loi pour partager avec vous plusieurs convictions, même si je ne suis pas d’accord avec un certain nombre de propositions formulées.

D’abord, je le dis de manière très précise, j’estime que nous avons une vision commune – vous l’avez rappelé, madame la sénatrice – de la politique à mener en matière de logement. La question est donc la suivante : quels sont les chemins pour aboutir à cette politique du logement ?

Je l’ai toujours affirmé – il ne s’agit pas d’un discours d’estrade puisque vous m’avez entendu le dire à de multiples reprises –, il existe pour moi deux priorités en matière de logement.

La première priorité est la réhabilitation et la rénovation des logements pour lutter contre l’habitat insalubre. Je pense à tout ce qui a été fait dans cet hémicycle, que ce soit dans le cadre de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi ÉLAN, ou des travaux qui ont eu lieu à la suite du drame qu’a connu la ville de Marseille, mais ce n’est pas le débat du jour…

La seconde priorité, que vous avez rappelée dans vos propos, madame la sénatrice, madame la rapporteure, est la question de la production de logements abordables. Aujourd’hui, notre défi à tous est de produire certes plus de logements, mais aussi plus de logements abordables. En effet, beaucoup de nos concitoyens voient leur « taux d’effort » augmenter sans cesse. Parfois, 40 % à 50 % de leur revenu sont consacrés au paiement du loyer. Notre objectif politique est donc très clair : il faut mettre toute notre énergie à produire plus de logements abordables.

Bien évidemment, et c’est le principe de la démocratie, nous pouvons ne pas être d’accord sur les voies à emprunter pour atteindre cet objectif. Quoi qu’il en soit, je crois vraiment que nous partageons la même ambition.

À ce titre, le logement social est un trésor du modèle social français. Ce modèle social, quoi qu’on en dise – nous y reviendrons assurément au cours du débat –, doit selon moi absolument être préservé. C’est pourquoi je m’inscris totalement en faux avec l’exposé des motifs de cette proposition de loi, qui affirme que le gouvernement auquel j’appartiens, voire le ministre que je suis, défendrait la financiarisation et la privatisation du logement social !

Je vous rappelle que, notamment dans le cadre de la loi ÉLAN, je me suis battu avec beaucoup de force, plus à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, je dois l’admettre, contre les positions défendues par les représentants de partis politiques très largement représentés dans cet hémicycle. Il a, par exemple, été proposé d’ouvrir le capital d’un certain nombre de bailleurs sociaux à des financeurs privés et de casser le modèle limitant le financement du capital dans le logement social. Je m’y suis toujours opposé avec force et avec beaucoup de conviction, car le modèle du logement social français doit, selon moi, perdurer tel qu’il existe.

Ma deuxième conviction sur le modèle français du logement social est que beaucoup de réformes ont été réalisées depuis trois ans. Certains les critiqueront, c’est le principe de la démocratie, mais je me félicite de toute la dynamique des regroupements qui a été largement débattue ici pendant la Conférence de consensus sur le logement. Je salue d’ailleurs le travail réalisé à cette occasion par le président Gérard Larcher et par Jacques Mézard. Ces regroupements de bailleurs sociaux sont effectifs et fonctionnent bien.

Je me réjouis aussi des décisions stratégiques qui ont été prises dans le cadre de la loi ÉLAN s’agissant du monopole bancaire, ainsi que de l’étendue des missions données aux bailleurs sociaux. Que de débats n’avons-nous eus sur le fameux titre III de la loi relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée, dite loi MOP !

Je pense aussi à la question des titres participatifs pour lesquels Mme la rapporteure est extrêmement engagée avec d’autres représentants du monde HLM. Les titres participatifs représentent aujourd’hui près de 900 millions d’euros. L’un des représentants d’une famille d’office d’HLM, pour ne pas le cacher, me disait encore dernièrement au téléphone : si nous avions voulu élaborer un dispositif de soutien pendant la crise financière, nous n’aurions pas fait mieux que les titres participatifs ! Ces derniers, comme l’a rappelé Mme la rapporteure, relèvent plus d’un sujet de fonds propre que d’un sujet de trésorerie, qui est l’enjeu du moment.

Mais d’autres fois, madame la sénatrice, on est allé trop loin, comme je l’ai reconnu avec beaucoup d’humilité. Je pense, par exemple, au dispositif de réduction de loyer de solidarité, la RLS. La mise en place d’une clause de revoyure en avril dernier nous a permis de tomber d’accord avec l’ensemble des familles d’HLM.

Aujourd’hui, les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2019, avec les familles de bailleurs sociaux, nous nous étions fixé le lancement de 110 000 constructions. À l’époque, nous en étions à 109 000. Cette même année, la part des prêts locatifs aidés d’intégration (PLAI) concernait pratiquement 34 000 logements – les logements les plus sociaux – contre 33 342 en 2018. Il s’agissait de la troisième meilleure année depuis le début des années 2000. C’était là aussi un objectif que nous nous étions fixé, d’autant plus important qu’il concerne les logements les plus abordables parmi les logements sociaux.

Les chiffres ont été publiés il y a quelques jours : sur les trois mois précédant le début du confinement, nous avons enregistré une augmentation significative de la dynamique du logement de manière globale, avec une hausse de 10 % des autorisations d’urbanisme. Cette dynamique s’est confirmée sur l’ensemble de l’année 2019 : après de nombreux mois et de nombreuses années de difficultés dans le domaine du logement, la reprise était là !

Au-delà du logement social, d’autres mesures ont été prises. Je pense à l’encadrement des loyers, qui n’a pas été évoqué, mais qui a fait l’objet de longs débats dans cette enceinte. Je pense aussi au formidable dispositif des organismes de foncier solidaire cher à Marie-Noëlle Lienemann avec qui je me suis rendu à Espelette. J’ai d’ailleurs constaté avec beaucoup de satisfaction que la Mairie de Paris a décidé de copier ce qui se fait à Espelette. J’appuie avec force de telles initiatives depuis de nombreuses années, conformément aux positions que le ministre de l’économie de l’époque, Emmanuel Macron, et moi-même avions défendues dans cet hémicycle lors de l’examen de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite loi Macron.

Outre la question du logement abordable, se pose également le problème de l’appui social pour les personnes les plus pauvres et les plus fragiles. La question des APL, madame la sénatrice, est directement abordée dans votre proposition de loi. Mais ce n’est pas le seul souci, comme vous l’avez souligné, puisqu’elle pose, par exemple, le problème des personnes les plus démunies, à savoir les sans-abri.

Songez qu’hier soir, madame la sénatrice, 180 000 personnes – je dis bien 180 000 personnes ! – ont été accueillies dans les dispositifs de mise à l’abri. Pendant la période de confinement, nous avons ouvert 22 000 places supplémentaires qui permettent d’atteindre ces 180 000 places en réquisitionnant, notamment, bon nombre de chambres d’hôtel.

Sur la question des APL, j’ai plusieurs convictions.

Premièrement, les APL ne sont pas un minima social, mais sont une aide, très importante, distribuée à 6, 5 millions de personnes. Madame la rapporteure, le revenu universel d’activité (RUA) n’est pas que le regroupement des minima sociaux : c’est le filet de sécurité. C’est un point important.

Deuxièmement, je fais partie de ceux qui pensent, contrairement à ce que prétendent de nombreuses études, que les APL n’ont pas d’effet inflationniste, excepté peut-être sur les surfaces de petite taille. L’argument du caractère inflationniste ne doit donc pas servir à remettre en cause les APL.

Troisièmement, les APL ne doivent surtout pas nous faire oublier que notre objectif est de produire du logement abordable et pas uniquement de subventionner les loyers parce que, in fine, nous n’aurions pas été capables de produire du logement abordable. L’un et l’autre sont nécessaires et sont les deux piliers des politiques à avoir en la matière, il est très important de le souligner de nouveau.

Quatrièmement, le public éligible aux APL doit être particulièrement soutenu. Je me suis beaucoup battu pour que les familles bénéficiant des APL puissent être également éligibles à l’aide exceptionnelle de solidarité que nous avons versée le 15 mai dernier. Au total, 4 millions de familles, dont 5 millions d’enfants, en ont bénéficié.

De la même manière, des erreurs ont été commises en ce qui concerne les APL. Je pense à la réduction de 5 euros : c’était une mauvaise décision, il faut le reconnaître, je l’ai déjà admis et je le redis bien volontiers devant vous. Mais surtout, nous avons laissé se mettre en place depuis de nombreuses années un système extrêmement complexe. Je ne sais pas si l’un d’entre vous a déjà examiné le tableau des APL, mais il faut un doctorat en Excel pour le comprendre !

Le plus scandaleux est que les APL aujourd’hui se calculent en fonction des revenus perçus il y a deux ans. C’est la fameuse question de la contemporanéité des APL. On m’explique par A plus B que certains facteurs permettent de réduire et de compenser cela, mais c’est précisément ce qui rend le système extraordinairement complexe et fait d’énormes trous dans la raquette ! Il importe donc – c’est ce que nous avons fait – de régler le problème à la racine et de faire en sorte que les APL soient calculées en temps réel.

Je le dis de manière très ferme : cette réforme est aujourd’hui prête, même si nous l’avons décalée. Nous ne l’avons pas lancée le 1er avril, comme c’était initialement prévu : pourquoi ? Tout simplement parce que les personnes chargées de la mettre en œuvre sur le terrain sont les employés des caisses d’allocations familiales (CAF).

