Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat examine aujourd’hui la proposition de loi de Cécile Cukierman consacrée aux aides personnelles au logement.
Nos collègues communistes considèrent que la politique menée depuis le début du quinquennat en matière de logement a conduit à une précarisation accrue des ménages à revenus modestes, et ils proposent quatre mesures pour infléchir cette politique : la suppression du délai de carence d’un mois pour le versement des aides personnelles au logement ; l’abrogation du seuil de non-versement des APL, actuellement fixé à 10 euros par mois ; le maintien des APL en cas d’impayés de loyers dans le cas d’une crise sanitaire ; la réindexation des APL sur l’indice de référence des loyers en 2020.
La commission des affaires économiques du Sénat s’est prononcée favorablement sur deux mesures : le délai de carence et la réindexation des APL sur l’indice de référence des loyers. Elle a considéré, à juste titre, que la politique menée jusqu’à présent avait pénalisé les ménages les plus en difficulté et qu’elle risquait d’amplifier ces difficultés au regard de la crise économique catastrophique qui s’annonce, comme l’ont dit plusieurs de mes collègues.
Au-delà des mesures proposées par nos collègues communistes et de celles qu’a retenues la commission, se pose la question de la pertinence et de l’efficacité des politiques de logement menées depuis de nombreuses années, singulièrement depuis l’élection d’Emmanuel Macron. Je salue le travail fourni et constant de ma collègue rapporteur sur ce sujet.
Nous voyons bien que la régulation budgétaire, qui sape le pouvoir d’achat des plus modestes et aggrave la précarité des ménages, ne peut tenir lieu de politique. L’enjeu n’est pas mince.
Je rappelle que les trois aides personnelles au logement sont versées à 6, 6 millions de ménages et permettent une diminution importante de la charge des dépenses de logement des locataires qui en bénéficient. La Cour des comptes relève qu’elles couvrent en moyenne 49 % du loyer hors charges, dans le cas de l’APL versée aux locataires de logements sociaux, et environ 36 % du loyer pour ce qui concerne l’allocation de logement familial et l’allocation de logement social versées aux ménages logés dans le secteur locatif privé.
En 2015 et 2017, ces trois aides atteignaient 18 milliards d’euros par an. Elles ont été ramenées à 17 milliards d’euros en 2018 et 2019, et la loi de finances pour 2020 prévoit un montant stabilisé à 15, 3 milliards d’euros.
Les deux mesures décidées au deuxième semestre de 2017 – la réduction uniforme des APL de 5 euros par mois, et la mise en place d’une réduction du loyer de solidarité dans le parc locatif social – n’ont eu d’autre objectif que de réduire le déficit des finances publiques. Elles ont fortement ébranlé l’opinion publique et suscité une vague de contestation. Elles succédaient à de nombreuses mesures de régulation, moins visibles, prises par le gouvernement de François Hollande, comme le gel ou la sous-indexation des paramètres de calcul, la dégressivité de l’aide pour les loyers les plus élevés, la prise en compte du patrimoine des bénéficiaires, ou encore la suppression de l’aide pour les accédants à la propriété.
Les évolutions attendues à partir de cette année – je pense, en particulier, à la prise en compte contemporaine des ressources des bénéficiaires pour le calcul des aides, dont la mise en œuvre a d’ailleurs été repoussée à plusieurs reprises, tant elle est complexe – et le projet de création d’un revenu unique d’activité regroupant l’ensemble des aides à la personne nous laissent craindre une poursuite de cette politique récessive en matière de logement.
C’est une politique sans affect, menée sans vision et de manière technocratique, dans le cadre de laquelle tous les acteurs – État, ménages et bailleurs sociaux – sont perdants ; cette politique est vouée à l’échec.
Si je ne méconnais pas la nécessité de maîtriser les dépenses, je considère qu’il est temps, monsieur le ministre, de refonder la politique du logement et de remettre l’équité du système au cœur de vos préoccupations. Cette équité, selon la Cour des comptes, passe par l’analyse fine de la situation des personnes disposant de revenus d’activité très modestes, fortement pénalisées en matière d’aide au logement par rapport à celles qui bénéficient de revenus de transfert. Elle passe également par une meilleure information des allocataires potentiels des aides au logement, qui sont environ 2 % à ne pas demander le bénéfice de l’APL ; la question du non-recours n’est pas sans incidence sur la situation de pauvreté de certains ménages.
Une réforme véritablement ambitieuse aurait pour objectif une simplification des règles de calcul des aides. La Cour des comptes regrette, à juste titre, que les pouvoirs publics n’aient toujours pas mis fin à la complexité de ces modes de calcul, à l’origine de nombreux indus et de fraudes.
Je ne reviendrai pas sur la perte de confiance des bailleurs sociaux vis-à-vis des pouvoirs publics, survenue à la suite de la réforme du mouvement HLM et de la réduction de loyer de solidarité, décidée unilatéralement. Néanmoins, il me semble nécessaire de s’interroger sur les moyens qui doivent être effectivement alloués aux bailleurs sociaux pour relancer l’effort de construction, qui s’avérera indispensable.
Je l’évoquais au début de mon intervention, la crise économique s’annonce particulièrement violente, avec un risque de paupérisation d’une partie de la population. Les besoins en logements sociaux, voire très sociaux, seront importants, et la solvabilité des ménages devra être assurée au moyen des aides au logement. Or les objectifs de construction ne seront à l’évidence pas atteints cette année, compte tenu de l’arrêt des chantiers durant la crise sanitaire. La reprise sera lente et allongera les délais de livraison.
Par conséquent, je souhaite que le Gouvernement soit attentif au rôle essentiel du logement social et des aides personnelles au logement, qui permettent de satisfaire les besoins essentiels des catégories modestes ; un véritable engagement doit être pris à très court terme contre le mal-logement et la précarité, qui fracturent notre société et laissent tant de monde sur le bord du chemin.