Intervention de Martin Lévrier

Réunion du 4 juin 2020 à 9h00
Statut des travailleurs des plateformes numériques — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Martin LévrierMartin Lévrier :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le sort des travailleurs indépendants des plateformes numériques aura fait l’objet de plusieurs initiatives parlementaires ces derniers mois au Sénat.

La crise sanitaire de la Covid-19 n’a fait que renforcer la nécessité pour la commission des affaires sociales de se pencher sur la situation de ces travailleurs bien souvent désarmés face aux accidents et au fonctionnement des algorithmes des plateformes.

Les derniers travaux en date sont le fruit de la réflexion d’une mission d’information relative au droit social applicable aux travailleurs indépendants économiquement dépendants, qui a rendu officiellement ses conclusions le 20 mai. Le rapport rédigé par mes collègues Forissier, Fournier et Puissat liste une série de quatorze recommandations pour améliorer la situation des travailleurs des plateformes économiques, prenant ainsi en compte la diversité des situations.

La plupart des recommandations consistent à étendre, dans la droite ligne des précédentes lois en la matière, notamment la loi d’orientation des mobilités, le bénéfice des garanties qu’offre le code du travail. Au total, entre 100 000 et 200 000 personnes seraient concernées.

Nous nous retrouvons aujourd’hui pour examiner un texte déposé par le groupe CRCE au mois de septembre. Nous ne saurions débattre d’une proposition de loi relative aux droits sociaux des travailleurs numériques sans rappeler le contexte dans lequel ces derniers évoluent.

Les travailleurs des plateformes représentent environ 0, 8 % de la population active. Ils se répartissent entre trois catégories de travailleurs : les travailleurs, par ailleurs salariés, qui utilisent les plateformes afin de compléter leurs revenus ; les travailleurs indépendants qui recourent aux plateformes comme forme d’activité exclusive – le rapport d’information fait état de travaux de l’Insee selon lesquelles 4 % des indépendants, soit 0, 5 % de la population active occupée, sont économiquement dépendants d’un intermédiaire, qu’il s’agisse ou non d’une plateforme ; enfin, les travailleurs indépendants hautement qualifiés qui souhaitent bénéficier de davantage de flexibilité en se tournant vers un intermédiaire numérique, comme les free-lance s, dont le principal atout est la simplification des démarches administratives.

Les récentes lois ont permis d’instituer une responsabilité sociale des plateformes au bénéfice des travailleurs indépendants, mais également d’approfondir cette démarche de régulation de la relation entre les plateformes numériques et les travailleurs indépendants – je pense à la prise en charge, plafonnée par décret, de la cotisation du travailleur pour une assurance couvrant le risque d’accident du travail, au droit d’accès à la formation professionnelle continue et au bénéfice de la validation des acquis de l’expérience, aux droits collectifs tels que la protection des travailleurs participant à des mouvements en vue de la défense de leurs revendications professionnelles, ou encore à la faculté, pour les travailleurs visés, de constituer une organisation syndicale.

Ces avancées ne sont qu’un début dans la régulation des relations avec les plateformes numériques, dont la nouveauté met en question les catégories juridiques existantes et implique une réflexion approfondie. Cet encadrement des relations est actuellement renforcé, mais nous devons garder à l’esprit l’objectif de concilier l’indépendance de ces travailleurs, le modèle économique des plateformes et la protection des droits sociaux.

Si elle souligne certains problèmes, la proposition de loi relative au statut des travailleurs des plateformes numériques, coécrite par les sénateurs Pascal Savoldelli et Fabien Gay, n’en résout pas l’ensemble, tant s’en faut. Ainsi, elle prévoit un statut pour ces travailleurs à mi-chemin entre le salariat et le régime indépendant et introduit de nouveaux droits sociaux. Ce statut intermédiaire n’est pas souhaitable, car il entraînerait des effets contraires aux objectifs visés.

Pour autant, cette proposition de loi soulève des éléments très importants : la représentation des travailleurs numériques et les algorithmes. Cela peut paraître un peu abstrait pour certains d’entre nous, mais l’objectif des plateformes est de constituer un intermédiaire dont le rôle est de créer de la valeur en facilitant des transactions au moyen d’algorithmes de recherche, d’appariement, de paiement, etc., qui lui sont propres.

Si les algorithmes ont un rôle déterminant dans le fonctionnement des plateformes, ils rendent également celles-ci plus opaques. Ils peuvent, par exemple, entraîner certaines discriminations, tarifaires entre autres, que nous devons prendre en compte, afin que les travailleurs du numérique puissent disposer de toutes les clés de compréhension et travailler en toute connaissance de cause avec ces intermédiaires que constituent les plateformes.

C’est pourquoi le Premier ministre a confié, le 14 janvier dernier, à Jean-Yves Frouin, ancien président de la chambre sociale de la Cour de cassation, une mission visant à définir les différents scénarios envisageables pour construire un cadre permettant la représentation des travailleurs des plateformes numériques. Cette mission est chargée de préparer l’ordonnance prévue par l’article 48 de la loi d’orientation des mobilités du 24 décembre 2019, ordonnance qui doit déterminer les modalités de la représentation de ces 200 000 travailleurs de plateformes.

Comme vous venez de l’annoncer, madame la ministre, le périmètre de cette mission sera élargi. Elle posera la question non seulement de la représentation des travailleurs du numérique, mais aussi de la transparence des modes de fonctionnement des plateformes, autrement dit les algorithmes, et d’autres compétences économiques, numériques et juridiques. L’objectif reste inchangé : renforcer le droit de ces 200 000 Français. Il est donc indispensable d’en attendre les résultats.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, les réponses présentées dans cette proposition de loi ouvrent des pistes. Nous en remercions les auteurs, mais ces pistes ne répondent pas aux vastes problèmes posés par le développement de l’économie des plateformes numériques. Pour cette raison, le groupe La République En Marche votera contre ce texte.

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