Je devais appuyer sur le bouton le 10 mars pour lancer la réforme au 1er avril : je vous laisse vous remémorer la situation de notre pays à cette date ! Or ce sont les personnes qui géraient par exemple les aides sociales que j’évoquais ainsi que tout l’accompagnement de nos concitoyens durant la crise qui devaient aussi mettre en œuvre la réforme. Les caisses d’allocations familiales ont été extrêmement sollicitées pendant cette période, il n’était pas raisonnable de leur en demander davantage.

C’est pourquoi nous avons pris un décret repoussant jusqu’à la fin de cette année la mise en œuvre de la réforme. Mon objectif est aujourd’hui la mettre en place le plus rapidement possible, sans attendre la fin de l’année.

Cette réforme est d’autant plus importante aujourd’hui. Elle a été présentée, je l’ai souligné à plusieurs reprises, sous un prisme budgétaire, mais ce n’est pas juste. Car vouloir faire en sorte que les allocations soient versées en fonction des ressources actuelles est avant tout une réforme politique. Je l’ai précisé dans cet hémicycle en réponse à plusieurs questions d’actualité au Gouvernement : s’il y avait un retournement de cycle, ce que personne n’espère, cette réforme deviendrait coûteuse.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

Mais c’est ce que nous sommes en train de vivre ! Vous ne l’appliquerez pas !

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie

Je n’ose même pas vous répondre ! Madame Lienemann, nous nous connaissons suffisamment : vous savez très bien que ce ne sera pas le cas ! Cette réforme sera appliquée avant la fin de l’année, l’objectif étant de la mettre en œuvre dès cet automne. Elle est prête, il n’y a plus qu’à appuyer sur le bouton. Elle est d’autant plus nécessaire que nos concitoyens, les Français qui se retrouvent dans la difficulté aujourd’hui, pourront, grâce à elle, bénéficier du montant d’aide correspondant aux difficultés qu’ils traversent.

Enfin, pour terminer, je ne suis pas d’accord avec l’article 1er de la proposition de loi. Des dérogations existent déjà sur le délai de carence, comme Mme la rapporteure l’a souligné. Je n’entrerai donc pas dans le détail.

En ce qui concerne l’article 2, qui vise à revenir sur l’application d’un seuil de non-versement aujourd’hui fixé à 10 euros, je partage l’avis de Mme la rapporteure, qui a déposé un amendement de suppression.

L’article 3 a été supprimé par la commission. Je crois que le groupe CRCE en a compris la raison.

Quant à l’article 4, qui tend à revenir sur les mesures de limitation de revalorisation des barèmes, vous ne serez pas étonnés que je renvoie ce débat au projet de loi de finances.

Debut de section - PermalienPhoto de Franck Menonville

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui comporte des mesures visant à améliorer le régime des aides au logement. Ces dispositions sont importantes, car elles sont porteuses de justice sociale et d’équité. Elles sont d’autant plus nécessaires qu’elles interviennent dans un contexte de début de crise économique et sociale.

La pandémie et les mesures prises pour l’endiguer ont eu de graves effets sur notre économie, mais aussi sur celles de nos voisins et partenaires économiques. L’économie française va faire face à une récession jugée historique il y a quelques jours par le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire.

Avec une contraction de 11 % du PIB en 2020, ainsi qu’un déficit public d’au moins 9 % et une dette publique aux alentours de 115 %, la crise économique qui est devant nous aura malheureusement des conséquences fortes sur les ménages. Or le logement demeure l’un des premiers postes de dépenses des Français. C’est donc notamment dans ce domaine qu’il faut apporter un soutien aux plus fragiles de nos concitoyens.

Au-delà de son caractère social, la politique du logement est également un outil majeur de relance économique. Elle apporte un soutien actif au secteur du bâtiment et à de nombreux corps de métier. Certains bailleurs sociaux qui maillent nos territoires sont déjà très vulnérables ; ils le seront encore davantage en cas de crise. Ils sont des acteurs importants de l’aménagement de nos territoires. Il faut donc soutenir leur capacité d’intervention, d’investissement et de rénovation.

Les aides au logement sont un pilier ancien et essentiel de la politique sociale française. Elles sont inscrites dans le paysage français depuis 1948. En 2018, ce sont 17 milliards d’euros qui étaient versés à un peu plus de 6 millions de bénéficiaires. Il importe donc de ne pas faire de petites économies sur les aides sociales au logement, car elles sont souvent lourdes de conséquences.

La proposition de loi que nous examinons comportait deux mesures qui ont été supprimées en commission.

Il s’agissait, en premier lieu, de la suppression du seuil de non-versement de l’APL fixé à 10 euros. Même si j’approuve son objectif, qui est à première vue louable, cette disposition doit toutefois être confrontée à un principe de réalité et de bonne gestion des fonds publics, notamment au regard du coût de gestion qui est supérieur à l’aide versée. Je partage donc pleinement l’avis de la commission et de Mme la rapporteure.

Il s’agissait, en second lieu, de maintenir le versement de l’APL en cas de loyers impayés. La commission a heureusement supprimé cette disposition, qui vidait de sa substance le principe même d’une aide au logement. Si le loyer n’est pas payé, comment pourrait-on justifier le versement d’une telle aide, qui vise à couvrir partiellement le paiement du loyer ? Je suis conscient de la nécessité d’appréhender les difficultés de paiement des loyers pour certains foyers en ces temps à venir, mais une telle mesure ne me semble pas opportune.

Outre ces suppressions pertinentes, la commission a approuvé deux mesures auxquelles je souscris totalement.

Le versement de l’APL pour le premier mois de loyer me semble tout à fait justifié : si l’aide est due, elle doit être payée dès que les conditions sont remplies. C’est là aussi une question de justice et d’équité.

Je suis également favorable au rétablissement de l’indexation de l’APL sur l’indice de révision des loyers. Pour garder toute son efficacité, le montant de cette aide doit être réactualisé régulièrement. C’est là aussi un enjeu d’équité, car cette non-indexation conduit inexorablement à voir s’éroder le montant relatif de l’APL, alors même que les loyers, eux, peuvent faire l’objet d’une indexation.

Nous avons fait face ensemble à la crise sanitaire. Pour tenir face à la crise économique, nous avons besoin de soutenir les entreprises, bien évidemment, mais aussi les ménages, car ils sont un des moteurs importants de la consommation et donc de la croissance.

Dans ce sens, l’APL accession était un dispositif utile dont je regrette la disparition. Il permettait aux ménages les plus modestes d’accéder plus facilement à la propriété. Les différentes composantes de notre société sont interdépendantes ; il importe de n’en négliger aucune.

Cette proposition de loi ne suffira pas à régler toutes les difficultés, mais elle contribuera utilement à préserver la situation des plus fragiles de nos concitoyens et permettra un certain nombre d’ajustements du dispositif des aides au logement. Nous voterons donc le texte tel qu’il a été amendé par la commission et sur proposition de Mme la rapporteure.

Debut de section - PermalienPhoto de Valérie Létard

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer le groupe CRCE et Mme Cécile Cukierman, qui nous donnent l’occasion d’avoir ce débat bienvenu en ce moment particulier.

Le logement, et encore plus le logement pour les plus modestes, doit constituer une préoccupation de chaque instant pour les responsables politiques que nous sommes, que l’on se trouve à l’échelon local, en particulier dans les communes et les intercommunalités, ou au plus haut sommet du Gouvernement. Vous êtes, bien évidemment, monsieur le ministre, un des plus concernés par cette question !

La période de confinement que nous venons de traverser nous a démontré, une fois de plus, si c’était nécessaire, à quel point le logement, d’une part, pouvait être source d’inégalités sociales et, d’autre part, constituait un élément essentiel du bien-vivre, voire peut-être demain du bien-travailler.

Je l’ai rappelé en commission, sans logement, on ne peut construire sa vie, sa famille, son travail, sa santé. C’est le cœur, le nid, comme le dit Jean-Louis Borloo !

Différentes problématiques me semblent essentielles à aborder dans nos réflexions actuelles et à venir.

Tout d’abord, le rôle des offices d’HLM dans la création et l’amélioration du logement pour les ménages les plus en difficulté est essentiel.

Malheureusement, les précédents projets de loi de finances, comme l’a rappelé la rapporteur, et certaines mesures de la loi ÉLAN produisent les effets attendus. Beaucoup d’organismes peinent aujourd’hui à construire et à rénover leur parc de logements sociaux.

L’impact de la RLS, concomitante à la diminution de la contribution de l’État aux APL de 3 milliards d’euros depuis trois ans, a contribué tout autant à remettre en cause le modèle économique des bailleurs sociaux qu’à fragiliser certains ménages en difficulté.

Cette équation budgétaire imposée complique fortement l’atteinte des objectifs assignés au secteur du logement social, qu’il s’agisse de l’engagement de poursuivre la construction neuve ou de l’accroissement de 25 % des rénovations.

La vente d’appartements n’est évidemment pas au rendez-vous pour créer de la trésorerie ainsi que vous l’aviez imaginé. On peut craindre que la crise, qui ne fait que commencer, n’améliore pas la situation.

Par ailleurs, comme je l’avais souligné précédemment, on peut légitimement s’interroger sur l’intérêt de vendre des logements locatifs sociaux pour construire d’autres logements locatifs sociaux quand on sait que ce ne sont que très rarement les occupants qui les achètent…

La crise sanitaire dérive aujourd’hui en crise économique et dérivera demain en crise sociale. Cette situation signifie que nous devons protéger et aider ceux qui vont le plus souffrir. Je le rappelais, les questions de logement constituent l’un des principaux freins au retour à l’emploi.

