Intervention de Michel Forissier

Réunion du 4 juin 2020 à 9h00
Statut des travailleurs des plateformes numériques — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Michel ForissierMichel Forissier :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, quoique la commission des affaires sociales n’ait pas adopté cette proposition de loi, nous avons souhaité poursuivre le débat en séance.

Nous pouvons être collectivement fiers que le Sénat travaille, depuis maintenant deux ans, sur la situation des travailleurs indépendants des plateformes numériques, car le débat est à la fois social et économique : la protection des travailleurs de ce nouveau modèle économique mondial est une question d’accompagnement de la mutation socioéconomique pour éviter le piège de la précarité. Je remercie Mme la rapporteure de soutenir ce matin cette discussion si importante, afin que nous partagions nos réflexions.

La diversité des situations des travailleurs indépendants des plateformes numériques implique que le législateur réfléchisse au-delà de la simple requalification en contrat de travail.

Les travailleurs des plateformes exercent un travail indépendant, défini en opposition au salariat classique, mais une partie de ces indépendants, dont les profils sont très divers, ont pour point commun d’être dans la dépendance économique vis-à-vis des plateformes numériques. Cette situation m’inspire deux constats essentiels.

D’abord, le problème n’est pas statutaire. Les travailleurs des plateformes sont visibles partout, sauf dans les statistiques : il n’existe guère de recensement exhaustif, mais les chiffres des travaux menés vont de 100 000 à 200 000 personnes. Certains travailleurs indépendants des plateformes tirent de cette activité des revenus d’appoint, ayant parallèlement une activité principale salariée ou suivant des études ; d’autres sont des travailleurs permanents ; d’autres encore sont des free-lance s, exerçant des activités pour les entreprises, souvent dans le domaine digital, avec des prestations très rentables.

Les travaux de l’Insee indiquent que 4 % de l’ensemble des indépendants sont économiquement dépendants d’un intermédiaire, qui n’est pas nécessairement une plateforme. Les profils des travailleurs des plateformes sont hétérogènes, allant de l’étudiant à vélo qui transporte des repas au chauffeur de VTC qui exerce cette activité à titre principal, en passant par le travailleur qualifié bien rémunéré et parfaitement autonome qui recourt à des plateformes pour trouver ses clients. Les plateformes numériques sont elles-mêmes des structures diverses – certaines sont des multinationales ; je vous fais grâce des détails, car vous les connaissez.

Proposer à ces travailleurs un statut à mi-chemin entre le salariat et le régime indépendant tout en introduisant de nouveaux droits sociaux n’est pas souhaitable : cette formule aurait des effets contraires aux objectifs visés, sans répondre aux aspirations de tous ces travailleurs.

Ensuite, les travailleurs indépendants ont un point commun : leur déficit de protection sociale.

Par hypothèse, les travailleurs indépendants des plateformes numériques bénéficient de la même couverture sociale que les ressortissants du régime général pour ce qui est de la santé et des prestations de la branche famille, décorrélées du statut. Toutefois, les indépendants ne relèvent pas du droit du travail et ne bénéficient pas des dispositions du code du travail, notamment de celles qui concernent le salaire minimal, les congés payés, l’encadrement ou la rupture du contrat de travail. La question de l’assurance vieillesse se pose aussi, en raison d’un effort contributif moins élevé.

Les travailleurs indépendants des plateformes numériques sont souvent désarmés face aux accidents et à la rupture de la relation de travail. La période que nous traversons, avec l’épidémie et ses conséquences sanitaires et économiques, rend plus que jamais visible le besoin de protection de certains d’entre eux, parfois dans des situations très fragiles. Les innovations dans la gestion de ce risque relèvent de notre compétence de législateur.

Néanmoins, le groupe Les Républicains ne votera pas en faveur de la proposition de loi, tout en remerciant ses collègues du groupe communiste républicain citoyen et écologiste d’avoir suscité ce débat : les problèmes sont bien posés, mais les solutions ne nous paraissent pas adaptées. Réfléchissons plutôt sur la base des seize propositions formulées dans le rapport d’information de Catherine Fournier, Frédérique Puissat et moi-même : elles sont de nature à apporter des solutions, sans modification importante au code du travail et sans reniement de notre modèle social.

J’ajoute que cette proposition de loi comporte des risques constitutionnels, dans la mesure où elle délègue à la négociation avec les utilisateurs des plateformes des pouvoirs que la Constitution attribue à la loi.

Nous sommes très attachés, vous le savez, à la participation des salariés ; de ce point de vue, les propositions en matière de dialogue social me paraissent très constructives !

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