Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l’examen aujourd’hui de cette proposition de loi visant à garantir l’efficacité des aides personnelles au logement déposée par le groupe CRCE est évidemment essentiel.
Cet examen est d’autant plus important dans la période que nous venons et que nous continuons de traverser, laquelle a montré à quel point l’habitat est une question cruciale, centrale, malheureusement encore beaucoup trop vectrice d’inégalités sociales.
C’est aussi, comme vous l’avez mentionné, madame la sénatrice, une question de dignité pour beaucoup de nos concitoyens. Notre rôle à tous, en tant que responsables politiques à l’échelon national ou local, est de tout faire pour accompagner les trop nombreuses personnes qui souffrent dans leur logement.
Je veux profiter de l’examen de cette proposition de loi pour partager avec vous plusieurs convictions, même si je ne suis pas d’accord avec un certain nombre de propositions formulées.
D’abord, je le dis de manière très précise, j’estime que nous avons une vision commune – vous l’avez rappelé, madame la sénatrice – de la politique à mener en matière de logement. La question est donc la suivante : quels sont les chemins pour aboutir à cette politique du logement ?
Je l’ai toujours affirmé – il ne s’agit pas d’un discours d’estrade puisque vous m’avez entendu le dire à de multiples reprises –, il existe pour moi deux priorités en matière de logement.
La première priorité est la réhabilitation et la rénovation des logements pour lutter contre l’habitat insalubre. Je pense à tout ce qui a été fait dans cet hémicycle, que ce soit dans le cadre de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi ÉLAN, ou des travaux qui ont eu lieu à la suite du drame qu’a connu la ville de Marseille, mais ce n’est pas le débat du jour…
La seconde priorité, que vous avez rappelée dans vos propos, madame la sénatrice, madame la rapporteure, est la question de la production de logements abordables. Aujourd’hui, notre défi à tous est de produire certes plus de logements, mais aussi plus de logements abordables. En effet, beaucoup de nos concitoyens voient leur « taux d’effort » augmenter sans cesse. Parfois, 40 % à 50 % de leur revenu sont consacrés au paiement du loyer. Notre objectif politique est donc très clair : il faut mettre toute notre énergie à produire plus de logements abordables.
Bien évidemment, et c’est le principe de la démocratie, nous pouvons ne pas être d’accord sur les voies à emprunter pour atteindre cet objectif. Quoi qu’il en soit, je crois vraiment que nous partageons la même ambition.
À ce titre, le logement social est un trésor du modèle social français. Ce modèle social, quoi qu’on en dise – nous y reviendrons assurément au cours du débat –, doit selon moi absolument être préservé. C’est pourquoi je m’inscris totalement en faux avec l’exposé des motifs de cette proposition de loi, qui affirme que le gouvernement auquel j’appartiens, voire le ministre que je suis, défendrait la financiarisation et la privatisation du logement social !
Je vous rappelle que, notamment dans le cadre de la loi ÉLAN, je me suis battu avec beaucoup de force, plus à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, je dois l’admettre, contre les positions défendues par les représentants de partis politiques très largement représentés dans cet hémicycle. Il a, par exemple, été proposé d’ouvrir le capital d’un certain nombre de bailleurs sociaux à des financeurs privés et de casser le modèle limitant le financement du capital dans le logement social. Je m’y suis toujours opposé avec force et avec beaucoup de conviction, car le modèle du logement social français doit, selon moi, perdurer tel qu’il existe.
Ma deuxième conviction sur le modèle français du logement social est que beaucoup de réformes ont été réalisées depuis trois ans. Certains les critiqueront, c’est le principe de la démocratie, mais je me félicite de toute la dynamique des regroupements qui a été largement débattue ici pendant la Conférence de consensus sur le logement. Je salue d’ailleurs le travail réalisé à cette occasion par le président Gérard Larcher et par Jacques Mézard. Ces regroupements de bailleurs sociaux sont effectifs et fonctionnent bien.
Je me réjouis aussi des décisions stratégiques qui ont été prises dans le cadre de la loi ÉLAN s’agissant du monopole bancaire, ainsi que de l’étendue des missions données aux bailleurs sociaux. Que de débats n’avons-nous eus sur le fameux titre III de la loi relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée, dite loi MOP !
Je pense aussi à la question des titres participatifs pour lesquels Mme la rapporteure est extrêmement engagée avec d’autres représentants du monde HLM. Les titres participatifs représentent aujourd’hui près de 900 millions d’euros. L’un des représentants d’une famille d’office d’HLM, pour ne pas le cacher, me disait encore dernièrement au téléphone : si nous avions voulu élaborer un dispositif de soutien pendant la crise financière, nous n’aurions pas fait mieux que les titres participatifs ! Ces derniers, comme l’a rappelé Mme la rapporteure, relèvent plus d’un sujet de fonds propre que d’un sujet de trésorerie, qui est l’enjeu du moment.
Mais d’autres fois, madame la sénatrice, on est allé trop loin, comme je l’ai reconnu avec beaucoup d’humilité. Je pense, par exemple, au dispositif de réduction de loyer de solidarité, la RLS. La mise en place d’une clause de revoyure en avril dernier nous a permis de tomber d’accord avec l’ensemble des familles d’HLM.
Aujourd’hui, les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2019, avec les familles de bailleurs sociaux, nous nous étions fixé le lancement de 110 000 constructions. À l’époque, nous en étions à 109 000. Cette même année, la part des prêts locatifs aidés d’intégration (PLAI) concernait pratiquement 34 000 logements – les logements les plus sociaux – contre 33 342 en 2018. Il s’agissait de la troisième meilleure année depuis le début des années 2000. C’était là aussi un objectif que nous nous étions fixé, d’autant plus important qu’il concerne les logements les plus abordables parmi les logements sociaux.