La nécessité de construire plus et mieux, partout en France, est donc importante. Cela doit se faire aussi dans le cadre d’une politique de la ville transversale et puissante. Les ruptures sociales se creusent toujours en période de crise. Nous devrons faire attention et les anticiper.

À ce sujet, monsieur le ministre, j’en profite pour vous signaler de nombreuses remontées des territoires où l’on s’inquiète de l’échéance fixée par la loi au 31 décembre 2024, qui risque de ne pas pouvoir être respectée par les collectivités. C’est un sujet qu’il faudra examiner de près.

Le problème de la construction de logements est lié aussi aux questions d’investissement public : 70 % de l’investissement public est réalisé par les collectivités locales. Ces dernières sont donc un maillon essentiel de la commande publique et de la reprise économique dans les territoires, en particulier pour les entreprises du bâtiment. Elles ont aussi un rôle à jouer dans la construction et la rénovation de logements. Soyez vigilant à ne pas couper les capacités d’investissement des collectivités, comme vous l’avez fait pour les bailleurs sociaux dans le cadre de choix budgétaires.

Votre gouvernement appelle à faire confiance aux maires en cette période de déconfinement progressif. Étendez cette volonté à l’investissement local et aux autres élus locaux. Établissez des relations claires et franches avec tous les niveaux de collectivités. Là encore, j’appelais largement à une telle concertation lors des débats sur la loi ÉLAN.

Vos réformes étaient sans doute calibrées pour des moments où l’on navigue par beau temps. Quand la tempête est là, comme aujourd’hui, elles ne permettent pas d’amortir le choc et de maintenir le cap. Bien au contraire, elles pourraient accentuer les difficultés sociales et compliquer encore davantage l’équation du secteur du logement social. Il faudra donc, monsieur le ministre, comme le rappelait Mme la rapporteur, engager rapidement et en premier lieu le moratoire de la RLS tant attendu par les bailleurs sociaux.

J’en viens maintenant à la proposition de loi présentée par Cécile Cukierman et rapportée par Dominique Estrosi Sassone. Je tiens véritablement à saluer le travail de chacune d’entre elles. Je salue également l’initiative du groupe CRCE, qui pose ce débat essentiel et apporte des solutions concrètes et rapides.

Comme j’ai pu le souligner lors de l’examen de la proposition de loi en commission, ce texte vient à point nommé. Même s’il ne résoudra pas tous les problèmes du monde du logement en général et du logement social en particulier, même s’il n’aidera pas toutes les personnes qui ont des difficultés en fin de mois pour régler leur loyer et leurs charges, il va néanmoins dans le bon sens. Il traite des difficultés réelles et apporte, à son échelle, un peu d’oxygène aux ménages.

Cet oxygène, le Gouvernement a senti qu’il était nécessaire quand il a décidé d’allouer une prime de 150 euros aux ménages les plus modestes qui percevaient le revenu de solidarité active (RSA) ou l’allocation de solidarité spécifique (ASS), ainsi qu’une prime de 100 euros par enfant pour les mêmes ménages et pour ceux qui perçoivent l’APL.

Par ce mécanisme, vous reconnaissez indirectement, monsieur le ministre, que les minima sociaux et les aides publiques aux ménages ne suffisent pas durant cette période de crise sanitaire, mais aussi, sans doute, le reste du temps.

La proposition de loi de mes collègues du groupe CRCE peut vous permettre d’y réfléchir plus précisément. Elle contient des mesures de bon sens que nous soutenons.

La suppression du mois de carence dans la perception des APL est une mesure de justice. À l’heure où le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu est devenu possible et se justifie par sa contemporanéité, à l’heure où les APL, comme vous le souhaitez, sont versées en prenant en compte la situation réelle et immédiate des revenus des foyers, il nous semble logique de ne plus pénaliser les ménages par ce mois d’attente.

De même, la réindexation du montant des APL sur l’indice de référence des loyers permettra de suivre la réalité des évolutions économiques du pays. Elle suit la même logique : à situation donnée à l’instant t doit correspondre une aide juste et équivalente à ce même instant.

Concernant les autres articles, nous soutiendrons les positions de la commission et de Mme la rapporteur, je pense en particulier à l’amendement de suppression de l’article 2 sur le seuil de non-versement.

Pour conclure, je me réjouis que la commission ait toujours veillé à ces questions liées au logement et défendu des positions communes, qui vont bien au-delà de nos différences quand il s’agit de financer nos politiques de logements sociaux et nos ménages les plus modestes. La situation actuelle le justifie, ainsi que celle à venir.

Vous l’aurez donc compris, les sénatrices et sénateurs du groupe Union Centriste voteront en faveur de ce texte, tel qu’il ressortira de nos débats.

Applaudissements sur les travées du groupe UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Annie Guillemot

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme je l’ai rappelé hier lors du débat sur la jeunesse, je pense notamment à la jeunesse des quartiers au sujet de laquelle je suis extrêmement inquiète en ce moment, la situation sociale n’a manifestement pas été suffisamment prise en compte par le Gouvernement dans le plan de déconfinement. Il faut sans doute beaucoup plus anticiper et aider les plus fragiles à traverser la crise.

L’augmentation du chômage nécessite des mesures fortes pour empêcher de nombreux Français de basculer dans la précarité. Il y a urgence pour leur permettre de conserver leur logement – c’est l’objet du texte que nous examinons aujourd’hui – tant dans le parc public que dans le parc privé pour lequel nous avons aussi beaucoup d’inquiétudes.

Les aides personnelles au logement représentent plus de 40 % de l’effort public pour le logement. Elles réduisent la charge de logement de 7 millions de ménages locataires bénéficiaires. Or ces ménages ont subi des baisses de revenus du fait notamment du chômage partiel et de l’arrêt de travail pour de nombreuses professions. Quand on a 1 500 euros de revenus avec deux enfants et un reste à charge de 300 euros, c’est très difficile. Il n’y a qu’à voir comment la baisse de 5 euros des APL a été perçue !

Le montant des aides au logement est donc non seulement indispensable pour les soutenir, mais il ne suffira pas pour de nombreux ménages. Il faut aller plus loin et prévoir sans doute pour une période temporaire de nouvelles mesures d’aide qui permettront aux plus fragiles de surmonter leurs difficultés. Il va falloir, là aussi, faire jouer la solidarité nationale, comme beaucoup d’associations le demandent.

La crise sanitaire que nous traversons se double d’une crise économique et sociale. Le Gouvernement vient malheureusement d’annoncer une récession de plus de 11 %. Dans une étude réalisée en avril dernier, l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES) indiquait que plus d’un tiers des actifs avaient déjà vu baisser leurs revenus d’activité. Certains d’entre eux font partie des ménages devant faire face à de lourdes dépenses de logement. Plus de 4 millions de ménages sont soumis à cette double contrainte budgétaire.

Dans une étude de 2018, la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) rappelait en effet que le logement représente les deux tiers de la consommation préengagée des ménages pauvres. Il y avait déjà des soucis dans l’avant ; on est par conséquent en droit de se poser des questions pour l’après !

Le plan de sortie du confinement doit donc s’accompagner de mesures d’urgence renforcées pour éviter qu’une crise sociale durable ne s’installe. Il faut aller plus loin dans la protection des personnes. Cette urgence sociale est relayée depuis des semaines par les acteurs de la solidarité que nous avons beaucoup auditionnés avec Mme Estrosi Sassone, mais également par les bailleurs sociaux et les associations d’élus.

Le fonds de solidarité logement (FSL) est particulièrement mobilisé pour venir en aide aux ménages fragilisés, mais les locataires ayant des difficultés à payer leur loyer qui ne sont pas éligibles à ce fonds ne disposent pas d’aide spécifique. Le FSL n’est d’ailleurs pas universel puisqu’il est destiné aux personnes en grande situation de précarité sociale et est attribué selon des critères propres à chaque département.

Les bailleurs sociaux veillent attentivement à soutenir leurs locataires. Ils ont signé une charte en faveur de ceux qui ont connu des problèmes de fragilité économique durant la crise. Mais les informations manquent s’agissant du secteur privé. Dans ce contexte, la question du logement est plus que jamais prioritaire et nécessite des réponses fortes et pratiques.

Afin de répondre plus efficacement à cette situation, plusieurs sénateurs du groupe socialiste et moi-même avons déposé une proposition de loi prévoyant des mesures d’urgence, notamment l’abondement par l’État du FSL, à hauteur de 250 millions d’euros, pour l’aide d’urgence à la quittance, évoquée par Mme la rapporteur. Cette mesure s’adresserait aux locataires du parc locatif social, mais aussi du parc privé, et aux copropriétaires occupants qui ne peuvent plus payer leurs charges de copropriété.

Nous prévoyons aussi de maintenir systématiquement les aides au logement durant la période de la crise sanitaire et de permettre la suspension du paiement des annuités d’un emprunt immobilier pendant une durée maximale de douze mois. Il faut également veiller à ce que des copropriétaires occupants ne soient pas expulsés. Nous demandons, enfin, la création d’une aide de 50 millions d’euros en faveur des associations de lutte contre la pauvreté et l’exclusion.

