C’est pourquoi nous avons construit cette proposition de loi autour de l’assimilation de ces travailleurs au statut de salarié tout en leur ménageant une large autonomie. Contrairement à ce que vous avez dit, madame la ministre, un sondage réalisé par le CLAP montre que 66 % des livreuses et livreurs soutiennent la proposition de loi que Pascal Savoldelli, l’ensemble des membres du groupe CRCE et moi-même défendons.
Le droit social donc, ni plus ni moins, mais d’une part, en prévoyant des adaptations pour que les travailleurs puissent mobiliser les droits imaginés dans un contexte industriel qui a évolué et, d’autre part, en permettant de rendre efficiente une véritable autonomie, existante en droit du travail, mais qui s’est délitée.
L’objectif n’est pas d’accompagner ou d’adapter l’ubérisation de la société, ni de créer pour les travailleurs des plateformes un troisième statut d’indépendants économiquement dépendants.
Les plateformes visées sont les plateformes de travail, celles qui font semblant d’être des plateformes de mise en relation entre des indépendants et des clients, mais qui, en réalité, font tout autre chose : elles adoptent cette posture d’intermédiaire pour nier l’exercice sur les travailleurs d’un pouvoir de direction, de contrôle et de sanction qui supposerait l’application de la législation sociale.
En cette période de crise sanitaire, cela n’a rien d’anodin, notamment du point de vue de la sécurité des travailleurs, puisque ces plateformes ne sont soumises à aucune obligation de sécurité les obligeant à tout faire pour éviter la contamination et à aucune obligation de payer des masques et du gel. Ces travailleurs ont donc pris des risques pour leur santé en travaillant sans matériel de protection, et ils ont été obligés d’improviser eux-mêmes des règles.
Or ces plateformes ne sont pas neutres dans la prestation réalisée. Au contraire, comme en témoigne le récent arrêt Uber rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation, ces plateformes organisent et encadrent l’activité des travailleurs. Les prescriptions des contremaîtres ont simplement été remplacées par celle des algorithmes, traduction informatique des directives patronales. Cela n’est pas acceptable ! Ces travailleurs doivent pouvoir jouir des droits qui sont les leurs. Ils doivent bénéficier du droit du travail et de la protection sociale.
Soyons clairs : les véritables indépendants qui recourent à de véritables plateformes de mise en relation ne nous posent aucun problème, au contraire. On ne peut que se féliciter qu’un ébéniste ou un sculpteur puissent élargir leur base de clientèle au moyen d’un profil sur une plateforme de mise en relation pour leurs productions. Il n’est pas question de les transformer en salariés.
En revanche, nous voulons lutter contre les faux indépendants, ceux qui ne disposent pas de leur propre clientèle, qui ne peuvent déterminer ni leurs propres tarifs ni leurs propres conditions de travail et d’organisation, et qui voient au contraire leur activité complètement encadrée et maîtrisée par la plateforme.
Ce texte a vocation à permettre l’application effective du droit social, la mobilisation des travailleurs, mais aussi à lutter contre la dégradation du salariat en garantissant une réelle écoute, une véritable émancipation collective.
Nous ne voulons pas laisser les plateformes galvauder et paupériser l’entrepreneuriat. Nous ne voulons pas que la nouveauté d’accès à un service serve de prétexte à certaines entreprises pour faire de la concurrence déloyale à nos entreprises vertueuses, au détriment des plus précaires.
La mutation de l’économie, qui accroît la dépendance des travailleurs comme des entreprises à ces plateformes dont le modèle économique repose sur le non-respect des règles sociales et fiscales, doit nous conduire à nous interroger, car les entrepreneurs sont aussi concernés. Ils nous ont tous indiqué qu’ils avaient constaté, certes, une hausse d’activité, mais aussi une dépendance accrue à la plateforme, ainsi que de nouvelles contraintes de priorisation de commandes et de prix. Certains ont fait le choix de passer par des organismes respectueux des entrepreneurs comme des travailleurs.
N’oublions pas que la livraison est un service, mais surtout un vrai travail. Elle se fait au prix de la sueur du travailleur. Il est donc normal, comme le disait très justement un restaurateur, de payer le prix de la flemme.
En posant le débat sur une petite partie des 30 millions d’actifs, c’est sur notre organisation du travail et ses transformations dans leur ensemble que nous nous interrogeons. En attendant l’avènement d’une société égalitaire où chaque individu pourra s’épanouir dans son travail, en continuant d’encourager les coopératives de livreurs, comme à Bordeaux, nous proposons de poser une première pierre à l’édifice en accordant un statut et des droits à celles et ceux qui n’en ont pas.
Mes chers collègues, une convergence doit s’opérer pour voter en faveur de ce texte d’intérêt général.