Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme je l’ai rappelé hier lors du débat sur la jeunesse, je pense notamment à la jeunesse des quartiers au sujet de laquelle je suis extrêmement inquiète en ce moment, la situation sociale n’a manifestement pas été suffisamment prise en compte par le Gouvernement dans le plan de déconfinement. Il faut sans doute beaucoup plus anticiper et aider les plus fragiles à traverser la crise.
L’augmentation du chômage nécessite des mesures fortes pour empêcher de nombreux Français de basculer dans la précarité. Il y a urgence pour leur permettre de conserver leur logement – c’est l’objet du texte que nous examinons aujourd’hui – tant dans le parc public que dans le parc privé pour lequel nous avons aussi beaucoup d’inquiétudes.
Les aides personnelles au logement représentent plus de 40 % de l’effort public pour le logement. Elles réduisent la charge de logement de 7 millions de ménages locataires bénéficiaires. Or ces ménages ont subi des baisses de revenus du fait notamment du chômage partiel et de l’arrêt de travail pour de nombreuses professions. Quand on a 1 500 euros de revenus avec deux enfants et un reste à charge de 300 euros, c’est très difficile. Il n’y a qu’à voir comment la baisse de 5 euros des APL a été perçue !
Le montant des aides au logement est donc non seulement indispensable pour les soutenir, mais il ne suffira pas pour de nombreux ménages. Il faut aller plus loin et prévoir sans doute pour une période temporaire de nouvelles mesures d’aide qui permettront aux plus fragiles de surmonter leurs difficultés. Il va falloir, là aussi, faire jouer la solidarité nationale, comme beaucoup d’associations le demandent.
La crise sanitaire que nous traversons se double d’une crise économique et sociale. Le Gouvernement vient malheureusement d’annoncer une récession de plus de 11 %. Dans une étude réalisée en avril dernier, l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES) indiquait que plus d’un tiers des actifs avaient déjà vu baisser leurs revenus d’activité. Certains d’entre eux font partie des ménages devant faire face à de lourdes dépenses de logement. Plus de 4 millions de ménages sont soumis à cette double contrainte budgétaire.
Dans une étude de 2018, la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) rappelait en effet que le logement représente les deux tiers de la consommation préengagée des ménages pauvres. Il y avait déjà des soucis dans l’avant ; on est par conséquent en droit de se poser des questions pour l’après !
Le plan de sortie du confinement doit donc s’accompagner de mesures d’urgence renforcées pour éviter qu’une crise sociale durable ne s’installe. Il faut aller plus loin dans la protection des personnes. Cette urgence sociale est relayée depuis des semaines par les acteurs de la solidarité que nous avons beaucoup auditionnés avec Mme Estrosi Sassone, mais également par les bailleurs sociaux et les associations d’élus.
Le fonds de solidarité logement (FSL) est particulièrement mobilisé pour venir en aide aux ménages fragilisés, mais les locataires ayant des difficultés à payer leur loyer qui ne sont pas éligibles à ce fonds ne disposent pas d’aide spécifique. Le FSL n’est d’ailleurs pas universel puisqu’il est destiné aux personnes en grande situation de précarité sociale et est attribué selon des critères propres à chaque département.
Les bailleurs sociaux veillent attentivement à soutenir leurs locataires. Ils ont signé une charte en faveur de ceux qui ont connu des problèmes de fragilité économique durant la crise. Mais les informations manquent s’agissant du secteur privé. Dans ce contexte, la question du logement est plus que jamais prioritaire et nécessite des réponses fortes et pratiques.
Afin de répondre plus efficacement à cette situation, plusieurs sénateurs du groupe socialiste et moi-même avons déposé une proposition de loi prévoyant des mesures d’urgence, notamment l’abondement par l’État du FSL, à hauteur de 250 millions d’euros, pour l’aide d’urgence à la quittance, évoquée par Mme la rapporteur. Cette mesure s’adresserait aux locataires du parc locatif social, mais aussi du parc privé, et aux copropriétaires occupants qui ne peuvent plus payer leurs charges de copropriété.
Nous prévoyons aussi de maintenir systématiquement les aides au logement durant la période de la crise sanitaire et de permettre la suspension du paiement des annuités d’un emprunt immobilier pendant une durée maximale de douze mois. Il faut également veiller à ce que des copropriétaires occupants ne soient pas expulsés. Nous demandons, enfin, la création d’une aide de 50 millions d’euros en faveur des associations de lutte contre la pauvreté et l’exclusion.
Rappelons-le, l’État, qui est garant du droit au logement et de la solidarité nationale, a privé le logement social de près de 3 milliards d’euros, ce qui représente 6 milliards d’euros en moins sur trois ans.
Recentrage du prêt à taux zéro (PTZ) au détriment des zones rurales, baisse des APL, gouvernance de la politique du logement qui s’éloigne des territoires : ces choix politiques ont eu et ont encore des effets irrémédiables qui installent une crise durable de la construction de logements abordables, de la réhabilitation et de la rénovation urbaine, dont les effets seront encore amplifiés par la crise actuelle.
La France doit produire du logement abordable – or, nous le savons, il y aura environ 100 000 logements en moins – et soutenir les familles modestes.