Rappelons-le, l’État, qui est garant du droit au logement et de la solidarité nationale, a privé le logement social de près de 3 milliards d’euros, ce qui représente 6 milliards d’euros en moins sur trois ans.

Recentrage du prêt à taux zéro (PTZ) au détriment des zones rurales, baisse des APL, gouvernance de la politique du logement qui s’éloigne des territoires : ces choix politiques ont eu et ont encore des effets irrémédiables qui installent une crise durable de la construction de logements abordables, de la réhabilitation et de la rénovation urbaine, dont les effets seront encore amplifiés par la crise actuelle.

La France doit produire du logement abordable – or, nous le savons, il y aura environ 100 000 logements en moins – et soutenir les familles modestes.

Comment résorber l’habitat indigne si l’on ne peut pas reloger les familles ? Comment mettre en place la politique dite du « logement d’abord » sans offre de logements adaptée et sans financement de l’accompagnement social ? Comment demander aux maires de mettre en œuvre des politiques publiques quand ils n’en ont plus les moyens ? Comment donner confiance à notre jeunesse lorsque la précarité s’installe et que le logement devient inaccessible ?

S’agissant des aides au logement, les décisions successives du Gouvernement durant ces trois dernières années ne sont pas allées dans le bon sens : baisse de 5 euros des APL, gel de leur barème en 2018 et sous-indexation à hauteur de 0, 3 % en 2019 et 2020 – maintiendrez-vous cette mesure, monsieur le ministre ? –, suppression de l’APL accession, alors même que le précédent ministre du logement nous avait promis, dans cet hémicycle, que tel ne serait pas le cas, mise en place de la réduction de loyer de solidarité (RLS), comme l’a rappelé Mme la rapporteure.

Je n’oublie pas non plus la situation d’Action Logement, sur laquelle certains se posent beaucoup de questions, pas plus que la réforme, prévue en 2020, des modalités de prise en compte des ressources pour le calcul des aides au logement. Cette contemporanéisation ne suscite pas mon optimisme, car, de ce fait, de nombreux jeunes qui vivent chez leurs parents et allaient emménager dans un logement ne toucheront plus l’APL.

Il faut absolument revoir ces mesures. Même si elles peuvent être positives pour certains, nous ne disposons d’aucune étude d’impact. Normalement, 1, 2 million de bénéficiaires verront leur APL baisser, tandis que 600 000 personnes n’y auront plus droit.

La Cour des comptes, dont Mme la rapporteur a cité le rapport, a d’ailleurs dénoncé un manque d’anticipation dans l’exécution de la mission « Cohésion des territoires », conduisant à un écart important entre les crédits votés et les crédits exécutés, dû notamment aux quatre reports, en 2019, de la date de mise en œuvre de la réforme de l’APL – une réforme, je le rappelle, qui devait faire économiser 1, 4 milliard d’euros en année pleine.

Vous avez mis ces reports sur le compte de la CAF, monsieur le ministre… Or vous avez inscrit dans votre décret la date du 1er janvier 2021, au plus tard. À ce propos, vous m’aviez reproché, lors du débat budgétaire, d’avoir dit que le personnel de la CAF ne pourrait pas appliquer cette réforme. Vous reprenez désormais mon argument !

Je rappelle que le logement rapporte davantage à l’État qu’il ne lui coûte. En 2018, les aides au logement ont certes représenté 40 milliards d’euros, mais le secteur du logement a aussi produit 78 milliards de rentrées fiscales. Il ne faut pas l’oublier !

Le logement doit cesser d’être la variable d’ajustement du budget de l’État, même si vous nous assurez que vos choix politiques ne sont pas purement budgétaires.

Toutes ces mesures frappent de plein fouet les ménages les plus fragiles. En Île-de-France, par exemple, parmi les 700 000 ménages qui demandent un logement social, 71 % sont en deçà des plafonds de ressources.

Il est donc urgent de réorienter la politique du logement, et la question des aides au logement en est l’illustration la plus édifiante. Par conséquent, nous voterons pour cette proposition de loi déposée par Cécile Cukierman, qui traduit cette inquiétude et cette urgence.

Nous la voterons en nous souvenant de l’article 1er de la loi Besson, qui dispose : « Garantir le droit au logement constitue un devoir de solidarité pour l’ensemble de la Nation.

« Toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières, en raison notamment de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’existence, a droit à une aide de la collectivité, dans les conditions fixées par la présente loi, pour accéder à un logement décent et indépendant ou s’y maintenir […]. »

Le maintien dans le logement est extrêmement important.

La situation que nous vivons a révélé, si besoin en était, la profondeur des inégalités sociales et la fragilité des services publics. La priorité pour mon groupe demeure d’aider les plus fragiles à traverser la crise.

La situation dans les banlieues nous inquiète. C’est avant tout une question politique, au cœur de notre pacte républicain. Il faut prendre en considération les problématiques de l’emploi, du logement, mais aussi du respect – nous le voyons aujourd’hui ! –, de la lutte contre les discriminations et de l’espoir.

J’ai renouvelé, hier, la proposition que j’avais faite de donner une réponse avant le mois de septembre aux jeunes des quartiers, notamment les étudiants qui ne pourront pas s’inscrire pour la prochaine rentrée universitaire, faute de job. On peut relancer 20 000 ou 30 000 emplois aidés !

Il faudrait aussi aller chercher les décrocheurs pour les raccrocher au système scolaire. Dans les quartiers, un seul gamin sur dix est aujourd’hui scolarisé !

Vous me répondrez sans doute, comme vous avez commencé à le faire, que beaucoup a déjà été fait. C’est vrai ! Mais l’aisance de vos propos et la sûreté de vos jugements, monsieur le ministre, ne suffisent pas à me rassurer. Il faut regarder beaucoup plus loin !

Ayant été maire de Bron pendant dix-sept ans, j’ai pu constater combien il fallait de temps pour mettre en œuvre les mesures que nous prenons sur le terrain. Les maires, que je salue, dépensent aujourd’hui beaucoup d’énergie pour aider les quartiers.

La politique, pour moi, ce sont non pas seulement des paroles, mais aussi des actes, qui témoignent de responsabilités. En tant que ministre chargé de la ville et du logement, vous avez beaucoup de responsabilités, car il faut agir très vite !

Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Cabanel

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette crise sanitaire, avec ses répercussions sociales à moyen et long termes, est inédite. Comme l’a indiqué à juste titre le ministre de l’économie et des finances, c’est une affaire non pas de semaines ou de mois, mais d’années. Après avoir favorisé le chômage partiel, la dépense publique ne parviendra pas, malheureusement, à sauver toutes les entreprises qui annonceront leur faillite et les emplois correspondants.

À défaut de revenu universel, les aides sociales constituent un soutien précieux permettant à nos concitoyens d’amortir le choc provoqué par une diminution ou une perte totale de revenus qui risque de compromettre, en particulier lorsqu’ils sont locataires, leur capacité à se loger. Des moyens supplémentaires doivent être pensés pour permettre le maintien dans leur logement actuel, avant que ne s’enclenche l’engrenage de la précarité. Nombreuses sont les associations qui nous alertent sur ce point.

Certes, la vague des impayés n’est pas encore arrivée. Pour autant, elle ne saurait être prématurément écartée. Il est donc fortement souhaitable de l’anticiper et d’éviter les expulsions en cascade.

Vous affirmez, monsieur le ministre, que personne ne peut accepter, en cette période de crise sanitaire, que certains soient expulsés de leur logement. J’ai envie d’ajouter que, au XXIe siècle, personne ne devrait être expulsé de son logement, quel que soit le contexte, lorsque la bonne foi n’est pas en cause, et que tout le monde devrait pouvoir prétendre à un toit.

Permettez-moi, à cet égard, d’ouvrir une parenthèse : je suis choqué de constater que des sans-abri vivent depuis plusieurs années dans une totale précarité tout près du Sénat, sous nos yeux, sous le porche du théâtre de l’Odéon !

Si le prolongement de la trêve hivernale jusqu’au 10 juillet constituait une impérieuse nécessité, je regrette l’absence d’initiative de l’État sur le long terme au profit des locataires, en ces temps incertains marqués par une réelle peur de la perte de logement.

Contrairement à ses voisins européens, la France n’a ni institué de gel sur les prix ou de fonds d’urgence ni décidé d’un abondement du FSL. Par ailleurs, l’encadrement des loyers n’est pas scrupuleusement respecté, a fortiori à Paris. L’association nationale de défense des consommateurs et usagers CLCV constate des abus. Les aides personnelles au logement sont des aides sociales ; elles ne doivent pas servir à financer les surtarifications de loyers.

Aussi, même si elle ne peut tout résoudre au regard des limites de l’initiative parlementaire, la présente proposition de loi prévoit des aménagements en matière de modalités de versement et de détermination du montant des APL que l’on ne peut que soutenir.

Les deux principales mesures proposées auront un effet positif perceptible pour les ménages.

Tout d’abord, la suppression du mois de carence paraît plus que pertinente, car elle contribuera au paiement du premier loyer des personnes nouvellement éligibles aux APL. Ce n’est pas sans intérêt, au vu de la forte probabilité d’une augmentation des demandeurs dans les mois à venir.

De même, la réindexation des APL sur l’indice de référence des loyers (IRL), soit une revalorisation d’environ 1, 5 % au lieu de 0, 3 %, est socialement juste et cohérente du fait de l’évolution du poids de la dépense de logement sur les budgets des ménages.

