Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à mon tour à remercier mes collègues de nous permettre d’approfondir ce débat sur les conditions de travail et d’emploi des travailleurs des plateformes.
Monique Lubin a exposé ce qui nous différenciait de cette proposition de nos camarades ; je n’y reviens pas. Lors la discussion, en janvier dernier, de la proposition de loi d’appel, nous avons défendu l’idée, alors trop mal connue, de la coopérative d’activités et d’emploi (CAE). Je vous renvoie sur ce point à l’excellent rapport de Jérôme Giusti et Thomas Thévenoud pour la Fondation Jean-Jaurès.
La CAE offre la possibilité du statut original d’entrepreneur salarié associé. Celui-ci a été inventé en 2014 pour répondre aux besoins de l’économie collaborative et des plateformes, pour contrer les excès de l’autoentrepreneuriat et pour offrir de l’autonomie et des droits sociaux aux salariés. En regroupant les entrepreneurs salariés, la CAE répond au besoin de représentation, et cela, comme l’a rappelé Monique Lubin, sans nécessiter d’aménagement du code du travail existant.
Ma collègue et moi-même notons avec satisfaction que notre proposition a fait progresser et évoluer la réflexion de nombreux acteurs, à commencer par nos collègues de la majorité sénatoriale, puisque cette solution fait partie des recommandations de leur rapport paru il y a quelques jours.
Je souhaite poursuivre dans la même veine, en proposant une idée nouvelle de régulation sous un angle totalement différent, et jamais abordée dans les travaux parlementaires, qui consiste à adapter le devoir de vigilance à cette problématique.
Ce devoir existe en droit depuis la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre de 2017, adoptée sur l’initiative de mon collègue député Dominique Potier. Pour tenter la recevabilité et vous présenter l’idée, nous l’avons restreint à certains modèles de plateformes numériques. Dans son principe, le devoir de vigilance mériterait toutefois d’être élargi à l’ensemble du champ de l’économie, dès lors que les modèles économiques peuvent légitimer la présence de travailleurs indépendants.
Avec les dérégulations spécieuses que nous connaissons depuis quelques décennies, un donneur d’ordre qui respecte la loi peut malgré lui créer les situations indécentes que nous dénonçons, particulièrement en utilisant le sous-statut d’autoentrepreneur dénoncé dans le récent rapport précité.
L’exemple le plus flagrant de cette déresponsabilisation des donneurs d’ordre était excellemment rapporté par le journal Libération lundi soir. L’article dressait le portrait d’un migrant récemment arrivé qui n’était pas payé depuis deux mois. Le travailleur pensait travailler pour la plateforme Frichti alors qu’il travaillait en fait pour un sous-traitant. Or la plateforme affirme ne connaître ni ce sous-traitant ni ce travailleur. Comment est-ce possible ? Vous le constatez, nous proposons un nouvel angle d’attaque pour lutter contre le cyber-précariat et la dictature de l’algorithme.
Je remercie mes collègues du groupe CRCE de nous offrir l’opportunité de débattre et de chercher des solutions à ce cancer qu’est l’ubérisation du travail. Monique Lubin a indiqué notre position de fond à ce sujet.
Madame la ministre, le confinement a mis en évidence la détresse de nombreux travailleurs surexploités, indépendants fictifs, exposés aux risques de la route et au Covid-19, et ne disposant pas de droits suffisants lorsque l’activité cesse. J’ai déjà eu l’occasion de demander qu’on leur accorde une protection comme s’ils étaient salariés.
Plusieurs orateurs précédents ont rappelé l’arrêt du 4 mars de la Cour de cassation, qui confirme le lien de subordination chez Uber, et donc le caractère fictif, madame la ministre, du statut d’indépendant des travailleurs. Nombre de recours sont d’ailleurs en cours d’instruction, et encore davantage sont déposés. Mais une requalification demande des années, et il faut avoir le goût et les moyens de la procédure. C’est à vous d’agir ! J’en appelle à votre raison.
Par deux fois, sur la saisine des groupes de gauche du Parlement, le Conseil constitutionnel a censuré les tentatives gouvernementales d’instauration d’un tiers statut et de chartes, qui visent à protéger davantage les plateformes que les travailleurs.
À vous écouter, je constate que vous souhaitez poursuivre dans cette direction malgré les décisions constantes des juridictions, dont la Cour de cassation. Madame la ministre, faites cesser la politique du fait accompli ! Nous devons lutter contre l’indécence du travail qui rend pauvre, et nous défendre des plateformes, cheval de Troie qui menace notre modèle social.
Mes chers collègues, profitons de l’occasion de ce débat pour dire non aux chartes et aux bricolages gouvernementaux, pour dire non à l’ubérisation du travail.
Je terminerai en citant le fondateur de la CAE québécoise, Eva, qui, avec son bel accent, nous disait dans une récente réunion en téléconférence que « l’économie collaborative qui existe doit être socialisée et solidarisée ».