Comment résorber l’habitat indigne si l’on ne peut pas reloger les familles ? Comment mettre en place la politique dite du « logement d’abord » sans offre de logements adaptée et sans financement de l’accompagnement social ? Comment demander aux maires de mettre en œuvre des politiques publiques quand ils n’en ont plus les moyens ? Comment donner confiance à notre jeunesse lorsque la précarité s’installe et que le logement devient inaccessible ?
S’agissant des aides au logement, les décisions successives du Gouvernement durant ces trois dernières années ne sont pas allées dans le bon sens : baisse de 5 euros des APL, gel de leur barème en 2018 et sous-indexation à hauteur de 0, 3 % en 2019 et 2020 – maintiendrez-vous cette mesure, monsieur le ministre ? –, suppression de l’APL accession, alors même que le précédent ministre du logement nous avait promis, dans cet hémicycle, que tel ne serait pas le cas, mise en place de la réduction de loyer de solidarité (RLS), comme l’a rappelé Mme la rapporteure.
Je n’oublie pas non plus la situation d’Action Logement, sur laquelle certains se posent beaucoup de questions, pas plus que la réforme, prévue en 2020, des modalités de prise en compte des ressources pour le calcul des aides au logement. Cette contemporanéisation ne suscite pas mon optimisme, car, de ce fait, de nombreux jeunes qui vivent chez leurs parents et allaient emménager dans un logement ne toucheront plus l’APL.
Il faut absolument revoir ces mesures. Même si elles peuvent être positives pour certains, nous ne disposons d’aucune étude d’impact. Normalement, 1, 2 million de bénéficiaires verront leur APL baisser, tandis que 600 000 personnes n’y auront plus droit.
La Cour des comptes, dont Mme la rapporteur a cité le rapport, a d’ailleurs dénoncé un manque d’anticipation dans l’exécution de la mission « Cohésion des territoires », conduisant à un écart important entre les crédits votés et les crédits exécutés, dû notamment aux quatre reports, en 2019, de la date de mise en œuvre de la réforme de l’APL – une réforme, je le rappelle, qui devait faire économiser 1, 4 milliard d’euros en année pleine.
Vous avez mis ces reports sur le compte de la CAF, monsieur le ministre… Or vous avez inscrit dans votre décret la date du 1er janvier 2021, au plus tard. À ce propos, vous m’aviez reproché, lors du débat budgétaire, d’avoir dit que le personnel de la CAF ne pourrait pas appliquer cette réforme. Vous reprenez désormais mon argument !
Je rappelle que le logement rapporte davantage à l’État qu’il ne lui coûte. En 2018, les aides au logement ont certes représenté 40 milliards d’euros, mais le secteur du logement a aussi produit 78 milliards de rentrées fiscales. Il ne faut pas l’oublier !
Le logement doit cesser d’être la variable d’ajustement du budget de l’État, même si vous nous assurez que vos choix politiques ne sont pas purement budgétaires.
Toutes ces mesures frappent de plein fouet les ménages les plus fragiles. En Île-de-France, par exemple, parmi les 700 000 ménages qui demandent un logement social, 71 % sont en deçà des plafonds de ressources.
Il est donc urgent de réorienter la politique du logement, et la question des aides au logement en est l’illustration la plus édifiante. Par conséquent, nous voterons pour cette proposition de loi déposée par Cécile Cukierman, qui traduit cette inquiétude et cette urgence.
Nous la voterons en nous souvenant de l’article 1er de la loi Besson, qui dispose : « Garantir le droit au logement constitue un devoir de solidarité pour l’ensemble de la Nation.
« Toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières, en raison notamment de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’existence, a droit à une aide de la collectivité, dans les conditions fixées par la présente loi, pour accéder à un logement décent et indépendant ou s’y maintenir […]. »
Le maintien dans le logement est extrêmement important.
La situation que nous vivons a révélé, si besoin en était, la profondeur des inégalités sociales et la fragilité des services publics. La priorité pour mon groupe demeure d’aider les plus fragiles à traverser la crise.
La situation dans les banlieues nous inquiète. C’est avant tout une question politique, au cœur de notre pacte républicain. Il faut prendre en considération les problématiques de l’emploi, du logement, mais aussi du respect – nous le voyons aujourd’hui ! –, de la lutte contre les discriminations et de l’espoir.
J’ai renouvelé, hier, la proposition que j’avais faite de donner une réponse avant le mois de septembre aux jeunes des quartiers, notamment les étudiants qui ne pourront pas s’inscrire pour la prochaine rentrée universitaire, faute de job. On peut relancer 20 000 ou 30 000 emplois aidés !
Il faudrait aussi aller chercher les décrocheurs pour les raccrocher au système scolaire. Dans les quartiers, un seul gamin sur dix est aujourd’hui scolarisé !
Vous me répondrez sans doute, comme vous avez commencé à le faire, que beaucoup a déjà été fait. C’est vrai ! Mais l’aisance de vos propos et la sûreté de vos jugements, monsieur le ministre, ne suffisent pas à me rassurer. Il faut regarder beaucoup plus loin !
Ayant été maire de Bron pendant dix-sept ans, j’ai pu constater combien il fallait de temps pour mettre en œuvre les mesures que nous prenons sur le terrain. Les maires, que je salue, dépensent aujourd’hui beaucoup d’énergie pour aider les quartiers.
La politique, pour moi, ce sont non pas seulement des paroles, mais aussi des actes, qui témoignent de responsabilités. En tant que ministre chargé de la ville et du logement, vous avez beaucoup de responsabilités, car il faut agir très vite !