En revanche, nous sommes partagés sur la suppression du seuil minimal de non-versement des APL, qui trouve sa justification dans la couverture des coûts de gestion. Des montants aussi faibles d’APL, en deçà de 10 euros, sont incompréhensibles, y compris pour les bénéficiaires. Peut-être faudrait-il revoir les modalités de calcul ? La complexité, que vous avez soulignée, monsieur le ministre, n’a pas échappé aux critiques de la Cour des comptes.

La proposition de loi vise ainsi à renforcer l’efficacité des APL. Elle évoque un débat ancien qui subodorait l’existence d’un potentiel effet inflationniste : le risque de la prise en compte par le bailleur du montant de l’allocation dans la fixation du loyer, notamment en période de pénurie de logements. Or cette pénurie est structurelle dans les zones tendues, et le choc de l’offre n’a pas encore eu lieu.

Si un effet inflationniste est démontré, la réalisation d’économies sur les APL de manière uniforme pénalise cruellement les ménages victimes des défaillances d’un marché aux équilibres fragiles. L’optimisation de l’intervention publique dans le domaine du logement est souhaitable, mais elle ne doit pas manquer son objectif premier, qui est avant tout social.

Parmi ces ménages, nous ne retrouvons pas uniquement ceux qui subissent des accidents de la vie. Dans les zones tendues, les travailleurs percevant un salaire moyen, qui sont souvent ceux qui se sont révélés indispensables au fonctionnement du pays et que tout le monde a remerciés, peinent à payer leur loyer.

Je ne reviendrai ni sur le contexte budgétaire ni sur les économies réalisées dans le cadre de la politique du logement au cours de ces dernières années. Les auteurs de la proposition de loi et d’autres intervenants ont pu le rappeler, la donne a changé. Une crise conjoncturelle s’ajoutant à une crise structurelle, il est impératif de se réinventer pour l’avenir.

Le télétravail, qui s’est imposé après une longue hésitation des entreprises, apportera peut-être du lest et permettra de rééquilibrer notre territoire, certains Français ayant pu goûter à des conditions de vie plus sereines en dehors des milieux urbains.

Nous espérons que ces changements profonds auront un effet positif sur l’accès au logement. Mais cela ne nous exonère pas de la responsabilité de donner un coup de pouce immédiat aux locataires.

Le groupe RDSE votera donc en faveur de la présente proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Julien Bargeton

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi part d’un bon sentiment. Nous avons tous eu durant cette crise une pulsion de générosité, qui est bien naturelle.

Gide déclarait : « Ce n’est pas avec de bons sentiments qu’on fait de la bonne littérature. » De même, on peut se demander si ce texte est la bonne façon de tenir compte de la crise et d’un certain nombre de demandes.

On dit souvent qu’il ne faut pas voter la loi sous le coup de l’émotion.

Marques d ’ indignation sur les travées des groupes RDSE, SOCR et CRCE.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Une décision sur le coup de l’émotion les 5 euros ?

Debut de section - PermalienPhoto de Julien Bargeton

Le débat qui est posé est intéressant, mais la proposition de loi y répond-elle de façon efficace ? Telle est la question que nous devons trancher.

Les APL s’élèvent à peu près à 18 milliards d’euros, dont 75 % bénéficient à 10 % des ménages, ceux qui sont les plus défavorisés. Pour ces ménages, ces aides représentent un tiers de la redistribution. Le sujet est donc extrêmement important.

Le rapport de la Cour des comptes a souvent été cité, mais, comme pour les Saintes Écritures, chacun peut en faire sa propre exégèse. J’en lirai quelques extraits.

Selon la Cour, les APL souffrent d’« une gestion complexe et coûteuse, d’indus importants et de coûts élevés ». Cette histoire est assez ancienne, nous pouvons tomber d’accord sur ce point. La complexité des critères de versement est telle qu’« une volumineuse plaquette décrivant leur mode de calcul » était éditée jusqu’en 2013. Elle ne l’est plus depuis, fort heureusement.

Je poursuis ma lecture : « Le nombre de paramètres de calcul accentue le risque d’oublis ou d’erreurs, la complexité de ce calcul ne permettant pas de repérer immédiatement une éventuelle incohérence. Simplifier le mode de calcul des aides est désormais indispensable : au-delà des coûts de gestion qu’elle génère, la complexité actuelle est une source importante de non-recours – il faut le souligner ! – d’indus et de fraudes. Elle fait aussi perdre de vue à l’allocataire les principes mêmes sur lesquels l’aide est fondée. »

Nous partageons le constat selon lequel il faut réformer le système, le simplifier, le renforcer et le rendre plus accessible.

Debut de section - PermalienPhoto de Julien Bargeton

Non pas plus efficient, mais plus efficace !

Les principes et les remarques édictés par la Cour des comptes ont-ils été pris en compte dans la présente proposition de loi ?

Debut de section - PermalienPhoto de Cécile Cukierman

J’essaie de répondre aux besoins de la population, pas à ceux de la Cour des comptes !

Debut de section - PermalienPhoto de Julien Bargeton

Selon moi, ils n’y sont guère traduits, mais le débat est ouvert.

Je remercie la commission d’avoir proposé la suppression de deux articles. Le premier concerne le seuil ; en effet, cela a été dit, dans 40 % des cas, ledit seuil ne s’applique pas. Le second, l’article 3, rend plus compliquée l’application du droit, alors même que chacun s’accorde à dénoncer sa complexité !

J’en viens à deux autres points, qui sont maintenus.

Le délai de carence, tout d’abord : en supprimant ce délai, on risque de susciter de nombreux rappels, lesquels sont très mal vécus par les personnes concernées et font peser sur les CAF une charge de travail supplémentaire.

Le second point est relatif à l’indexation. À cet égard, je rappelle que plusieurs mesures ont été prises récemment, parmi lesquelles l’aide exceptionnelle de solidarité de 100 euros par enfant à charge de moins de 20 ans : 5 millions d’enfants sont concernés.

Le Gouvernement a également prolongé la trêve hivernale, mis en place un plan d’urgence pour l’aide alimentaire, ainsi qu’une aide pour les personnes précaires de moins de 25 ans.

Des actions ciblées, précises, ne sont-elles pas plus utiles qu’une indexation générale ? Le débat mérite d’être posé !

Debut de section - PermalienPhoto de Cécile Cukierman

La loi est faite pour le long terme, pas pour le court terme !

Debut de section - PermalienPhoto de Julien Bargeton

La politique du logement représente, on l’a rappelé, 40 milliards d’euros. Or notre pays compte encore 4 millions de personnes mal logées.

Le ministre a parlé de la nécessité d’augmenter l’offre. Nous en sommes tous d’accord, il faut une offre plus large de logements accessibles !

La mère des réformes est la contemporanéisation des aides. §Il y a un débat sur ce point !

La contemporanéisation signifie que l’on verse les APL en temps réel. C’est très important !

C’est paradoxal : d’aucuns disaient qu’il ne fallait pas faire cette réforme, car elle ne servirait qu’à faire des économies ; dès lors que nous sommes en crise et que ladite réforme va coûter de l’argent, les mêmes nous reprochent de ne pas la mettre en œuvre. Ceux qui la critiquaient la réclament désormais ! Or elle a simplement été décalée ! Il ne faut pas être de mauvaise foi…

Debut de section - PermalienPhoto de Cécile Cukierman

Personne ne dit qu’il ne faut pas améliorer le système !

Debut de section - PermalienPhoto de Julien Bargeton

En tant qu’élus, nous avons tous été sollicités par des personnes nous expliquant que leur situation avait changé, qu’elles avaient rompu leur PACS, divorcé, eu un enfant, etc., mais que ce changement n’était toujours pas pris en compte…

Il s’est passé exactement la même chose pour le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu : on a poussé des cris d’orfraie au départ, puis plus personne n’a demandé de revenir en arrière !

Que dit la Cour des comptes sur cette mesure très importante qu’est la contemporanéisation ? Cette nouvelle disposition « devrait constituer une réelle avancée. Cela permettra de mieux fiabiliser les montants de ressources pris en considération dans le calcul et d’adapter le niveau de l’aide à la situation réelle du bénéficiaire. » Cette réforme, nous en avons besoin !

Debut de section - PermalienPhoto de Cécile Cukierman

Plus besoin de faire la loi, il y a la Cour des comptes !

Debut de section - PermalienPhoto de Julien Bargeton

Contrairement à ce que vous laissez entendre, nous n’avons pas déposé d’amendements de suppression. Mais nous ne voterons pas la proposition de loi. Il est facile de dire que l’on va faire adopter un tel texte…

Ce que nous voulons, c’est ouvrir le dialogue en examinant quelles sont les mesures les plus utiles pour les Français dans le cadre de cette crise.

Debut de section - PermalienPhoto de Annie Guillemot

Pourquoi n’avez-vous rien dit contre la baisse des APL, dont les Français ont besoin ?

Debut de section - PermalienPhoto de Julien Bargeton

Cette proposition de loi a le mérite de poser le débat, mais nous ne pensons pas qu’elle apporte les solutions les plus pertinentes. Nous ne la voterons donc pas, sans toutefois, j’y insiste, déposer d’amendements de suppression.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

Monsieur le président, monsieur le ministre, chère Cécile Cukierman, mes chers collègues, non, cette proposition de loi que nous présentons aujourd’hui n’est pas conjoncturelle et uniquement liée à la crise du Covid ! Nous avions travaillé sur ce texte auparavant.