Les chiffres ont été publiés il y a quelques jours : sur les trois mois précédant le début du confinement, nous avons enregistré une augmentation significative de la dynamique du logement de manière globale, avec une hausse de 10 % des autorisations d’urbanisme. Cette dynamique s’est confirmée sur l’ensemble de l’année 2019 : après de nombreux mois et de nombreuses années de difficultés dans le domaine du logement, la reprise était là !
Au-delà du logement social, d’autres mesures ont été prises. Je pense à l’encadrement des loyers, qui n’a pas été évoqué, mais qui a fait l’objet de longs débats dans cette enceinte. Je pense aussi au formidable dispositif des organismes de foncier solidaire cher à Marie-Noëlle Lienemann avec qui je me suis rendu à Espelette. J’ai d’ailleurs constaté avec beaucoup de satisfaction que la Mairie de Paris a décidé de copier ce qui se fait à Espelette. J’appuie avec force de telles initiatives depuis de nombreuses années, conformément aux positions que le ministre de l’économie de l’époque, Emmanuel Macron, et moi-même avions défendues dans cet hémicycle lors de l’examen de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite loi Macron.
Outre la question du logement abordable, se pose également le problème de l’appui social pour les personnes les plus pauvres et les plus fragiles. La question des APL, madame la sénatrice, est directement abordée dans votre proposition de loi. Mais ce n’est pas le seul souci, comme vous l’avez souligné, puisqu’elle pose, par exemple, le problème des personnes les plus démunies, à savoir les sans-abri.
Songez qu’hier soir, madame la sénatrice, 180 000 personnes – je dis bien 180 000 personnes ! – ont été accueillies dans les dispositifs de mise à l’abri. Pendant la période de confinement, nous avons ouvert 22 000 places supplémentaires qui permettent d’atteindre ces 180 000 places en réquisitionnant, notamment, bon nombre de chambres d’hôtel.
Sur la question des APL, j’ai plusieurs convictions.
Premièrement, les APL ne sont pas un minima social, mais sont une aide, très importante, distribuée à 6, 5 millions de personnes. Madame la rapporteure, le revenu universel d’activité (RUA) n’est pas que le regroupement des minima sociaux : c’est le filet de sécurité. C’est un point important.
Deuxièmement, je fais partie de ceux qui pensent, contrairement à ce que prétendent de nombreuses études, que les APL n’ont pas d’effet inflationniste, excepté peut-être sur les surfaces de petite taille. L’argument du caractère inflationniste ne doit donc pas servir à remettre en cause les APL.
Troisièmement, les APL ne doivent surtout pas nous faire oublier que notre objectif est de produire du logement abordable et pas uniquement de subventionner les loyers parce que, in fine, nous n’aurions pas été capables de produire du logement abordable. L’un et l’autre sont nécessaires et sont les deux piliers des politiques à avoir en la matière, il est très important de le souligner de nouveau.
Quatrièmement, le public éligible aux APL doit être particulièrement soutenu. Je me suis beaucoup battu pour que les familles bénéficiant des APL puissent être également éligibles à l’aide exceptionnelle de solidarité que nous avons versée le 15 mai dernier. Au total, 4 millions de familles, dont 5 millions d’enfants, en ont bénéficié.
De la même manière, des erreurs ont été commises en ce qui concerne les APL. Je pense à la réduction de 5 euros : c’était une mauvaise décision, il faut le reconnaître, je l’ai déjà admis et je le redis bien volontiers devant vous. Mais surtout, nous avons laissé se mettre en place depuis de nombreuses années un système extrêmement complexe. Je ne sais pas si l’un d’entre vous a déjà examiné le tableau des APL, mais il faut un doctorat en Excel pour le comprendre !
Le plus scandaleux est que les APL aujourd’hui se calculent en fonction des revenus perçus il y a deux ans. C’est la fameuse question de la contemporanéité des APL. On m’explique par A plus B que certains facteurs permettent de réduire et de compenser cela, mais c’est précisément ce qui rend le système extraordinairement complexe et fait d’énormes trous dans la raquette ! Il importe donc – c’est ce que nous avons fait – de régler le problème à la racine et de faire en sorte que les APL soient calculées en temps réel.
Je le dis de manière très ferme : cette réforme est aujourd’hui prête, même si nous l’avons décalée. Nous ne l’avons pas lancée le 1er avril, comme c’était initialement prévu : pourquoi ? Tout simplement parce que les personnes chargées de la mettre en œuvre sur le terrain sont les employés des caisses d’allocations familiales (CAF).
Je devais appuyer sur le bouton le 10 mars pour lancer la réforme au 1er avril : je vous laisse vous remémorer la situation de notre pays à cette date ! Or ce sont les personnes qui géraient par exemple les aides sociales que j’évoquais ainsi que tout l’accompagnement de nos concitoyens durant la crise qui devaient aussi mettre en œuvre la réforme. Les caisses d’allocations familiales ont été extrêmement sollicitées pendant cette période, il n’était pas raisonnable de leur en demander davantage.
C’est pourquoi nous avons pris un décret repoussant jusqu’à la fin de cette année la mise en œuvre de la réforme. Mon objectif est aujourd’hui la mettre en place le plus rapidement possible, sans attendre la fin de l’année.
Cette réforme est d’autant plus importante aujourd’hui. Elle a été présentée, je l’ai souligné à plusieurs reprises, sous un prisme budgétaire, mais ce n’est pas juste. Car vouloir faire en sorte que les allocations soient versées en fonction des ressources actuelles est avant tout une réforme politique. Je l’ai précisé dans cet hémicycle en réponse à plusieurs questions d’actualité au Gouvernement : s’il y avait un retournement de cycle, ce que personne n’espère, cette réforme deviendrait coûteuse.