Intervention de Michel Barnier

Réunion du 4 décembre 2007 à 9h45
Loi de finances pour 2008 — Compte d'affectation spéciale : développement agricole et rural

Michel Barnier, ministre :

C'est le contraire qui est normal : il faut d'abord un débat d'idées, il faut d'abord un débat politique.

C'est ce débat que, sans attendre, nous voulons conduire avec nos partenaires européens. Pour cette raison, il sera ouvert au début de la présidence française, dès le 1er juillet 2008.

Ensuite, puisque je viens de les évoquer, les propositions formulées par la Commission dans le bilan de santé nous fournissent une deuxième occasion, plus proche encore dans le temps puisque le rapport de la Commission a été publié tout récemment. Nous n'aborderons pas ce bilan de santé de manière défensive, en nous cramponnant à la politique existante, qui a certes de très bons atouts, mais qui mérite d'être adaptée. Notez-le bien, mesdames, messieurs les sénateurs - et, là aussi, je m'appuie sur mon expérience de la Commission et du débat européen -, nous allons sortir d'une logique de guichet pour aller vers une logique de projet.

Tel est donc l'état d'esprit dans lequel nous aborderons ce rendez-vous du bilan de santé, mais aussi le suivant, qui portera sur la politique agricole elle-même pour l'après-2013.

Pour la même raison, nous changerons d'attitude avec nos partenaires. J'ai souvent répété - je l'avais dit, notamment, lorsque j'étais ministre des affaires étrangères - que « la France n'est pas grande quand elle est arrogante, qu'elle n'est pas forte si elle est solitaire ». Nous ne serons pas arrogants, et nous ne serons pas solitaires.

J'ai donc intensifié, de manière besogneuse, nos relations avec nos partenaires. J'étais en Pologne la semaine dernière, je serai cette semaine en Bulgarie et en Roumanie pour créer ce tissu, cette solidarité ; non pas pour défendre le passé, mais pour bâtir ce projet que j'évoquais tout à l'heure. Ainsi, j'aurai rencontré avant le début de la présidence française, chez eux, tous nos partenaires et tous mes collègues ministres de l'agriculture et de la pêche.

En outre, la forte augmentation des prix des matières premières remet l'économie au coeur de la production agricole et, je me permets de le souligner, provoque de vrais problèmes pour certaines filières, durement touchées par l'augmentation des coûts de production : la filière avicole, les veaux de boucherie, le porc. Néanmoins, dans ce contexte d'évolution des marchés qui voit les prix atteindre durablement un niveau élevé, plus élevé en tout cas que jamais dans le passé - je pense en particulier aux grandes cultures, au bois, au lait -, nous avons la possibilité d'ouvrir le débat de manière plus constructive et plus sereine.

Enfin, le quatrième élément de ce contexte, élément qu'il ne faut pas oublier, ce sont les négociations à l'OMC. Même si leur conclusion semble s'éloigner, nous resterons, comme l'a indiqué le Président de la République, très fermes et très vigilants : nous ne pourrons évidemment pas accepter que l'agriculture devienne je ne sais quelle variable d'ajustement d'un accord à tout prix qui se ferait au seul bénéfice des pays émergents et au détriment des intérêts agricoles européens et, du même coup, des pays les plus pauvres.

Mesdames, messieurs les sénateurs, pour préparer ces rendez-vous, pour préparer ce projet agricole, alimentaire et territorial, j'ai proposé une méthode, dans un esprit de dialogue et de transparence, à travers les assises de l'agriculture. Parlement de l'agriculture, en quelque sorte, elles rassemblent déjà des responsables agricoles, auxquels nous avons associé d'autres acteurs, en particulier les ONG qui interviennent en matière d'environnement ou les consommateurs, que j'ai déjà rencontrés.

Nous prendrons en compte les conclusions du Grenelle de l'environnement et nous nous appuierons sur le socle des propositions qu'il a formulées afin de bâtir ce projet agricole, alimentaire et territorial. Nous prendrons également en compte le débat qui s'est ouvert sur le bilan de santé de la PAC. Ainsi, ces assises nous permettront de préparer le futur grand rendez-vous pour la PAC de l'après 2013.

Plusieurs orateurs m'ont interrogé, justement, sur le calendrier de ce bilan de santé. Notre objectif est de conclure en décembre prochain le débat qu'il a suscité et dans la foulée, parce que les choses sont liées, d'ouvrir sans attendre, sous la présidence française, le grand débat sur la future politique agricole commune, comme je l'ai déjà indiqué ; le Conseil informel des ministres de l'agriculture et de la pêche qui se tiendra à Annecy les 21, 22 et 23 septembre prochains en sera l'occasion.

C'est dans le même état d'esprit que j'aborde une autre négociation qui, monsieur César, a fait ici même, il y a quelques nuits, l'objet d'un long et intéressant débat : la négociation sur l'OCM vitivinicole. Elle se présente difficilement, et j'espère que nous aboutirons ; mais je n'en suis pas sûr. Nous n'accepterons pas n'importe quel accord, car nous voulons préserver le modèle agricole européen en général et, à l'intérieur de ce modèle, la production de vins en provenance de vignobles qui sont ancrés dans des territoires attachés à leur identité et à leur authenticité.

Si vous me le permettez, mesdames, messieurs les sénateurs, je m'attarderai encore un instant sur l'ensemble de ces sujets pour les inscrire clairement dans la problématique générale qui est depuis assez longtemps celle du débat européen et qui, actuellement, s'accentue.

Depuis cinquante ans, la construction européenne voit se confronter deux idées de l'Europe. L'une, que nous n'approuvons pas, mais qui n'en est pas moins vigoureuse, est celle d'une Europe « grande zone de libre-échange », avec quelques règles, des fonds de soutien ou de solidarité - les Anglais les nomment charity funds -, une grande compétition fiscale et sociale à l'intérieur, et toutes les portes et les fenêtres ouvertes sur l'extérieur : c'est la vision anglo-saxonne. Je ne dis pas cela pour être désagréable, mais parce que cette vision existe et qu'elle est très forte, à Bruxelles comme ailleurs.

La seconde vision est celle que nous défendons depuis le début avec les cinq autres pays fondateurs - notamment avec nos partenaires allemands -, aujourd'hui rejoints par d'autres pays situés plus à l'est, en Europe centrale, orientale et baltique. Dans notre perspective, l'Union européenne doit être, bien sûr, un grand marché, mais soumis à des règles ; elle doit être aussi une communauté solidaire menant des politiques intégrées.

Nous avons pour l'heure deux grandes politiques intégrées : la politique régionale, que j'ai gérée pendant cinq ans, et la politique agricole, qui fait aujourd'hui l'objet de notre débat, démontrent que l'Union européenne ne se résume pas à un supermarché, qu'elle est aussi une communauté solidaire. J'espère que d'autres politiques intégrées suivront et que l'Union sera capable d'avoir une voix politique grâce à une politique étrangère et une politique de défense.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le secteur agricole et, en son sein, le secteur du vin se trouvent clairement au point de confrontation de ces deux idées. Vous connaissez mes convictions politiques, celles que je sers au côté du Président de la République et du Premier ministre.

Je pense que, dans le monde globalisé où nous vivons, l'idée d'une libéralisation généralisée n'est pas forcément une idée juste.

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