Il y avait en effet d’ores et déjà dans notre pays, avant l’actuelle crise sanitaire, un énorme problème, qui a explosé depuis, de pouvoir d’achat et de garantie contre la précarité du logement pour les catégories de population les plus modestes.

Je n’aborderai pas l’ensemble de la politique du logement, car nous aurons l’occasion d’en débattre lors de l’examen des plans de relance. Nous ciblons une mesure très concrète et opérationnelle, qui a un effet massif : les aides personnelles au logement.

Premièrement, je me réjouis que la Cour des comptes reconnaisse, pour une fois, le rôle majeur des APL dans la redistribution sociale, au niveau global et pas seulement pour le droit au logement. Elle indique ainsi que ces aides « jouent de fait un rôle central dans la redistribution monétaire au profit des plus modestes : elles représentent près de 30 % de l’effort de redistribution en direction des ménages du premier décile de niveau de vie, qui constituent plus de 75 % des bénéficiaires. »

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

Pour ceux qui auraient des doutes sur la cible, la Cour précise bien que 75 % des bénéficiaires sont dans le premier décile ! Il n’y a donc pas à s’interroger à cet égard…

Deuxièmement, l’effet de ces aides est stratégique et permanent.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

Dans le privé, le sujet est le même !

En effet, tandis que le taux moyen de dépenses pour le logement est de 25 %, il s’élève à 30 ou 35 % pour les familles modestes, et même à 40 ou 45 % quand elles habitent dans le parc privé.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

L’effet des APL est donc double puisqu’il est redistributif et, à la fois, favorise le pouvoir d’achat ponctionné par les dépenses de logement.

On nous dit que notre dispositif est complexe. Je veux bien l’entendre, mais les avantages fiscaux que Bercy dévide à tire-larigot, tous les quarts d’heure, le sont aussi !

J’en suis d’accord, les choses doivent être simples, pour que le peuple puisse comprendre ses droits et en bénéficier. Je n’ai aucun état d’âme, mais je connais aussi le discours de La République En Marche : « C’est compliqué, donc il faut réduire la prestation. »

M. le ministre fait un geste de dénégation.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

Pardonnez-moi, mais c’est ce que vous faites !

Si vous aviez instauré la contemporanéisation des APL à euro constant, notamment, nous aurions pu nous contenter d’un débat technique pour chercher, ici ou là, d’éventuels trous dans la raquette… Mais là n’est pas le sujet !

Depuis des années, vous le savez, Bercy a dans le collimateur les dépenses prétendument trop importantes consacrées aux APL. La preuve en est que vous les avez massivement diminuées. Le rapport de Mme Estrosi Sassone est sur ce point d’une précision absolue, et je vous renvoie à ses chiffres : ces aides ne cessent de baisser !

Mme Valérie Létard applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

Votre problème n’est donc pas la complexité, mais la régulation budgétaire, que vous faites sur le dos des personnes relevant du premier décile, c’est-à-dire les plus pauvres.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Vous reconnaissez que vous avez fait une erreur avec la baisse de 5 euros des APL. La Cour des comptes dit la même chose. Mais faute avouée n’est pas pardonnée ; elle ne l’est que si elle est réparée !

Mmes Valérie Létard et Annie Guillemot applaudissent.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

Nous vous demandons de réparer cette faute. Lors du débat budgétaire, nous ne pouvions pas vous demander cette rectification, car cette mesure relève du domaine réglementaire.

Je le répète, nous vous le demandons solennellement : les 5 euros doivent être rendus aux catégories qui bénéficient des APL. C’est un droit !

Nous ne débattons pas en l’occurrence d’une mesure conjoncturelle, d’une aide que l’on accorderait pendant une année en raison de la crise du Covid. Nous voulons remettre en marche ces aides à la personne, afin qu’elles soient à la hauteur des besoins sociaux et qu’elles permettent de solvabiliser et de garantir le droit au logement des familles les plus modestes de ce pays !

C’est au moment de la loi instituant le droit au logement opposable, dite loi DALO, qu’a été consolidée l’idée d’actualisation automatique a minima en fonction de l’IRL, donc de l’évolution des prix du logement.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

Cette mesure est structurelle. Grignoter ces aides revient à diminuer les capacités d’accès au logement et à augmenter les difficultés de pouvoir d’achat des plus modestes.

Si l’on compare les sommes en cause et l’argent qui a été déversé au dernier moment pour colmater la brèche, on constate que cette proposition de loi est modeste. Elle est néanmoins efficace, car elle cible juste et dans la durée.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Lorsqu’un ordre de grandeur global, évoluant positivement, sera adopté pour les APL, nous serons tous prêts à travailler pendant des jours, des heures et des nuits sur la simplification du système, à la condition toutefois qu’il demeure juste.

Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SOCR, RDSE, UC et Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Laure Darcos

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat examine aujourd’hui la proposition de loi de Cécile Cukierman consacrée aux aides personnelles au logement.

Nos collègues communistes considèrent que la politique menée depuis le début du quinquennat en matière de logement a conduit à une précarisation accrue des ménages à revenus modestes, et ils proposent quatre mesures pour infléchir cette politique : la suppression du délai de carence d’un mois pour le versement des aides personnelles au logement ; l’abrogation du seuil de non-versement des APL, actuellement fixé à 10 euros par mois ; le maintien des APL en cas d’impayés de loyers dans le cas d’une crise sanitaire ; la réindexation des APL sur l’indice de référence des loyers en 2020.

La commission des affaires économiques du Sénat s’est prononcée favorablement sur deux mesures : le délai de carence et la réindexation des APL sur l’indice de référence des loyers. Elle a considéré, à juste titre, que la politique menée jusqu’à présent avait pénalisé les ménages les plus en difficulté et qu’elle risquait d’amplifier ces difficultés au regard de la crise économique catastrophique qui s’annonce, comme l’ont dit plusieurs de mes collègues.

Au-delà des mesures proposées par nos collègues communistes et de celles qu’a retenues la commission, se pose la question de la pertinence et de l’efficacité des politiques de logement menées depuis de nombreuses années, singulièrement depuis l’élection d’Emmanuel Macron. Je salue le travail fourni et constant de ma collègue rapporteur sur ce sujet.

Nous voyons bien que la régulation budgétaire, qui sape le pouvoir d’achat des plus modestes et aggrave la précarité des ménages, ne peut tenir lieu de politique. L’enjeu n’est pas mince.

Je rappelle que les trois aides personnelles au logement sont versées à 6, 6 millions de ménages et permettent une diminution importante de la charge des dépenses de logement des locataires qui en bénéficient. La Cour des comptes relève qu’elles couvrent en moyenne 49 % du loyer hors charges, dans le cas de l’APL versée aux locataires de logements sociaux, et environ 36 % du loyer pour ce qui concerne l’allocation de logement familial et l’allocation de logement social versées aux ménages logés dans le secteur locatif privé.

En 2015 et 2017, ces trois aides atteignaient 18 milliards d’euros par an. Elles ont été ramenées à 17 milliards d’euros en 2018 et 2019, et la loi de finances pour 2020 prévoit un montant stabilisé à 15, 3 milliards d’euros.

Les deux mesures décidées au deuxième semestre de 2017 – la réduction uniforme des APL de 5 euros par mois, et la mise en place d’une réduction du loyer de solidarité dans le parc locatif social – n’ont eu d’autre objectif que de réduire le déficit des finances publiques. Elles ont fortement ébranlé l’opinion publique et suscité une vague de contestation. Elles succédaient à de nombreuses mesures de régulation, moins visibles, prises par le gouvernement de François Hollande, comme le gel ou la sous-indexation des paramètres de calcul, la dégressivité de l’aide pour les loyers les plus élevés, la prise en compte du patrimoine des bénéficiaires, ou encore la suppression de l’aide pour les accédants à la propriété.

Les évolutions attendues à partir de cette année – je pense, en particulier, à la prise en compte contemporaine des ressources des bénéficiaires pour le calcul des aides, dont la mise en œuvre a d’ailleurs été repoussée à plusieurs reprises, tant elle est complexe – et le projet de création d’un revenu unique d’activité regroupant l’ensemble des aides à la personne nous laissent craindre une poursuite de cette politique récessive en matière de logement.

C’est une politique sans affect, menée sans vision et de manière technocratique, dans le cadre de laquelle tous les acteurs – État, ménages et bailleurs sociaux – sont perdants ; cette politique est vouée à l’échec.

Si je ne méconnais pas la nécessité de maîtriser les dépenses, je considère qu’il est temps, monsieur le ministre, de refonder la politique du logement et de remettre l’équité du système au cœur de vos préoccupations. Cette équité, selon la Cour des comptes, passe par l’analyse fine de la situation des personnes disposant de revenus d’activité très modestes, fortement pénalisées en matière d’aide au logement par rapport à celles qui bénéficient de revenus de transfert. Elle passe également par une meilleure information des allocataires potentiels des aides au logement, qui sont environ 2 % à ne pas demander le bénéfice de l’APL ; la question du non-recours n’est pas sans incidence sur la situation de pauvreté de certains ménages.

Une réforme véritablement ambitieuse aurait pour objectif une simplification des règles de calcul des aides. La Cour des comptes regrette, à juste titre, que les pouvoirs publics n’aient toujours pas mis fin à la complexité de ces modes de calcul, à l’origine de nombreux indus et de fraudes.

