Intervention de Cyril Pellevat

Réunion du 4 juin 2020 à 9h00
Statut des travailleurs des plateformes numériques — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Cyril PellevatCyril Pellevat :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la révolution numérique que nous expérimentons tous est le catalyseur de nouvelles activités professionnelles. Le numérique a des effets indéniablement importants sur le monde du travail. La dématérialisation des entreprises de services et l’indépendance accrue des travailleurs se heurtent aux formes de travail traditionnel.

Ces deux aspects soulèvent la question de l’évolution de la protection des droits des travailleurs au sein de ce nouveau modèle. Derrière le terme vague « ubérisation » se profile une nouvelle configuration du statut de salarié. Cette forme inédite d’emploi questionne certains acquis de notre droit du travail.

La liberté octroyée aux travailleurs des plateformes du numérique est parfois un moyen de contourner les structures de protection salariale. En effet, le travailleur, bien que déclaré autoentrepreneur, reste au service d’une structure numérisée. S’il ne faut pas extrapoler la place des travailleurs numériques dans notre économie, il convient de rappeler que ces derniers représentent 1 % du bassin d’emploi total.

Les travailleurs des plateformes du numérique évoluent dans un cadre légal inapproprié. En effet, le code du travail ne reconnaît que deux statuts de travailleur : salarié et travailleur indépendant. Seuls les salariés bénéficient du régime général de la sécurité sociale et de l’assurance chômage. Dès lors, les travailleurs des plateformes du numérique sont exposés à la précarité et ne sont pas en mesure de renégocier leurs conditions de travail.

Pour autant, cette prétendue exploitation d’une intensité digne du siècle dernier est-elle systématique du mode de fonctionnement de ces plateformes ? Doit-on soumettre ces entreprises à un régime spécifique extrêmement rigoureux, quitte à les fragiliser ? Il me semblerait plus convenable de faire preuve de raison : la révolution numérique, bien qu’elle ébranle notre conception actuelle du monde du travail, est aussi le terreau et l’incubateur de multiples projets qui enrichissent notre économie. Soyons clairs : certaines plateformes internationales disposent de moyens financiers suffisants pour absorber de nouvelles contraintes, mais ce n’est pas le cas d’autres structures, notamment les jeunes entreprises innovantes françaises, souvent plus vertueuses.

Plus encore, les plateformes du numérique sont une véritable porte d’entrée sur le marché du travail pour les travailleurs peu qualifiés. La mise en place de telles restrictions aura des conséquences négatives sur le nombre d’emplois créés par les plateformes du numérique.

C’est pourquoi j’estime que la question complexe des plateformes ne peut être résolue par le biais de cette proposition de loi. Raisonner dans la généralité nous empêche de saisir les particularités propres à chacune des plateformes du numérique. Astreindre sous le même régime toutes ces entreprises revient à condamner les plus fragiles.

Je tiens à réaffirmer mon engagement pour la protection du statut des travailleurs, et bien que je considère comme souhaitable d’étendre aux travailleurs des plateformes du numérique certaines garanties du code du travail, la méthode n’est pas la plus adaptée.

Je tiens notamment à souligner la nécessité de protéger les travailleurs des plateformes numériques contre les ruptures de contrat abusives, et mettre un point d’honneur à garantir une protection à ces derniers. Celle-ci se devra d’être différenciée selon les secteurs et les entreprises. À cet égard, il est de notre ressort d’améliorer la protection sociale des travailleurs des plateformes numériques.

Au vu de la crise économique qui se profile, nous ne pouvons toutefois faire peser sur les entreprises de trop fortes contraintes économiques. C’est pourquoi la proposition de loi doit considérer davantage la possibilité pour les travailleurs de souscrire à une assurance relative aux accidents du travail et maladies professionnelles ou à une complémentaire santé. Cette couverture suffit à assurer les frais médicaux afférents à une maladie ou à un accident lié à l’exercice d’une profession. Rappelons que les personnes exerçant une profession libérale, les artisans, les commerçants et les infirmiers y ont eux-mêmes recours dans l’exercice de leur profession.

Il serait plus opportun de s’intéresser à la rédaction d’une proposition de loi relative aux règles de la microentreprise, afin de mettre celles-ci à jour au regard des nouvelles problématiques que soulève l’émergence de plateformes numériques. J’insiste sur la possibilité d’inclure, lorsqu’un régime d’autorisation préalable serait pertinent, des critères sociaux dans leurs agréments. J’ai la conviction que cela permettrait de rationaliser les conditions de travail des employés de ces plateformes. Par ailleurs, une réglementation plus souple serait davantage susceptible de s’adapter à la diversité de ces dernières.

L’essentiel de notre mission est d’instaurer un dialogue apaisé entre les multiples acteurs des plateformes numériques. C’est pourquoi je considère que la création d’instances de dialogue social, où travailleurs indépendants et représentants des plateformes pourraient se rencontrer régulièrement et échanger autour de thèmes prédéfinis, serait plus adaptée.

Tout en partageant la volonté de mes collègues d’améliorer la condition des travailleurs des plateformes du numérique, je voterai contre cette proposition de loi.

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