Je ne reviendrai pas sur la perte de confiance des bailleurs sociaux vis-à-vis des pouvoirs publics, survenue à la suite de la réforme du mouvement HLM et de la réduction de loyer de solidarité, décidée unilatéralement. Néanmoins, il me semble nécessaire de s’interroger sur les moyens qui doivent être effectivement alloués aux bailleurs sociaux pour relancer l’effort de construction, qui s’avérera indispensable.

Je l’évoquais au début de mon intervention, la crise économique s’annonce particulièrement violente, avec un risque de paupérisation d’une partie de la population. Les besoins en logements sociaux, voire très sociaux, seront importants, et la solvabilité des ménages devra être assurée au moyen des aides au logement. Or les objectifs de construction ne seront à l’évidence pas atteints cette année, compte tenu de l’arrêt des chantiers durant la crise sanitaire. La reprise sera lente et allongera les délais de livraison.

Par conséquent, je souhaite que le Gouvernement soit attentif au rôle essentiel du logement social et des aides personnelles au logement, qui permettent de satisfaire les besoins essentiels des catégories modestes ; un véritable engagement doit être pris à très court terme contre le mal-logement et la précarité, qui fracturent notre société et laissent tant de monde sur le bord du chemin.

Mmes Viviane Artigalas, Valérie Létard et Marie-Noëlle Lienemann applaudissent.

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie

Je n’avais pas prévu d’intervenir, mais, vu la teneur des dernières prises de parole, je ne peux pas ne pas le faire.

D’abord, je ne sais combien d’heures j’ai passées dans cet hémicycle, mais je pense que vous m’avez rarement vu éluder des questions ou faire de la basse politique ; ce n’est pas mon genre, j’ai toujours été dans un état d’esprit très constructif.

Ensuite, je ne suis pas d’accord avec vous, madame la sénatrice Darcos, quand vous affirmez que, depuis trois ans, nous mettons en œuvre une politique du logement « sans vision » ; j’ai montré exactement l’inverse. Si vous le voulez, nous pouvons entrer dans ce débat, mais, dans ce cas, je vais vous donner des chiffres, puisque c’est ce qui est le plus parlant.

C’est sans doute une « politique sans vision » qui a fait que la rénovation, au travers de l’ANAH, dont j’ai la responsabilité, a doublé en deux ans ; l’ancienne secrétaire d’État Valérie Létard pourra vous le confirmer !

C’est sans doute une « politique sans vision » qui fait que l’on a engagé, en un an et demi, au travers de l’ANRU, 10 milliards d’euros de travaux de rénovation, parce que nous considérons, comme l’a dit Mme la sénatrice Guillemot, que la situation des quartiers nous oblige !

C’est sans doute une « politique sans vision » qui nous a conduits à concevoir le plan Action cœur de ville, cher au RDSE, porté par le ministre Jacques Mézard ! Depuis combien de temps n’avions-nous pas eu une politique d’aménagement et de rénovation du cœur de nos villes moyennes ? Souvenez-vous ! Est-ce que c’est ça, une politique sans vision ? Quelque 3 milliards d’euros ont d’ores et déjà été engagés dans ce cadre.

C’est sans doute une « politique sans vision » qui nous a conduits à transformer le fameux CITE en une prime intitulée « MaPrimeRénov’ » ! Et c’était complexe ! Auparavant, 50 % du crédit d’impôt pour la transition énergétique bénéficiait aux 20 % des ménages les plus aisés. Depuis que nous avons instauré, le 1er janvier dernier, MaPrimeRénov’ – ça a été du boulot, je peux vous le dire ! –, 50 % de ce dispositif bénéficie aux 50 % des ménages les plus fragiles.

Je réfute donc totalement l’idée selon laquelle il n’y a pas de vision ! La vision est très claire : il s’agit de faire, d’un côté, de la rénovation, de la rénovation, de la rénovation et, de l’autre, du logement abordable, du logement abordable, du logement abordable !

De la même manière, je veux revenir sur la question des plus précaires, des sans-abri. Grâce à l’effort déployé collégialement, avec les collectivités et les associations, nous avons mis à l’abri 180 000 personnes. Avant le début de la période hivernale, nous étions aux environs de 145 000 ; c’est donc 35 000 places de plus depuis le 1er novembre dernier.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Vous parlez d’hébergement, nous parlons de logements !

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie

C’était la première fois que mon ministère proposait des chèques services, c’est-à-dire des tickets restaurant et de l’aide alimentaire pour suppléer les associations.

En deux ans, la politique « le Logement d’abord », soutenue depuis longtemps dans cet hémicycle, qui vise – le sénateur Julien Bargeton le rappelait – à arrêter le cercle vicieux de l’hébergement d’urgence et à installer les gens dans un vrai logement, a permis de sortir 150 000 personnes d’un logement de très grande précarité ou de la rue, pour leur donner un logement pérenne. Ce n’est pas une vision, ça ?

En ce qui concerne l’expulsion locative, je suis infiniment d’accord avec les deux orateurs qui l’ont évoquée. D’ailleurs, ma main n’a pas tremblé quand, à deux reprises depuis le début de la crise sanitaire, j’ai décalé la fin de la trêve hivernale. Cela a été l’une des premières annonces faites par le Président de la République, dès le mois de mars, et la main du Gouvernement n’a pas tremblé quand il s’est agi de repousser, une nouvelle fois, la fin de la trêve hivernale, ce qui entraîne le report des expulsions locatives et le maintien du dispositif d’hébergement d’urgence.

Enfin, madame la ministre Lienemann, franchement, nous nous connaissons trop…

Sourires sur les travées du groupe CRCE.

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie

J’ai un autre point de désaccord. Nous considérons tous, je crois, que le système des APL est très complexe. Calculer les APL en temps réel représente des milliers d’heures de travail.

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie

Cette réforme n’est pas une question d’efficacité, elle est juste, comme vous l’avez dit. Simplement, il fallait se retrousser les manches, faire bouger le système et la mettre en œuvre. Dès 2012, la Cour des comptes indiquait que le système était trop complexe ; il aurait donc été très bien que cette réforme soit conduite en 2012, …

Debut de section - Permalien
Julien Denormandie

… voire avant, car cela fait des années que le système est beaucoup trop complexe. Pas une personne, ici, ne peut dire qu’il est pertinent. Il s’agit donc simplement d’une question de courage et de volonté de faire.

Pour finir, je veux simplement remercier Mme la sénatrice Cukierman d’avoir lancé ce débat, toujours très enflammé, mais tellement important pour nos concitoyens.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marc Gabouty

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

Au début de l’article L. 823-5 du code de la construction et de l’habitation, sont ajoutées deux phrases ainsi rédigées : « Les aides personnelles au logement sont dues à compter du premier jour du mois civil au cours duquel les conditions d’ouverture du droit sont réunies. Toutefois, lorsque ces conditions sont réunies antérieurement au mois de la demande, l’aide est due à compter du premier jour du mois au cours duquel la demande est déposée. »

L ’ article 1 er est adopté.

L’article L. 823-7 du code de la construction et de l’habitation est abrogé.

Debut de section - PermalienPhoto de Julien Bargeton

L’article 2 du texte supprime l’application du seuil de non-versement, aujourd’hui fixé à 10 euros. Ce seuil existe pour toutes les prestations, afin d’optimiser le travail des caisses ; 17 000 ménages seraient concernés.

Je tiens à rappeler deux choses : c’est ce gouvernement qui, en 2017, a abaissé ce seuil à 10 euros, contre 15 euros depuis 2007 ; c’est ce même gouvernement qui a supprimé ce seuil de 10 euros pour le parc local social ordinaire. Ainsi, dans les faits, il n’y a d’ores et déjà pas de seuil pour une grande partie des bénéficiaires, cela concerne moins de 40 % des aides personnelles au logement.

Cet article pose également la question de la charge de travail supplémentaire qui serait alors imposée aux caisses, au vu du nombre de dossiers supplémentaires – on parle tout de même de 17 000 dossiers – et alors que les frais représentés par la liquidation de l’aide dépasseraient le montant de celle-ci.

Par conséquent, vous l’aurez compris, le groupe La République En Marche votera pour l’amendement de suppression de la rapporteure, considérant que cette mesure risque de mettre en tension les effectifs des caisses.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marc Gabouty

L’amendement n° 1, présenté par Mme Estrosi Sassone, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme le rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Estrosi Sassone

Vous avez indiqué, monsieur Bargeton, que c’était ce gouvernement qui avait abaissé le seuil de non-versement de 15 euros à 10 euros, mais c’est aussi lui qui a mis en place la réduction de loyer de solidarité et qui a fait en sorte que le seuil de non-versement n’existe plus dans le parc social, en raison même de la réduction de loyer de solidarité. Il faut aussi replacer les choses dans leur contexte.

Nous nous sommes entretenus avec les auteurs de la proposition de loi sur cet article 2. Même s’il s’agit d’une mesure traditionnelle de gestion, les coûts de traitement des dossiers et des demandes d’intervention seraient, même pour les bénéficiaires, nettement plus élevés que ce qui reviendrait aux allocataires au travers de l’APL ; du reste, même si cette allocation était annualisée, afin de constituer une somme un peu plus importante, elle serait, de toute façon, trop modique par rapport au coût d’instruction des dossiers.

Ainsi que nous en étions convenus, nous souhaitions que le débat ait lieu en séance. C’est la raison pour laquelle nous proposons seulement maintenant cet amendement de suppression.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marc Gabouty

La parole est à Mme Annie Guillemot, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Annie Guillemot

Je serai brève.

D’abord, je veux dire qu’il faut peut-être revenir sur la sous-indexation des APL.

Ensuite, même s’il y a de bonnes mesures dans la réforme des APL, il faut faire attention aux jeunes. Il y aura près de 350 000 jeunes qui, s’ils y arrivent, prendront un nouveau job et qui ne toucheront plus l’APL. Il faut absolument abonder et revoir cette réforme en ce sens.

L ’ amendement est adopté.

(Supprimé)

Le II de l’article 200 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020 est abrogé.

Debut de section - PermalienPhoto de Julien Bargeton

Puisqu’il faut remettre les choses dans leur contexte, il faut aussi mentionner les autres mesures prises par le Gouvernement. Je veux ainsi citer la prime d’activité, l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) et l’allocation aux adultes handicapés, qui ont toutes été revalorisées. Je veux également mentionner la prolongation automatique des minima sociaux et de la trêve hivernale, le lancement d’un plan alimentaire d’urgence, l’aide exceptionnelle versée à 4 millions de ménages en difficulté ou encore l’aide pour les jeunes précaires de moins de 25 ans. J’ai parlé de cela lors de ma prise de parole liminaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Julien Bargeton

Lorsque l’on parle de ce sujet, si l’on veut être objectif et remettre les choses dans leur contexte, il faut aussi citer l’ensemble des mesures déjà prises.

L ’ article 4 est adopté.

Les éventuelles pertes de recettes résultant pour l’État de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. –

Adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marc Gabouty

Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Viviane Artigalas, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Viviane Artigalas

Je veux souligner combien cette proposition de loi est importante et rappeler qu’elle a été déposée avant la crise, contrairement à ce qu’a dit M. Bargeton.

Toutefois, on voit bien, avec cette crise, à quel point elle est d’actualité, à quel point son importance est renforcée, parce que la question du logement, en particulier pour les jeunes qui vont chercher un premier emploi – je rejoins ma collègue Annie Guillemot sur ce point –, va se poser de façon cruciale. C’est pour ça que, lors de la réforme de l’APL en temps réel, nous avions regretté que ne soient pas mises en œuvre des mesures d’accompagnement de ceux qui perdaient, de façon brutale, leurs APL.

Nous revenons donc dessus, et il est important que nous travaillions ensemble, en particulier sur la situation des jeunes relativement à la question des APL. Cette réforme ne doit pas être mise en application n’importe comment, sans faire attention aux personnes les plus défavorisées.

Contrairement à ce que vous avez dit, monsieur le ministre, vos réformes et les économies que vous avez voulu faire ont considérablement affaibli les bénéficiaires du secteur social et les bailleurs du logement social ; le modèle du logement social n’est certes pas parfait, mais cela l’a affaibli.

Bien sûr, nous voterons cette proposition de loi – je remercie d’ailleurs Mme Cukierman de l’avoir déposée et de l’avoir soumise à notre examen à ce moment-ci –, mais ce texte montre aussi qu’il est impératif de ne pas faire d’économies sur le logement social ; c’est très important. Nous avons attiré l’attention là-dessus lors de l’examen des trois derniers projets de loi de finances rectificative.

Je crois que vous devez revoir votre politique à ce sujet, monsieur le ministre ; contrairement à ce que vous dites, elle n’est pas bonne et elle va dans le mauvais sens.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marc Gabouty

La parole est à Mme Annie Guillemot, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Annie Guillemot

Nous allons bien sûr voter cette proposition de loi, mais je veux revenir sur trois points.

En premier lieu, je veux vous faire part de mon inquiétude : il faut arrêter de fragiliser Action Logement, examiner la situation de cet organisme. J’en suis très préoccupée et, dans les territoires, les maires le sont également.

En second lieu, pour répondre à M. Bargeton, sur la réforme des APL, si les agents de la CAF doivent vérifier les revenus des assurés tous les trois mois, ce sera extrêmement difficile aussi. Je pense même, pour être en relation très étroite avec ce réseau, que, pour certaines caisses, ce ne sera pas possible. Il faut donc également revoir cela.

En troisième lieu, je veux revenir sur la politique de la ville. Nous avons constaté, en commission d’attribution – comme tous les élus qui participent à cette instance, je pense –, la paupérisation d’un certain nombre de territoires, avec une concentration de pauvreté. Le monde d’avant était déjà comme ça ; le monde d’après sera pire pour les jeunes d’un certain nombre de quartiers ; les rodéos ne sont sans doute pas le phénomène le plus inquiétant. Nous devons vraiment lutter contre les discriminations et cette concentration de pauvreté dans un certain nombre de territoires et de communes très pauvres. J’ai le sentiment que ça n’ira pas, qu’on aura des troubles très graves à l’ordre public si ça continue ainsi et si on ne met pas les jeunes des quartiers dans l’emploi ou dans des contrats aidés. Je le répète, parce que je pense qu’on est dans une situation explosive.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marc Gabouty

La parole est à Mme Valérie Létard, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Valérie Létard

J’indique à mon tour que le groupe Union Centriste votera avec grand plaisir cette proposition de loi ; c’est une initiative très heureuse, qui arrive effectivement au moment où ce débat doit être remis au centre des préoccupations du Gouvernement.

Cette discussion pose plus largement tant la question de la possibilité des ménages d’accéder, sans s’endetter, à un logement – derrière l’APL, il y a le problème du surendettement des ménages – que celle, bien sûr, du financement du logement social, à un moment où celui-ci va subir, pour des raisons évidentes, de fortes tensions.

Je profite de cette prise de parole, sans en abuser, pour compléter les propos de ma collègue sur Action Logement. L’article 3 d’un texte adopté tout récemment à la suite d’un accord en commission mixte paritaire permet d’enregistrer la trésorerie d’un certain nombre d’organismes publics ou privés exerçant des missions de service public dans les comptes du Trésor.

Si l’on peut, apparemment, être rassuré pour ce qui concerne les bailleurs sociaux, on l’est beaucoup moins pour Action Logement. Nous espérons juste que cette opération ne mettra pas en grand péril les capacités financières de cet établissement, qui doit aller au maximum de ses capacités pour accompagner, auprès des territoires, la production et la rénovation de logements, pour jouer sa mission de service public et pour accompagner les salariés, à un moment où ceux-ci en auront besoin.

Par ailleurs, nous attendons toujours l’arrêté et le décret permettant d’améliorer la gouvernance d’Action Logement et d’instaurer, en son sein, un comité des partenaires, associant des élus locaux ou nationaux.

Tout cela permettra à Action Logement d’aller plus loin et nous assurera d’avoir, à vos côtés, monsieur le ministre, les moyens d’aller plus loin, plus vite et plus fort dans la production et l’amélioration du logement au service des plus fragiles.

Je remercie encore nos collègues de cette initiative, et je remercie le Sénat d’être toujours mobilisé et convergent quand il s’agit de défendre le logement social.

Applaudissements sur des travées des groupes UC et SOCR. – Mme Laure Darcos et M. Franck Menonville applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marc Gabouty

La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Cécile Cukierman

Je tiens bien évidemment à remercier chacun d’entre vous, notamment Mme la présidente de la commission et Mme la rapporteure.

C’est vrai, cette proposition de loi a été travaillée avant le début de la crise ; nous avons fait le choix de l’inscrire dans la niche parlementaire d’aujourd’hui, mais les conditions de travail pour écrire le rapport et pour échanger ont forcément été beaucoup plus compliquées, vu les conditions sanitaires que nous vivons depuis plusieurs semaines.

Je veux tout de même vous remercier, monsieur le ministre, de la qualité et de la franchise des débats. Tout débat enflammé est aussi le fruit des passions, tout simplement parce que, quand il s’agit de la question du logement, nous touchons à l’essentiel de la vie humaine, à ce qui permet d’être digne et – je l’ai toujours dit, au cours des débats que nous avons eus – de se construire, de s’inscrire dans une société, de faire du commun ensemble. Ainsi, l’accès à un logement de qualité est un droit fondamental.

Vous reconnaissez des erreurs, cela a été dit ; je ne sais pas si les fautes avouées sont à moitié pardonnées, mais il y a maintenant besoin de les corriger réellement, dans les actes.

Oui, il y a, aujourd’hui – il n’y a pas de débat sur ce constat –, des trous dans la raquette sur la question des APL et de ses bénéficiaires, mais, pour filer la métaphore, la question n’est pas de passer des trous d’une raquette de tennis à des trous, plus petits, d’une raquette de badminton en n’intégrant pas tout le monde dans le dispositif, et encore moins de supprimer les trous par la réduction du spectre de la raquette, pour aboutir à une raquette de ping-pong… Il y a donc un défi : ne pas exclure d’autres personnes du bénéfice des APL en temps réel. Selon les chiffres qui nous ont été donnés, en répondant à certains, vous en excluez d’autres.

Enfin, permettez-moi simplement de vous dire, mon cher collègue, que je n’ai jamais prétendu que cette proposition de loi était l’alpha et l’oméga de la problématique du logement. Je ne fais pas de politique pour faire de la charité, mais, je le dis sans aucune prétention et avec beaucoup d’ambition, ce que nous faisons ce matin répondra durablement aux attentes des Français.

Applaudissements sur toutes les travées, sauf sur celles du groupe LaREM.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marc Gabouty

Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi visant à garantir l’efficacité des aides personnelles au logement.

Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à douze heures cinquante-cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de Mme Hélène Conway-Mouret.